Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20081205

Dossier : IMM-5221-08

Référence : 2008 CF 1355

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

ROBERT CHARLTON

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 30 novembre 2008, j’ai accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi vers la Jamaïque prise contre Robert Charlton. Le renvoi était prévu pour le lendemain. Voici pourquoi j’ai fait cela. La demande de sursis du demandeur est greffée à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 novembre 2008 par un agent d’exécution (l’agent) par laquelle celui‑ci a décidé de ne pas surseoir au renvoi du demandeur.

 

 

 

 

Les faits

[2]               Le demandeur est arrivé au Canada en juillet 2005, muni d’un permis de travail temporaire, afin de travailler comme travailleur agricole pendant la saison des récoltes 2005. Il a été déclaré absent sans permission de la ferme Pond Craig en novembre 2005. Un mandat d’arrestation a été délivré contre lui le 6 février 2006.

 

[3]               Le demandeur est entré dans la clandestinité et n’a été découvert par les autorités de l’immigration que lorsqu’il a été hospitalisé pour des blessures subies lors d’un accident de travail qui s’est produit dans un lieu de travail où il avait obtenu un emploi sous un faux nom. Il a été arrêté le 27 mars 2007. Il a été libéré sous conditions et il a assisté, le 23 avril 2007, à une entrevue préalable au renvoi au cours de laquelle on lui a offert un examen des risques avant renvoi (ERAR) dont il s’est prévalu et qui s’est soldé par une conclusion défavorable datée du 17 février 2008 qui lui a été transmise le 17 mars 2008 lors d’une entrevue avant renvoi. Le demandeur n’a pas cherché à contester la décision d’ERAR défavorable en demandant l’autorisation de la Cour.

 

[4]               L’accident de travail que le demandeur a subi se trouve au centre de sa demande de sursis. Le demandeur a subi un grave traumatisme à la main droite le 23 mars 2007. Il a été soigné au Toronto Western Hospital dans le cadre du Programme de services spécialisés – mains et membres supérieurs de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT). Il est soigné par le Dr von Schroeder (le Dr Schroeder), un chirurgien orthopédique. Plusieurs des rapports médicaux du Dr Schroeder ont été envoyés à l’agent lorsqu’une demande de report écrit a été exigée.

 

[5]               Le dossier indique que, le 16 octobre 2007, le demandeur a fait l’objet d’une nouvelle évaluation par le Dr Schroeder qui a souligné qu’il y avait un certain progrès avec les doigts du demandeur mais qu’il y avait des problèmes avec le poignet droit de ce dernier. Le 29 octobre 2007, le demandeur a subi une arthroscopie du poignet droit. Il a été vu par le Dr Schroeder le 12 février 2008 dans le cadre d’un examen de suivi. Son dossier médical à la CSPAAT indique qu’il y a eu du progrès avec ses doigts mais qu’il y avait des problèmes avec le poignet droit qui, selon ce qu’on avait découvert, avait subi des dommages importants. Le Dr Schroeder a souligné qu’il [traduction] « y avait une forte probabilité que l’on doive avoir recours à la chirurgie ». Une autre opération chirurgicale a été pratiquée le 21 avril 2008.

 

[6]               Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) étaient au courant des problèmes médicaux du demandeur. Lors de son entrevue préalable au renvoi, le 17 mars 2008, il fut tenu compte du fait que le demandeur subirait une chirurgie le 21 avril 2008.

 

[7]               Le 18 juin 2008, M. Charlton a assisté à une autre entrevue préalable au renvoi lorsque, selon les notes au dossier de l’agent, il a informé les agents de l’ASFC qu’il devait subir une autre opération à la main en avril ou mai 2009, et l’agent a souligné qu’[traduction] « aucune preuve n’a[vait] été soumise ». Ces notes au dossier révèlent également que le demandeur a montré à l’agent qui a mené l’entrevue une note émanant de son médecin mentionnant qu’il devait retourner à la clinique dans un mois afin de subir un examen de suivi. Le renvoi a été reporté pour quelques mois en raison du rendez‑vous du demandeur avec le Dr Schroeder.

 

[8]               Le 6 novembre 2008, le demandeur a assisté à une autre entrevue préalable au renvoi. Les notes au dossier de l’agent mentionnent ce qui suit : [traduction] « Le sujet n’a fourni aucune preuve relative à son rendez‑vous d’avril 2009. Le sujet s’est vu signifier un avis de convocation pour le 12 novembre 2008 afin de recevoir des directives relatives à son renvoi ». Le demandeur a assisté à cette entrevue le 12 novembre et on lui a ordonné de se présenter à son renvoi prévu pour le 30 novembre 2008.

 

[9]               Le 26 novembre 2008, l’ASFC a reçu une demande de report au nom du demandeur de la part de Immigration Experts Inc., une entreprise d’experts‑conseils. Cette demande comptait 27 pages et elle comprenait le dossier médical complet du demandeur. Comme il a été souligné, le 27 novembre 2008, l’agent a rejeté la demande de report. Une nouvelle convocation enjoignant au demandeur de se présenter à son renvoi le 1er décembre 2008 a été délivrée.

