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Date : 20081117

Dossier : T-2032-07

Référence : 2008 CF 1281

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

DEER LAKE REGIONAL AIRPORT AUTHORITY INC.

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          La demanderesse, Deer Lake Regional Airport Authority Inc., en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S. /98-106, interjette appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau prononcée le 20 mars 2008, par laquelle il rejetait la demande de transmission de documents déposée par la demanderesse en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales. La demande de transmission de documents de la demanderesse est liée à sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), en qualité de déléguée du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, de refuser de désigner l’aéroport régional de Deer Lake comme un aéroport d’entrée (AOE).

 

[2]          Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel interjeté par la demanderesse contre l’ordonnance du protonotaire Morneau doit être rejeté.

 

I. Contexte

[3]          La demanderesse possède et exploite l’aérodrome connu comme l’aéroport régional de Deer Lake (l’aéroport) situé à Deer Lake, à Terre-Neuve-et-Labrador. La demanderesse a demandé que l’aéroport soit désigné comme un AOE, afin de permettre aux vols internationaux d’atterrir à l’aéroport. L’ASFC avait approuvé la prestation de services de douanes à l’aéroport pour l’arrivée d’un vol international par semaine, selon une formule de recouvrement des coûts. La demanderesse a demandé une désignation complète comme AOE afin de permettre des arrivées plus fréquentes de vols internationaux à l’aéroport.

 

[4]          L’ASFC est responsable de fournir des services de bureaux de douane dans les aéroports d’entrée désignés. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre), par l’intermédiaire de sa déléguée, l’ASFC, établit les sites des bureaux de douane (Loi sur les douanes, article 5). Les personnes arrivant au Canada ne peuvent y entrer qu’à un bureau de douane (Loi sur les douanes, article 11). Tous les aéronefs internationaux arrivant au Canada doivent arriver à un AOE. Le niveau de services de douanes fournis par l’ASFC dans un AOE varie mais, essentiellement, la désignation d’AOE permettrait des arrivées de vols internationaux plus fréquentes.

 

[5]          La demanderesse a demandé un réexamen de sa demande en vue d’obtenir la désignation AOE. Le 16 novembre 2007, Barbara Hébert, vice-présidente à la Direction générale des opérations, ASFC (en qualité de déléguée du ministre), a écrit à la demanderesse, indiquant le rejet de sa demande de réexaminer la possibilité de désigner l’aéroport régional de Deer Lake comme un AOE.

 

[6]          Le 21 novembre 2007, la demanderesse a demandé, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire de la décision du ministre, sollicitant comme mesures de redressement :

 

[traduction]

a)      une déclaration selon laquelle la décision du ministre, transmise dans la lettre de la vice-présidente de l’ASFC datée du 16 novembre 2007, est nulle et sans effet;

 

b)      une ordonnance sous la forme d’un mandamus demandant au ministre de désigner l’aéroport régional de Deer Lake comme un AOE ou, subsidiairement, de réexaminer la demande en se fondant sur des critères rationnels sans faire de discrimination à l’égard de la demanderesse.

 

[7]           Les motifs de la demanderesse justifiant sa demande de contrôle judiciaire sont les suivants :

[traduction]
« [. . .] que le ministre a omis de respecter l’équité procédurale, a omis de respecter son obligation implicite d’agir de manière équitable dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été conférés par un texte de loi et a agi contrairement à la loi, en ce sens que :

 

a)      le ministre a omis d’établir des critères objectifs permettant d’évaluer les demandes pour obtenir le statut d’aéroport d’entrée;

 

b)      le ministre a omis d’accorder le statut d’aéroport d’entrée, malgré le fait que l’aéroport satisfait clairement à tous les critères énoncés par le défendeur;

 

c)      le ministre a autorisé des aéroports, y compris des aéroports en concurrence avec l’aéroport, à obtenir ou à maintenir le statut d’aéroport d’entrée, même si ces aéroports ne satisfont pas ou ont cessé de satisfaire, en raison de modifications de leur situation, aux critères énoncés, dans la même mesure que l’aéroport, agissant par le fait même de façon discriminatoire à l’égard de la demanderesse;

