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Date : 20081125

Dossier : IMM‑1871‑08

Référence : 2008 CF 1310

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD SADIQ QARIZADA

HAMIRA HAMIRA

ALHAM NAVEED QARIZADA

AHMAD OMID QARIZADA

REDWANA QARIZADA

SEBGHATULLAH QARIZADA

NASEER AHMAD QARIZADA

SHAHIR AHMAD QARIZADA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, M. Muhammad Sadiq Qarizada, sa femme et leurs six enfants sont citoyens de l’Afghanistan et résident à Peshawar, au Pakistan. Ils demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 14 février 2008 par une agente des visas au Haut‑commissariat du Canada à Islamabad, dans laquelle leur demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugiés au sens de la Convention ou à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil a été rejetée.

 

[2]               La demande des demandeurs est fondée sur la crainte de M. Qarizada d’être persécuté par un commandeur de la milice, Ahmed Khan, dans leur ville d’Aibak, dans la province de Samangan en Afghanistan. Ils soutiennent qu’en 1992, le commandeur Khan a tenté de forcer la sœur de M. Qarizada, Razia, à l’épouser. M. Qarizada s’est opposé au mariage et, par conséquent, a été emprisonné pendant deux mois. Pendant qu’il était détenu, il a été torturé. Des anciens de la communauté sont intervenus en son nom pour obtenir sa libération. La famille, y compris Razia, a alors traversé la frontière pour se rendre à Peshawar. En 2000, le fils aîné a été kidnappé à Peshawar et a été détenu pendant trois mois. M. Qarizada attribue cet enlèvement à l’animosité du commandeur Khan envers lui.

 

[3]               Le dossier des demandeurs comprend un document qui porte le titre de [traduction] « Résumé des circonstances, complété en partie par ses notes personnelles », et comprend un récit de la demande de protection de M. Qarizada. En plus de décrire la tentative de mariage forcé, l’emprisonnement et la torture susmentionnés, le récit relie le départ de la famille au soulèvement général qui a eu lieu suite au changement de régime en 1992. Il se peut que M. Qarizada ait été partisan du mauvais côté lorsque le gouvernement afghan a été détrôné. Le récit mentionne [traduction] « [des] antécédents avec le général Dostum ». Dostum était un commandeur de la milice dont le changement d’allégeance a contribué à la chute du régime Najibullah en 1992.

 

[4]               En 2004, la famille est retournée en Afghanistan. Le récit de M. Qarizada précise qu’il espérait que les choses aient suffisamment changé pour que sa famille puisse reprendre leur vie normale. Ils avaient une terre et un commerce à Aibak qu’ils ont tenté de reprendre, sans succès. Ces propriétés avaient été données à une famille qui s’était battue du côté de Dostum. Ahmed Khan était devenu chef des garnisons militaires de Samangan et il était contre le retour de M. Qarizada.

 

[5]               Le dossier n’indique pas clairement combien de temps la famille est restée en Afghanistan pendant cette visite. Il se peut que leur retour à Peshawar ait eu lieu après seulement quelques mois, ou jusqu’à un an plus tard. La sœur, Razia, semble alors avoir épousé quelqu’un d’autre. En juin 2006, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente au Canada avec l’appui d’un groupe religieux situé à Vancouver.

 

[6]               L’agente des visas a reçu M. et Mme Qarizada en entrevue le 12 février 2008 au Haut‑commissariat à Islamabad. L’entrevue a eu lieu dans la langue dari avec l’aide d’un interprète. Le dossier dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) de l’agente comprend un certain nombre d’incohérences, mais mentionne le récit de l’animosité du commandeur Khan comme fondement de la demande. L’agente a noté que Razia habitait à Peshawar avec son nouvel époux, mais que la mère et l’autre sœur de M. Qarizada habitaient toujours librement dans la province de Samangan. La mère et les deux frères de Mme Qarizada habitent à Kaboul. Lorsqu’on leur a demandé pourquoi ils ne souhaitaient pas déménager à Kaboul, M. Qarizada a déclaré que le commandeur les y suivrait. Son épouse a répondu qu’ils souhaitaient obtenir une meilleure éducation pour leurs enfants au Canada.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[7]               La demande a été rejetée dans une lettre de décision datée du 14 février 2008. Les notes du STIDI de l’agente forment aussi une partie du dossier certifié. Le défendeur a présenté l’affidavit que l’agente a préparé le 19 septembre 2008. Ce document explique les antécédents et l’expérience de l’agente et décrit l’entrevue qui a eu lieu avec les demandeurs à Islamabad. Bien qu’il ne fasse pas partie de ses motifs de décision, l’affidavit fournit des renseignements additionnels tel que le fait que, bien que les conditions étaient difficiles, de nombreux millions de réfugiés étaient retournés en Afghanistan, y compris à Kaboul, où les demandeurs ont des membres de la famille proche.

