Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20081121

Dossier : T‑2206‑05

Référence : 2008 CF 1305

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

STRAUSS ENTERPRISES LTD.,

faisant affaire sous le nom de STRAUSS HERB COMPANY

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Strauss Enterprises Ltd. (Strauss) est une société de la Colombie‑Britannique qui fabrique et vend des produits de santé naturels à base d’herbes officinales. Dans la présente instance, Strauss conteste la validité d’une décision de Santé Canada de classifier l’un de ses produits (le Strauss Energy SIX) comme drogue de l’annexe F, en application du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le Règlement AD). Une telle classification signifie que la vente au détail du Strauss Energy SIX doit se faire sur présentation d’une ordonnance médicale. Strauss fait valoir que le Strauss Energy SIX devrait être classifié et réglementé comme produit de santé naturel, en application du Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003‑196 (le Règlement PSN). Une telle classification exigerait une licence de produit, mais non la présentation d’une ordonnance médicale. Strauss fait valoir aussi que Santé Canada a pris sa décision au mépris de son obligation d’équité, en particulier parce que la société n’a pas été suffisamment consultée avant que la décision ne soit prise.

 

[2]               Le ministre affirme que sa décision de classifier le Strauss Energy SIX comme drogue de l’annexe F était fondée en droit et qu’il n’était astreint ici à aucune obligation d’équité. Subsidiairement, le ministre dit que Strauss a toujours été traitée équitablement et que, dans la mesure où il y avait obligation d’équité, cette obligation a été remplie.

 

a.                  Le contexte

[3]               Jusqu’à ce que le Strauss Energy SIX soit volontairement retiré du marché, il était présenté et vendu par Strauss comme stimulant énergétique. Durant une certaine période, le produit était également promu comme aphrodisiaque. Le Strauss Energy SIX est un produit de composition, sous forme de gélules, fabriqué à partir de plusieurs sources végétales, dont la racine de salsepareille, l’écorce de yohimbehe, la feuille de damiana, l’origan, l’hysope officinale, la feuille de molène et le piment de Cayenne. C’est la présence de l’écorce de yohimbehe dans ce produit qui est à l’origine du présent différend entre les parties.

 

[4]               L’écorce de yohimbehe vient de l’arbre africain appelé yohimbehe. En Afrique, on utilise de longue date cette écorce comme stimulant naturel. On croit aujourd’hui que c’est la présence de l’alcaloïde « yohimbine », dans l’écorce de yohimbehe, qui produit l’effet stimulant souhaité.

 

[5]               La yohimbine est un composé auquel s’intéresse Santé Canada depuis environ 1984. C’est vers cette époque‑là que « la yohimbine et ses sels » ont été ajoutés à la liste de drogues de Santé Canada pour lesquelles une vente au détail requiert une ordonnance médicale. Le dossier historique révèle que l’agent chargé de la réglementation avait conclu que la yohimbine [traduction] « n’est pas un produit qui se prête à l’automédication ». À l’époque, certaines des réactions physiologiques à la yohimbine qui furent recensées étaient un accroissement de la tension artérielle et du rythme cardiaque, et parfois une stimulation du système nerveux central. Les premiers comptes rendus ne font pas explicitement mention de l’écorce de yohimbehe, mais ils précisent que les [traduction] « produits contenant de la yohimbine » devront être réglementés.

 

[6]               Au début de 2003, Strauss fut accusée d’avoir vendu illégalement, sans ordonnance, le Strauss Energy SIX, une drogue énumérée dans l’annexe F du Règlement AD, en violation de l’article C.01.041 du Règlement AD et de l’alinéa 31a) de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27. Strauss fut également accusée d’une infraction connexe se rapportant à l’étiquetage de son produit. Les deux accusations furent finalement suspendues par la Couronne le 16 juillet 2004.

 

[7]               En 2005, Santé Canada a signifié une mise en demeure à Strauss en rapport avec le Strauss Energy SIX et un autre produit Strauss. Les communications entre les parties concernant les exigences de Santé Canada sont détaillées plus loin, dans le contexte de l’argument de Strauss portant sur l’équité. Qu’il suffise de dire que c’est cette mise en demeure qui a conduit Strauss à contester, par la présente procédure, la manière dont Santé Canada interprète la réglementation.

 

[8]               Santé Canada affirme que le Strauss Energy SIX contient la drogue de l’annexe F appelée « yohimbine », et que la vente au détail de ce produit requiert donc une ordonnance. Strauss dit que Santé Canada interprète incorrectement la réglementation applicable parce que le Strauss Energy SIX contient de l’« écorce de yohimbehe », qui n’est pas une substance mentionnée dans l’annexe F du Règlement AD. C’est là la difficulté d’interprétation qu’il est demandé à la Cour de trancher.

 

[9]               Strauss qualifie de décision de reclassification la décision de Santé Canada de donner effet à son interprétation de l’annexe F. Ayant vendu ce produit durant plusieurs années sans la moindre objection de la part de Santé Canada, Strauss fait valoir que la mise en demeure de 2005 a eu pour effet de modifier l’approche adoptée par Santé Canada dans la réglementation des produits de ce genre. Strauss dit que Santé Canada a injustement omis de lui donner un avis effectif de sa nouvelle manière de considérer les substances de l’annexe F, privant ainsi Strauss de son droit d’être consultée au préalable.

 

II.        Les questions en litige

[10]           a)         Le Strauss Energy SIX est‑il une substance qui relève de l’article C.01.041 du Règlement AD parce qu’il renferme de la « yohimbine », une drogue de l’annexe F?

b)         Le défendeur a‑t‑il manqué à une obligation d’équité en rapport avec la mise en demeure signifiée à Strauss?

