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Date :  20081223

Dossier :  IMM-4010-08

Référence :  2008 CF 1411

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

KAKONYI JOZSEFNE

demanderesse

et

 

LE Ministre de la Sécurité publique

et de la Protection civile

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Pour les fins d’un sursis en matière d’immigration, l’interprétation de l’esprit du test Toth, découle du fait que le test est tripartite et conjonctif. Il nécessite un ensemble des éléments intégralement liés pour répondre à ses trois critères d’une façon positive.

 

 

Un sursis en immigration donne ouverture à un privilège, autant qu’un droit, qui émane de l’ensemble des éléments intégralement liés, non uniquement à ce que la personne est, ou ce qu’elle représente à l’intérieur de sa situation, donc son vécu; mais également, ses agissements et sa façon de se comporter envers les valeurs canadiennes, comme décrit dans les objectives spécifiés dans l’introduction à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch 27 (LIPR).

 

L’exercice du test Toth est entrepris par l’entremise d’une évaluation préliminaire, d’ailleurs toute la démarche de l’évaluation du test Toth est une étape préliminaire, pour, ou avant de considérer à un stade postérieur, une révision potentielle des procédures mettant de côté des conclusions auxquelles les autorités des premières instances sont déjà arrivées.

 

Dans chaque cas, l’évaluation aux réponses données au test Toth trace, en résumé, une carte de route antérieure de l’historique de la personne et, également, dans la mesure du possible, un aperçu judiciaire sommaire et potentiel pesant les chances futures de la personne aux étapes postérieures, compte tenu de ses circonstances, face aux critères du test Toth.

 

(Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 11 A.C.W.S. (3d) 440 (C.A.F.)).

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une requête demandant le sursis de l’exécution du renvoi de la demanderesse, prévu le 29 janvier 2009, vers la Hongrie. Cette requête est greffée à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) attaquant la décision refusant à la demanderesse une dispense de l’obligation d’obtenir son visa de résident permanent à l’extérieur du Canada en raison de l’existence de considérations d’ordre humanitaire (CH).

 

III. Amendement de l’intitulé

[3]               Les défendeurs remarquent que la demanderesse a entrepris son recours qu’à l’encontre du « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». Comme le « Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile », est le Ministre responsable de l’exécution des mesures de renvoi, il devrait aussi être désigné à titre de défendeur (Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, L.C. 2005, ch. 10 et au décret émis le 4 avril 2005 (C.P. 2005-0482).

 

[4]               En conséquence, l’intitulé du présent dossier est amendé afin d’ajouter comme défendeur le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, en plus du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

IV.  Faits

[5]               Les faits ressortent de la décision CH ainsi que de l’affidavit de la demanderesse.

 

[6]               La demanderesse est citoyenne de la Hongrie. Elle est arrivée au Canada le 6 novembre 2001 et elle a revendiqué le statut de réfugié. Elle alléguait que sa vie ou sa sécurité serait en danger si elle retournait dans son pays parce qu’elle est Rom et les personnes de cette minorité en Hongrie sont victimes de violence, de crime racial et ne peuvent jouir d’une protection de la part des autorités hongroises.

[7]               Le 27 juin 2003, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a refusé le statut de réfugié à la demanderesse. La SPR a conclu au manque de crédibilité de son récit et elle a aussi conclu que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’elle ne pouvait obtenir la protection de son État. Le 17 novembre 2003, la demande d’autorisation présentée par la demanderesse pour attaquer la décision de la SPR a été rejetée par cette Cour.

 

[8]               Le 14 décembre 2004, la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par la demanderesse a été rejetée.

 

[9]               Le 11 mas 2005, la demanderesse a plaidé coupable à une accusation de vol pour un montant de moins de cinq mille dollars à la Cour municipale de Montréal.

 

[10]           Le 25 août 2006, la demanderesse a déposé sa demande CH accompagnée de divers documents et d’observations écrites de son avocat. Elle avait invoqué les liens qu’elle a créés avec le Canada et elle a aussi invoqué des risques de retour. Essentiellement, elle alléguait les mêmes risques que ceux qu’elle avait allégués au soutien de sa demande d’asile et dans sa demande ERAR.

 

[11]           Le 16 juin 2008, l’agente a rejeté sa demande CH qui fait maintenant l’objet de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui est greffée à la présente requête.

