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Date : 20081124

Dossier : IMM-1032-08

Référence : 2008 CF 1309

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

JOAQUIN RAMIREZ ARAGON

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un Salvadorien, est arrivé au Canada en août 2006, muni d’un visa qui l’autorisait à assister à une conférence internationale sur le sida. Il a profité de l’occasion pour déposer une demande d’asile. Sa demande d’asile, qu’il avait faite en tant que personne séropositive exposée à la persécution au Salvador, a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) en mai 2007, et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision fut rejetée par la Cour en août 2007. Un examen des risques avant renvoi (ERAR) s’est prononcé défavorablement le 11 janvier 2008 sur une demande d’ERAR faite par le demandeur. Dans la présente instance, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision ERAR.

 

[2]               Le demandeur dit que l’agent d'ERAR a commis une erreur en tenant pour acquis que la SPR avait évalué le risque de persécution qu’il courait au Salvador en tant qu’homosexuel séropositif. Il affirme donc que l’agent d'ERAR n’a pas évalué le risque attribuable à son homosexualité et qu’il a interprété erronément la restriction relative aux nouveaux éléments de preuve qui est énoncée dans l’alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le demandeur prétend aussi que l’agent a appliqué une norme trop rigoureuse pour l’examen d’une revendication sur place, compte tenu des déclarations qu’il avait faites et qui furent rapportées dans la presse canadienne et la presse salvadorienne. Il fait valoir aussi que l’agent a eu tort de conclure qu’il n’avait pas apporté une preuve montrant qu’il avait subi des violences physiques et sexuelles.

 

[3]               Le défendeur affirme que les conclusions de la SPR portent à la fois sur le risque spécifique et le risque général allégués par le demandeur. La SPR avait reconnu la crainte du demandeur de retourner au Salvador en évoquant ses propos selon lesquels « il ne peut pas avoir la liberté d’être lui-même et il ne peut pas recevoir la protection des autorités en tant que personne homosexuelle » et « il n’existe aucune protection pour les homosexuels et les lesbiennes au Salvador ». Selon le défendeur, la SPR avait examiné la preuve produite par le demandeur au soutien de sa demande d’asile, y compris les rapports sur la situation dans le pays en cause, et elle avait rejeté cette preuve ou ne lui avait accordé aucun poids, comme elle était fondée à le faire.

 

[4]               La demande d’asile était fondée d’une part sur un risque spécifique de représailles de la part d’un policier qui, d’affirmer le demandeur, l’avait agressé sexuellement et avait contracté le VIH par suite du viol, et d’autre part sur le risque général auquel il est exposé en tant qu’homosexuel au Salvador. La SPR avait trouvé que le risque spécifique allégué n’était pas crédible et que la présomption d’existence d’une protection de l’État n’avait pas été réfutée parce que le demandeur n’avait fait aucune démarche pour signaler l’agression au cours des mois qui s’étaient écoulés avant son départ pour le Canada. Selon le demandeur, la SPR n’avait nullement cherché à savoir s’il aurait été logique pour lui de tenter d’obtenir de l’État une protection au vu de la preuve documentaire attestant les abus dont les homosexuels sont victimes au Salvador de la part des personnes en situation d’autorité.

 

[5]               L’agent d'ERAR a trouvé que le demandeur n’avait pas produit de nouveaux éléments de preuve suffisants autorisant une conclusion autre sur sa crédibilité à propos de ses allégations d’agression sexuelle et de menace de représailles. S’agissant des articles de journaux, l’agent a conclu que rien ne permettait d’affirmer que les articles étaient venus à l’attention des autorités au Salvador ou que celles‑ci avaient exprimé l’intention de cibler le demandeur. L’agent a estimé que le demandeur pourrait encore obtenir des soins médicaux et des médicaments au Salvador.

 

[6]               Il s’agit dans la présente affaire, selon moi, de savoir si le risque de persécution allégué par le demandeur au motif qu’il est homosexuel a jamais été mesuré comme il le devait.