 

III.       Analyse

a)         Le contexte réglementaire

[11]           Dans la Loi sur les aliments et drogues, le Parlement a établi le fondement légal des règlements régissant la fabrication, l’annonce, la vente, l’étiquetage, le conditionnement, l’importation et la distribution des aliments, drogues, cosmétiques et instruments thérapeutiques au Canada.

 

[12]           La plupart des normes et contrôles envisagés par la Loi sur les aliments et drogues sont fixés par règlement. Le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements lui est conféré par l’article 30 de la Loi sur les aliments et drogues. Cette disposition l’autorise à prescrire les normes de composition, de force, d’activité, de pureté, de qualité ou d’autres propriétés d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument. Dans l’intérêt de la sécurité publique, le gouverneur en conseil peut aussi régir la vente ou les conditions de vente de tout aliment, drogue, cosmétique ou instrument. Quant à l’alinéa 30(1)m) de la Loi sur les aliments et drogues, il autorise le gouverneur en conseil à modifier les annexes accompagnant la Loi ou les règlements.

 

[13]           L’article C.01.041 du Règlement AD traite de la vente au détail de drogues soumises à ordonnance. Cet article prévoit notamment :

C.01.041. (1) Dans le présent article et les articles C.01.041.1 à C.01.046, « drogue de l’annexe F » désigne une drogue énumérée ou décrite à l’annexe F du présent règlement.

 

C.01.041. (1) In this section and sections C.01.041.1 to C.01.046, "Schedule F Drug" means a drug listed or described in Schedule F to these Regulations.

 

  (1.1) Sous réserve des articles C.01.043 et C.01.046, il est interdit de vendre une substance contenant une drogue de l’annexe F, à moins que :

 

  (1.1) Subject to sections C.01.043 and C.01.046, no person shall sell a substance containing a Schedule F Drug unless

 

a) le vendeur n’ait reçu une ordonnance écrite ou verbale;

 

(a) the sale is made pursuant to a verbal or written prescription received by the seller; and

 

b) dans le cas où l’ordonnance lui est transférée selon l’article C.01.041.1, les exigences de l’article C.01.041.2 n’aient été respectées.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(b) where the prescription has been transferred to the seller under section C.01.041.1, the requirements of section C.01.041.2 have been complied with.

 

[Emphasis added]

 

 

[14]           L’annexe F du Règlement AD est une énumération de plusieurs centaines de composés et de leurs dérivés dont la vente au détail requiert une ordonnance. L’annexe indique également les dates auxquelles nombre de composés énumérés ont été ajoutés ou modifiés. On trouve, dans l’énumération, « la yohimbine et ses sels », mais il n’y a aucune mention de l’écorce de yohimbehe.

 

b)         Les questions préliminaires, la preuve et les positions des parties

[15]           Les parties ont consacré énormément de temps et de ressources à la question de l’innocuité respective de l’écorce de yohimbehe et du produit Strauss Energy SIX pour la consommation humaine. Certes, après la mise en demeure signifiée à Strauss, Santé Canada a plus attentivement examiné la question du risque posé par le produit en soumettant le Strauss Energy SIX à une évaluation du danger pour la santé; cependant, les deux parties reconnaissent que cette preuve n’intéresse pas la question d’interprétation dont dépend l’issue du présent différend. Il s’ensuit naturellement que les griefs de Strauss quant à la pertinence et à la qualité de l’analyse de Santé Canada concernant les risques du produit n’intéressent pas eux non plus la question d’interprétation.

 

[16]           Strauss et ses experts ne contestent pas que l’écorce de yohimbehe peut avoir un effet stimulant susceptible de poser un risque pour certaines populations (par exemple les personnes dont la tension artérielle est élevée ou qui sont atteintes d’affections des reins ou du foie). Strauss prétend cependant que l’écorce de yohimbehe est employée depuis des siècles sans effets indésirables, ou très peu, et que les risques sanitaires peuvent être plus judicieusement gérés au moyen de mises en garde concernant le produit, ainsi qu’à la faveur des dispositions du Règlement PSN relatives aux licences.

 

[17]           Finalement cependant, les deux parties admettent que la décision de Santé Canada était fondée sur son unique conclusion selon laquelle le Strauss Energy SIX est une substance qui contient de la yohimbine. Santé Canada ne dit pas que sa décision était fondée sur la présence d’un risque sanitaire particulier dans le Strauss Energy SIX. Le ministre dit plutôt que, par insertion de la yohimbine dans la liste des drogues de l’annexe F, un choix lié au risque a été fait, et il n’appartient pas à la Cour, par contrôle judiciaire, de dire si ce choix était ou non raisonnable.

 

[18]           Pour sa part, Strauss admet que ses arguments seraient irrecevables si l’écorce de yohimbehe avait été explicitement énumérée dans l’annexe F du Règlement AD. Cependant, puisqu’elle n’y apparaît pas, Strauss dit que l’annexe F ne s’applique pas au Strauss Energy SIX.

 

[19]           Strauss et ses experts font observer que l’écorce de yohimbehe et la yohimbine ne sont pas les mêmes substances. C’est ce qui semble être la base de l’argument selon lequel la référence de l’annexe F à « la yohimbine et ses sels » n’était pas censée comprendre l’écorce de yohimbehe parce que la yohimbine est un alcaloïde extrait de l’écorce. L’argument est que, si le gouverneur en conseil avait voulu inclure l’écorce dans l’annexe F, il l’aurait fait explicitement et, s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il n’entendait pas réglementer l’écorce en tant que drogue de l’annexe F. Il s’agit en fait de l’argument de l’exclusion implicite : l’écorce de yohimbehe aurait été délibérément omise de l’annexe F.