 

 

V.  Analyse

[12]           La demanderesse ne satisfait à aucun des trois critères jurisprudentiels pour l’obtention d’un sursis judiciaire émis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth :

a.       une question sérieuse à trancher;

b.      un préjudice irréparable; et

c.       une balance des inconvénients.

 

La norme de contrôle applicable

[13]           Compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour doit continuer de faire preuve d'une grande retenue à l'égard des demandes CH, et la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable énoncée dans cet arrêt Dunsmuir aux paragraphes 47, 55, 57, 62 et 64 (Gazlat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 532, 167 A.C.W.S. (3d) 378 aux par. 10-11; Barzegaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 681, [2008] A.C.F. no 867 (QL) aux par. 15-20).

 

A.  Questions sérieuses

Principes régissant les demandes de dispense fondées sur des raisons d’ordre humanitaire

 

[14]           Il est un principe de base que les personnes qui souhaitent obtenir le statut de résident permanent au Canada doivent en faire la demande à l’étranger. Ceci est clairement mentionné aux paragraphes 11(1) et 25(1) de la LIPR et l’article 6 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement))

[15]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit toutefois que le Ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter un étranger de tout critère ou obligation prévue par la LIPR et de lui octroyer le statut de résident permanent, s'il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient.

 

[16]           Le processus de décision pour les demandes CH est tout à fait discrétionnaire et sert à déterminer si l'octroi d'une exemption est justifié (Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 495, 312 F.T.R. 262 au par. 19; Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1186, 325 F.T.R. 186 au par. 7).

 

[17]           Pour obtenir cette dispense, la demanderesse devait prouver que les difficultés auxquelles elle ferait face, si elle devait déposer sa demande de résidence permanente depuis l'extérieur du pays, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives (Akinbowale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 1221, [2007] A.C.F. no 1613 (QL) aux par. 14, 24; Djerroud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 981, 160 A.C.W.S. (3d) 881 au par. 32; Doumbouya, ci-dessus au par. 8).

 

[18]           Quant au sens des mots « inhabituelles et injustifiées ou excessives » dans ce contexte, dans la décision Doumbouya, ci-dessus, a cité avec approbation au paragraphe 9, les propos suivants du juge Yves de Montigny concernant l’affaire Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 A.C.W.S. (3d) 1057 :

 

[20]      [...]

 

Pour examiner les demandes d’établissement déposées au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25, l’agent d’immigration s’appuie sur des lignes directrices ministérielles. Le chapitre IP5 du Guide de l’immigration – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, un guide préparé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, contient des lignes directrices sur le sens qu’il convient de donner aux motifs d’ordre humanitaire

 

[...]

 

Le Manuel contient également une définition de « difficulté inhabituelle et injustifiée » et de « difficultés démesurées », aux paragraphes 6.7 et 6.8 :

 

6.7      Difficulté inhabituelle et injustifiée

 

On appelle difficulté inhabituelle et injustifiée :

 

• la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s’exposerait serait, dans la plupart des cas, inhabituelle ou, en d’autres termes, une difficulté non prévue à la Loi ou à son Règlement; et

 

• la difficulté (de devoir demander un visa de résident hors du Canada) à laquelle le demandeur s’exposerait serait, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de cette personne.

 

6.7      Difficultés démesurées

 

 

Des motifs d’ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n’étant pas considérés comme « inusités ou injustifiés », mais dont la difficulté (de présenter une demande de visa de résident permanent à l’extérieur de Canada) aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres. (La Cour souligne.)

6.7      Unusual and undeserved hardship

 

Unusual and undeserved hardship is:

 

• the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) that the applicant would have to face should be, in most cases, unusual, in other words, a hardship not anticipated by the Act or Regulations; and

 

 

• the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) that the applicant would face should be, in most cases, the result of circumstances beyond the person’s control

 

 

6.8      Disproportionate hardship

 

Humanitarian and compassionate grounds may exist in cases that would not meet the “unusual and undeserved” criteria but where the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) would have a disproportionate impact on the applicant due to their personal circumstances.