 

d)      le ministre a ajouté et redistribué des ressources pour la prestation de services de douanes à d’autres aéroports, de manière à réduire la disponibilité de ressources pour répondre aux besoins de l’aéroport à titre d’aéroport d’entrée, agissant par le fait même de façon discriminatoire à l’égard de la demanderesse;

 

e)      le ministre a omis de fournir des motifs adéquats pour justifier sa décision de ne pas désigner l’aéroport comme un aéroport d’entrée;

 

f)        le ministre a mis en œuvre un système pour la désignation des aéroports d’entrée qui produit des résultats n’ayant aucun lien rationnel avec l’objet ou l’intention de la Loi sur les douanes et des règlements connexes. »

 

[8]          L’avis de demande de contrôle judiciaire présenté par la demanderesse comportait une demande de transmission des documents suivants :

[traduction

1.      les documents indiquant quels aérodromes au Canada ont reçu la désignation d’aéroport d’entrée au cours des dix dernières années;

 

2.      les documents de demande, les communications internes du ministère et de l’ASFC et toute la correspondance adressée au ministre, à toute personne travaillant au cabinet du ministre et à l’ASFC, relativement aux désignations indiquées au point 1 qui précède;

 

3.      pour chacun des aéroports d’entrée situés dans les provinces de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse :

 

a)      des copies du document désignant l’aérodrome comme un aéroport d’entrée, y compris tout document parallèle ou postérieur imposant des limites, conditions ou restrictions sur les services offerts à cet aérodrome;

 

b)      les documents indiquant le nombre de voyageurs ayant passé les douanes à l’aéroport d’entrée au cours des cinq dernières années;

 

c)      les documents indiquant les montants imputés à l’aérodrome pour des services spéciaux au cours de chacune des cinq dernières années, y compris une description générale des services spéciaux fournis;

 

d)      tout document indiquant un changement dans les services ou les heures de prestation des services à l’aéroport d’entrée par rapport à ce qui est indiqué dans le site Web de l’ASFC, ou encore ayant une incidence sur ces services et heures de prestation de services.

 

4.      les documents indiquant les montants imputés au cours de chacune des cinq dernières années pour des services spéciaux, avec une description générale des services fournis aux aérodromes de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, de Churchill Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador, de Miramichi, au Nouveau-Brunswick et de Wabush, à Terre-Neuve-et-Labrador.

           

 

[9]          Le défendeur a déposé un dossier certifié de documents ayant trait à la décision du ministre de ne pas désigner l’aéroport comme un AOE. Le défendeur s’est opposé à la production des documents restants, comme l’exigeait l’avis de demande de la demanderesse.

 

[10]       Sur directive de la Cour, la demanderesse et le défendeur ont déposé leurs observations, et l’affaire a été entendue par le protonotaire Moreau, qui a rendu sa décision le 20 mars 2008. Dans son ordonnance, le protonotaire a retenu les objections du défendeur et n’a pas ordonné la production d’autres documents, à l’exception d’une version non caviardée d’un document à laquelle ont consenti les deux parties.

 

[11]      La demanderesse interjette appel de l’ordonnance du protonotaire rejetant sa demande de documents additionnels.

 

II. La décision en appel

[12]      Le protonotaire Morneau a conclu que le dossier certifié était complet et contenait tous les documents dont disposait la décideuse, Barbara Hébert, quand elle a pris la décision de rejeter la demande de réexamen en vue d’obtenir le statut d’AOE pour l’aéroport.