 

[20]           L’un des témoins experts de Strauss, le Dr Steven Dentali, a été prié de dire s’il y avait une différence entre l’écorce de yohimbehe et la yohimbine. Sur ce point, son affidavit renferme ce qui suit :

[traduction]

7.         J’ai été prié de donner un avis d’expert sur la question de savoir si l’écorce de yohimbehe est la yohimbine. Je suis clairement d’avis que l’écorce de yohimbehe n’est pas la yohimbine. Cela dépasse d’ailleurs une simple opinion. Il est généralement admis parmi les scientifiques que l’écorce de yohimbehe n’est pas la yohimbine.

 

 

[21]           Le rapport d’accompagnement remis par le Dr Dentali conclut par l’observation selon laquelle, si l’écorce de yohimbehe est incluse dans l’annexe F au motif que la yohimbine peut en être extraite, alors le thé et le chocolat devraient eux aussi être des substances réglementées parce qu’ils contiennent les composés « théophylline » et « théobromine » de l’annexe F.

 

[22]           Le Dr Robert Jackman et la Dre Allison McCutcheon, deux autres témoins experts de Strauss, sont du même avis que le Dr Dentali. Ils soutiennent aussi l’opinion commune selon laquelle l’arbre appelé yohimbehe comprend plusieurs espèces dont certaines ne contiennent pas la yohimbine, ou seulement en très petites quantités.

 

[23]           Le ministre ne conteste pas que l’écorce de yohimbehe et la yohimbine ne sont pas les mêmes substances et il a volontiers admis ce point en tant que fait scientifique irréfutable. La position du ministre est que le Strauss Energy SIX contient de la yohimbine, et il n’importe pas de savoir si cette drogue y est présente en tant qu’élément constitutif de l’écorce de yohimbehe ou en tant qu’ingrédient directement ajouté.

 

            c)         Examen de la question touchant l’interprétation des lois

[24]           Il n’est pas contesté ici que le Strauss Energy SIX contient de l’écorce de yohimbehe ni que l’écorce employée par Strauss contient de la yohimbine. C’est d’ailleurs la présence elle‑même de la yohimbine dans le Strauss Energy SIX qui est à l’origine, en partie, de l’effet stimulant souhaité du produit. Finalement, l’unique point de désaccord entre les parties est celui de savoir si l’interprétation que donne Santé Canada de l’article C.01.041 du Règlement AD était fondée en droit. Strauss n’a pas cherché à contester la décision sur un autre fondement. Il n’importe donc pas de savoir si l’interprétation de Santé Canada représentait un changement de cap par rapport à une position antérieure, ni de savoir si Santé Canada a déjà eu des doutes sur la solidité de sa position juridique. La question essentielle demeure celle‑ci : l’interprétation donnée par Santé Canada de l’article C.01.041 était‑elle fondée en droit? Je reconnais avec les parties que cette question soulève un point de droit pour lequel la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[25]           La difficulté fondamentale que soulève l’argument de Strauss est qu’il repose sur quelques anomalies de rédaction constatées parmi les quelques centaines de composés énumérés dans l’annexe F, anomalies qui justifieraient une interprétation forcée de l’article C.01.041. Cette disposition n’est nullement ambiguë. Elle interdit la vente libre d’une substance contenant une drogue de l’annexe F. Il ne fait aucun doute que le Strauss Energy SIX est une substance. En fait, il s’agit d’une combinaison de plusieurs composés actifs dont un seul est l’écorce de yohimbehe, en poudre ou en granules. Il est incontestable également que le Strauss Energy SIX contient de la yohimbine, ne serait‑ce qu’en tant qu’élément constitutif de l’écorce.

 

[26]           À moins que Strauss ne soit en mesure de montrer que la yohimbine n’est pas un composé biodisponible présent dans le Strauss Energy SIX (ce que Strauss ne prétend pas), il n’importe pas en droit que la yohimbine se trouve dans ce produit en raison de la présence de l’écorce parente. Le Strauss Energy SIX est une substance qui contient de la yohimbine, et il relève manifestement de l’article C.01.041.

 

[27]           Strauss fait valoir que l’article C.01.041 n’est applicable que lorsqu’une drogue de l’annexe F est un ingrédient isolé ou ajouté compris dans la préparation de la substance thérapeutique finale. Strauss dit que l’article C.01.041 ne s’appliquerait que si elle ajoutait de la yohimbine ou l’un de ses sels au Strauss Energy SIX. Par cet argument, Strauss invite la Cour à rédiger à nouveau le Règlement pour qu’il dise en réalité : « il est interdit de vendre une substance contenant [en tant qu’ingrédient] une drogue de l’annexe F ». Il n’y a aucune raison solide pour que la Cour adopte une telle interprétation, et je refuse de le faire.

 

[28]           En bref, il ne s’agit pas là d’une question qui puisse être résolue par le texte de l’annexe F, et Strauss se méprend sur la difficulté lorsqu’elle écrit, au paragraphe 99 de son exposé des faits et du droit : [traduction] « soit l’indication “yohimbine et ses sels”, dans l’annexe F, englobe “l’écorce de yohimbehe”, soit elle ne l’englobe pas ». Le point à décider, tel qu’il doit être énoncé, est de savoir si le Strauss Energy SIX est une substance qui contient de la yohimbine de telle sorte qu’il relève du Règlement AD. La question d’interprétation ne pourrait donc être résolue que par le texte de l’article C.01.041, et je ne puis voir dans cet article aucune ambiguïté.

