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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081210

Dossier : IMM‑1097‑08

Référence : 2008 CF 1365

Montréal (Québec), le 10 décembre 2008

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

IRYNA BAHDANAVA

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision d’un agent d’immigration (l’agent), du 12 février 2008, par laquelle l’agent a refusé la demande de la demanderesse après qu’il eut conclu que le premier mariage de la demanderesse avec son parrain avait été dissous principalement pour l’obtention du statut de résident permanent au Canada.

II.         Les faits

[2]               La demanderesse et son parrain ont été mariés une première fois dans leur pays d’origine, le Bélarus, en 1979. De cette union sont nés deux enfants qui aujourd’hui sont adultes : Danil, né en 1979 et Pavel, né en 1984. Le mariage a été dissous, en janvier 2000, après que M. Bahdanau eut commencé une relation avec Mme Liudmila Kashkan.

 

[3]               M. Bahdanau et Mme Kashkan se sont mariés en octobre 2000 et ils ont immigré au Canada le 28 juin 2004 avec, comme personnes à charge, Danil et Pavel. La relation entre M. Bahdanau et Mme Kashkan a pris fin en août 2004, apparemment parce qu’elle ne voulait pas vivre avec Danil et Pavel. Mme Kashkan n’a pas vécu avec M. Bahdanau au Canada et elle avait une relation avec un autre homme. Elle est retournée au Bélarus et elle a donné naissance à un enfant qui est issu de cette autre relation, en octobre 2004.

 

[4]               Mme Bahdanava est entrée au Canada avec un visa de visiteur, en mai 2005, pour rendre visite à ses enfants, qui se seraient arrangés pour que leurs parents se remettent ensemble, et les parents ont repris leur relation. M. Bahdanau et la demanderesse se sont remariés en juin 2006 et ultérieurement, il a demandé à parrainer la demande de résidence permanente de la demanderesse.

 

III.       La décision contestée

[5]               L’agent a conclu que l’explication donnée pour le refus de Mme Kashkan de vivre avec M. Bahdanau au Canada était déraisonnable et, selon lui, leur mariage était donc un mariage de convenance conclu dans le seul but de l’obtention du statut de résident permanent. L’agent a conclu que l’explication de la reprise de l’union entre la demanderesse et son époux semblait fabriquée et que Mme Bahdanava était entrée au Canada avec l’intention de reprendre la relation et de demeurer au Canada. Il a donc conclu que leur premier mariage avait été dissous pour des raisons d’immigration et que le second mariage était donc une relation exclue, en application de l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

IV.       Les questions en litige

[6]               Les questions principales dans la présente affaire sont les suivantes :

 

1.                  La conclusion de l’agent selon laquelle le mariage entre M. Bahdanau et Mme Kashkan était un mariage de convenance était‑elle déraisonnable?

 

2.                  L’agent a‑t‑il violé l’obligation d’équité procédurale?

 

 

V.        Le Règlement

[7]               L’article 4.1 du Règlement est rédigé de la façon suivante :

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle‑ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

 

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common-law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

 

 

VI.       Analyse

            La norme de contrôle

[8]               La conclusion de fait de l’agent selon laquelle le mariage entre M. Bahdanau et Mme Kashkan est un mariage de convenance est une conclusion susceptible d’un contrôle au regard de la norme de raisonnabilité et, par conséquent, sa décision doit posséder les attributs suivants : la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 csc 9), et elle doit être annulée seulement si elle a été abusive, arbitraire ou rendue sans que l’agent ait tenu compte de la preuve, ou si elle est basée sur une erreur flagrante quant à l’interprétation de faits importants. Par contre, la violation de l’équité procédurale entraîne l’annulation de la décision qui en résulte, à moins qu’elle ne fût la seule possible.

 

            Le mariage de convenance

[9]               L’agent s’est concentré sur les faits qui entouraient la rupture de la relation entre M. Bahdanau et Mme Kashkan. Il n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle ils avaient été mariés et avaient vécu ensemble pendant quatre ans, au Bélarus, avant leur immigration au Canada.

 

[10]           L’agent a aussi mal interprété la preuve lorsqu’il a déclaré, plusieurs fois, que M. Bahdanau et ses enfants avaient été parrainés au Canada par Mme Kashkan, alors qu’en fait ils avaient, comme couple, immigré au Canada en tant qu’immigrants indépendants. Leur mariage avait eu lieu bien avant que Mme Kashkan ait obtenu quelque statut que ce soit au Canada. La décision de l’agent révèle que le motif attribué à ce mariage est basé sur une mauvaise interprétation de la preuve. L’agent semble aussi ne pas avoir tenu compte de la preuve relative à la cause de la dissolution du mariage.

 

[11]           Il s’agit de faits importants dont l’agent semble ne pas avoir tenu compte ou qu’il semble avoir mal interprétés. Par conséquent, la Cour ne peut pas conclure, comme le fait le défendeur, que ces erreurs sont sans importance et que l’agent n’aurait pas pu conclure différemment même s’il avait correctement analysé et soupesé la preuve.

 

[12]           Vu que l’agent n’a apparemment pas tenu compte de la preuve présentée par M. Bahdanau et Mme Kashkan selon laquelle ils avaient été mariés et avaient vécu ensemble pendant quatre ans au Bélarus avant leur immigration au Canada, et vu aussi que l’agent n’a pas tenu compte de la raison de l’échec de leur mariage, la Cour conclut que l’agent a mal interprété la preuve lorsqu’il a décidé que M. Bahdanau avait épousé Mme Kashkan parce qu’elle pouvait lui permettre d’obtenir le statut de résident permanent. Cette mauvaise interprétation du moyen par lequel M. Bahdanau a obtenu le statut, comme personne parrainée plutôt que comme personne indépendante, est cruciale; c’est l’interprétation qui semble avoir déformé le prisme à travers lequel l’agent a analysé le dossier dans son ensemble.

 

[13]           Une telle erreur est suffisamment importante pour que la décision qui s’en est suivie soit déraisonnable, et il n’est pas nécessaire que je me penche sur l’autre question, soit l’allégation de violation du principe d’équité procédurale. Pour les motifs exposés ci‑dessus, la Cour conclut que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il n’a pas pris en compte des faits importants, ce qui a conduit à la mauvaise interprétation du moyen par lequel la demanderesse a obtenu son statut, et cette erreur est telle qu’elle rend la décision de l’agent déraisonnable. Par conséquent, le contrôle judiciaire sera accueilli et la décision de l’agent sera annulée.

 

[14]           La Cour est d’accord avec les parties qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la décision du 12 février 2008 est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle audience.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑1097‑08

 

INTITULÉ :                                             IRYNA BAHDANAVA c. le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Le juge suppléant Lagacé

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 10 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

Pour la demanderesse

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann, Sandaluk

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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