 

[13]      Le protonotaire a estimé que la demande de transmission de documents déposée par la demanderesse dépassait les paramètres d’une demande admissible visée à l’article 317 des Règles. Il a conclu que la demanderesse tentait de s’engager dans un processus de communication préalable non autorisé, si l’on s’en tient à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224. Le protonotaire a estimé que la demande de la demanderesse ne pouvait être qualifiée de tentative en vue d’obtenir des documents précis qui auraient pu avoir une incidence sur la décision faisant l’objet du contrôle. La demanderesse n’a pu justifier un élargissement de l’étendue de l’exercice visé à l’article 317 des Règles. Enfin, le protonotaire a assimilé la démarche de la demanderesse aux commentaires faits par le juge Blais dans la décision Sharpe c. Canada (Commission des droits de la personne), 2001 CFPI 1130 : « [...] la demanderesse cherche à fouiller dans les dossiers de la Commission pour y trouver des renseignements parce que la décision de cette dernière ne lui plaît pas ».

 

[14]      Le protonotaire a retenu les objections du défendeur et a jugé qu’aucun document additionnel n’était nécessaire en vertu des articles 317 et 318 des Règles, à l’exception d’un document non caviardé.

 

III. Questions en litige

[15]      Les questions soulevées dans le présent appel sont les suivantes : 

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable à un appel interjeté contre une ordonnance d’un protonotaire se prononçant sur l’étendue de la production de documents en application de l’article 317 des Règles?

2.      Le protonotaire a-t-il commis une erreur en décidant de l’étendue de la production de documents en application de l’article 317 des Règles?

 

IV. Observations de la demanderesse

[16]       La demanderesse affirme que les questions influant sur une détermination en vertu de l’article 317 des Règles sont la possession et la pertinence. La demanderesse avance que la question de la pertinence est une question de droit, et que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la norme de la décision correcte.

 

[17]      Subsidiairement, s’il devait exister un élément discrétionnaire dans l’ordonnance du protonotaire, la demanderesse affirme que la décision visée par l’article 317 des Règles soulève des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause. La demanderesse prétend en outre que l’ordonnance du savant protonotaire est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que la décision s’appuie sur l’application d’un mauvais critère ou sur une mauvaise appréciation des faits. La demanderesse affirme qu’en l’espèce, la Cour doit examiner de nouveau l’application de l’article 317 des Règles.

 

[18]      L’argumentation de la demanderesse est difficile à suivre. Son argument, comme je le comprends, est le suivant :

 

[19]      Pour décider si des documents doivent être communiqués dans le contexte d’une demande visée à l’article 317 des Règles, le protonotaire doit procéder à une enquête en deux volets. Le premier concerne la possession, le second la pertinence. Friends of the West Country Assn. v. Canada (Minister of Fisheries and Oceans), [1997] F.C.J. no 557.

 

[20]      D’abord, le protonotaire doit être convaincu que le décideur disposait des documents. Les documents n’ont pas à se limiter à ceux sur lesquels s’est appuyé le décideur; ils peuvent aussi inclure tous les documents dont disposait ou aurait dû disposer le décideur. En outre, lorsqu’un demandeur allègue un manque d’équité procédurale et la prise en considération de facteurs non pertinents dans une demande de contrôle judiciaire, il a droit à tous les documents qui auraient pu influer sur l’issue de la décision. Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720; Premières Nations Deh Cho c. Canada, 2005 CF 374; Friends of the West Country, précité, et Telus Communications Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 317.

 

[21]      La demanderesse soutient que, lorsque le décideur joue le double rôle de collecteur d’information et de décideur, les documents à produire en vertu de l’article 317 des Règles dépassent les seuls documents dont disposait le décideur. Les documents à produire ont uniquement à être pertinents pour la demanderesse, et en la possession du décideur, dans le sens large d’une possession constructive. Friends of the West Country, précité, et Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 RCF 455 (CA).

 

[22]      Ensuite, si le protonotaire conclut que le décideur disposait des documents, il doit alors se demander si les documents sont pertinents, en ce sens qu’ils pourraient influer sur la décision de la cour de révision compte tenu des motifs de contrôle énoncés dans la demande de contrôle judiciaire.

 

[23]      Si le demandeur allègue un manquement à l’équité procédurale, la cour de révision devra également déterminer la pertinence des documents réclamés en fonction des motifs de contrôle énoncés dans la demande de contrôle judiciaire.

