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Date : 20081209

Dossier : IMM‑4701‑07

Référence : 2008 CF 1362

Montréal (Québec), le 9 décembre 2008

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

ALI AKBAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision d’une agente des visas du Haut‑commissariat du Canada à Londres, datée du 24 septembre 2007, rejetant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur, au motif qu’il n’a pas obtenu un nombre de points suffisant pour entrer au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral).

 

I. Les faits

[2]               Le demandeur, M. Ali Akbar, un citoyen du Pakistan résidant en Arabie saoudite, a sollicité un visa de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Sa demande comprenait également son épouse, Shahnila Akbar ainsi que trois enfants à charge. Il a déclaré avoir obtenu un baccalauréat ès sciences de l’Université de Karachi en 1976. Son épouse a soutenu être titulaire d’un baccalauréat du St. Joseph’s College for Women de l’Université de Karachi (UK).

 

[3]               C’est le Haut‑commissariat du Canada à Londres qui reçut la demande. Un adjoint aux programmes effectua un premier examen du dossier, après quoi l’agente d’immigration désignée étudia les documents et parvint à la même conclusion que l’adjoint : l’obtention de documents supplémentaires s’avérait nécessaire pour procéder à une évaluation de la demande de l’appelant. Une lettre fut donc envoyée au demandeur, lui enjoignant notamment de fournir, dans un délai de 90 jours, les orignaux des relevés de notes et diplômes décernés par l’Université de Karachi au demandeur et à son épouse.

 

[4]               L’agente d’immigration désignée examina les documents reçus en réponse à cette lettre et avisa le demandeur par écrit qu’elle [TRADUCTION] « avait des motifs raisonnables de croire que le diplôme de son épouse était falsifié ». Les demandeurs se sont vu accorder 30 jours suivant la date de la lettre pour produire des preuves réfutant cette conclusion.

 

[5]               Pour donner suite à cette nouvelle demande du Haut‑commissariat, le représentant du demandeur écrivit lui‑même deux lettres énonçant son opinion selon laquelle le diplôme était authentique. Il fournit également une lettre du demandeur affirmant qu’il tenait pour acquis que le diplôme était authentique, accompagnée d’une photocopie des documents émis par l’Université (soit un bulletin de notes et un diplôme.) L’épouse du demandeur rédigea elle aussi une lettre exprimant sa stupéfaction devant les soupçons de fraude dont elle faisait l’objet. Aucun autre document provenant de l’Université de Karachi ne fut produit, ni aucune autre preuve objective de l’authenticité du diplôme.

 

[6]               Insatisfaite de cette réponse et non convaincue que le diplôme de l’épouse était authentique, l’agente d’immigration décida que seule une entrevue personnelle avec les demandeurs lui permettrait de savoir si ces derniers réunissaient les conditions nécessaires pour entrer au Canada. Lors de l’entrevue, les demandeurs furent informés de l’objectif de la rencontre avec l’agente, soit d’examiner tous les critères de sélection et de discuter plus particulièrement des études de l’épouse. Les demandeurs apprirent également que le Haut‑commissariat du Canada avait reçu en grand nombre des documents falsifiés en provenance du Pakistan et notamment de l’Université de Karachi.

 

[7]               En outre, lors de cette entrevue, plusieurs questions furent posées à la conjointe du demandeur au sujet de ses antécédents scolaires. Quand on lui demanda quelles disciplines elle avait étudiées, l’épouse répondit d’abord qu’elle avait obtenu un diplôme ès sciences en [TRADUCTION] « chimie, physique et microbiologie » avant de modifier sa réponse et d’affirmer qu’elle voulait plutôt dire [TRADUCTION] « chimie, zoologie et microbiologie. » On lui posa aussi des questions plus précises sur la durée de ses études et les matières pour lesquelles elle avait reçu son diplôme. Toutefois, aux yeux de l’agente, l’entrevue avait révélé l’incapacité de l’épouse de répondre à des questions essentielles au sujet des matières qu’elle prétendait avoir étudiées. Par conséquent, l’agente ne fut pas convaincue que l’épouse avait obtenu le diplôme qu’elle disait détenir et n’accorda aucun point pour le facteur capacité d’adaptation mentionné à l’alinéa 83(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

[8]               À la fin de l’entrevue, l’agente informa les demandeurs des doutes qu’elle entretenait au sujet de l’authenticité du diplôme, ce qui l’empêchait d’attribuer des points pour le facteur capacité d’adaptation. Par conséquent les demandeurs n’obtinrent pas la note requise. Cette conclusion leur fut confirmée par écrit dans une lettre datée du 24 septembre 2007.

 

[9]               Le 30 octobre 2007, plus d’un mois après la décision, le Haut‑commissariat reçut une enveloppe non sollicitée de l’Université de Karachi. Toutefois, comme le Haut‑commissariat avait déjà reçu des documents falsifiés, et compte tenu de son entrevue avec l’épouse du demandeur, l’agente ne fut toujours pas convaincue que le diplôme était authentique. Par conséquent, les observations présentées par le demandeur n’eurent aucune incidence sur la décision. Le demandeur reçut une lettre l’informant que la décision était maintenue.

 

II. La question en litige

[10]           La décision de l’agente des visas est‑elle déraisonnable?

 

III. Analyse

            La norme de contrôle

[11]           L’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. L’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue. Dans la mesure où cette appréciation a été faite de bonne foi, dans le respect des principes de justice naturelle applicables et sans l’intervention de facteurs extrinsèques ou étrangers à la question, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas devrait être la décision manifestement déraisonnable (Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, au paragraphe 15; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[12]           L’agent d’immigration désigné a le pouvoir de prendre des décisions relatives à la délivrance de visas. Il possède une expertise plus grande que celle de la Cour en la matière, et cette expertise appelle à la retenue (Singh Tiwana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 100).

