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Date : 20081126

Dossier : IMM‑4539‑08

Référence : 2008 CF 1325

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

 

ARNALDO ACHI DELISLE

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Le demandeur, un citoyen cubain, sollicite un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi aux États‑Unis dont il fait l’objet. Le 20 octobre 2008, le juge en chef de la Cour a ordonné un sursis provisoire à l’exécution de la mesure de renvoi aux États‑Unis, le renvoi devant avoir lieu le lendemain, en attendant le dépôt de documents supplémentaires et une audition complète de la demande de sursis. La demande de sursis vient s’ajouter à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant la décision prise par le représentant du ministre (le représentant) le 15 septembre 2008, laquelle a été communiquée au demandeur le 15 octobre 2008 seulement et dans laquelle il était conclu (1) que le demandeur ne serait pas exposé aux risques mentionnés à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) s’il était renvoyé dans le pays dont il avait la nationalité (Cuba) ou dans le pays où il avait sa résidence habituelle (les États‑Unis); (2) que le demandeur ne constituait pas un danger pour le public au Canada; et (3) qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour que le demandeur reste au Canada. La décision du représentant a été prise conformément au paragraphe 112(3) et à l’alinéa 113d) de la Loi, qui prévoient que l’examen des risques avant renvoi est limité aux éléments mentionnés à l’article 97 et, dans le cas d’un demandeur interdit de territoire pour grande criminalité, à la question de savoir si celui‑ci constitue un danger pour le public au Canada. La procédure régissant l’examen des questions par le représentant est énoncée à l’article 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Les articles 112 et 113 de la Loi ainsi que l’article 172 du Règlement sont reproduits, dans les deux langues officielles, dans l’annexe jointe aux présents motifs.

 

[2]               La procédure prévoit un processus à trois étapes menant à la décision du représentant :

 

·        une évaluation des risques par un agent d’ERAR (l’agent évalue les risques);

 

·        le demandeur a la possibilité de faire des commentaires au sujet de l’évaluation des risques en présentant des observations au représentant;

 

·        le représentant prend une décision.

 

Historique

[3]               Le demandeur est né à Cuba le 23 août 1966. Au mois de septembre 1994, il s’est enfui de Cuba sur un radeau; la marine américaine l’a intercepté et il a été incarcéré pendant un an à Guantanamo Bay. Il a été autorisé à entrer aux États‑Unis à titre de réfugié en 1995. Il est apparemment devenu un résident permanent de ce pays, mais il affirme avoir perdu ce statut à cause des crimes qu’il y a commis.

 

[4]               Pendant qu’il était aux États‑Unis, le demandeur a été déclaré coupable de deux infractions : une première infraction, le 15 octobre 1996, pour possession d’une substance désignée (de la cocaïne), pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 à 24 mois, et une seconde infraction, le 11 décembre 1997, pour possession de cocaïne dans le but d’en faire le trafic, pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 à 34 mois, infraction qui, commise au Canada, pourrait donner lieu à une peine d’emprisonnement à perpétuité.

 

[5]               Le demandeur est entré au Canada le 17 février 2000; il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié en alléguant craindre de retourner à Cuba du fait de ses opinions politiques et craindre de retourner aux États‑Unis parce qu’il serait probablement incarcéré par suite de la violation de la loi sur l’immigration américaine. La Section du statut de réfugié a rejeté la revendication le 11 juin 2001. Elle a jugé le demandeur crédible. Le tribunal a conclu qu’étant donné que le demandeur avait quitté Cuba illégalement et qu’il avait vécu aux États‑Unis pendant plus de quatre ans, il y avait lieu de croire à l’existence d’une crainte justifiée de retourner à Cuba. Toutefois, le tribunal a conclu que le demandeur ne pouvait pas obtenir le statut de réfugié étant donné qu’il était exclu en vertu de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention de Genève de 1951, parce qu’il avait commis un crime grave aux États‑Unis, à savoir le trafic de drogue.

