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Date : 20021121

 

Dossier : IMM-4267-01

 

Référence neutre : 2002 CFPI 1200

 

Ottawa (Ontario), le jeudi 21 novembre 2002.

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

 

                                                             LINA GULISHVILI

 

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

 

 

                                                              LE MINISTRE DE

                                     LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision que la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rendue en date du 20 août 2001 et dans laquelle elle a rejeté la demande de la demanderesse visant à faire rouvrir sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention.

 


[2]        La demanderesse, née le 22 octobre 1949, est une citoyenne de la République de Géorgie. Elle est entrée au Canada le 3 novembre 2000 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de ses croyances religieuses en tant que témoin de Jéhovah et des activités politiques de son défunt mari.

 

[3]        La demanderesse était représentée à l’origine par M. Marc Boissonneault, à qui elle a donné son Formulaire de renseignements personnels (FRP) rempli pour qu’il le présente à la CISR. Par la suite, on lui a diagnostiqué des problèmes médicaux découlant d’un trouble panique. Lorsque l’avocat a mis fin à cette relation, la demanderesse n’était pas au courant que son FRP n’avait pas été transmis à la CISR et celle‑ci n’était pas au courant non plus de son récent changement d’adresse.

 

[4]        La demanderesse a retenu les services d’un « avocat en immigration », M. Alex Kolenberg et a, encore une fois, changé d’adresse. M. Kolenberg ne l’a pas informée au sujet de l’état de son dossier à la CISR ni n’a informé celle‑ci de son changement d’adresse.

 

[5]        Le 6 juin 2001, en retenant les services d’un interprète qui devait l’aider lors d’une entrevue des services sociaux, la demanderesse a découvert que la CISR n’avait jamais reçu son FRP et qu’on avait à son insu conclu à un désistement après une audience tenue le 11 mai 2001. M. Kolenberg l’a informée qu’il avait expédié son FRP à la CISR, mais que le délai était déjà expiré au moment de leur première rencontre. Il lui a offert de réactiver sa demande, mais elle a refusé de continuer à faire affaires avec lui.

 


[6]        Le 17 juillet 2001, avec l’assistance de l’aide juridique, la demanderesse a présenté une requête à la CISR sollicitant que sa revendication du statut de réfugié soit rouverte. Un refus lui a été communiqué par une lettre datée du 20 août 2001. Aucun motif n’a été fourni.

 

[7]        Un nouveau FRP a été rempli et présenté le 5 octobre 2001.

 

[8]        La question en l’espèce est de savoir si la SSR a commis une erreur en décidant qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour rouvrir la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse.

 

 

ANALYSE

 

[9]        La présente affaire soulève une question mixte de fait et de droit. Est‑ce que la SSR a commis une erreur en décidant que les faits de la cause de la demanderesse ne justifiaient pas que sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention soit rouverte? La norme de contrôle dans de tels cas est la décision raisonnable simpliciter, ou autrement dit, de savoir si la SSR avait « clairement tort » selon le juge Evans dans larrêt Cihal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration) (2000), 257 N.R. 62 (C.A.F.).

 


[10]      La demanderesse soutient que, vu la conduite de son ancien avocat et de son ancien représentant, son manque de familiarité avec le processus d’obtention du statut de réfugié, son incapacité à fonctionner en anglais et son mauvais état de santé, il existe des motifs suffisants pour rouvrir sa revendication et que ce serait dans l’intérêt de la justice de le faire.

 

[11]      Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré qu’il était survenu une erreur susceptible de révision dans la décision de la SSR de rejeter sa requête. Le défendeur ajoute qu’il incombait à la demanderesse de suivre activement l’avancement de sa demande du statut de réfugié au sens de la Convention, y compris de prendre les mesures nécessaires pour que le dépôt des documents, les avis de changement d’adresse et les mises à jour se fassent en temps opportun.

 

[12]      Les deux parties s’appuient sur la décision Mathon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration) (1988), 28 F.T.R. 217, dans laquelle M. le juge Pinard a écrit à la page 229 :

 

Or, c’est précisément à cause de l’erreur et/ou de la négligence de son avocat, lequel n’a pas déposé dans les délais prescrits la demande de réexamen pourtant signée en temps utile par la requérante, que cette dernière fut privée d’une audition pleine et entière devant la Commission d’appel de l’immigration. Ainsi la forclusion ayant été encourue uniquement à cause de l’erreur et/ou de la négligence d’un procureur, il n’incombe pas au justiciable qui a agi avec diligence de supporter les conséquences de semblables erreur ou négligence. [...]