 

[8]               Les parties importantes de la lettre de décision se lisent comme suit :

[traduction]

J’ai maintenant terminé l’évaluation de votre demande de visa de résident permanent au Canada à titre de membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[…]

J’ai examiné attentivement tous les renseignements dans votre demande et je ne suis pas convaincue que vous avez été et que vous êtes toujours personnellement et sérieusement affecté par un conflit armé, une guerre civile ou une violation massive des droits de la personne en Afghanistan.

 

Vos raisons pour votre refus de retourner vivre en Afghanistan semblent être principalement liées à l’animosité personnelle d’un commandeur envers vous, qui aurait censément fait une proposition de mariage défavorable à votre sœur et qui occupe censément votre commerce et votre maison. Je ne crois pas crédible ou raisonnable que vous craignez ce commandeur au point que vous fondiez une demande de protection sur cette crainte, alors que votre sœur, l’objet de la proposition de mariage du commandeur, semble vivre librement au Pakistan avec un nouvel époux, malgré la proposition du commandeur, et alors que votre mère et votre autre sœur habitent librement à proximité du commandeur dans leur province natale en Afghanistan. Bien que je comprenne votre vœux sincère d’offrir à vos enfants une éducation de qualité et d’être réuni avec les membres de votre famille au Canada, je ne peux pas conclure que vous satisfaites à la définition de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

Compte tenu du mouvement de rapatriement volontaire qui a un soutien international, du manque de circonstances précises démontrant l’existence de conséquences graves et personnelles, je ne suis pas convaincue que vous satisfaites à la définition de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

Le cadre légal

 

[9]               La lettre de refus de l’agente des visas mentionne les articles 139 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

 

[10]           Conformément au paragraphe 139(1) du Règlement, un visa de résident permanent sera délivré à un étranger qui réclame la protection s’il est établi, entre autres, que l’étranger est membre d’une des catégories prévues à la partie 8, section 1 du Règlement et qu’aucune possibilité raisonnable de solution viable n’est, à son égard, réalisable dans un pays autre que le Canada. Les « solutions viables » énoncées à l’alinéa 139(1)d) du Règlement sont : (i) le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité; (ii) la réinstallation dans un autre pays.

 

[11]           L’article 147 du Règlement prévoit qu’appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

 

Les questions en litige

 

 

[12]           De façon préliminaire, le défendeur s’oppose à l’inclusion dans le dossier des demandeurs de plusieurs documents qui n’avaient pas été présentés à l’agente des visas. Ces documents portent sur la situation dans le Nord de l’Afghanistan après la chute du gouvernement Taliban à la fin 2001 et, d’après l’avocat des demandeurs, ils ont été présentés afin de confirmer l’existence du commandeur Khan ainsi que son rôle comme chef du conseil militaire de Samangan dans l’administration intérimaire de l’Afghanistan.

 

[13]           Les demandeurs soutiennent que ces renseignements sont admissibles en vertu de l’exception, prévue par l’équité procédurale, au principe général selon lequel des documents qui n’ont pas été présentés au décideur ne doivent pas être examinés en contrôle judiciaire : Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133, au paragraphe 44. Les demandeurs soutiennent, en ce qui a trait au manquement à l’équité procédurale, que l’agente des visas n’a pas effectué une évaluation de la situation au Nord de l’Afghanistan à l’époque pertinente. Les nouveaux documents au dossier sont des preuves de la situation du pays comme celles que l’agente aurait dû examiner.

 

[14]           Les autres allégations d’erreur sont les suivantes : l’agente a fondé sa conclusion sur des questions qui n’étaient pas pertinentes, ses conclusions au sujet de la crédibilité n’étaient pas raisonnables et elle n’a pas tenu compte de la preuve dont elle était saisie. Les demandeurs soutiennent aussi que les motifs de décision de l’agente sont inadéquats et que, par conséquent, ils constituent un autre manquement à l’équité procédurale.