 

[6]               Le 4 juillet 2002, le juge Pinard, de la Cour, a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur; à son avis, la Section du statut n’avait pas commis d’erreur. La mesure d’expulsion conditionnelle qui avait été prise contre le demandeur est devenue exécutoire lorsque la revendication du statut de réfugié a été rejetée.

 

[7]               Au mois de mai 2003, en procédant à une évaluation de la demande d’ERAR de M. Delisle, l’agent a exprimé l’avis suivant : [traduction] « Compte tenu de l’évaluation antérieure du dossier d’immigration de l’intéressé, de son profil, de la situation à Cuba et aux États‑Unis, je suis d’avis que l’intéressé sera exposé à une menace à sa vie et qu’il sera exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités par les autorités cubaines s’il est renvoyé à Cuba. » [Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Sous le titre : [traduction] « L’intérêt supérieur de l’enfant », l’agent a dit que le demandeur avait un enfant âgé de deux ans, Alejandro, qui a maintenant sept ans, avec sa conjointe de fait Jo‑Anne Dizazzo. L’agent a également fait remarquer que le demandeur avait mentionné, dans les observations qu’il avait présentées dans le cadre de l’ERAR, que la famille de sa conjointe subvenait aux besoins et s’occupait [traduction] « de celle‑ci, du fils [Tyson, qui a 14 ans] que celle‑ci avait eu lors d’une relation antérieure et du fils qu’ils avaient eu ensemble ». L’agent a également noté que le demandeur avait un enfant à Cuba. Il a tenu compte de l’intérêt supérieur d’Alejandro et de Tyson et il a conclu ce qui suit : [traduction] « À mon avis, la décision à savoir si l’enfant doit suivre l’intéressé ou s’il doit rester au Canada avec sa mère relève en fin de compte du couple. » Sous le titre : [traduction] « Résultat de l’évaluation – Opinion », l’agent n’a pas tiré de conclusion à proprement parler au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[9]               Par une lettre datée du mois de mai 2003, le demandeur a reçu une copie de l’avis de l’agent ainsi que des documents. Le demandeur a également été informé que ces documents seraient envoyés au représentant, qui [traduction] « décidera[it] de l’existence d’un risque de torture, d’une menace à la vie ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités », et qu’il avait la possibilité de soumettre des observations.

 

[10]           Le demandeur et sa conjointe ont répondu le lendemain en disant que le demandeur souscrivait fondamentalement à l’opinion, et en ajoutant ce qui suit : [traduction] « J’aimerais également ajouter que l’intérêt supérieur de mon enfant ne serait pas de vivre uniquement avec sa mère ou avec moi‑même puisqu’il a vécu avec nous deux et avec son frère aîné [...] » Le couple a ensuite fait d’autres commentaires, en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

 

[11]           Comme il en a été fait mention le 15 septembre 2008, le représentant a fait connaître sa décision. En résumé, ses conclusions étaient les suivantes :

 

·        Le demandeur ne serait pas exposé aux risques mentionnés à l’article 97 parce que la situation avait changé à Cuba par suite du transfert de pouvoir (la présidence) de Fidel Castro à son frère, Raoul;

 

·        En confirmant les conclusions de l’agent sur ce point, le représentant a conclu que le demandeur ne serait pas exposé aux risques mentionnés à l’article 97 s’il était renvoyé aux États‑Unis, et ce, pour les motifs suivants : le demandeur avait [traduction] « fait l’objet d’une libération conditionnelle aux États‑Unis, dans le cadre d’un programme spécial »; « le demandeur avait été mis en liberté après avoir purgé sa peine d’emprisonnement étatique et après sa détention USINS (bien qu’il ait un casier judiciaire) »; le demandeur aurait peut‑être de la difficulté à trouver un emploi, mais l’incapacité de trouver un emploi ne constitue pas un risque prévu à l’article 97; la discrimination ne constitue pas un risque prévu à l’article 97 et ni la crainte ni la possibilité d’être détenu aux États‑Unis ne constituent [traduction] « une situation justifiant en soi la protection du Canada »;

 

·        Le demandeur ne constitue pas un danger pour le public parce que les déclarations de culpabilité dont il a fait l’objet au criminel pour des crimes graves ont été prononcées il y a plus de dix ans; le demandeur a exprimé du regret et une récidive est peu probable.

