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Date : 20081201

Dossier : T-507-08

Référence : 2008 CF 1340

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

GERHARD BANMAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le 14 février 2008, le juge de la citoyenneté Michel C. Simard a rejeté les demandes suivantes de M. Banman : la conservation de sa citoyenneté canadienne, son immatriculation comme citoyen, sa demande de recommandation au gouverneur en conseil pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi) et l’attribution de la citoyenneté afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse; M. Banman interjette appel de la décision de rejet.

 

[2]               La situation de M. Banman correspond à la description faite à l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté, parce qu’il est né à l’étranger d’un père ou d’une mère (ou de parents) qui a qualité de citoyen en vertu des alinéas 3(1)b) ou 3(1)e) de la Loi. Selon l’article 8 de la Loi, si M. Banman désirait conserver sa citoyenneté, il devait présenter une demande de conservation de sa citoyenneté et d’immatriculation comme citoyen avant l’âge de vingt‑huit ans.

 

[3]               M. Banman est né le 13 août 1978, au Mexique; il a donc atteint l’âge de vingt‑huit ans le 13 août 2006. Il a présenté sa demande de conservation de la citoyenneté et d’immatriculation comme citoyen le 10 janvier 2007 ‑ environ cinq mois après son vingt‑huitième anniversaire. Le juge de la citoyenneté a décidé que, à la date du dépôt de sa demande, M. Banman avait perdu sa citoyenneté et que, par conséquent, à la date de sa demande, il ne pouvait pas conserver sa citoyenneté puisqu’elle n’existait plus.

 

[4]               Le juge de la citoyenneté a aussi examiné s’il était approprié de faire une recommandation au gouverneur en conseil pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi. Ce paragraphe dispose que : « [a]fin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire […], d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution ».

 

[5]               Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a donné à entendre, de façon erronée, que selon le paragraphe 5(4) de la Loi, il devait examiner s’il pouvait faire une recommandation pour l’attribution de la citoyenneté afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse, [traduction] « malgré que les exigences de résidence ne soient pas remplies ». Lors de l’audition de l’affaire, l’avocate du ministre a avisé M. Banman et la Cour que le ministre donnerait son consentement pour une ordonnance qui renverrait la question d’une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4) à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

[6]               Après avoir décidé que la nouvelle preuve contenue dans l’affidavit de M. Banman ne serait pas prise en compte dans l’examen de sa demande parce qu’elle n’avait pas été présentée devant le juge de la citoyenneté, et au vu de l’offre du ministre de consentir à ce que je fasse droit à l’appel en  ce sens que l’affaire serait renvoyée pour nouvel examen quant à l’application du paragraphe 5(4) de la Loi, M. Banman a avisé la Cour, lors de l’audition du présent appel, qu’il accepterait l’offre du ministre et qu’il y consentirait. Étant donné toutes les circonstances, la Cour rendra une ordonnance sur consentement; toutefois, je désire ajouter des commentaires sur la question du nouvel examen quant à l’application du paragraphe 5(4).

 

[7]               Dans sa demande initiale, M. Banman n’a fourni que peu ou pas de preuve qui justifierait une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4). Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de preuve pouvant appuyer une telle recommandation, loin de là. Le défaut de fournir des éléments de preuve dans sa demande est largement, sinon entièrement, dû au fait que le formulaire fourni par le défendeur ne contient aucune indication qu’une telle recommandation est possible ni que le demandeur peut présenter de tels éléments de preuve. Dans Huynh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F no 1838, 2003 CF 1431, le juge Harrington examinait la situation de Mme Huynh, une situation semblable sur le plan des faits. Il a écrit ce qui suit :

Les formulaires n'énoncent pas clairement qu'il peut apporter des documents susceptibles de soulever la question de l'existence de raisons d'ordre humanitaire. Les lacunes que comportent les formulaires ont été relevées par le juge Gibson dans l'affaire Maharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 405. Le juge Gibson a dit, et je me range à son avis, qu'étant donné que « la plupart des demandeurs de citoyenneté comparaissent devant le juge de la citoyenneté sans avocat et sont susceptibles de ne pas être au courant de l'existence du pouvoir discrétionnaire fondé sur des raisons d'ordre humanitaire, il pourrait être utile, aux fins de l'équité, d'inclure un bref avis quant à l'existence de ce pouvoir discrétionnaire dans l'« AVIS DE COMPARUTION ».

