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Date : 20081205

Dossier : IMM-5258-08

Référence : 2008 CF 1353

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), ce 5e jour de décembre 2008

En présence de monsieur le juge Frenette

ENTRE :

Milena URBANCZYK

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une requête en sursis d’une mesure de renvoi en Pologne visant la demanderesse, prévue le 5 décembre 2008 à 22 h 45.

 

[2]               La demanderesse, une ressortissante polonaise, est arrivée au Canada le 5 juillet 2001 munie d’un visa de visiteur valide jusqu’au 5 janvier 2002. Le visa n’a pas été renouvelé et, le 23 mai 2002, une mesure de renvoi a été engagée à son égard.

[3]               La demanderesse a présenté une demande d’aile en 2002, que, par la suite, la Section de la protection des réfugiés a considérée comme étant abandonnée.

 

[4]               En 2002, la demanderesse a rencontré Joaquin Diazgranados, un ressortissant colombien, qui est devenu son conjoint de fait. Le 5 janvier 2005, elle a été arrêtée pour avoir donné une fausse adresse et un numéro de téléphone cellulaire auquel personne ne répondait.

 

[5]               Le 31 mai 2005, l’examen des risques avant renvoi (« ERAR ») de la demanderesse a fait l’objet d’une décision défavorable. Elle et son conjoint ont présenté des demandes de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, dans lesquelles son conjoint la parrainait. Ces demandes ont été rejetées parce que M. Diazgranados avait été déclaré inadmissible en raison d’un mandat d’arrêt en vigueur aux États‑Unis lié à une accusation criminelle en suspens, c.‑à‑d. une agression sexuelle.

 

[6]               M. Diazgranados a communiqué avec son avocat aux États‑Unis afin de résoudre ce problème le 18 septembre 2008.

 

[7]               La demanderesse a présenté une nouvelle demande pour motifs d’ordre humanitaire. Le 19 novembre 2008, elle a demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada de reporter son renvoi jusqu’au traitement de sa demande pour motifs d’ordre humanitaire. À titre subsidiaire, elle a demandé un report de 60 jours afin d’avoir le temps de régler l’affaire aux États‑Unis.

 

[8]               L’agent chargé du renvoi, dans sa décision du 3 décembre 2008, a analysé les motifs ou les questions soulevés par la demanderesse pour soutenir un report de la mesure de renvoi :

1.                  La demanderesse demandait un report jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée récemment. Elle prétendait n’avoir joué aucun rôle dans l’événement ayant mené au rejet de la première demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée par elle et son conjoint. Elle a allégué que le fait d’être séparée longtemps de M. Diazgranados pourrait mener à la fin de leur relation.

2.                  La demanderesse a indiqué souffrir d’une dépression grave; elle reçoit des soins médicaux et prend des médicaments. La menace de renvoi lui cause encore plus de stress et d’anxiété.

 

[9]               L’agent a examiné ces facteurs, mais a conclu qu’ils ne justifiaient pas une demande de sursis.

 

[10]           Un critère conjonctif tripartite applicable au sursis de renvoi a été énoncé dans Toth c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). Selon la jurisprudence, un sursis constitue une mesure extraordinaire, pour lequel le demandeur doit montrer [traduction] « des circonstances spéciales et impérieuses afin de justifier une intervention judiciaire exceptionnelle » (Shchelkanov c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 76 F.T.R. 151; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al c. Harkat, 2006 CAF 215, au paragraphe 10). Selon Toth, précitée, voici les conditions qui doivent être réunies pour obtenir un sursis :

1.                  Une question sérieuse à trancher a été soulevée;

2.                  Un préjudice irréparable sera subi si le sursis n’est pas accordé;

3.                  La prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi du sursis.

 

[11]           Il faut tenir compte de ces conditions dans le contexte du pouvoir discrétionnaire très limité qu’un agent responsable du renvoi possède en vertu de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi ») (Simoes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 187 F.T.R. 219, au paragraphe 12; Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 45; Baron c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 341; Pacia c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 804).