 

La norme de contrôle

 

[15]           Lorsqu’on peut déterminer, à partir de la jurisprudence existante, la norme de contrôle applicable, il n’est pas nécessaire d’effectuer l’analyse de contrôle habituelle : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9. La jurisprudence a conclu que la question de savoir si un demandeur fait partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention à l’étranger ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil est une question mixte de faits et de droit et la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable : Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785, [2008] A.C.F. no 986 (QL); Nasir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 504, [2008] A.C.F. no 634 (QL); Krishnapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 244, [2005] A.C.F. no 302 (QL).

 

[16]           Par conséquent, l’analyse de la décision de l’agente tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[17]           La Cour ne doit intervenir au sujet des conclusions de fait de l’agente que s’il est établi que la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve : alinéa 18.1(4)d), Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985. Avant l’arrêt Dunsmuir, il avait été déterminé que les conclusions de fait dans un contexte administratif relevaient clairement des responsabilités de l’agent et que la décision manifestement déraisonnable était la norme de contrôle applicable : Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, [2006] A.C.F. no 703 (QL), au paragraphe 23.

 

[18]           La décision correcte est la norme de contrôle applicable à l’équité procédurale et un manquement à cette équité entraînera généralement, mais pas toujours, l’annulation de la décision : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539; Uniboard Surfaces Inc. c. Kronotex Fussboden GmbH and Co., 2006 CAF 398, [2006] A.C.F. no 1837 (QL), au paragraphe 13.

 

Observations

 

[19]           Les notes du STIDI de l’agente et la lettre de décision indiquent qu’elle n’a pas cru possible que M. Qarizada craigne le commandeur au point où il présenterait une demande de protection alors que sa sœur Razia, l’objet des avances du commandeur, se trouvait juste de l’autre côté de la frontière au Pakistan et que sa mère et son autre sœur continuaient d’habiter en Afghanistan. Les demandeurs soutiennent que ces faits n’ont aucune pertinence quant à la question essentielle dans leur demande, soit à savoir si M. Qarizada serait exposé à un risque sérieux de persécution s’il retournait en Afghanistan. Ils font valoir que l’agente a commis une erreur en fondant en partie sa décision sur le fait que d’autres membres de la famille n’avaient pas été persécutés.

 

[20]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’agente a tiré des conclusions en se fondant sur de simples conjectures et hypothèses sans tenir compte de la situation sociopolitique, culturelle et personnelle des demandeurs et sans se fonder sur la preuve.

 

[21]           De plus, les demandeurs font valoir que bien que l’agente ait mentionné dans ses motifs l’arrestation et l’emprisonnement de M. Qarizada en 1992, elle n’a pas traité du fait qu’il avait été torturé pendant sa détention. Par conséquent, l’agente n’a pas tenu compte du fond de leur demande ni de la totalité de la preuve. Si l’agente croyait que les raisons pour lesquelles M. Qarizada demandait la protection avaient cessé d’exister, elle avait alors l’obligation de déterminer si la persécution qu’il avait subie par le passé constituait des « raisons impérieuses » justifiant une exception en vertu de l’article 108 de la LIPR.

 

[22]           De plus, les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas tenu compte du fait que, bien qu’ils n’aient pas souffert de violence physique lors de leur bref retour en Afghanistan, l’accumulation de la torture, la saisie du commerce et de la terre, ainsi que les répercussions de ces actes sur la capacité de M. Qarizada de gagner un salaire, constituaient de la persécution.

 

[23]           Finalement, les demandeurs soutiennent que les motifs de l’agente sont inadéquats parce qu’ils ne présentent pas d’explication transparente sur la façon dont elle a pris sa décision.