 

 

[8]               Dans la présente affaire, comme il n’y a pas eu d’audience, un avis de comparution n’a jamais été délivré. Les demandeurs sont censés connaître la loi qui les régit, le droit et ses exigences; cependant, comme le ministre fournit aux personnes qui demandent la conservation de la citoyenneté les formulaires dont ils ont besoin, les règles d’équité donnent à penser que les formulaires devraient indiquer qu’il existe la possibilité d’une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi, si leur demande est par ailleurs rejetée. Subsidiairement, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, où la demande a été rejetée parce qu’elle avait été déposée en retard, le juge de la citoyenneté, pour des raisons d’équité, peut envisager d’aviser le demandeur que la possibilité de retrouver la citoyenneté existe grâce au paragraphe 5(4) de la Loi. Le juge peut alors demander au demandeur s’il dispose de renseignements qu’il voudrait que le juge de la citoyenneté examine lorsque le juge évalue s’il doit faire une recommandation. Un tel processus me semble plus juste que de simplement décider s’il peut faire une telle recommandation alors que le juge de la citoyenneté ne dispose d'aucun renseignement pertinent quant à la cause.

 

[9]               Comme je l’ai fait remarquer auparavant, M. Banman a bien fourni des éléments de preuve, dont le juge de la citoyenneté ne disposait pas, mais qui devraient grandement peser en faveur d’une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi. En particulier, la Cour note que M. Banman a résidé de façon continue au Canada depuis environ l’âge de deux ans et demi, lorsque ses parents ont réinstallé leur famille au Canada. Il a fréquenté l’école en Ontario, il a obtenu un diplôme en sciences avec spécialisation et ultérieurement, il a obtenu un baccalauréat en sciences pharmaceutiques de l’Université de Toronto. Il travaille en ce moment comme pharmacien clinicien/pharmacien conseiller pour Meditech auprès de l’Hôpital général St. Mary’s à Kitchener, en Ontario. Il est marié à une Canadienne et il a trois enfants nés canadiens. Il a présenté sa demande immédiatement après avoir appris qu’il devait le faire, dans sa situation, s’il voulait conserver sa citoyenneté. En bref, il a vécu la plus grande partie de sa vie au Canada, il a participé et il continue de participer à la vie du pays, et il désire être Canadien. Il a affirmé, dans son affidavit, que la perte de sa citoyenneté a été à l’origine d’un grand trouble émotionnel tant pour sa famille que pour lui‑même.

 

[10]           La preuve présentée révèle qu’il manque de pharmaciens au Canada et que les pharmaciens sont un maillon essentiel du régime de santé mis au service des citoyens. Dans Re Naber-Sykes, [1986] 3 C.F. 434, le juge Walsh a estimé que la perte d’emploi et la privation du Canada de citoyens hautement qualifiés sont des facteurs assimilables à des difficultés. Je suis d’accord. Dans la présente affaire, la privation du Canada d’un pharmacien qualifié comme M. Banman serait réellement regrettable et ne serait pas dans l’intérêt supérieur des citoyens de ce pays.

 

[11]           Vu les circonstances, M. Banman se verra offrir la possibilité de fournir toute preuve qu’il estime pertinente en appui à sa demande d’un nouvel examen quant à une recommandation d’application du paragraphe 5(4) de la Loi. Bien que la décision quant savoir si une recommandation devrait être faite au gouverneur en conseil appartienne exclusivement au juge de la citoyenneté, je souhaite vivement qu’il prenne en compte les facteurs exposés ci‑dessus lorsqu’il examinera la possibilité de faire une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi.

 

[12]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, l’appel sera accueilli et la décision du juge Simard par laquelle il a refusé de faire une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen, et M. Banman sera autorisé à déposer des documents supplémentaires en appui à sa prétention selon laquelle une telle recommandation est justifiée dans sa situation.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli et que la décision du juge Simard par laquelle il a refusé de faire une recommandation pour l’application du paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté est annulée, et que l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen, et que M. Banman est autorisé à déposer des documents supplémentaires en appui à sa prétention selon laquelle une telle recommandation est justifiée dans sa situation.

 

                                                                                                     « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               T-507-08

 

INTITULÉ :                                             GERHARD BANMAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Kitchener (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le 26 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 1er décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gerhard Banman

LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

A. Leena Jaakkimanen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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