 

[29]           J’admets que l’arrêt de la Cour suprême du Canada, R. c. Dunn, [1982] 2 R.C.S. 677, 44 N.R. 594, n’est pas directement à propos, mais l’analyse qu’y fait la Cour suprême appuie néanmoins l’argument d’interprétation qui est avancé par le ministre dans la présente affaire. La Cour suprême avait affaire à une accusation de trafic de psilocybine. La psilocybine, un composé libre présent dans certains types de champignons, était énumérée, en tant que drogue d’usage restreint, à l’annexe H de la Loi sur les aliments et drogues. L’absorption de champignons contenant de la psilocybine produit un effet hallucinogène. Comme dans la présente affaire, les champignons parents n’étaient pas énumérés dans l’annexe de la loi, et l’accusé faisait valoir, se fondant sur plusieurs précédents, que cette omission constituait un substantiel moyen de défense contre l’accusation. La Cour suprême a qualifié les positions des parties dans l’extrait suivant de son arrêt :

 

La poursuite fait valoir que suivre les arrêts Parnell et Cartier annihilerait la Loi des aliments et drogues à cet égard. Elle ne s’appuie pas sur le concept du trafic qui consiste à présenter une substance comme étant une drogue d’usage restreint, mais elle plaide que les termes de la Loi et de l’annexe H sont suffisamment larges pour inclure, comme drogue d’usage restreint, des champignons qui contiennent à l’état naturel la drogue appelée psilocybine dont l’usage est spécifiquement restreint. L’intimé invoque essentiellement les arrêts Parnell et Cartier et insiste sur l’absence de mention précise, dans l’annexe H, des champignons qui contiennent la psilocybine, de sorte qu’ils ne peuvent être classés dans les drogues d’usage restreint.

 

 

Puis la Cour suprême écrivait que la mention « psilocybine et tout sel de cette substance », dans l’annexe H de la Loi sur les aliments et drogues, suffisait à faire relever du texte de loi un produit végétal naturel qui contenait ce composé. L’analyse que faisait la Cour suprême de la question d’interprétation se trouve dans le passage suivant :

Vu la preuve faite au procès et la concession de l’avocat de l’intimé que la psilocybine, et non seulement les éléments constitutifs qui permettent de la fabriquer, était présente dans les champignons, on ne pouvait pas dire qu’il n’y avait pas de preuve de trafic de psilocybine. Les champignons contenaient la drogue. La preuve indique que l’intimé le savait et qu’il a assuré à ses acheteurs potentiels que c’était [traduction] « du vrai », qu’il les a invités à y goûter, et qu’il a offert d’en vendre une livre pour $3,000, ce qui exclut la possibilité que les champignons soient vendus pour leur valeur en tant qu’aliment. A mon avis, la seule conclusion possible est que la preuve faite devant le juge du procès permettait à un juge des faits bien instruit du droit de déclarer l’intimé coupable d’avoir fait le trafic de psilocybine et que le juge du procès a commis une erreur en accueillant la requête en non‑lieu.

 

Bien que ce qui précède tranche le cas en l’espèce, il reste à répondre à la question que soulèvent les arrêts Parnell et Cartier. Comme je l’ai déjà dit, les cours d’instance inférieure n’ont pas examiné sérieusement le fond de la présente affaire parce que tous les juges ont estimé que l’arrêt Parnell tranchait la question et que les considérations que soulève l’accusation de trafic ne sont pas différentes de celles que soulève une accusation de possession. Il ressort de ce que j’ai dit qu’à mon avis, le fait que la psilocybine puisse être présente dans un champignon ne l’empêche pas d’être une drogue d’usage restreint visée à l’annexe H de la Loi des aliments et drogues. Je suis par conséquent d’avis qu’elle peut entraîner autant une déclaration de culpabilité de possession qu’une déclaration de culpabilité de trafic. Si les arrêts Parnell et Cartier vont jusqu’à nier cette solution, alors, à mon avis, avec égards pour les savants juges qui les ont rendus, j’estime que ces arrêts sont erronés. Je n’oublie pas qu’on a plaidé l’absurdité, argument qui a influencé les cours, mais je dois souligner que ce qui est interdit en matière de possession, c’est la possession illégale, non la simple possession matérielle. Pour qu’elle soit illégale, la possession doit comporter la connaissance de la nature de la substance que l’on possède. Le fermier qui ne sait pas que des « champignons magiques » poussent sur sa terre n’est pas coupable de possession illégale. Il me semble que le bon sens et la raison dont font preuve les autorités le protègent si, lorsqu’il apprend la nature des champignons, il prend les moyens nécessaires pour les détruire. En tout état de cause, il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire de possession. Il s’agit d’une personne accusée de trafic de psilocybine et à l’égard de laquelle la preuve faite devant le juge établit qu’elle a acquis les champignons, les a fait sécher et a offert de les vendre $3,000 la livre. Comme je l’ai déjà dit, la preuve du trafic a été faite devant le savant juge qui a commis une erreur en accueillant la requête en non‑lieu. Je suis par conséquent d’avis d’accueillir le pourvoi de la poursuite et de renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour terminer le procès.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Je ne suis pas persuadé qu’il existe une raison valable de s’écarter de l’approche ci‑dessus dans l’interprétation de l’article C.01.041 et de l’annexe F du Règlement AD. La vente de produits qui contiennent des drogues soumises à ordonnance médicale suscite des préoccupations légitimes de santé publique. L’interprétation que Strauss préconise ne fait pas prévaloir cet impératif de santé publique parce qu’elle aurait pour effet de mettre en vente libre un produit contenant une drogue qui comporte un risque pour la santé, risque que le ministre a jugé inacceptable.

 

[30]           Même si j’étais disposé à déceler une intention du législateur dans le texte de l’annexe F, je ne crois pas que cela aiderait Strauss. Ce que Strauss prétend, c’est que le gouverneur en conseil a délibérément omis de parler de l’écorce de yohimbehe dans l’annexe F et qu’il voulait par là l’exclure de l’application de l’article C.01.041. La position de Strauss, énoncée dans son exposé des faits et du droit, est la suivante :

[traduction]

Si le législateur [sic] avait voulu que les « drogues de l’annexe F » comprennent les végétaux qui ne sont pas énumérés ou décrits dans l’annexe F, mais qui contiennent des substances énumérées dans l’annexe F, alors la définition en aurait fait état. La définition ne le dit pas, et il ressort clairement de l’énumération des drogues de l’annexe F par le législateur [sic] que le législateur [sic] fait clairement une distinction entre les végétaux, les alcaloïdes végétaux tels que la yohimbine, et les substances chimiques.