 

[24]           Le défendeur soutient que compte tenu des faits qui avaient été présentés à l’agente, ses conclusions étaient raisonnables. Ces faits étaient, entre autres, que :

a.       16 ans s’étaient écoulés depuis que le commandeur avait fait arrêter, emprisonner et torturer M. Qarizada pour forcer Razia à l’épouser;

b.      le commandeur avait été persuadé à libérer M. Qarizada;

c.       il n’existait aucune preuve réelle, sauf des conjectures, que l’enlèvement du fils de M. Qarizada au Pakistan était lié au commandeur;

d.      M. Qarizada et sa famille sont retournés dans leur ville en Afghanistan après le présumé enlèvement;

e.       Razia est maintenant mariée;

f.        la mère et l’autre sœur de M. Qarizada habitent en Afghanistan et n’ont eu aucun problème avec le commandeur;

g.       sauf pour la saisie de la terre et du commerce pendant leur absence de 12 ans et le refus de leur rendre, M. Qarizada et sa famille n’ont souffert d’aucun préjudice de la part du commandeur pendant leur séjour en Afghanistan en 2004.

 

[25]           La preuve portant sur les autres membres de la famille est, selon le défendeur, pertinente quant à la décision. L’agente pouvait raisonnablement conclure, en se fondant sur cette preuve, que si le commandeur voulait utiliser la violence physique contre M. Qarizada pour pouvoir épouser de force Razia, il pouvait utiliser cette même violence envers toute la famille de M. Qarizada.

 

[26]           En ce qui a trait à l’argument selon lequel l’agente n’a pas tenu compte de la preuve documentaire au sujet de la situation du pays en Afghanistan, le défendeur soutient que rien ne démontre que de tels renseignements ont été présentés à l’agente pour qu’elle les examine et que l’agente n’avait aucune obligation légale d’effectuer sa propre recherche. La Cour devrait supposer que l’agente a tenu compte de toute la preuve. Elle n’avait pas l’obligation de mentionner chacune des preuves dans ses motifs. Les motifs étaient clairs et suffisants pour expliquer sa décision. D’après les faits en l’espèce, la possibilité d’une persécution cumulative ne pouvait pas être soulevée. L’exception portant sur les motifs impérieux ne s’applique pas en l’espèce, d’après le défendeur, parce que l’agente ne croyait pas qu’il existait une demande valide dès le départ. Rien ne donne à penser que la perte du terrain et du commerce affecterait la capacité du demandeur principal de gagner sa vie.

 

Analyse

 

[27]           En observation préliminaire, je tiens à noter qu’une grande partie de la jurisprudence que les demandeurs ont présentée à l’appui de leurs arguments aide très peu la Cour, puisqu’elle découle de procédures de la Section de la protection des réfugiés dans un contexte quasi judiciaire. En l’espèce, l’agente prenait une décision administrative fondée sur les documents qui lui avaient été présentés par les demandeurs et sur les résultats de son entrevue avec eux. L’agente avait l’avantage de ses sept ans d’expérience en Asie et, bien qu’elle se trouvait en affectation temporaire pour traiter les demandes à Islamabad, il découle clairement de ses notes qu’elle s’était penchée sur les questions pertinentes qu’elle devait traiter en vertu du cadre réglementaire.

 

[28]           La demande dont l’agente était saisie n’était pas fondée sur la situation générale en Afghanistan après plusieurs décennies d’insurrection et de guerre civile, mais plutôt sur la prétendue animosité du commandeur Khan envers le demandeur principal, découlant du refus de ce dernier de permettre au commandeur d’épouser sa sœur. L’agente n’avait pas l’obligation d’effectuer une recherche et de mentionner des preuves sur la situation du pays pour traiter des questions qui n’avaient pas été soulevées et qui n’étaient pas fondées dans la preuve : Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785, au paragraphe 25. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les demandeurs soutenaient que la situation en Afghanistan était telle qu’ils ne pouvaient pas trouver de solution viable dans une quelconque région du pays s’ils devaient y être rapatriés.

 

[29]           Les nouveaux documents dans le dossier des demandeurs, qui sont, selon les demandeurs, du type de ceux que l’agente aurait dû examiner, sont constitués d’extraits d’articles qui portent sur la situation dans les provinces au Nord de l’Afghanistan après la défaite des Talibans. Les documents portent principalement sur la composition des forces militaires, sur les efforts de reconstruction et sur la persécution de la minorité pachtoune dans la région. Les supporters des Talibans étaient principalement des Pachtounes. La majorité est d’origine ethnique ouzbèke ou tadjike. Les demandeurs sont d’origine ethnique tadjike. Le fait que le commandeur Khan existe et qu’il était responsable des forces de la milice dans la province en 2004 n’est pas contredit. Le reste des renseignements n’est pas pertinent quant à la demande des demandeurs.

