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Date : 20081210

Dossier : IMM‑4818‑07

Référence : 2008 CF 1366

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Frederick E. Gibson

 

 

ENTRE :

EDD ABDI ISMEAL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Les présents motifs résultent de l’audience tenue à Toronto le 26 novembre 2008 à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a refusé, en date du 18 octobre 2007, la demande présentée par le demandeur suivant le paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1] (la Loi), en vue d’obtenir une dispense relativement à la décision établissant qu’il était interdit de territoire au Canada à titre de personne décrite à l’alinéa 34(1)f) de la Loi, puisqu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il avait été membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée au terrorisme.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen d’Éthiopie. Dans son Formulaire sur les renseignements personnels, il déclare que lorsqu’il vivait en Éthiopie il était un agitateur au sein du Front de libération oromo (FLO) et un sympathisant de ce parti. Il est entré au Canada le 17 mars 1998 et il a peu après demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a fait l’objet d’un signalement suivant l’article 20 de l’ancienne Loi sur l’immigration, et une mesure de renvoi conditionnelle a été délivrée à son endroit.

 

[3]               Le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention le 4 août 1998. Le 4 septembre 1998, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Il a subi un examen médical le 20 avril 1998. La Gendarmerie royale du Canada a effectué les vérifications judiciaires le 14 janvier 1999. Le Service canadien du renseignement de sécurité l’a rencontré pour une entrevue le 31 août 1999. Il semble que cette entrevue a déclenché un examen sécuritaire. En conséquence, une agente d’immigration (l’agente) a rencontré le demandeur pour une entrevue le 1er octobre 2003. Dans le rapport rédigé par suite de cette entrevue, l’agente a conclu ce qui suit :

[traduction]

En conséquence, je suis tenue de déclarer que le sujet [le demandeur] est interdit de territoire pour des raisons de sécurité suivant l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

Toutefois, je crois que le présent dossier mérite d’être examiné suivant le paragraphe 34(2) de la Loi.

 

·        Le sujet a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention et en conséquence il a le droit de vivre au Canada et d’obtenir la protection du Canada.

 

·        Sa participation à l’organisation [le Front de libération oromo] était minimale et je ne crois pas que nous ayons des éléments de preuve permettant de croire qu’il était lui‑même l’auteur d’actes de violence.

 

·        Il vit au Canada depuis mars 1998, il subvient à ses besoins, il remplit toutes les autres conditions et il n’a jamais fait l’objet d’un signalement défavorable, sauf sa propre déclaration quant à son soutien au FLO dans son pays d’origine. Il semble avoir une vie stable, il travaille pour le même employeur depuis les quinze derniers mois et il a fourni une lettre de confirmation. Il n’existe aucune raison de croire que son admission au Canada serait contraire à l’intérêt national. À mon avis, il est inutile de continuer à lui refuser la résidence permanente au Canada.

 

 

[4]               Compte tenu de la conclusion de l’agente selon laquelle elle était tenue de déclarer que le demandeur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité, laquelle conclusion est atténuée par sa recommandation voulant que le dossier du demandeur mérite une dispense suivant le paragraphe 34(2) de la Loi, le demandeur a demandé une telle dispense et la demande comportait à l’appui des observations qu’il a lui‑même préparées.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               On a préparé à l’intention du ministre une note d’information datée du 7 avril 2006. Cette note d’information énumérait comme suit les [traduction] « QUESTIONS PRINCIPALES » de la demande de dispense présentée par le demandeur :

[traduction]

·        La présente note d’information a pour objet de présenter la demande de dispense ministérielle effectuée par M. Ismeal suivant le paragraphe 34(2) de la LIPR en vue de votre examen et de votre décision.

 

·        M. Ismeal est un réfugié au sens de la Convention qui est interdit de territoire au Canada suivant l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (annexe 1). Il est un ancien membre du Front de libération oromo (FLO), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée au terrorisme (voir annexe 2 pour de l’information générale sur le FLO).

 

·        Nous recommandons qu’une dispense ministérielle suivant le paragraphe 34(2) de la LIPR ne soit pas accordée à M. Ismeal.

 

[6]               Bien que la note de service de l’agente, datée du 22 octobre 2003 et à laquelle on renvoie précédemment, soit une pièce jointe à la note d’information, et que sa conclusion que l’agente s’estimait tenue de tirer y soit mentionnée, la note d’information ne mentionne pas la recommandation précise de dispense, contrairement aux mentions précises contenues dans deux autres pièces jointes précédemment citées en ce qui concerne les [traduction] « QUESTIONS PRINCIPALES ». En fait, les seules mentions dans la note d’information de facteurs militant pour une dispense à l’endroit du demandeur sont, tout au plus, indirectes.

 

[7]               Le ministre a souscrit à la note d’information qui refusait la dispense. Il n’a fourni aucun autre motif que ceux indiqués dans la note d’information.

 

LES DISPOSITIONS DE LA LOI

[8]               L’article 33, le préambule du paragraphe 34(1), les alinéas a), b), c) et f) de ce paragraphe et le paragraphe 34(2) de la Loi sont rédigés en ces termes :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

[]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

34. (2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

34. (2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               L’avocate du demandeur, dans l’exposé des arguments déposé pour le compte du demandeur, indique seulement une question en litige, et ce, dans les termes suivants :

[traduction]

Le ministre a‑t‑il commis une erreur du fait de ne pas avoir pris en compte des éléments de preuve pertinents ou d’avoir omis de procéder à une analyse équilibrée de la demande de dispense ministérielle présentée par le demandeur?

 

 

[10]           L’avocat du défendeur, dans un exposé des arguments additionnel, a simplement affirmé que le ministre a exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder une dispense suivant le paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

[11]           Comme dans toutes les demandes de contrôle judiciaire du type de celle en l’espèce, la question qui se pose est celle de la norme de contrôle.