 

[12]           Le 17 octobre 2008, le demandeur a demandé l’autorisation et le contrôle judiciaire de la décision du représentant.

 

Analyse

[13]           Il est bien établi en droit que pour obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi en attendant l’examen de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur doit convaincre la Cour de l’existence de chacun des trois éléments suivants : (1) une question sérieuse à juger; (2) un préjudice irréparable; (3) la prépondérance des inconvénients.

 

a) La question sérieuse à juger

[14]           Dans l’arrêt RJR – MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR – MacDonald), la Cour suprême du Canada a parlé des indicateurs d’une question sérieuse à juger en disant que les exigences minimales n’étaient pas élevées, que le juge saisi de la demande de sursis doit faire un examen préliminaire du fond de l’affaire et qu’une fois convaincu que la demande n’est ni futile ni vexatoire, le juge doit examiner les deux autres critères.

 

[15]           À mon avis, l’avocat du demandeur a au moins soulevé les questions sérieuses suivantes :

 

1)                  Le représentant a‑t‑il appliqué le bon critère juridique pour décider que la situation à Cuba avait changé au point d’éliminer tout risque mentionné à l’article 97 si le demandeur était renvoyé à Cuba?

 

2)                  Le représentant a‑t‑il commis une erreur de fait en omettant de tenir compte de la preuve documentaire pertinente concernant la situation qui existe à Cuba et, plus précisément, en ne faisant aucun commentaire au sujet du rapport du Département d’État des États‑Unis sur Cuba, publié au mois de mars 2008, qu’il avait devant lui?

 

[16]           Je ne crois pas que la question soulevée par le demandeur à savoir si le représentant a tenu compte d’une façon adéquate de l’intérêt supérieur des enfants soit une question sérieuse puisque, dans l’arrêt Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un ERAR n’englobe pas un examen de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[17]           Je note que dans son premier mémoire, déposé le 17 octobre 2008, l’avocat du demandeur avait allégué que le représentant avait outrepassé sa compétence en réexaminant le risque antérieurement évalué par l’agent. L’avocat a abandonné ce point dans ses observations supplémentaires.

 

b) Le préjudice irréparable

[18]           L’avocat du demandeur a invoqué trois moyens indiquant que le demandeur satisfaisait au critère du préjudice irréparable :

 

·        le préjudice irréparable causé par la rupture de la cellule familiale;

 

·        le préjudice irréparable attribuable au fait que la demande de contrôle judiciaire visant l’annulation de la décision du représentant n’aurait plus qu’un intérêt théorique;

 

·        le préjudice irréparable découlant du fait que le demandeur serait probablement détenu aux États‑Unis.

 

[19]           Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré qu’il subira probablement un préjudice irréparable quant aux trois moyens qu’il a avancés.

 

[20]           Premièrement, je reconnais que, dans certaines circonstances, le préjudice irréparable englobe ce type de préjudice pour la cellule familiale (voir Kahn c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 1107, au paragraphe 27), mais, après avoir lu les affidavits du demandeur et ceux de sa conjointe Jo‑Anne Dizazzo, je ne suis pas convaincu que le demandeur ait établi un préjudice plus grave que celui qui est normalement associé à l’exécution d’une mesure légitime d’expulsion. À mon avis, le préjudice que le demandeur et sa conjointe ont établi est inhérent à la nature d’une expulsion comportant le renvoi d’un membre de la famille. Le demandeur devait démontrer que sa situation particulière et celle de sa cellule familiale révélaient un type de préjudice spécial et unique par suite du renvoi. Or le demandeur a omis de le faire.

 

[21]           Deuxièmement, l’avocat du demandeur invoque la décision Solis Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 663, ainsi que d’autres décisions à l’appui de la thèse selon laquelle s’il est renvoyé, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’aura plus qu’un intérêt théorique puisqu’il ne sera plus au Canada.