 

L’argument de Strauss est essentiellement fondé sur la règle d’interprétation dite règle de l’exclusion implicite. Dans les contextes qui s’y prêtent, cette règle dispose que, si le législateur néglige de mentionner une chose, on peut en déduire que ladite chose a été délibérément exclue : voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition (Markham : Butterworths, 2002), pages 186 et 187.

 

[31]           La règle de l’exclusion implicite est appliquée avec modération et beaucoup de circonspection. Dans l’arrêt Turgeon c. Dominion Bank, [1930] R.C.S. 67, [1929] 4 D.L.R. 1028, aux pages 70 et 71, le juge Newcombe expliquait pourquoi il en était ainsi :

[traduction]

La maxime expressio unius est exclusio alterius énonce un principe qui est appliqué dans l’interprétation des lois et des instruments écrits, et elle a sans aucun doute son utilité lorsqu’elle permet de déceler l’intention; mais, comme on l’a dit, même si ce principe est souvent un précieux serviteur, c’est aussi un maître qu’il est dangereux d’imiter. Cela dépendra largement du contexte. Il faut comprendre qu’une règle générale d’interprétation n’est pas toujours présente dans l’esprit du rédacteur, que des accidents surviennent, qu’un manque d’attention peut survenir, que parfois des expressions inutiles sont employées, par excès de prudence, par moindre résistance, pour répondre à un besoin pressant, sans que l’on veuille le moindrement limiter la disposition générale; et l’on considère donc que l’axiome n’est pas d’application universelle.

 

J’ajouterais que, outre le problème posé par l’erreur de rédaction, il y a celui qui consiste à vouloir déceler une intention dans le fait que quelque chose n’est pas dit ou n’est pas inclus dans une disposition réglementaire. Ces difficultés sont particulièrement évidentes lorsque la présumée omission concerne l’annexe d’un règlement ou d’une loi et que cette annexe fait l’objet d’ajouts ou de suppressions périodiques. Dans la rédaction de règlements de fond, on s’appliquera en général à utiliser un langage uniforme, à éviter les redondances et à garantir une certaine cohérence; cependant, l’ajout par le gouverneur en conseil de substances à une annexe existante ne bénéficiera sans doute pas d’un souci aussi marqué pour le détail contextuel. L’annexe d’un texte législatif n’est pas un texte subalterne, mais il faut éviter d’y recourir d’emblée comme s’il s’agissait d’un instrument d’interprétation, et elle ne devrait pas être employée de cette manière à moins qu’il n’existe une ambiguïté dans les dispositions essentielles de la loi. Ici, comme je l’ai dit, il m’est impossible de voir une ambiguïté dans l’article C.01.041. Cet article est rédigé clairement et il s’applique au produit de Strauss dont il s’agit ici.

 

[32]           Même si Strauss fait valoir que l’absence de l’écorce de yohimbehe dans l’annexe F tranche avec la mention d’autres sources végétales dans l’annexe F, ces cas peuvent se justifier par de bonnes raisons réglementaires ou scientifiques, des raisons propres à valider ce qui autrement pourrait trahir un emploi incohérent de la langue. Il n’y a aucun moyen pour la Cour de savoir pourquoi une mention de l’annexe F a été rédigée comme elle l’a été et, en tout état de cause, la possibilité de redondances ne peut pas être exclue.

 

[33]           Il y a aussi au moins une raison évidente pour laquelle l’annexe F ne parle pas de l’écorce de yohimbehe. Comme l’ont fait observer Strauss et ses experts, ce ne sont pas toutes les espèces de yohimbehe qui contiennent de la yohimbine dans leur écorce. Une mention explicite de l’écorce de yohimbehe dans l’annexe F ferait ainsi relever du champ de l’article C.01.041 certaines substances qui n’auraient aucune raison de figurer dans cette annexe. En limitant à « la yohimbine et ses sels » la mention de l’annexe F, le Règlement AD n’englobe que les substances qui, selon le gouverneur en conseil, posaient des risques sanitaires.

 

[34]           Strauss a soulevé plusieurs autres points qui mettent en doute l’interprétation que donne Santé Canada de la Loi sur les aliments et drogues et des règlements s’y rapportant. J’examinerai chacun d’eux successivement.

 

[35]           D’abord, je ne crois pas que la manière dont Santé Canada considère le Strauss Energy SIX amoindrit le Règlement PSN ou donne lieu à des absurdités. Rien ne permet d’affirmer que, parce que Santé Canada applique l’article C.01.041 au Strauss Energy SIX, il ne reste aucun espace de réglementation dans le Règlement PSN.

 

[36]           Deuxièmement, dans la mesure où Strauss et ses experts excipent de la présence de certaines drogues de l’annexe F dans les produits alimentaires, leur argument est déloyal. Les aliments sont réglementés séparément des drogues dans la Loi sur les aliments et drogues, et l’annexe F ne s’applique pas aux aliments. Ce n’est que lorsqu’un produit alimentaire est commercialisé pour ses effets thérapeutiques qu’il sera susceptible de relever du régime réglementaire applicable aux drogues : voir l’arrêt Wrigley Canada c. Canada, [2000] A.C.F. n° 607, 256 N.R. 387 (C.A.). L’exemple donné par Strauss au paragraphe 90 de son exposé des faits et du droit, c’est‑à‑dire le cas d’un médecin qui rédige une ordonnance pour le chocolat (lequel renferme la drogue de l’annexe F appelée théobromine), n’est donc d’aucune utilité pour l’analyse interprétative.