 

[7]               Il ressort de la jurisprudence que l’évaluation des risques qui est faite par un agent d'ERAR doit être revue selon la norme de la décision raisonnable, en raison de son rôle en tant que tribunal administratif spécialisé, et que la décision de l’agent appelle une retenue considérable, en particulier celle qui concerne le poids qu’il convient d’accorder à la preuve qui lui est présentée : A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 394(1ière inst.). Si, dans la présente affaire, j’avais jugé nécessaire d’examiner si l’agent a interprété correctement l’alinéa 113a) de la LIPR, la norme à appliquer aurait alors été celle de la décision correcte.

 

[8]               L’agent d'ERAR a tenu pour acquis que la SPR avait examiné dans sa décision tous les risques évoqués par le demandeur, et il a donc dirigé son attention sur la question de savoir si le demandeur avait produit de nouveaux éléments de preuve attestant l’apparition de risques depuis la décision de la SPR. L’agent ne s’est pas fourvoyé dans sa manière d’interpréter l’alinéa 113a), mais il a appliqué à tort cette disposition à un contexte où la restriction qu’elle contient n’intervenait pas.

 

[9]               Le cadre permettant de dire si des éléments de preuve sont recevables en application de l’alinéa 113a) a été énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 385. L’objet de cette disposition est d’éviter que des points qui ont été résolus dans la procédure de détermination du statut de réfugié soient rejugés. Une demande d’ERAR n’est pas un appel formé contre la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, ni un réexamen de cette décision. Cependant, comme l’écrit madame la juge Karen Sharlow au paragraphe 12 de l’arrêt Raza, une demande d'ERAR peut requérir l’examen de quelques-uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile.

 

[10]           Il ressort clairement d’une lecture attentive de la décision de la SPR comme de la décision de l’agent d'ERAR que ni la SPR ni l’agent n’ont véritablement cherché à savoir si la crainte du demandeur d’être persécuté pouvait être étayée par l’information objective sur la situation dans le pays en cause, telle qu’elle apparaît dans un rapport du Département d’État des États-Unis, dans un rapport d’Amnistie Internationale, dans un article de mars 2007 du New Statesman, enfin dans une réponse à une demande d’information de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il ne s’agit pas ici d’un cas où je serais disposé à appliquer la présomption selon laquelle un tribunal administratif a examiné l’ensemble de la preuve qu’il avait devant lui car plusieurs éléments indiquent le contraire.

 

[11]           Le demandeur s’était plaint d’avoir longtemps subi la persécution en raison de son orientation sexuelle. La preuve documentaire contient une information dont on pourrait dire qu’elle confirme le risque qu’il allègue en cas de retour au Salvador. Hormis une référence incidente au fait que le demandeur avait du mal à trouver du travail, la SPR a fait porter son analyse sur l’unique événement précis allégué par le demandeur et sur le fait qu’il n’avait pas cherché à obtenir de l’État une protection contre la menace de représailles. Ce fut là le point de départ de l’évaluation faite par l’agent d'ERAR. L’agent d'ERAR fait référence aux documents produits à deux reprises par le demandeur concernant la situation dans le pays en cause, mais il se limite à dire qu’il a pris note de la preuve attestant une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Il n’analyse pas vraiment la manière dont cette preuve peut concerner quelqu’un ayant le profil du demandeur.

 

[12]           Je suis d’avis qu’il était déraisonnable pour l’agent d'ERAR de présumer que la SPR avait fait une évaluation complète des risques et de ne pas chercher à savoir si, au vu de l’ensemble de la preuve, y compris l’information objective, le demandeur était exposé à un risque de persécution et à une menace pour sa sécurité s’il était renvoyé au Salvador.

[13]           Le demandeur a proposé que je certifie, en tant que question de portée générale, la question de savoir si un agent d'ERAR a l’obligation d’examiner un risque que la SPR a laissé de côté et d’étudier la totalité de la preuve se rapportant à ce risque. Le défendeur n’a proposé aucune question. Selon moi, la question de droit a été résolue par la Cour d'appel dans l’arrêt Raza et la question proposée ne transcenderait pas les intérêts avancés par les parties dans la présente affaire.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d'ERAR pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1032-08

 

INTITULÉ :                                       JOAQUIN RAMIREZ ARAGON

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 NOVEMBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LE DEMANDEUR

Amy Lambiris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leigh Salsberg

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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