 

[22]           Dans une décision fort récente rendue le 27 octobre 2008, portant sur une expulsion aux États‑Unis, Lakha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al.), 2008 CF 1204 (Lakha), mon collègue le juge Mosley a eu l’occasion de faire des remarques sur ce point.

 

[23]           Aux paragraphes 21 et 22, le juge Mosley a fait les remarques suivantes, auxquelles je souscris :

 

[21]      Les décisions susmentionnées ne me portent pas à conclure qu’une demande de contrôle judiciaire devient sans objet chaque fois que le demandeur a été renvoyé du Canada. Dans la présente affaire, peut‑être n’y aurait‑t‑il plus de « litige actuel » entre les parties en ce qui concerne la décision d’ERAR si le demandeur n’était plus au Canada : Perez, précitée, paragraphe 26. Cependant, la décision de la Cour que la demande de contrôle judiciaire est sans objet, ainsi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’entendre l’affaire – dans le cas où la Cour décide que la demande est effectivement sans objet – dépendront des faits de chaque affaire.

 

[22]      En l’espèce et vu la preuve dont je dispose, je ne suis pas prêt à conclure que le renvoi du demandeur aux États‑Unis rendrait sans objet la contestation de la décision de l’agente d’ERAR, contestation présentée par le demandeur. Cependant, même si j’acceptais cet argument, je ne serais pas d’accord avec le demandeur, qui soutient que d’une telle conclusion découlerait un préjudice irréparable. Il est encore loisible au demandeur de solliciter la protection des États‑Unis.

 

 

[24]           Enfin, dans l’arrêt Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 165, le juge Evans a dit ce qui suit aux paragraphes 18, 19 et 20 :

 

      18        Les Palka soutiennent que, si on leur refuse le sursis qu’elles réclament, leur appel de la décision de la juge Mactavish sera illusoire, étant donné qu’il sera rejeté en raison de son caractère théorique, ce qui, à leur avis, constitue un préjudice irréparable. Je ne suis pas de cet avis.

 

            19        Premièrement, même si leur appel est théorique, la Cour peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, décider de l’examiner quand même au motif que la question certifiée par la juge Mactavish peut se poser de nouveau et être susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux. À cet égard, je relève que la question certifiée a fait l’objet d’autres décisions de la Cour fédérale et qu’elle présente de toute évidence un certain degré de difficulté.

 

            20        Deuxièmement, même si le refus d’accorder un sursis ne rend pas l’appel illusoire, cette mesure n’entraîne pas nécessairement un préjudice irréparable. Tout dépend des faits de l’espèce (El Ouadi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42). Dans le cas qui nous occupe, la Commission et l’agent d’ERAR ont rendu des décisions défavorables en réponse à des demandes fondées sur une crainte de subir un préjudice corporel en Pologne. Vu ces conclusions, je ne suis pas convaincu que les déclarations relatées contenues dans l’affidavit qui a été souscrit aux fins de la présente instance établissent que Jadwiga serait exposée à un risque de violence si elle retournait en Pologne.

 

[25]           Par conséquent, le demandeur a échoué sur ce point.

 

[26]           Troisièmement, l’avocat du demandeur affirme que si M. Delisle est renvoyé aux États‑Unis, il sera détenu parce qu’aucun statut ne lui est reconnu dans ce pays. À l’appui de cette thèse, le demandeur a produit une lettre datée du 19 octobre 2008 de la coordinatrice des services juridiques, Vermont Refugee Assistance Inc., dans laquelle les opinions suivantes sont exprimées :

 

·        [traduction] « Nous avons appris qu’il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion aux États‑Unis parce que deux déclarations de culpabilité au criminel ont été prononcées contre lui, [et que, par conséquent,] [...] il risque fort d’être détenu à son arrivée. En outre, aucun cautionnement ne sera fixé pour sa mise en liberté et il risquera d’être détenu fort longtemps. »

 

·        La coordinatrice dit que si le demandeur est arrêté par les autorités américaines en entrant aux États‑Unis par Lacolle [traduction] « il risquera d’être détenu dans la prison de Clinton County, à Plattsburg (New York), où la majorité des détenus sont incarcérés pour des activités criminelles », et qu’il n’est aucunement tenu compte de ceux qui sont incarcérés pour des motifs liés à l’immigration.