 

[24]      La demanderesse affirme que le protonotaire a omis de procéder à l’enquête en deux volets susmentionnée, en ne se demandant pas si le décideur disposait des documents et si les documents réclamés pourraient par ailleurs avoir influé sur la cour de révision, même si elle ne disposait pas nécessairement des documents.

 

[25]      La demanderesse prétend que le protonotaire a mal interprété l’importance des documents concernant d’autres AOE en la possession de l’ASFC. La demanderesse affirme que, comme l’ASFC était à la fois collecteur d’information et décideur, et qu’aucune ligne de démarcation ne séparait l’information détenue par l’ASFC de l’information dont disposait le décideur, l’ASFC devait avoir rendu sa décision dans le contexte de toute l’information qu’elle possédait concernant d’autres désignations d’AOE.  

 

[26]      La demanderesse affirme également que le protonotaire devait aborder la question de l’équité procédurale. L’ASFC avait l’obligation implicite d’agir de manière équitable dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi. Étant donné l’absence d’une définition pour les AOE, l’absence de critères établis pour obtenir la désignation d’AOE, et la capacité de l’aéroport d’accueillir les vols internationaux, les données comparatives doivent avoir été essentielles à la décision. Par conséquent, l’information portant sur les autres aéroports fait nécessairement partie de l’examen mené par l’ASFC et devrait être produite en vertu de l’article 317 des Règles.

 

V. Analyse

[27]      L’article 317 des Règles est libellé ainsi :

317. (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas, mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

 

 

[28]      L’objet de la production de documents visée à l’article 317 des Règles a été abordé dans l’arrêt Access, précité. Le juge Pelletier a affirmé ce qui suit au paragraphe 21 :

C’est dans ce contexte que se situe la règle 317 qui traite de la demande de transmission de documents. L’objet de la règle est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n’étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d’exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise.    

 

[29]      Même si la jurisprudence concernant la production de documents dans le contexte de demandes de contrôle judiciaire veut en général que seuls les documents qui sont réellement entre les mains du décideur fassent l’objet de la production, dans l’arrêt Access, précité, au paragraphe 7, certaines exceptions précises à la limite établie à l’article 317 des Règles ont été reconnues.

 

[30]      Dans l’arrêt Pathak, précité, le juge Pratte a affirmé que les documents sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles s’ils peuvent influer sur la décision de la cour de révision. Il a jugé que seuls les documents dont disposait réellement le décideur devaient être produits, ce qui n’est pas le cas des autres documents utilisés par l’enquêteur dans la préparation de son rapport, si ce dernier constitue un rapport fidèle des éléments de preuve produits.

 

[31]      Dans la décision Friends of the West Country, précitée, le juge Muldoon s’est écarté de la règle générale énoncée dans l’arrêt Pathak, précité, et a conclu que le critère à utiliser pour juger de la pertinence consiste plutôt à se demander à quel point un document est lié aux motifs énoncés dans la demande de contrôle judiciaire. Un document peut être pertinent même s’il n’a pas été utilisé ou examiné par le décideur. Le juge Muldoon s’est écarté de la règle générale énoncée dans l’arrêt Pathak, précité, parce que le ministre avait un rôle de supervision, sans distinction entre les étapes de l’enquête et de la prise de décision. Toutefois, la grande étendue de la production énoncée dans la décision Friends of the West Country, précité, n’a pas été appliquée à d’autres causes subséquentes.

 

[32]      Dans l’arrêt 118540 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1999] A.C.F. no 1432 (C.A.F.), le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale s’est conformé à la décision dans l’arrêt Pathak, précité, et a conclu que seuls les documents dont disposait réellement le décideur devaient être produits, mais a affirmé que si des pièces jointes annexées à un document étaient également dans les mains du décideur, elles devaient être produites aussi.

 

[33]      Dans l’arrêt Telus, précité, le juge Linden a conclu que les documents qui figuraient au dossier du Conseil devaient être produits. Il s’est écarté du point de vue émis par le juge en chef Thurlow dans la décision Trans Quebec & Maritime Pipeline c. Office national de l’énergie, [1984] 2 C.F. 432, qui a affirmé que même si les notes de service contenant des éléments de preuve devraient être divulguées, les notes de service ne contenant aucun élément de preuve n’étaient pas pertinentes pour la décision de l’Office. Le juge Linden a jugé que les documents devraient être produits parce que les motifs du Conseil étaient très succincts et ne révélaient pas tous les éléments ayant été pris en considération.

