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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081212

Dossier : IMM‑2247‑08

Référence : 2008 CF 1370

Montréal (Québec), le 12 décembre 2008

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

MIROSLAV STARCEVIC

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 16 avril 2008. La Commission a décidé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

II. Les faits

[2]               En 1993, le demandeur et sa femme ont divorcé au terme d’une procédure particulièrement hargneuse. Avant que le divorce ne soit prononcé, la femme du demandeur a eu une liaison avec un autre homme qu’elle a épousé peu de temps après.

 

[3]               Le demandeur affirme que, s’il retournait en République tchèque, le mari de son ex‑épouse, qui est policier, pourrait lui faire subir des châtiments cruels et inusités, voire même attenter à sa vie.

 

[4]               Peu après sa rupture avec son ex‑épouse, le demandeur a été victime d’une série d’incidents (agression causant des blessures, poursuites judiciaires frivoles ayant mené à une déclaration de culpabilité injustifiée au criminel, diffamation et incendie criminel) dont il affirme qu’ils constituent des persécutions infligées par son ancienne épouse et le nouveau mari de celle‑ci.

 

III. La décision contestée

[5]               La Commission a conclu que la crainte invoquée par le demandeur découlait d’une vendetta ou d’activités criminelles perpétrées par son ex‑femme de concert avec son nouveau mari, et donc, que cette crainte ne correspondait à aucun des motifs cités par la Convention. En d’autres termes, selon la Commission, il n’existe aucun lien entre les mauvais traitements subis par le demandeur et la définition de la Convention.

 

[6]               En outre, la Commission a statué que, compte tenu du contexte, le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur adéquate, soit la ville de Prague, où l’État tchèque serait en mesure de protéger le demandeur contre son ex‑femme et le nouveau mari de celle‑ci s’ils tentaient à nouveau de s’en prendre à lui.

 

[7]               Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas visé par la définition de réfugié au sens de la Convention car il n’avait aucune crainte justifiée d’être persécuté en République tchèque pour l’un des motifs énoncés par la Convention.

 

IV. Les questions en litige

[8]               La décision de la Commission est‑elle déraisonnable?

 

V. Anayse

            La norme de contrôle

[9]               L’espèce soulève des questions de fait et des questions relatives au poids qu’il convient d’accorder à la preuve, qui sont étroitement liées à des questions de droit, qui font intervenir la norme de raisonnabilité (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9).

 

            Le lien avec les motifs cités par la Convention

[10]           La crainte alléguée par le demandeur est suscitée par le nouveau mari de son ex‑femme. La Commission a conclu que la peur d’être victime d’une vendetta ou d’activités criminelles n’est pas reliée aux motifs prévus par la Convention. L’existence d’un lien entre les mauvais traitements et la définition de réfugié au sens de la Convention est une question de fait qui relève clairement de la compétence de la Commission. La Cour n’interviendra pas, à moins que la conclusion n’ait été tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

[11]           Selon l’article 96 de la LIPR, qui définit le mot réfugié, « a qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques », ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection des pays dont elle a la nationalité.

 

[12]           La Cour a déjà statué que la criminalité, de même que les représailles associées à une vengeance ou une vendetta, ne peuvent servir de fondement pour justifier une crainte de persécution visée par la Convention parce que de telles persécutions ne sont reliées à aucun des motifs cités par la Convention.

 

[13]           Dans sa décision, la Commission affirme que la crainte de persécution découle en l’espèce d’une série d’incidents qui, selon le demandeur, sont l’œuvre de son ex‑femme et du nouveau conjoint de celle‑ci. La Commission conclut que cette crainte ne correspond à aucun des motifs contenus dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Compte tenu des preuves versées au dossier, cette conclusion me semble raisonnable, pour les raisons suivantes.

 

[14]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas examiné l’ensemble de la preuve avant de se prononcer. Or, les motifs de la décision montrent clairement que la Commission a pris acte des nombreux incidents survenus en République tchèque et relatés par le demandeur. Mais cet examen a mené la Commission à conclure que le témoignage du demandeur était non seulement peu convaincant mais, qu’en outre, il ne permettait pas d’établir un lien entre la crainte de persécution et l’un ou l’autre des cinq motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[15]           Considérant qu’un demandeur d’asile doit démontrer qu’il « crai[nt] avec raison d’être persécut[é] du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques », la Cour estime que la conclusion tirée par la Commission sur cette question est raisonnable.

 

[16]           Comme le demandeur n’est pas visé par la définition de réfugié au sens de la Convention, sa demande ne peut être accueillie, puisqu’il n’existe en l’espèce aucun lien entre sa situation et les motifs de persécution énoncés par l’article 96 de la LIPR.

 

            La protection de l’État

[17]           Selon la Commission, le demandeur ne relève pas de la définition de réfugié. Par conséquent, la Commission a voulu déterminer si le demandeur pourrait bénéficier de la protection de l’État advenant qu’à son retour dans son pays d’origine, il subisse à nouveau des mauvais traitements et qu’il décide de signaler ces incidents à un policier.