 

[12]           Dans la jurisprudence, le seuil qui permet de déterminer une question sérieuse est habituellement décrit comme « non frivole et vexatoire ». Toutefois, le sens plus littéral du terme « sérieuse » exige un seuil plus élevé. Le juge Pelletier, dans Wang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 11, a mentionné que la question sérieuse n’est pas frivole et vexatoire, mais plutôt la « probabilité de réussite ».

 

[13]           La demanderesse allègue les questions sérieuses qui suivent :

1.                  La demanderesse est une victime innocente, en ce sens que sa première demande pour motifs d’ordre humanitaire a été rejetée en raison de l’accusation criminelle visant son conjoint aux États‑Unis, qui serait survenue avant leur rencontre.

2.                  Si elle est renvoyée en Pologne, elle sera séparée de son conjoint pendant plusieurs années avant que l’agence traite sa demande pour considérations d’ordre humanitaire.

3.                  Elle souffre d’une dépression grave, contrôlée par médication; les plus récents événements ont toutefois aggravé son anxiété et son stress.

 

[14]           Le défendeur répond ainsi :

1.                  La séparation d’un couple est le résultat d’un renvoi;

2.                  L’anxiété et la dépression sont des conséquences habituelles du renvoi. Aucune preuve selon laquelle la Pologne n’offre pas de services médicaux ou de médicaments n’a été présentée (Palka c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CAF 165).

3.                  L’existence d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire ne suffit pas à elle seule à soutenir un sursis à une mesure d’expulsion (Simoes, précité, au paragraphe 13; Barrera c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 779).

 

[15]           Si l’on se penche sur chacune de ces questions de façon individuelle, on pourrait conclure qu’elles ne répondent pas au critère des questions « sérieuses »; cumulativement, toutefois, je suis d’avis qu’elles répondent effectivement aux critères.

 

[16]           La demanderesse répète qu’après une relation de six ans avec son conjoint, le fait d’être séparés pendant de nombreuses années pourrait causer un préjudice irréparable. La demanderesse a cité de la jurisprudence à l’appui de son opinion (Hwang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 226 F.T.R. 318). Dans quelques cas exceptionnels, on a autorisé un sursis en l’attente du traitement de demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire (Kahn c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2005 CF 1107; Kowlessar c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (30 octobre 2008), IMM-4631-08).

 

[17]           La demanderesse invoque aussi sa grave dépression, qui est aggravée par la menace de renvoi et par le renvoi.

 

[18]           Le dossier comporte des éléments de preuve crédibles selon lesquels le renvoi causera un préjudice irréparable à la demanderesse.

[19]           Même si la prépondérance des inconvénients ne découle pas automatiquement d’une conclusion de question sérieuse et de préjudice irréparable, on ne peut ignorer ces facteurs. Il doit y avoir un équilibre entre l’obligation du défendeur de mettre à exécution la mesure de renvoi le plus tôt possible, conformément au paragraphe 48 (2) de la Loi, et l’intérêt de la demanderesse.

 

[20]           En l’espèce, la demanderesse ne pose aucun danger pour le public ou la sécurité du Canada. Elle habite au Canada depuis sept ans; elle est employée et souffre d’une maladie grave. Je crois que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur (Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 104 F.T.R. 35).

 

[21]           Les conditions prévues pour le critère ont été réunies; la présente requête est accueillie.

 

 

JUGEMENT

 

 

            La Cour ordonne un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion à l’encontre de la demanderesse en l’attente de la décision relative à l’autorisation et au contrôle judiciaire du refus du report de la mesure de renvoi.

 

 

« Orville Frenette »

Juge adjoint

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

NOM DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5258-08

 

INTITULÉ :                                       Milena URBANCZYK C. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 décembre 2008

 

MOTIFS ET JUGEMENT :             Monsieur le juge Orville Frenette, juge adjoint

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Andrew Brouwer                                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Me David Joseph                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates                                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, C.R.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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