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Date : 20081202

Dossier : IMM-1482-08

Référence : 2008 CF 1326

Toronto (Ontario), le 2 décembre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

RONNIE ROMERO ORTIZ

YAZMIN GONZELES REYES

RONNIE ROMERO GONZALES

partie demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Le demandeur principal,  monsieur Ronnie Romero Ortiz, sa femme et son fils, tous trois citoyens mexicains, sollicitent en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), la révision judiciaire de la décision rendue le 20 février 2008  par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Tribunal) de ne pas leur reconnaître la qualité de « réfugiés », ni celle de « personnes à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi, et en conséquence de rejeter leur demande d’asile.

II.         Les faits

[2]               Avant sa venue au Canada, le demandeur principal travaille comme installateur de systèmes de sécurité pour la compagnie Construcciones Arellano y Asociados et fait aussi l’installation de caméras de surveillance pour le compte d’un dénommé Juan Hoyos.

 

[3]               Le demandeur a ouï-dire que Hoyos agit effectivement comme le chef du cartel de la drogue qui opère dans la région du golfe mexicain. Il soutient avoir vu certains individus venir au bureau de Hoyos pour effectuer le paiement ou l’achat de drogues revendues par la suite à divers endroits dans la ville ou la province de Veracruz.

 

[4]               Malgré une telle connaissance d’un tel commerce, le demandeur continue à faire l’installation de systèmes de sécurité pour le compte de Hoyos, et à accepter de celui-ci de la drogue dont il dit s’être départi par la suite.

 

[5]               Le 5 décembre 2006, un agent de l’agence fédérale d’investigation (AFI) approche le demandeur principal et l’interroge sur les activités illégales de Hoyos. Mais doutant qu’il s’agit d’un véritable agent de l’AFI, le demandeur s’abstient de lui parler des activités illicites du dénommé Hoyos. Cette entrevue le fait craindre pour sa vie et celle de sa famille, et il décide donc ce soir-là de quitter le Mexique avec celle-ci.

 

 

[6]               En conséquence, le demandeur principal quitte le Mexique avec sa famille le 24 décembre 2006 pour le Canada où ils revendiquent l’asile le même jour.

 

III.       Décision contestée

[7]               Dans sa décision, le Tribunal rejette la demande d’asile des demandeurs en raison de l’absence de crédibilité de leur récit. Le Tribunal conclut subsidiairement que même en admettant le récit des demandeurs, ceux-ci n’ont jamais recherché la protection des autorités de leur pays et n’ont pas plus démontré l’incapacité des autorités mexicaines de les protéger.

 

IV.       Question en litige

[8]               Le Tribunal commet-il une erreur déraisonnable dans son appréciation négative de la crédibilité du demandeur principal et sa conjointe, son refus de leur accorder le statut de « réfugiés » et de « personnes à protéger », et sa conclusion subsidiaire qu’ils « n’ont pas réfuté la présomption de protection de leur État »?

 

V.        Analyse

            Norme de contrôle judiciaire

[9]               Les cours doivent traiter avec déférence les décisions des tribunaux administratifs spécialisés bénéficiant d’une expertise dans les affaires où s’exerce leur juridiction. (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[10]           La norme de la décision raisonnable s’applique au présent cas, de sorte que pour justifier son intervention, la Cour doit se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de sa justification, et de son appartenance aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, par. 47).

 

[11]           À l’intérieur de cette norme de contrôle et sur la base des faits mis en preuve, la Cour peut-elle conclure que le Tribunal commet une erreur déraisonnable en décidant de refuser aux demandeurs le statut de « réfugiés »  et de « personnes à protéger » et en concluant qu’ils « n’ont pas réfuté la présomption de protection de leur État »?

 

L’absence de crédibilité

[12]           Le demandeur principal et sa conjointe n’ont pas été jugés crédibles en raison de contradictions importantes entre leur témoignage et leur formulaire de renseignements personnels (FRP). Le tribunal reproche de plus au demandeur son témoignage confus et manquant de spontanéité.

 

[13]           Alors que sa crainte découle de son lien d’emploi avec le dénommé Hoyos et des activités illégales de ce dernier, il n’en fait pas mention au point d’entrée et le mentionne pour la première fois dans son FRP. Il donne des réponses insatisfaisantes au Tribunal pour expliquer cette omission au point d’entrée. De plus, alors que le demandeur principal affirme que Hoyos était le chef du cartel de la drogue dans le golfe du Mexique, la preuve documentaire confirme au contraire que le chef du cartel est un dénommé Osiel Cardenas.