 

[37]           Troisièmement, je ne trouve nullement convaincant l’argument de Strauss relatif à l’uracile. Nous avons ici affaire à la yohimbine et non à l’uracile. Je n’ai devant moi aucun élément établissant que la drogue de l’annexe F appelée uracile est présente en des quantités cliniques dans des produits végétaux ou animaux ou qu’elle est de quelque manière biodisponible chez les humains. Je ne puis que présumer que Santé Canada abordera chaque situation avec bon sens et ne sera pas tenté d’appliquer l’article C.01.041 d’une manière absurde ou d’une manière qui puisse totalement compromettre le régime servant à réglementer les produits de santé naturels légitimes.

 

[38]           Quatrièmement, Strauss fait valoir que, par la manière de Santé Canada de considérer l’annexe F, Strauss et l’industrie des produits de santé naturels sont pris dans un dilemme, celui de ne pas savoir ce qu’est une drogue de l’annexe F. Cet argument n’a nul bien‑fondé. Strauss savait que le Strauss Energy SIX renfermait une quantité clinique de yohimbine en tant que stimulant actif et biodisponible. Je dois présumer que les membres de l’industrie des produits de santé naturels savent également que des composés actifs sont présents dans leurs produits. Tout produit de santé qui contient une drogue de l’annexe F, quel que soit le mode par lequel cette drogue s’y trouve, est susceptible de mesures en application de l’article C.01.041.

 

[39]           Et finalement, pour essentiellement la même raison que celle indiquée ci‑dessus, il est inutile pour moi de voir dans le Règlement PSN un moyen d’interpréter l’article C.01.041 du Règlement AD. Les substances qui contiennent des drogues de l’annexe F ne sont pas réglementées comme produits de santé naturels : voir le paragraphe 2(2) du Règlement PSN[1]. Le dossier révèle d’ailleurs que, lorsque Strauss a sollicité une licence de produit de santé naturel pour le Strauss Energy SIX, sa demande a été refusée le 5 juin 2006 parce que la Direction des produits de santé naturels de Santé Canada avait conclu que la présence de yohimbine dans le Strauss Energy SIX l’excluait de la catégorie des produits de santé naturels.

 

            d)         Équité – Le contexte

[40]           Strauss fait valoir que le ministre a manqué à l’obligation d’équité lorsqu’il a pris la décision de [traduction] « reclassifier » son produit comme substance de l’annexe F. Pour bien examiner cette question, il importe de comprendre l’historique des relations entre Strauss et Santé Canada qui ont conduit à la décision contestée.

 

[41]           Santé Canada s’est intéressé au cas de Strauss au début de 2005 à la suite de plaintes du public concernant la publicité de Strauss. Kim Seeling, agente préposée aux règlements et inspectrice des drogues à Santé Canada, fut priée d’examiner plusieurs produits de Strauss, y compris le Strauss Energy SIX. En juillet 2005, Mme Seeling a conclu que les gélules Strauss Energy SIX contenaient de l’écorce de yohimbehe. Plus tard cette année‑là, après avoir consulté la base de données détaillées des médicaments naturels, elle a appris que l’écorce de yohimbehe contenait l’alcaloïde naturel appelé yohimbine. Se fondant sur ces constatations, elle a envoyé le 15 novembre 2005 une lettre d’« avertissement » à Strauss, dans laquelle elle écrivait notamment ce qui suit :

[traduction]

Il est venu à l’attention de l’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments (IDGPSA) que Strauss Herb Company fait la publicité et la vente des produits suivants, en violation de la Loi sur les aliments et drogues, du Règlement sur les aliments et drogues et du Règlement sur les produits de santé naturels :

 

Gélules Strauss Energy SIX contenant de l’écorce de yohimbehe

Gélules Strauss Energy 6 contenant de l’écorce de yohimbehe

Strauss Healthy Cell contenant de la feuille de chaparral

Gélules Strauss Lymphatic contenant de la feuille de chaparral

 

Les contraventions suivantes ont été relevées :

 

1)                  Gélules Strauss Energy SIX et gélules Energy 6

 

Les produits thérapeutiques qui contiennent des sources végétales naturelles de substances de l’annexe F – et donc les substances de l’annexe F elles‑mêmes – ne peuvent être vendues que sur présentation d’une ordonnance. Ils sont exclus du Règlement sur les produits de santé naturels (le Règlement PSN) et sont par conséquent des drogues qui relèvent du Règlement sur les aliments et drogues (le Règlement AD) et de ses exigences.

 

Dans les articles C.01.041.1 à C.01.046 du Règlement AD, une « drogue de l’annexe F » désigne une drogue énumérée ou décrite à l’annexe F du présent règlement. Les Gélules Strauss Energy SIX et les Gélules Strauss Energy 6 qui sont vendues comme produits thérapeutiques avec la mention explicite « pour améliorer la vie sexuelle et l’énergie » requièrent des ordonnances parce qu’elles contiennent une drogue renfermant une substance de l’annexe F, à savoir : la yohimbine, énumérée dans la partie I, annexe F, du Règlement AD. Par conséquent, et sous réserve des articles C.01.043 et C.01.046, il est interdit de vendre une substance contenant une drogue de l’annexe F à moins que le vendeur n’ait reçu une ordonnance écrite ou verbale, etc. »

 

[42]           Puis, dans sa lettre, Mme Seeling priait Strauss de se plier volontairement aux exigences en cessant de vendre le Strauss Energy SIX et en procédant à un retrait du produit. Elle demandait à Strauss une réponse écrite avant le 22 novembre 2005 et invitait aussi la société à communiquer avec elle si elle avait des questions à poser ou d’autres renseignements à fournir.