 

Le bien fondé de la décision de l’agente

[19]           En l’espèce, la décision CH est bien fondée en faits et en droit, compte tenu du but et des objectifs recherchés par la procédure d’évaluation des demandes de dispense présentées en vertu du paragraphe 25 (1) de la LIPR (Souici c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 66, 308 F.T.R. 111 au par. 38; Keita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1186, [2006] A.C.F. no 1483 (QL) au par. 12; Benjamin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 582, 149 A.C.W.S. (3d) 140 au par. 10; Doumbouya, ci-dessus au par. 6).

 

[20]           Dans sa demande CH, la demanderesse a invoqué :

a.       les liens qu’elle a créés avec le Canada depuis son arrivée en 2001 : des antécédents d’emplois, une saine gestion de ses finances, du bénévolat, une de ses filles est résidente permanente, elle vit au Canada avec son fils qui est, comme elle, sans statut au Canada;

b.      les mêmes risques de retour que ceux qu’elle avait allégués au soutien de sa demande d’asile qui a été rejetée par la SPR en juin 2003.

[21]           Au soutien de ses allégations, elle avait soumis des documents et des observations écrites de son avocat. 

 

[22]           Après avoir procédé à une analyse complète et détaillée des allégations et des documents soumis par la demanderesse, ainsi que de la preuve documentaire objective et de sources fiables portant sur la Hongrie, l’agente a conclu que les circonstances personnelles alléguées par la demanderesse, incluant les risques de retour allégués, n’étaient pas tels qu’elle subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle était tenue de présenter, hors du Canada, une demande de visa de résidence permanente.

 

[23]           L’agente a conclu que bien que quelques faits au dossier (dont la plupart n’étaient appuyés d’aucune preuve et/ou la preuve était insuffisante) démontraient une volonté de la demanderesse de s’intégrer dans la société canadienne, elle ne démontrait pas la présence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Malgré qu'une personne soit intégrée au Canada, que ce soit au niveau familial, économique ou communautaire, le degré d’intégration n’est pas suffisant pour accorder une dispense de visa en vertu de l’art. 25 de la LIPR (Buio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 157, [2007] A.C.F. no 205 (QL) au par. 37; Souici, ci-dessus au par. 37; Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158, 157 A.C.W.S. (3d) 822 au par. 18).

 

[24]           La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s'agit pas de savoir si la personne apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s'il existe des considérations humanitaires, les agents d'immigration doivent déterminer s'il existe une situation particulière dans le pays d'origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues et c’est exactement ce qu’a fait l’agente en l’espèce (Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1062, 317 F.T.R. 179 au par. 32; Souici, ci-dessus au par. 38; Keita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1186, [2006] A.C.F. no 1483 (QL) au par. 12).

 

[25]           Au niveau des risques de retour allégués, l’agente a conclu, après avoir évalué la situation actuelle des Roms en Hongrie et les circonstances personnelles de la demanderesse, que cette dernière n’avait pas établi de risques de retour qui constitueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Dans ses motifs, l'agente a énoncé de façon claire les raisons au soutien de sa conclusion négative, lesquelles sont juridiquement valables et fondées sur la preuve qu’elle avait devant elle.

 

[26]           L’agente a exercé son rôle conformément à la LIPR et à la jurisprudence de cette Cour. Il n’y aucune erreur de faits ou de droit qui pourrait justifier l’intervention de cette Cour.

 

[27]           Dans son bref mémoire, la demanderesse demande essentiellement à cette Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve. Comme l’a rappelé cette Cour dans la décision récente Diallo, ci-dessus, l’évaluation des éléments de preuve relève de la discrétion de l’agente CH qui jouit d’une expertise et il ne revient pas à la Cour d’apprécier de nouveau les faits qui ont été présentés à l’agente :

[27]      En fait, monsieur Diallo demande essentiellement à cette Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve et de rendre une décision différente.

 

[28]      Cependant, il ne revient pas à la Cour de faire une nouvelle appréciation des faits qui ont été présentés à l’agent. (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), par. 11; Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, [2002] A.C.F. no 1250 (QL), par. 20.)

 

[29]      Il ressort de la décision CH que l’agent ERAR a fait un examen complet de tous les éléments de preuve soumis par monsieur Diallo à l’appui de sa demande de motifs humanitaires.

 

[30]      Il revenait entièrement à l’agent et non pas au demandeur de décider du poids à accorder aux différents éléments soumis par le demandeur à la lumière des preuves dont il disposait. Un simple désaccord quant au poids attribué aux divers éléments présentés n’est pas suffisant pour justifier l’intervention de cette Cour.