 

[18]           Le demandeur conteste la conclusion de la Commission sur cette question en affirmant qu’elle a commis une erreur dans son évaluation de la protection accordée par l’État tchèque. La Commission semble avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve portant sur cette question avant de rendre une décision parfaitement soutenable, motivée par l’incapacité du demandeur de réfuter la présomption voulant que l’État soit en mesure de le protéger. Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve ni de substituer ses conclusions à celles de la Commission. La Cour doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de l’expertise de la Commission sur cette question. Ainsi, la Cour ne peut conclure que la décision de la Commission est déraisonnable.

 

[19]           La raison d’être de l’asile dont bénéficient les réfugiés est d’offrir une protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son pays d’origine. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 709; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 41.)

 

[20]           Les gouvernements qui affirment adhérer aux valeurs démocratiques et respecter les droits fondamentaux ne peuvent néanmoins garantir une protection absolue à tous leurs citoyens. Par conséquent il ne suffit pas, pour le demandeur, de démontrer que les autorités de son pays ne l’ont pas toujours protégé contre les représailles exercées par son ex‑femme et le nouveau conjoint de cette dernière (Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189; Ward, précité, page 726.) Un État a beau accorder une protection imparfaite à ses citoyens, cela ne permet pas pour autant de conclure qu’il ne peut ou ne veut fournir une protection qui soit raisonnable selon le contexte. (Milev c. Canada (Ministère de la Citoyenneté de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 907 (C.F. 1re inst.) (QL))

 

[21]           À moins que l’appareil étatique ne se soit complètement effondré, il faut présumer que les autorités sont en mesure de protéger le demandeur d’asile. Il est de droit constant que, pour réfuter cette présomption, le demandeur doit « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » (Ward, précité, aux pages 724 et 725.)

 

[22]           En l’espèce, la Commission a constaté que l’appel interjeté par le demandeur contre sa déclaration de culpabilité injustifiée avait été accueilli. En outre la Commission a pris acte des informations obtenues par le demandeur au sujet des recours dont il disposait à titre de victime d’actes criminels. Selon la preuve documentaire relative à la protection fournie par la République tchèque à ses citoyens, la corruption existe bel et bien dans le pays, y compris chez les policiers. En revanche le gouvernement a mis en œuvre des réformes, puis intenté des poursuites et des procès contre des fonctionnaires corrompus dont certains ont été condamnés. La Commission a tenu compte de tous ces éléments, ainsi que des allégations du demandeur, qui disait avoir tenté en vain d’obtenir la protection de son pays. Toutefois la Commission n’a pas retenu cette interprétation de la preuve. Elle a plutôt statué que les arguments de l’appelant ne réfutaient pas de façon claire et convaincante la présomption de la capacité de l’État de protéger ses citoyens.

 

[23]           Il était tout à fait loisible à la Commission de tirer cette conclusion. Sa décision, selon laquelle l’État assure une protection adéquate à ses citoyens, est justifiée, transparente, intelligible et fondée sur les preuves que la Commission avait le devoir d’examiner. Par conséquent, il s’agit d’une décision acceptable et raisonnable qui respecte les paramètres du processus décisionnel.

 

            La possibilité de refuge intérieur (PRI)

[24]           Après examen de la situation du demandeur et de son instruction, la Cour est convaincue qu’il pourrait s’établir à Prague, qui se trouve à 200 milles de la ville qu’il habitait avant de venir au Canada.

 

[25]           Le demandeur devait fournir des preuves démontrant à tout le moins que les conditions en République tchèque étaient défavorables au point de mettre en péril sa vie et sa sécurité s’il tentait de s’installer dans un endroit sûr ailleurs au pays, comme l’a laissé entendre la Commission. (Ranganathan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.)) Le fardeau de la preuve appartient exclusivement au demandeur lorsqu’il veut démontrer qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui de s’établir à Prague. Hélas pour lui, le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau; par conséquent, il n’a pas su persuader la Commission qu’il ne disposait d’aucune possibilité de refuge intérieur. En outre, la Cour n’est pas convaincue par les arguments du demandeur voulant que la Commission ait laissé de côté certains éléments de preuve ou qu’elle les ait mal interprétés, ce qui aurait conduit à une application erronée du critère juridique relatif à la PRI. De plus, les conclusions de la Commission sur cette question ne sont ni abusives ni arbitraires. Par conséquent la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

 

VI. Conclusion

[26]           En bref, la décision contestée en l’espèce appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Ainsi la Cour doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de cette décision. Par conséquent, la Cour statue que la Commission a rendu une décision raisonnable sans commettre d’erreur susceptible de contrôle. C’est pourquoi la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[27]           La Cour convient avec les parties qu’aucune question grave de portée générale ne mérite d’être certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET STATUE que la demande est rejetée.

 

 

                                                                                                           « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Emmanuelle Dubois


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2247‑08

 

INTITULÉ :                                       MIROSLAV STARCEVIC c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Maurice E. Lagacé

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard C. Gilbert

 

Pour le demandeur

David Joseph

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard C. Gilbert

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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