 

[34]      Dans la décision Deh Cho, précitée, les demandeurs sollicitaient le contrôle judiciaire de la décision du ministre de mettre sur pied une commission mixte. Le protonotaire Hargrave a estimé, selon la preuve par affidavit, que le ministre, son prédécesseur, avec leurs assistants, avaient supervisé le processus ayant conduit à la décision. Le protonotaire Hargrave a jugé que la description des documents réclamés était un peu trop générale, mais qu’elle ne dépassait pas la limite acceptable parce que les documents réclamés se rapportaient à des étapes ou phases précises du processus ayant conduit à la décision du ministre.

 

[35]      Dans la décision Gagliano, précitée, le juge Teitelbaum a affirmé que, lorsqu’une partie allègue un manquement à l’équité procédurale, la Cour doit quand même décider de la pertinence des documents en s’appuyant sur l’avis de demande de contrôle judiciaire, les motifs de contrôle énoncés et la nature du contrôle judiciaire. Les documents en cause concernaient certains courriels non sollicités envoyés à la Commission. La Commission avait reconnu l’existence de documents ne figurant pas dans le dossier public, tout en affirmant qu’ils n’avaient pas été pris en considération dans la rédaction de son rapport sur la phase I. Le juge Teitelbaum était d’avis que la possible utilisation des courriels par la Commission pouvait poser des questions d’équité procédurale. Les courriels étaient pertinents en ce qui concerne les questions d’équité procédurale et de crainte raisonnable de partialité, et ils ont donc dû être produits. En appel, le juge Décary, de la Cour d’appel fédérale, a jugé qu’il y avait suffisamment d’éléments au dossier pour justifier une perception selon laquelle le commissaire était au courant des documents et qu’il fallait par conséquent laisser la cour de révision évaluer les documents en question.

 

Quelle est la norme de contrôle applicable à un appel interjeté contre une ordonnance d’un protonotaire se prononçant sur l’étendue de la production de documents en application de l’article 317 des Règles?

 

 

[36]                La norme de contrôle applicable à un appel interjeté contre la décision d’un protonotaire en vertu de l’article 51 des Règles a été énoncée par le juge Décary de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19 :

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a)   l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

 

b)   l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

 

 

[37]      Dans Gaudes c. Canada (Procureur général), 2005 CF 351, la juge Snider a estimé que la décision d’un protonotaire concernant une demande de documents ne constituait pas une question ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire. En ce qui concerne les faits en l’espèce, je ne vois aucune raison de m’écarter de la conclusion de la juge Snider. Par conséquent, je conclus que la présente question n’a pas une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, et qu’il faudrait donc examiner l’ordonnance du protonotaire en se demandant si l’ordonnance était entachée d’erreur flagrante, comme il est énoncé dans le deuxième volet du critère mentionné dans l’arrêt Merck, précité.

 

Le protonotaire a-t-il commis une erreur en décidant de l’étendue de la production de documents en application de l’article 317 des Règles?

 

[38]       Le protonotaire a jugé que le décideur avait à sa disposition tous les faits substantiels. Il a jugé que la demande de documents de la demanderesse dépassait les limites permises à l’article 317 des Règles et s’est appuyé sur l’arrêt Access, précité, dans son interprétation des limites de l’article 317 des Règles.

 

[39]        Je ne peux trouver à redire de l’interprétation qu’a faite le protonotaire de l’article 317 des Règles.

 

[40]      La demanderesse a affirmé que, en l’absence d’une distinction entre les étapes de l’enquête et de la prise de décision, l’étendue de la production de documents en vertu de l’article 317 des Règles devrait être élargie. C’était là son plus solide argument. Cependant, la décision Friends of the West, précitée, une affaire singulière qui n’a pas fait jurisprudence, n’aide pas la demanderesse. En outre, la décision Deh Cho, précitée, faisait référence à la décision Friends of the West Country, précitée, mais seulement pour élargir l’étendue des documents à produire à ceux ayant conduit au jugement.