[14]           Encore plus troublant cette admission de la demanderesse devant le Tribunal à l’effet qu’au moment de son entrée au Canada elle ignorait que sa vie était en danger tout comme elle ignorait les motifs qui motivaient son mari à déplacer ainsi sa famille.

 

[15]           Par ailleurs, le demandeur principal dit craindre pour sa vie depuis le 31 novembre 2006, mais bien qu’il sait que son domicile fait l’objet d’une surveillance il y demeure jusqu’à son départ pour le Canada et continue à travailler pour le dénommé Hoyos. Plus encore, il ne dénonce même pas celui-ci à l’agent de l’AFI venu l’interroger sur les activités illicites de Hoyos, et ce malgré la crainte que lui inspire celui-ci. 

 

[16]           Les demandeurs ne contestent pas les contradictions et omissions que leur reproche le Tribunal et ne démontrent pas plus en quoi et pourquoi ses conclusions de fait quant à leur crédibilité seraient arbitraires, déraisonnables ou non fondées sur la preuve au dossier.

                                                                                                                                                                     

[17]           Le Tribunal pouvait conclure au manque de crédibilité des demandeurs en se basant sur les invraisemblances contenues dans leur récit, le bon sens et la raison (Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 206).

 

[18]           Il n’appartient pas à cette Cour à ce stade-ci d’apprécier la preuve de nouveau ou de substituer son opinion à celle du Tribunal, et ce d’autant plus que celui-ci bénéficie de l’avantage de son expertise et surtout d’avoir entendu le récit et les revendications des demandeurs. Le Tribunal demeure sûrement mieux qualifié que cette Cour pour juger de leur crédibilité.

[19]           La Cour doit se limiter à vérifier si la décision du Tribunal est justifiée et raisonnable dans le sens indiqué par l’arrêt Dunsmuir, précité. Les décisions touchant la crédibilité d’une partie constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits », de sorte que ces décisions doivent recevoir une grande déférence lors d'un contrôle judiciaire. Elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Siad c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1997] 1 C.F. 608, 67 A.C.W.S. (3d) 978, au par. 24; Dunsmuir, précité).

 

[20]           La Cour se doit d’aborder avec beaucoup de déférence les conclusions du Tribunal sur la crédibilité des demandeurs, ce qui laisse à leur charge un lourd fardeau pour convaincre cette Cour d’annuler de telles conclusions.

 

[21]           Bref, les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer que la décision attaquée est fondée sur des conclusions de fait tirées de manière abusive ou arbitraire ou que le Tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait. Le Tribunal pouvait rejeter la revendication des demandeurs sur la seule base de leur comportement incompatible avec leurs prétentions et de là conclure qu’ils n’étaient pas crédibles. En conséquence, la conclusion du Tribunal sur la crédibilité des demandeurs est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

Protection de l’État

[22]           À titre subsidiaire, le Tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas repoussé la présomption de l’existence d’une protection étatique pour eux au Mexique. N’ayant pas prêté foi au récit des demandeurs pour conclure qu’ils ne pouvaient bénéficier du statut de réfugiés ni de celui de personnes à protéger, il devenait superflu et non nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la présomption de protection de leur État qu’ils n’avaient pas réfutée. Mais même si le Tribunal se prononce, il n’erre pas pour autant.

 

[23]           Car en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique mexicain, il faut présumer que celui-ci peut protéger ses citoyens. De plus, la protection offerte n’a pas à être parfaite. De sorte que les demandeurs devaient offrir une preuve claire et convaincante quant à leur besoin de protection et l’incapacité ou le refus de l’État mexicain de les protéger (Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Or, ils n’ont même pas réussi à convaincre le Tribunal  du besoin de protection réclamé.

 

[24]           Malgré les problèmes étatiques mexicains rapportés, il incombait aux demandeurs de recourir d’abord à l’aide et à la protection disponibles dans leur pays avant de rechercher celle du Canada. Comment peut-on aujourd’hui conclure à l’inefficacité de la protection offerte par le pays des demandeurs alors qu’ils n’ont jamais cherché à tester celle-ci? Il n’est donc pas déraisonnable de conclure que les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve.

 

[25]           Pour tous ces motifs, la Cour ne voit pas en quoi la conclusion du Tribunal sur la question de protection disponible serait déraisonnable, d’autant plus qu’il n’avait pas à se prononcer.

 

VI.       Conclusion

[26]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la décision contestée par le présent recours est justifiée au regard des faits et du droit, bref qu’il s’agit d’une décision raisonnable ne justifiant pas l’intervention de cette Cour.  

 

[27]           Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE  la demande de contrôle judiciaire.

 

 

                                                                                                               «Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1482-08

 

INTITULÉ :                                       RONNIE ROMERO ORTIZ ET AL c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Emilie Tremblay

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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