 

[31]      Les conclusions de l’agent étaient raisonnables et s’appuyaient sur la preuve. L’évaluation des éléments de preuve relève de la discrétion de l’agent qui jouit d’une expertise.

 

            (La Cour souligne.)

 

[28]           Cette Cour, dans la décision Davoudifar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 316, a précisé ce qui suit:

[44]      La décision de l’agente est largement tributaire des faits, et, comme l’agente est mieux placée que la Cour pour évaluer les faits portés à sa connaissance, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation du dossier de la demanderesse appelle un niveau élevé de retenue de la part de la Cour. En l’espèce, bien que la situation de la demanderesse suscite la compassion, la décision de l’agente n’était pas déraisonnable et il m’est donc impossible de la modifier.

 

(Également Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 C.F.PI 956, 116 A.C.W.S. (3d) 929).

 

[29]           Il appartient à l’agent d’immigration d’évaluer les facteurs pertinents dans une demande CH et, lorsque toutes les questions ont été adéquatement examinées par le décideur de faits, cette Cour ne doit pas réévaluer la preuve. En effet, la décision dans une demande CH est une décision largement discrétionnaire et cette discrétion a été confiée au Ministre ou son délégué par le Parlement (Herrada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1003, 157 A.C.W.S. (3d) 412 au par. 49; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, 138 A.C.W.S. (3d) 350).

 

[30]           La demanderesse ne démontre pas l’existence d’une question sérieuse à débattre dans le cadre de sa DACJ présentée à l’encontre de la décision CH.

 

B.  Préjudice irréparable

[31]           Au niveau du préjudice irréparable, la demanderesse, dans sa brève argumentation allègue de façon générale, et en s’appuyant sur de la preuve documentaire non récente (2002 et 2003), qu’elle subirait un préjudice irréparable du fait qu’elle craint pour sa vie en Hongrie.

[32]           Ce préjudice allégué par la demanderesse est constitué des mêmes faits et risques présentés à la SPR, lesquels ont été jugés non crédibles. Ces mêmes faits ont également été révisés par la Cour fédérale, laquelle a rejeté la DACJ à l’encontre de la décision de la SPR.

 

[33]           La demanderesse a aussi présenté ces mêmes risques à l’appui de sa demande ERAR et de sa demande CH. L'agente qui a étudié sa demande CH a fait une analyse minutieuse de la preuve soumise ainsi que de la preuve documentaire objective et récente portant sur la Hongrie. Elle a aussi conclu que la demanderesse n'avait pas démontré qu'elle serait personnellement à risque en Hongrie.

 

[34]           Il est bien établi que les risques allégués tant devant la SPR que devant l’agent ERAR et l’agent CH, tous jugés non crédibles et/ou insatisfaisants, ne peuvent constituer un préjudice irréparable. À cet égard, la Cour réfère aux décisions récentes suivantes :

J'ai de sérieux doutes quant à l’existence d'une question sérieuse dans toute cette affaire. Toutefois, n'ayant pas été satisfait que le demandeur subira un préjudice irréparable advenant son retour au Liban, ses demandes de sursis ne peuvent réussir (voir Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.).

 

En effet, ce sont les mêmes faits que ceux antérieurement présenté à la Section de protection des réfugies (SPR), lesquels ont été jugés non crédibles, qui ont été soumis au soutien des demandes d’examen des risques avant renvoi (IMM4129-08), de dispense en raison de l’existence de considérations d’ordre humanitaire (IMM-4130-08) et de report du renvoi (IMM-4269-08). Ces mêmes faits ont en outre été révisés par celte Cour qui a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision SPR. 

 

(Bou Jaoudeh c. M.C.I et M.S.P.P.C., IMM-4129-08, IMM-4130-08, IMM-4269-08, (8 octobre 2008, juge Yvon Pinard).

[1]        Cette Cour a souvent conclu que des allégations de risque qui ont été jugées non fondées par la Commission et l’agent de l’Évaluation des risques avant renvoi (ÉRAR), à la fois ne peuvent servir de fondement pour établir un préjudice irréparable dans le contexte d’une requête en sursis (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 145, 137 A.C.W.S. (3d) 156). Ce principe relatif à la crédibilité est adaptable dans le contexte du défaut de renverser la présomption de protection étatique. 