 

[27]           Avec égards, je ne puis accorder aucun poids à cette opinion, parce qu’elle est fondée sur l’hypothèse selon laquelle le demandeur a été expulsé des États‑Unis, soit un fait qui n’est établi nulle part dans la preuve et qui est contraire à celle‑ci.

 

[28]           Il existe une longue série de décisions de la Cour portant qu’en l’absence d’une preuve précise versée au dossier, le renvoi aux États‑Unis ne constitue pas un préjudice irréparable, même si la personne en cause peut être détenue, étant donné qu’il est présumé que les États‑Unis traitent d’une façon équitable les personnes qui sont détenues. La série de décisions a été mentionnée par le juge Nadon dans la décision Mikhailov c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 642, poursuivie dans la décision Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1182, reprise dans la décision Joao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 880, et confirmée dans des décisions telles que Perry c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 378, et Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al.), 2007 CF 97.

 

[29]           Récemment, dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, la Cour d’appel fédérale a conclu que les institutions gouvernementales américaines étaient dotées d’un système démocratique de freins et contrepoids et d’un appareil judiciaire indépendant et qu’il existait des protections constitutionnelles assurant l’application régulière de la loi, ce qui a, comme j’aimerais le rappeler, récemment été confirmé par la Cour suprême des États‑Unis dans des affaires d’habeas corpus mettant en cause des individus détenus à Guantanamo après le 11 septembre 2001.

 

[30]           L’avocat du demandeur fait également valoir que les États‑Unis l’expulseront à Cuba, où il est en danger. L’avocat affirme que le demandeur n’a pas de statut juridique aux États‑Unis.

 

[31]           Dans la décision Lakha, le juge Mosley a également eu la possibilité d’examiner ce point. Il a dit qu’il incombait au demandeur d’établir qu’il serait renvoyé en République populaire de Chine et qu’il subirait un préjudice irréparable, et que le demandeur avait omis de le faire. Le juge a conclu qu’il n’était pas prêt à avancer l’hypothèse « que les autorités des États‑Unis le renverr[aient] en Chine ».

 

[32]           J’ai devant moi la même situation. Aucun élément de preuve n’a été soumis à la Cour en vue de démontrer que les États‑Unis renverraient le demandeur dans le pays dont il a la nationalité. Pareille preuve a été fournie dans d’autres causes examinées par la Cour fédérale. Cette preuve, présentée au moyen d’un affidavit établi par des conseillers américains en immigration, portait sur des points tels que le statut de la personne en cause lorsqu’elle entrerait de nouveau aux États‑Unis après son renvoi du Canada, la possibilité pour cette personne de demander l’asile aux États‑Unis, la probabilité qu’elle soit mise en liberté moyennant la remise d’un cautionnement ou de quelque autre façon et sa capacité de demander le retrait de la procédure de renvoi des États‑Unis.

 

[33]           La simple affirmation que le demandeur n’a aucun statut juridique aux États‑Unis n’établit pas en soi une intention de la part des États‑Unis de l’expulser à Cuba. C’est ce qui ressort d’une autre décision récemment rendue par le juge Mosley le 5 novembre 2008 dans l’affaire Wangden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al.), 2008 CF 1230, portant également sur un renvoi aux États‑Unis. Le juge Mosley avait à sa disposition une abondante preuve par affidavit. Il ressort de cette preuve qu’il y a, aux États‑Unis, différents genres de statuts de migrants, que les États‑Unis ont signé la Convention, qui renferme une obligation de ne pas renvoyer une personne dans un pays où elle serait en danger, et que le mécanisme de retrait du processus de renvoi (qui correspond à un ERAR restreint tel que celui qui est prévu au paragraphe 112(3) de la Loi) assure le respect par les États‑Unis des obligations imposées par la Convention à l’égard du non‑refoulement.