 

L’ANALYSE

            a)         La norme de contrôle

[12]           Dans la décision Afridi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)[2], laquelle intéresse un contrôle judiciaire d’une décision semblable à celle soumise à la Cour en l’espèce, le juge Russell a écrit ce qui suit aux paragraphes 20, 21 et 22 de ses motifs :

Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable sont théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). La Cour suprême du Canada a donc conclu qu’il y avait lieu de fondre les deux normes de raisonnabilité en une seule.

 

Dans Dunsmuir, la Cour a décrété aussi qu’il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière qui est soumise au tribunal est bien établie par la jurisprudence, une cour de révision peut faire sienne cette norme‑là. Ce n’est que dans les cas où cette recherche ne donne aucun résultat que la cour doit examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

Selon la décision Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] A.C.F. no 173 (C.F.), aux paragraphes 39 et 40, la norme de contrôle à appliquer dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 34 de la Loi est la décision raisonnable simpliciter. De ce fait, compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à la question qui est en litige en l’espèce est la décision raisonnable. Lorsqu’on contrôle une décision en fonction de cette norme, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle se situe en dehors du cadre des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

 

[13]           Je fais mienne la citation précédente.

 

[14]           Cela dit, il n’était pas contesté devant la Cour que des notes d’information, comme celle fournie au ministre dans la présente affaire et précédemment mentionnée, constituent les « motifs » de la décision faisant l’objet du contrôle dans les cas où aucun autre motif n’est énoncé et où le ministre n’a rien ajouté à la note d’information en vue d’indiquer qu’il a pris en compte d’autres facteurs ou d’autres documents dont il disposait, sous forme d’annexes ou de pièces jointes à la note d’information et aux éléments de la décision[3].

 

b) Omission d’avoir pris en compte des éléments de preuve pertinents ou d’avoir procédé à une analyse équilibrée de la demande de dispense ministérielle présentée par le demandeur

 

[15]           L’annexe D des lignes directrices « IP 10 Refus des cas de sécurité nationale / Traitement des demandes en vertu de l’intérêt national » (les Lignes directrices) énonce cinq questions à examiner lors d’une analyse de l’intérêt national, cette analyse étant, essentiellement, l’analyse que l’on demandait au ministre d’effectuer. Ces questions sont les suivantes :

1)         La présence du demandeur au Canada est‑elle inconvenante pour le public canadien?

2)         Les liens du demandeur avec l’organisation/le régime sont‑ils complètement rompus?

3)         Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier d’un avoir obtenu lorsqu’il était membre de l’organisation?

4)         Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait retirer des bénéfices de son appartenance passée à l’organisation/au régime?

5)         Le demandeur a‑t‑il adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne?

 

[16]           J’estime, avec grand respect, que la note d’information remise au ministre dans la présente affaire ne traite simplement pas directement de ces questions. Cela dit, l’agente qui a reçu le demandeur en entrevue, et qui a tiré une conclusion différente de celle mentionnée dans la note d’information, a traité de ces questions dans sa note de service.

 

[17]           Le demandeur soutient avec insistance qu’un décideur doit, lorsqu’il examine l’« intérêt national », effectuer une évaluation complète et prendre en compte l’ensemble des questions et des facteurs pertinents mentionnés dans les Lignes directrices. Lorsqu’il se penche sur une enquête menée suivant le paragraphe 34(2), le ministre « est […] chargé d’examiner la question de savoir si, en dépit de l’appartenance du demandeur à une organisation terroriste, il serait préjudiciable à l’intérêt national de permettre au demandeur de demeurer au Canada[4].

 

[18]           De nouveau, dans la décision Afridi, précitée, à la note 2, le juge Russell a écrit ce qui suit au paragraphe 45 de ses motifs :

En l’espèce, le demandeur ne demande pas à la Cour de réévaluer la preuve. Il dit qu’au vu des faits de l’espèce aucune évaluation de ce genre n’a eu lieu. On a tout simplement fait abstraction des lignes directrices pertinentes et de tous les facteurs autres que son association antérieure avec le MMQ. Après avoir examiné la décision, je dois dire que je suis d’accord avec le demandeur. Rien n’a été fait pour relever et reconnaître les questions énumérées dans les lignes directrices ou procéder à une évaluation et à une pondération quelconques de la totalité des facteurs et des éléments de preuve en jeu.

 

Je suis convaincu que, si on remplace MMQ par FLO, on pourrait précisément en l’espèce dire la même chose à l’égard de la note d’information qui doit être considérée comme les motifs du ministre dans la présente affaire. Je suis par conséquent convaincu que, selon une norme de contrôle de la raisonnabilité comme décrite précédemment, la décision contestée en l’espèce est entachée d’une erreur susceptible de contrôle.

 

CONCLUSION ET CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[19]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. À la fin de l’audition de la présente affaire, j’ai informé les avocats de ma décision et je les ai consultés au sujet de la certification d’une question. Ni l’un ni l’autre des avocats n’ont suggéré la certification d’une question. La Cour elle‑même est convaincue que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui serait déterminante lors d’un appel de la décision. Aucune question ne sera certifiée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision faisant l’objet du contrôle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4818‑07

 

INTITULÉ :                                       EDD ABDI ISMEAL c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                            DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge suppléant Gibson

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vander Vennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] [2008] A.C.F. no 1471, 2008 CF 1192, le 23 octobre 2008.

[3] Voir Kanaan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. 301, 2008 CF 241, le 22 février 2008, et Miller c. Le solliciteur général du Canada et al., [2006] A.C.F. no 1164, 2006 CF 912, le 24 juillet 2006.

[4] Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1416, au paragraphe 42.

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