 

[41]      Ma lecture de l’avis de demande et de l’affidavit de la demanderesse m’amène à conclure que la demanderesse demande des documents qui au mieux entourent la décision, sans avoir conduit à la décision. Je ne vois aucune erreur de la part du protonotaire dans son raisonnement.

 

[42]      La demanderesse a affirmé que le protonotaire ne s’est pas penché sur la question de la pertinence et qu’il avait l’obligation de le faire, compte tenu des allégations de la demanderesse de manquement à l’équité procédurale.   

 

[43]      J’estime que ni l’avis de demande de la demanderesse ni son affidavit ne lie la demande de documents additionnels à un manquement allégué à l’équité procédurale, ou à un manquement à l’obligation d’agir équitablement dans le processus décisionnel. Le seul motif mentionné dans l’avis de demande ayant trait à un manquement à l’équité procédurale est l’affirmation selon laquelle les raisons de l’ASFC étaient insuffisantes, et la prise en considération de ce motif ne nécessite pas la production de documents additionnels.

 

[44]      J’estime que le protonotaire n’a pas commis d’erreur en décidant que la demanderesse ne tombait pas sous le coup des exceptions prévues à la règle générale de production énoncée dans l’arrêt Access.

 

[45]      La demanderesse conteste non seulement la décision de refuser sa demande en vue d’obtenir la désignation d’AOE, mais également le système de désignation des AOE de l’ASFC. Dans ses observations, la demanderesse a affirmé ce qui suit :

[traduction
Cette demande vise à contester le système au moyen duquel sont désignés les aéroports d’entrée et allègue qu’il est substantiellement injuste ou arbitraire. Il s’agit de motifs valables pour attaquer la décision et, pour pouvoir rendre une décision concernant ces motifs, la cour de révision a besoin d’avoir accès aux renseignements indiquant comment ont été traitées les installations concurrentes et si l’ASFC a tenu compte de tous les facteurs appropriés dont elle doit tenir compte pour prendre sa décision.

 

[46]      La demanderesse était insatisfaite de la décision de l’ASFC. Elle a choisi de contester le processus décisionnel de l’ASFC au lieu de limiter sa contestation à la décision de l’ASFC. Elle a choisi d’entreprendre un contrôle judiciaire plutôt qu’une action en justice.

 

[47]      Dans l’arrêt Access, le juge Pelletier a traité de la nature de la révision judiciaire. Il a affirmé ce qui suit :

La révision judiciaire ne procède pas sur la même base qu’une action en justice; c’est une procédure qui se veut sommaire. Il y a donc une série de limites imposées aux parties en conséquence de cette distinction. La preuve se fait par affidavit et non par témoignage de vive voix. Il y a moins d’ouverture aux procédures préliminaires telles que la communication de la preuve entre les mains des parties et l’examen au préalable. Si de telles procédures s’avèrent nécessaires, les règles permettent qu’une demande de révision judiciaire soit transformée en action. (au paragraphe 20)

 

[48]      Étant donné la large portée de la contestation de la demanderesse concernant le processus décisionnel de l’ASFC relativement à la désignation des AOE, cet enseignement de la Cour d’appel fédérale est approprié.

 

[49]      L’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire est rejeté.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit :

1.                  L’appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau du 20 mars 2008 est rejeté.

2.                  Les dépens relatifs à la présente requête sont adjugés au défendeur, quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2032-07

 

INTITULÉ :                                       DEER LAKE REGIONAL AIRPORT AUTHORITY INC. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                               

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 mai 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 novembre 2008 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph S. Hutchings, c.r.                       POUR LA DEMANDERESSE

 

James Gunvaldsen-Klaasen                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

POOLE ALTHOUSE                                      POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

 

           

JOHN H. SIMS, c.r.                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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