 

            Le caractère raisonnable de la décision contestée

[13]           En vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la loi (LIPR, paragraphe 11(1)).

 

[14]           Le paragraphe 16(1) de la LIPR prescrit que :

L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

[15]           C’est donc au demandeur qui sollicite un visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) qu’il incombe de fournir tous les documents nécessaires ainsi que des preuves crédibles à l’appui de sa demande. Le fardeau ne se déplace jamais vers l’agent d’immigration désigné. Bien qu’en l’espèce, l’agente ait jugé nécessaire de convoquer le demandeur à une entrevue pour déterminer s’il satisfaisait aux critères d’entrée au Canada, le demandeur n’avait aucun droit à une entrevue pour cause de demande ambiguë ou d’insuffisance des preuves à l’appui. L’agent n’a nulle obligation de recueillir des preuves supplémentaires ou de pousser plus loin ses investigations (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1985), 152 F.T.R. 316 (1re inst.); Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2007 CF 733).

 

[16]           Dans tous les cas, il appartient à ceux qui, comme le demandeur, fournissent des documents provenant d’autres pays, par exemple le Pakistan, en appui à leurs allégations, de prouver l’authenticité de ces documents (Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 451, au paragraphe 10).

 

[17]           La seule question en litige en l’espèce consiste en l’appréciation, par l’agente, de la capacité d’adaptation du demandeur eu égard à l’instruction de son épouse. Ce dernier a soutenu qu’il méritait un certain nombre de points, qui lui ont été accordés, parce qu’il avait des parents au Canada. Il a également demandé de se voir attribuer des points pour les antécédents scolaires de son épouse, ce qui lui a été refusé parce que l’entrevue personnelle n’a pas convaincu l’agente que le diplôme décerné à son épouse par l’université de Karachi était authentique. Pendant l’entrevue, l’épouse du demandeur n’a fourni, selon l’agente, [TRADUCTION] « aucune information supplémentaire au sujet de ses études ni aucune réponse indiquant qu’elle possédait quelque connaissance que ce soit au sujet des matières étudiées pendant son baccalauréat ».

 

[18]           Les préoccupations de l’agente étaient fondées. Le Haut‑commissariat du Canada à Londres traite toutes les demandes de résidence permanente présentées par des habitants du Golfe depuis 1990, et un grand nombre d’entre eux ont fait leurs études au Pakistan. Par conséquent, le Haut‑commissariat a acquis une expertise en ce qui concerne les diplômes provenant de cette région. Le Haut‑commissariat ayant déjà reçu un nombre important de faux documents prétendument émis par l’Université de Karachi, l’agente avait de bonnes raisons de mettre en doute les allégations de l’épouse du demandeur quant à ses antécédents scolaires.

 

[19]           La Cour reconnaît que l’expérience du Haut‑commissariat en matière de faux diplôme ne doit constituer pour l’agente qu’un appel à la prudence et non un élément de preuve. Toutefois, compte tenu des anomalies constatées par l’agente relativement au diplôme de l’épouse du demandeur, et de ses réponses à l’entrevue qui démontraient l’insuffisances de ses connaissances, il était tout à fait loisible à l’agente de refuser d’attribuer des points au demandeur pour le facteur capacité d’adaptation en vertu de l’alinéa 83(1)a) du Règlement.

 

[20]           Le demandeur et son épouse ont été avisés des doutes de l’agente. Ils ont eu la possibilité de dissiper ces doutes en personne, lors de l’entrevue, et par écrit. Il n’y a eu aucune atteinte à l’équité procédurale à cet égard. En outre, l’agente n’a pas non plus enfreint les principes d’équité procédurale lorsqu’elle a examiné les documents non sollicités reçus plus d’un mois après qu’elle eut refusé la demande. En effet, l’agente a étudié les documents et conclu qu’ils ne modifiaient en rien sa décision tout en exposant une série de motifs qui l’avaient conduite à ne pas remettre en question sa décision.

 

[21]           L’agente bénéficie d’un net avantage par rapport à la Cour en ce qu’elle a eu une entrevue avec le demandeur et son épouse. Par conséquent, et compte tenu de l’expertise acquise par l’agente dans le domaine pertinent en l’espèce, la Cour conclut qu’elle doit faire preuve de retenue dans son contrôle de l’appréciation des diplômes de l’épouse du demandeur.

 

[22]           Considérant que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la raisonnabilité, et bien que la Cour eût peut‑être fait une évaluation différente du dossier puisqu’il ne manquait qu’un point aux demandeurs pour obtenir la note requise, la Cour n’est pas convaincue, eu égard aux faits, que son intervention est justifiée. Il n’appartient pas à la Cour de décider ce que l’agente d’immigration désignée a la responsabilité de décider.

 

[23]           La Cour annulera une décision seulement si elle est abusive ou arbitraire, si elle n’est pas fondée sur la preuve, si elle repose sur une conclusion de fait erronée qui porte à conséquence, ou encore, s’il y a eu atteinte à l’équité procédurale. Ce n’est pas le cas en l’espèce même si la décision ne satisfait pas le demandeur.

 

[24]           La Cour est convaincue que la décision est transparente, intelligible et justifiée par les faits et par le droit applicable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée puisque la Cour estime que la décision était raisonnable en l’espèce.

 

[25]           La Cour convient avec les parties que le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale qui mérite d’être certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET STATUE que la demande est rejetée.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Emmanuelle Dubois


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4701‑07

 

INTITULÉ :                                       ALI AKBAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Maurice E. Lagacé

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barry E. Smith

 

Pour le demandeur

Michael Butterfield

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barry E. Smith

Mississauga (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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