 

[34]           À mon avis, eu égard aux circonstances précises de l’affaire, en particulier le fait qu’un certain type de statut semble avoir été accordé au demandeur après qu’il s’est enfui de Cuba, le demandeur était tenu de se montrer ouvert devant la Cour en expliquant quel était son statut et en faisant savoir s’il disposait d’un recours dans le cadre du système judiciaire américain si les États‑Unis indiquaient leur intention de le renvoyer à Cuba. Or le demandeur a également omis de le faire. Par conséquent, l’argument fondé sur le préjudice irréparable découlant du renvoi ne repose que sur des conjectures et ne peut donc pas être retenu.

 

c) La prépondérance des inconvénients

[35]           Puisque l’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été établie, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du ministre lorsqu’il s’agit de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 48 de la Loi de renvoyer le demandeur dès que les circonstances le permettent.

 

[36]           Pour ces motifs, la présente demande de sursis sera rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de sursis soit rejetée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


 

ANNEXE « A »

 

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (2001, ch. 27)

 

Demande de protection

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

 

Immigration and Refugee Protection Act (2001, c. 27)

 

Application for protection

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

Exception

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

 

Exception

 

(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

 

 

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

 

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 

Restriction

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

 

Restriction

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

 

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 8;

 

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

 

Demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi

 

172. (1) Avant de prendre sa décision accueillant ou rejetant la demande de protection du demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre tient compte des évaluations visées au paragraphe (2) et de toute réplique écrite du demandeur à l’égard de ces évaluations, reçue dans les quinze jours suivant la réception de celles‑ci.

 

 

Immigration and Refugee Protection Regulations (SOR/2002‑227)

 

Applicant described in s. 112(3) of the Act

 

 

172. (1) Before making a decision to allow or reject the application of an applicant described in subsection 112(3) of the Act, the Minister shall consider the assessments referred to in subsection (2) and any written response of the applicant to the assessments that is received within 15 days after the applicant is given the assessments.

 

Évaluations

 

(2) Les évaluations suivantes sont fournies au demandeur :

 

 

Assessments

 

(2) The following assessments shall be given to the applicant:

 

a) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi;

 

 

(a) a written assessment on the basis of the factors set out in section 97 of the Act; and

 

b) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi, selon le cas.

 

 

(b) a written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act, as the case may be.

 

Certificat

 

(2.1) Malgré le paragraphe (2), aucune évaluation n’est fournie au demandeur qui fait l’objet d’un certificat tant que le juge n’a pas décidé du caractère raisonnable de celui‑ci en vertu de l’article 78 de la Loi

 

 

Certificate

 

(2.1) Despite subsection (2), no assessments shall be given to an applicant who is named in a certificate until a judge under section 78 of the Act determines whether the certificate is reasonable.

 

Moment de la réception

 

(3) Les évaluations sont fournies soit par remise en personne, soit par courrier, auquel cas elles sont réputées avoir été fournies à l’expiration d’un délai de sept jours suivant leur envoi à la dernière adresse communiquée au ministère par le demandeur.

 

 

When assessments given

 

(3) The assessments are given to an applicant when they are given by hand to the applicant or, if sent by mail, are deemed to be given to an applicant seven days after the day on which they are sent to the last address that the applicant provided to the Department.

 

Demandeur non visé à l’article 97 de la Loi

 

(4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

 

 

Applicant not described in s. 97 of the Act

 

(4) Despite subsections (1) to (3), if the Minister decides on the basis of the factors set out in section 97 of the Act that the applicant is not described in that section,

 

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

 

 

(a) no written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act need be made; and

 

b) la demande de protection est rejetée.

 

 

(b) the application is rejected.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4539‑08

 

INTITULÉ :                                                   ARNALDO ACHI DELISLE

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE TENUE

PAR TÉLÉCONFÉRENCE :                        Ottawa (Ontario) et Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE

TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE :         Le 4 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         Le 26 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

Claudia Gagnon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Saint‑Pierre, Grenier, Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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