 

[43]           Le 22 novembre 2005, l’avocat de Strauss, Shawn Buckley, écrivait à Mme Seeling et contestait la manière dont Santé Canada interprétait la mention, dans l’annexe F, de la yohimbine et de ses sels. La lettre de l’avocat était formulée ainsi :

[traduction]

Dans votre lettre, sous la rubrique « 1) Gélules Strauss Energy SIX et gélules Energy 6 », vous écrivez :

 

Les produits thérapeutiques qui contiennent des sources végétales naturelles de substances de l’annexe F – et donc les substances de l’annexe F elles‑mêmes – ne peuvent être vendues que sur présentation d’une ordonnance. Ils sont exclus du Règlement sur les produits de santé naturels (le Règlement PSN) et sont par conséquent des drogues qui relèvent du Règlement sur les aliments et drogues (le Règlement AD) et de ses exigences.

 

En réalité, votre lettre signale un important changement de cap dans la politique de votre direction générale. Auparavant, les sources végétales naturelles de substances de l’annexe F n’étaient pas considérées elles‑mêmes comme des substances de l’annexe F. Maintenant, si je comprends bien votre lettre, les sources végétales naturelles de substances de l’annexe F doivent être considérées comme des substances de l’annexe F.

 

Je suis d’avis que cette nouvelle politique est erronée en droit. Je crois fermement que, si nous devions soumettre ce point à la justice, le tribunal jugerait que l’annexe F se limite aux substances qui y sont énumérées, à l’exclusion des végétaux dont peuvent être extraites les substances de l’annexe F. Une conclusion autre conduirait à des résultats absurdes, tant pour l’annexe F que pour d’autres annexes de lois fédérales qui seraient susceptibles de la même interprétation.

 

[44]           Me Buckley écrivait plus loin dans sa lettre que Strauss ne procéderait pas à un retrait volontaire du Strauss Energy SIX. Il ne disait pas si la vente du produit se poursuivrait ou non. Me Buckley concluait sa lettre en disant qu’il attendait avec intérêt [traduction] « de travailler avec vous sur ces aspects pour faire en sorte que les inquiétudes de Santé Canada soient dissipées d’une manière équitable et raisonnable ».

 

[45]           En réponse à la lettre de Me Buckley et à certains courriels s’y rapportant, Mme Seeling écrivit encore une fois à Strauss le 28 novembre 2005. Sa lettre portait sur certains points soulevés par Me Buckley à propos de la confidentialité de renseignements exclusifs et précisait que [traduction] « nous sommes disposés à discuter de l’exportation des produits retirés » vers le pays d’origine. Cette lettre réitérait la position de Santé Canada selon laquelle le Strauss Energy SIX était une drogue de l’annexe F, et Mme Seeling priait Strauss de confirmer que la vente du produit avait cessé. Elle demandait une réponse écrite pour le 30 novembre 2005.

 

[46]           Le 29 novembre 2005, Me Buckley écrivit à Mme Seeling pour confirmer uniquement que Strauss avait cessé de vendre un autre produit qui était source de difficultés, mais, encore une fois, il ne prenait aucun engagement semblable pour le Strauss Energy SIX. Il terminait sa lettre en disant espérer que l’affaire puisse être résolue d’une manière raisonnable et équitable.

 

[47]           Néanmoins, le 30 novembre 2005, Me Buckley écrivit à Mme Seeling pour lui dire que Strauss introduirait une procédure judiciaire contestant la manière dont Santé Canada interprétait l’annexe F. Il écrivait ce qui suit :

[traduction]

S’agissant du Strauss Energy SIX, nous avons, comme vous le savez, des doutes sur la légalité de la « nouvelle » politique. En conséquence, nous engagerons des procédures afin d’obtenir :

 

            1.         un jugement déclaratoire disant que l’écorce de yohimbehe n’est pas une substance de l’annexe F;

2.         une injonction interlocutoire empêchant Santé Canada de prendre des mesures jusqu’à l’instruction de l’affaire;

3.         des dommages‑intérêts pour la perte subie par Strauss Herb Company en conséquence de la nouvelle politique;

4.         les dépens.

 

 

[48]           Mme Seeling a répondu ainsi, par lettre datée du 5 décembre 2005 :

[traduction]

S’agissant du Strauss Energy SIX et du Strauss Energy 6, ces produits ne sont pas autorisés sur le marché au Canada. Ce sont des drogues non approuvées. Par ailleurs, ces drogues contiennent de l’écorce de yohimbehe, une source naturelle de yohimbine. Vu la présence de yohimbine dans ces produits, ce sont des produits considérés comme drogues soumises à ordonnance.

 

La position de Santé Canada est qu’une drogue contenant une substance de l’annexe F, même si cette substance se trouve dans un matériau végétal, est une drogue soumise à ordonnance. Les drogues contenant une substance de l’annexe F sont exclues du Règlement sur les produits de santé naturels et sont régis par le Règlement sur les aliments et drogues.

 

Je crois savoir que vous avez décidé de ne pas cesser la vente de ces drogues et de ne pas procéder à leur retrait volontaire. Par conséquent, Santé Canada va maintenant envisager d’autres mesures d’application de la loi.

 

 

[49]           Me Buckley a répondu à la menace de Mme Seeling d’engager d’autres mesures d’application de la loi en lui envoyant une lettre datée du 6 décembre 2005, où il écrivait ce qui suit :

[traduction]

Il y a désaccord avec Santé Canada sur la nouvelle politique consistant à assimiler à des substances de l’annexe F les végétaux d’où peuvent être extraites des substances de l’annexe F. J’avais informé Mme Seeling, dans ma lettre du 30 novembre 2005, que nous nous adresserions à la Cour pour régler le désaccord. J’ai donc été très surpris à la lecture de la lettre du 5 décembre 2005 de Mme Seeling, où elle écrit que « Par conséquent, Santé Canada va maintenant envisager d’autres mesures d’application de la loi ». Il me semble qu’il est dans l’intérêt de Santé Canada que la question soit tranchée rapidement par la Cour. Je suis également troublé de savoir que Mme Seeling menace d’engager des mesures d’application de la loi alors qu’elle sait que nous nous préparons à demander à la Cour de rendre une injonction interlocutoire empêchant toute mesure du genre.