 

[10]           Parmi les documents soumis à l’agent, il y avait une lettre émanant du Dr Schroeder datée du 13 novembre 2008 et adressée « à qui de droit ». La partie importante de cette lettre était ainsi libellée :

 

[traduction]

 

Il affirme qu’il est incapable de travailler parce qu’il a mal au poignet droit.

 

Son prochain rendez‑vous ici est prévu pour le 7 avril 2009. Il devra peut‑être subir une autre intervention chirurgicale. C’est ce qu’on décidera à ce moment‑là.

 

Il devra faire l’objet d’un suivi médical peu fréquent relativement à la douleur chronique au poignet droit. Il s’est presque complètement remis et il continue de souffrir d’une douleur chronique.

 

N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous désirez obtenir d’autres renseignements.

 

[11]           Il y avait également, parmi ces documents, une demande de parrainage relative à la résidence permanente au Canada de M. Charlton signée par la conjointe de fait de ce dernier, laquelle a mentionné que leur relation avait commencé en mars 2006. Cette demande de parrainage est datée du 10 octobre 2008.

 

L’analyse

[12]           Il est bien établi en droit que, s’il voulait obtenir un sursis à l’exécution de son renvoi, le demandeur devait établir qu’il existe une question sérieuse à trancher relativement à la décision de l’agent de ne pas reporter le renvoi, qu’il subira un préjudice irréparable suite à son renvoi et que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

 

a) La question sérieuse

[13]           J’accepte l’argument de l’avocat du défendeur selon lequel le demandeur devait satisfaire au critère plus exigeant de la vraisemblance que sa demande soit accueillie plutôt qu’au critère moins exigeant du caractère non futile et non vexatoire de la question à trancher car l’octroi du sursis lui apporterait le redressement qu’il cherche à obtenir en contrôle judiciaire.

 

[14]           Après avoir examiné les notes au dossier, en ce qui concerne la décision de l’agent et compte tenu des arguments de l’avocat, je suis convaincu que la demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève les questions sérieuses suivantes :

 

1)                  L’agent a‑t‑il appliqué le bon critère pour parvenir à sa décision de ne pas reporter le renvoi? Il est manifeste que l’agent a mis l’accent sur la capacité de M. Charlton à se déplacer la journée prévue pour son renvoi. La jurisprudence récente de la Cour est plus large que ce critère et, selon elle, un agent de renvoi doit examiner s’il y a des raisons personnelles impérieuses justifiant le report, à savoir des considérations humanitaires (voir la décision Ramada c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112) et les décisions qui l’ont suivie).

 

2)                  L’agent a‑t‑il commis une erreur en entreprenant une analyse des dossiers médicaux sans consulter les médecins agréés de Citoyenneté et Immigration Canada dont c’est le rôle d’analyser les dossiers médicaux?

 

3)                  L’agent a‑t‑il mal interprété la preuve médicale, notamment la lettre du 13 novembre 2008 émanant du Dr Schroeder?

 

b) Le préjudice irréparable

[15]           Le préjudice irréparable comprend le préjudice causé à l’intégrité personnelle. Il est manifeste que le Dr Schroeder a fixé au 7 avril 2009 un examen de suivi avec M. Charlton. Il a estimé qu’il était nécessaire d’assurer un suivi en raison de l’état de santé du demandeur. Il voulait savoir comment le patient allait après l’intervention chirurgicale d’avril 2008. Il ne pouvait pas savoir si M. Charlton devrait subir une autre intervention chirurgicale tant qu’il ne l’aurait pas examiné. L’avocat du défendeur a prétendu que rien au dossier ne permettait de croire qu’il ne pourrait pas obtenir des soins médicaux adéquats en Jamaïque. Sauf le respect que je lui dois, la question soulevée par l’avocat du défendeur est prématurée car tant que le Dr Schroeder n’aura pas fait l’examen de suivi, ni lui ni personne ne sait si une autre intervention chirurgicale ou un autre traitement sera nécessaire. Selon, moi, un préjudice irréparable sera occasionné par le fait que le demandeur ne pourra pas consulter le chirurgien qui l’a traité à la suite de son grave accident de travail et qui lui a fait subir de nombreux examens de suivi et qui connaît ses besoins.

 

c) La prépondérance des inconvénients

[16]           L’avocat du défendeur a prétendu que le demandeur n’est pas sans reproche en ce qui concerne son dossier d’immigration; il est entré dans la clandestinité et il a tenté de se soustraire à la loi. N’eût été des incertitudes entourant l’état de santé du demandeur, j’aurais accepté l’argument de l’avocat du défendeur. Tout compte fait, la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit tranchée.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE qu’il soit sursis au renvoi du demandeur du Canada jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée et, si l’autorisation est accordée, jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée.

                                                                                   

« François Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5221-08

 

INTITULÉ :                                       ROBERT CHARLTON c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 5 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Dov Maierovitz

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.