 

[30]           Je conviens avec le défendeur qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Premièrement, rien ne donne à penser que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve documentaire au sujet de la situation dans la région à l’époque en question. De toute façon, de telles preuves documentaires, y compris les rapports sur la situation du pays, auraient dû être présentées dans le cadre de la demande si les demandeurs souhaitaient que l’agente les examine. Quant au caractère adéquat de ses motifs, la lettre de décision et les notes du STIDI forment un dossier complet quant à la façon dont elle a pris sa décision et elles sont suffisamment claires.

 

[31]           Il ne s’agit pas ici d’une affaire, comme c’est le cas dans la décision Puventhirarasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 947, que les demandeurs ont citée, dans laquelle l’agent n’a pas tenu compte des risques actuels auxquels les demandeurs feraient face s’ils retournaient dans leur pays d’origine, peu importe leur crédibilité. Dans l’affaire en l’espèce, l’agente a conclu que les demandeurs s’étaient réclamés à nouveau de la protection du pays dont ils avaient la nationalité en 2004 et qu’ils n’avaient subi aucun préjudice. Le fait qu’ils aient été incapables de récupérer la propriété qu’ils avaient abandonnée douze ans plus tôt lorsqu’ils s’étaient enfuis n’est pas, en soi, une preuve de persécution continue.

 

[32]           Dans ses notes ou sa lettre de décision, l’agente ne mentionne pas de façon précise la torture qui aurait eu lieu en 1992. L’absence d’une telle mention n’est pas suffisante pour conclure que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve lorsqu’elle a pris sa décision. Ses notes indiquent qu’elle a posé des questions sur la façon dont M. Qarizada avait obtenu sa libération. Le défaut de mentionner ce point de la demande ne vicie pas la décision. Les notes et les motifs de l’agente démontrent clairement qu’elle ne croyait pas que la demande était valide.

 

[33]           Les conclusions de l’agente quant à la crédibilité minent aussi l’argument des demandeurs selon lequel l’exception portant sur les raisons impérieuses s’applique. Pour pouvoir se fonder sur cette exception, il faut que l’agente ait d’abord conclu que le demandeur avait une demande valide par le passé et que les motifs sous‑jacents avaient cessé d’exister : Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343. En l’espèce, l’agente n’a pas conclu que la demande était valide, puisqu’elle ne croyait pas que la crainte de persécution de M. Qarizada était fondée.

 

[34]           Bien que je convienne avec les demandeurs qu’un agent des visas ne devrait pas fonder sa décision uniquement sur le manque de persécution des autres membres de la famille, en l’espèce, l’agente pouvait mentionner la situation de la famille immédiate à l’appui de sa conclusion selon laquelle le récit des demandeurs n’était pas crédible. Un décideur peut avoir recours au bon sens pour évaluer la crédibilité des allégations d’un demandeur : Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.). À mon avis, c’est ce que l’agente a fait en l’espèce.

 

[35]           L’agente a conclu qu’il était peu probable que toute la famille, y compris la personne visée par les affections du commandeur, Razia, aient pu retourner à Aibak pendant une certaine période et que la mère et l’autre sœur du demandeur principal aient pu y rester sans être persécutées, si la crainte subjective de M. Qarizada était réelle. Compte tenu de la preuve, il s’agissait là d’un raisonnement adéquat qui appuyait la conclusion de l’agente au sujet de la crédibilité des demandeurs.

 

[36]           En conclusion, je suis convaincu que l’agente s’est penchée tant sur la preuve portant sur la persécution passée que sur la situation actuelle au pays. La décision n’était pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve, elle appartenait aux issues possibles, acceptables et elle peut se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’a été présentée pour la certification.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM‑1871‑08

 

INTITULÉ :                                       MUHAMMAD SADIQ QARIZADA

                                                            HAMIRA HAMIRA

                                                            ALHAM NAVEED QARIZADA

                                                            AHMAD OMID QARIZADA

                                                            REDWANA QARIZADA

                                                            SEBGHATULLAH QARIZADA

                                                            NASEER AHMAD QARIZADA

                                                            SHAHIR AHMAD QARIZADA

 

                                                            c.

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Puddicombe

 

POUR LES DEMANDEURS

Caroline Christiaens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WARREN PUDDICOMBE

Elgin, Canon & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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