 

 

[50]           La présente instance a été introduite le 15 décembre 2005. L’unique mesure ultérieure prise par Santé Canada a été un avis sanitaire diffusé le 10 avril 2006, où l’on conseillait aux consommateurs de ne pas utiliser les produits non approuvés contenant de la yohimbine ou de l’écorce de yohimbehe, notamment les gélules Strauss Energy SIX. La preuve montre que, finalement, Strauss a cessé de vendre le Strauss Energy SIX, encore qu’elle n’ait jamais procédé à un retrait du produit.

 

            e)         Examen de la question touchant l’équité

[51]           Je suis loin d’être convaincu qu’une obligation d’équité s’applique à une décision comme celle dont il s’agit ici, une décision qui fait uniquement intervenir une question d’interprétation des lois. Le gouvernement fédéral doit quotidiennement interpréter et appliquer les lois du Canada et il arrive assez souvent que les intérêts de particuliers ou de personnes morales soient contrariés par de telles décisions. Les parties intéressées telles que Strauss peuvent contester la légalité des interprétations données par le gouvernement, mais je refuse d’admettre que le gouvernement doive toujours donner un préavis des interprétations qu’il fait de la loi avant d’y donner suite, ou qu’il doive toujours consulter préalablement les parties concernées. La situation sera différente, évidemment, si une décision administrative suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, ou si le droit est appliqué par une instance administrative à un ensemble contesté de faits. C’était le cas dans l’espèce Technologies pharmaceutiques canadiennes internationales (CPT) Inc. c. Canada (Procureur général), [2006] CF 708, [2006] A.C.F. n° 906. Dans cette affaire, la décision contestée renfermait une composante factuelle importante, et le ministre ne s’était pas suffisamment enquis des vues de la demanderesse ou n’avait pas expliqué le fondement de sa décision.

 

[52]           Même si je fais fausse route ici, je ne puis voir ici aucune violation d’une obligation d’équité. Mme Seeling a signifié à Strauss la position juridique adoptée par Santé Canada, ainsi que l’intention de Santé Canada de faire respecter la réglementation. S’en est suivi un long échange de vues portant sur une diversité de sujets, notamment la justesse de l’interprétation donnée par Santé Canada. Nonobstant ce dialogue, les parties sont restées sur leurs positions et Strauss a introduit la présente instance. Ni Strauss ni son avocat n’ont jamais prétendu à l’époque que Santé Canada avait agi d’une manière injuste ou que Strauss avait besoin de plus de temps pour répondre aux inquiétudes sanitaires apparentes évoquées par Santé Canada, pour examiner la validité des hypothèses scientifiques de Santé Canada ou pour modifier le Strauss Energy SIX afin de le rendre conforme. Strauss était bien au fait du fondement juridique de la décision de Santé Canada et elle a eu la possibilité d’exprimer ses propres vues. Les parties sont demeurées sur leurs positions et il ne leur aurait servi à rien de continuer d’échanger leurs vues en la matière. En fait, Me Buckley a compris que les parties étaient dans une impasse et il a alors pris la décision logique d’introduire la présente instance pour contester la position de Santé Canada. De toute manière, la décision de Santé Canada concernant le Strauss Energy SIX n’empêche en aucune façon d’autres membres de l’industrie ni même Strauss de maintenir un dialogue avec Santé Canada sur des questions plus larges pouvant découler de l’interprétation de Santé Canada. Bref, Strauss fut en tout temps traitée avec équité par Santé Canada et les arguments contraires de Strauss ne sont pas justifiés. Pareillement, il m’est impossible de voir quoi que ce soit dans la conduite de Strauss qui permettrait au ministre de dire que Strauss n’a pas droit à une réparation au motif qu’elle ne serait pas irréprochable. Si le ministre estimait que la conduite de Strauss posait un réel risque sanitaire, il avait en droit d’autres voies de recours qu’il a décidé de ne pas exercer.

 

IV.       Dispositif

[53]           Je suis arrivé à la conclusion que la décision de Santé Canada, aux termes de l’article C.01.041 du Règlement AD, de considérer le Strauss Energy SIX comme une substance qui contient de la yohimbine, était fondée en droit. Je rejette également l’affirmation de Strauss qui affirme avoir été traitée injustement par Santé Canada lorsque Santé Canada a pris cette décision et l’a mise à exécution. Finalement, la demande sera rejetée. Si la Couronne souhaite obtenir les dépens à l’encontre de Strauss, alors je recevrai ses observations par écrit au cours des 10 prochains jours. J’accorderai à Strauss sept jours par la suite pour le dépôt de sa réponse. Les observations des deux parties ne devront pas dépasser cinq pages.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR REJETTE la demande et suspend sa décision sur la question des dépens jusqu’à réception d’observations additionnelles des parties.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2206‑05

 

INTITULÉ :                                       STRAUSS ENTERPRISES LTD. ET AL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             LES 16, 17 ET 21 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 21 NOVEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shawn P. Buckley

 

POUR LA DEMANDERESSE

Harry J. Wruck, c.r.

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Buckley & Compagny

Kamloops (C.‑B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]

2(2) Pour l’application du présent règlement, n’est pas considéré comme un produit de santé naturel la substance, la combinaison de substances ou le remède traditionnel qui doit être vendu sur ordonnance selon le Règlement sur les aliments et drogues mais qui ne l’est pas conformément à l’article C.01.043 de ce règlement.

 

2(2) For the purposes of these Regulations, a substance or combination of substances or a traditional medicine is not considered to be a natural health product if its sale, under the Food and Drug Regulations, is required to be pursuant to a prescription when it is sold other than in accordance with section C.01.043 of those Regulations.  

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.