 

[2]        En ce qui concerne les bouleversements de la famille et la séparation que devra supporter le conjoint de madame Malagon, il ne s’agit pas d’un préjudice irréparable, mais plutôt d’un phénomène inhérent au renvoi (Malyy c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 388, 156 A.C.W.S. (3d) 1150 aux par. 17-18; Sofela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 245, 146 A.C.W.S. (3d) 306 aux par. 4 et 5; Radji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 100, 308 F.T.R. 175 au par. 39). En conclure autrement rendrait impraticable le renvoi des individus n’ayant pas le droit de demeurer au Canada. De plus, tel que rappelé dans Golubyev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 394, 156 A.C.W.S. (3d) 1147 au paragraphe 12 : le critère du préjudice irréparable est un critère sévère qui oblige à démontrer l’existence d’une menace sérieuse à la vie ou à la sécurité du demandeur.

 

[3]        Pour ces raisons, madame Malagon n’a pas démontré de préjudice irréparable. Ce motif à lui seul justifie le rejet de la requête.

 

(Malagon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1068, [2008] A.C.F. no 1586 (QL)).

Le récit sur lequel se fonde l'argument principal de préjudice irréparable est le même que celui rejeté comme non crédible par l'agent ERAR.  Encore ici, il est bien établi que, règle générale, ce récit ne peut servir de fondement dans le cadre d'une requête pour un sursis à moins d'établir l'existence de faits nouveaux ou de produire une nouvelle preuve particulièrement probante.

 

(Dumbouya c. M.C.I. et M.S.P.P.C., IMM-982-08 (20 février 2008); également, Bizi-Bandoki c. M.C.I., IMM-4261-07 (juge de Montigny); Knyasko c. M.C.I., IMM-3240-06, (juge Michael Kelen; Ulusoy c. M.C.I., IMM-3277-05, 3 juin 2005 (juge de Montigny).

 

[35]           La demanderesse allègue également un bref passage d’un document intitulé “Psychological Report”, préparé par monsieur David L.B. Woodbury, membre de l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères d'orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec.

 

[36]           Ce rapport, qui est basé en partie sur la relation des faits par la demanderesse et en partie des observations cliniques de monsieur Woodbury, déclare « She described sufficient symptoms to meet the DSM-IV criteria for Posttraumatic Stress Syndrome with Panic Attacks, In Remission and Major Depressive Episode, Single Episode, Mild ».

[37]           Ainsi, selon ce rapport, la demanderesse serait en rémission d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) en raison des évènements qu’elle a relaté avoir vécus en Hongrie. Ce rapport indique que la demanderesse n’a pas besoin de médication ni d’un suivi psychologique.

 

[38]           Le Rapport, après avoir indiqué que « ... She is generally happy and fulfilled in her life here... » conclu: « While the determination of Ms Kakonyi’s status is, of course, the responsability of Immigration officials, I make the following, purely therapeutic recommendation: It is my professional clinical opinion that Ms Kakonyi’s psychological state is likely to suffer grestly if she were force to return to Hungary. »

 

[39]           Contrairement à ce que semble plaider la demanderesse, ce rapport ne peut certes pas démontrer qu’elle subirait un préjudice irréparable advenant un renvoi vers son pays d’origine puisqu’il ne démontre aucunement qu’il y a une probabilité sérieuse que sa vie ou sa sécurité soit menacée. Il est nécessaire de rappeler qu’un préjudice irréparable doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion.

 

[40]           De plus, la preuve doit dépasser les conjectures, être crédible et il doit y avoir un haut degré démontrant que le préjudice a un potentiel de se concrétiser. À cet égard, la Cour se réfère aux propos tenus par Mme la juge Gauthier dans une décision très récente :

Quant à son état de santé (autre aspect du préjudice irréparable invoqué), la lettre du 26 février 2007 n'indique pas que la demanderesse ne peut voyager. Elle traite seulement de divers scénarios possibles. Par ailleurs, cette lettre qui se veut une expertise médicale laisse perplexe lorsque l'on considère que le médecin va même jusqu'à traiter de la situation du père au Canada (He's legally residing and worlung in Canada).  Malgré la vive sympathie que lui inspire la situation de la demanderesse et qu'il soit certes  très difficile à ce stade de sa grossesse de quitter le Canada, « son copain » et son travail, la Cour se doit d'appliquer le test strict qui s'impose ici et sa requête doit être rejetée. 

 

(Doumbouya c. M.C.I., IMM-982-08 (20 mars 2008); Radji c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 100, 308 F.T.R. 175; Ramratran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 377, 146 A.C.W.S. (3d) 1033; Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, 96 A.C.W.S. (3d) 278).

 

[41]           Monsieur Woodbury est un conseiller en orientation et un psychoéducateur. Il n’est pas dans une position de formuler une opinion comme expert sur le stresse de syndrome post-traumatique (SSPT) allégué de la demanderesse. Dans les mots du juge Edmond Blanchard :

[6]        [...]

 

[...] En ce qui concerne le manque de spontanéité lors de l'audience, le demandeur s'appuie exclusivement sur le rapport d'interview diagnostique de M. Woodbury. L'opinion du défendeur est que la SSR a apprécié ce rapport à sa juste valeur. Son auteur est un conseiller en orientation et non un psychologue clinicien possédant la compétence nécessaire pour donner un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique, ce dont le demandeur prétend souffrir. La preuve montre que la SSR a tenu compte du rapport. Il est évident que les motifs donnent peu de poids à ce rapport. Étant donné que l'auteur ne pouvait pas donner une opinion d'expert quant au syndrome de stress post-traumatique dont le demandeur prétend souffrir, je trouve que les motifs de la SSR ne sont pas déraisonnables en ce qui concerne la façon dont elle a traité de ce rapport. (La Cour souligne.)

 

(Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1376, 110 A.C.W.S. (3d) 1113).

 

[42]           En conclusion, ce que la demanderesse allègue au niveau du préjudice irréparable ne sont que des conséquences habituelles et inévitables de l’expulsion. Manifestement, ses allégations ne répondent pas à la notion de préjudice irréparable tel que spécifié à plusieurs reprises dans la jurisprudence de cette Cour :

[21]      [...] Mais pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés [...]

 

(Melo, ci-dessus).

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu'elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n'ont aucun souvenir du pays qu'ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu'entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l'arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d'exécution dans la plupart des cas dès lors qu'il y aura une question sérieuse à trancher [...]

 

(Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 132 A.C.W.S. (3d) 547; également : Bou Jaoudeh, ci-dessus; Malagon, ci-dessus).

 

            C.  Balance des inconvénients

[43]           La balance des inconvénients penche en faveur des défendeurs dans la mesure où la demanderesse n’a pas établi ni l’existence d’une question sérieuse, ni d’un préjudice irréparable.

 

[44]           En outre, le paragraphe 48(2) de la LIPR impose aux défendeurs l’obligation d’exécuter une mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent.

 

[45]           La Cour d’appel fédérale a confirmé que lors de l’étude de la balance des inconvénients, la notion d’intérêt public doit être prise en considération. Plus encore, elle a confirmé que le fait qu’un demandeur ait pu bénéficier de plusieurs recours qui lui sont tous défavorables depuis son arrivée au Canada pouvait être pris en considération dans l’appréciation de la balance des inconvénients :

(iii) Équilibre des inconvénients

 

[21]      L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.

 

[22]      Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système. (La Cour souligne.)

 

(Selliah, ci-dessus; également, Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 427, 136 A.C.W.S. (3d) 109).

 

[46]           Dans le cas présent, la demanderesse a pu épuiser tous les recours qui lui sont permis par la LIPR. La Cour n’est pas un forum d’appel, tel que nous le rappelait récemment le juge Simon Noël dans l’affaire Aghourian-Namagerdy c. M.S.P.P.C., IMM-4742-07, IMM-4743-07, IMM-17-08, 18 janvier 08.

 

[47]           La balance des inconvénients est donc en faveur des défendeurs.

VI.  Conclusion

[48]           Compte tenu de tout ce qui précède, la demanderesse ne satisfait pas les critères de la jurisprudence pour l’obtention d’un sursis judiciaire.

 

[49]           La requête en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi de la demanderesse est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi déposée par la demanderesse soit rejetée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4010-08

 

INTITULÉ :                                       KAKONYI JOZSEFNE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET LA PROTECTION CIVILE

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 décembre 2008 par Téléconférence

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serban Mihai Tismanariu

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Isabelle Brochu

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SERBAN MIHAI TISMANARIU

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE)

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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