 

[13]      La demanderesse se base sur cette cause pour démontrer que la négligence de l’avocat ne devrait pas lui causer préjudice. Le défendeur est d’accord, mais fait remarquer que dans la décision Mathon, la demanderesse « a agi avec diligence » et il soutient qu’en l’espèce, ce n’est pas ce que la demanderesse a fait et qu’elle s’est entièrement fiée à l’avocat.


[14]      La demanderesse cite également la cause de Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 51 (1re inst.), dans laquelle le juge Denault a examiné la jurisprudence de la Cour fédérale en semblable matière et a conclu aux pages 60 et 61 :

 

Bien que les affaires susmentionnées portent sur des fautes professionnelles distinctes, il appert que l’incompétence manifestée par un avocat à l’audition d’une demande du statut de réfugié justifie le contrôle judiciaire de la décision du tribunal, en raison de la violation d’un principe de justice naturelle. Les critères applicables à l’examen d’une telle décision ne sont pas clairement établis, mais il est possible de dégager un certain nombre de principes à partir de la jurisprudence précitée. Lorsque le requérant n’a commis aucune faute, mais le manque de diligence de son avocat a pour effet de le priver totalement de son droit d’être entendu, il y a manquement à un principe de justice naturelle, en sorte qu’un contrôle judiciaire est fondé.

 

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit. [Non souligné dans l’original.]

 

[15]      Les deux causes sont claires : il ne doit y avoir aucune faute de la part du demandeur dans de tels cas, lorsque la négligence ou l’erreur de l’avocat donne ouverture à un contrôle judiciaire.

 


[16]      Lors de l’audience tenue en l’espèce le 11 septembre 2002, la Cour a ordonné que la demande soit ajournée sine die et a donné comme directive que l’avocat de la demanderesse inscrit au dossier à la CISR, M. Boissonneault, ainsi que l’ancien « avocat en immigration » de la demanderesse, M. Alex Kolenberg, aient l’occasion de connaître les allégations respectives de négligence et d’incompétence à leur encontre et qu’ils aient l’occasion d’y répondre avant que la Cour en vienne à une conclusion dans la présente cause. Ces deux messieurs avaient trente (30) jours pour fournir à la Cour leurs réponses respectives par écrit concernant ces allégations de négligence et d’incompétence. Aucun d’eux ne l’a fait.

 

[17]      La Cour est perplexe à l’idée que l’avocat de la demanderesse inscrit au dossier de la CISR, M. Boissonneault, n’ait pas fait d’effort pour avertir la demanderesse au sujet de l’avis de l’audience sur le désistement de la cause. Puisque que la demanderesse n’a reçu aucun avis de l’audience, la demanderesse s’est vu refuser l’occasion d’être entendue, ce qui constitue une violation de la justice fondamentale. Par conséquent, l’affaire sera renvoyée à la SSR pour que celle‑ci procède à une nouvelle audience concernant le désistement. La demanderesse aura l’occasion de présenter des éléments de preuve démontrant que c’est la négligence de son avocat, et non son manque de diligence ou d’attention, qui a été responsable du fait que son FRP n’avait pas été déposé à temps et du fait que la demanderesse n’était pas représentée à l’audience de la SSR.

 

 

 

 

 

 

 


                                                                ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE QUE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la SSR pour que celle‑ci procède à une nouvelle audience concernant la demande de la demanderesse que son dossier soit rouvert. Aucune question n’est certifiée.

 

 

                                        « Michael A. Kelen » _________________________

               JUGE

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                             

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-4267-01

 

INTITULÉ :                                       LINA GULISHVILI

                                                                                                                                       demanderesse

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNTÉ ET

DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2002

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE JEUDI 21 NOVEMBRE 2002

 

COMPARUTIONS :             David Woloshyn

 

Pour la demanderesse

 

Lorne McClenaghan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Yallen Associates

Avocats

Troisième étage

204, rue St. George

Toronto (Ontario)

M5R 2N5

 

Pour la demanderesse

 

Morris Rosenberg

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

                                                         Date : 20021121

 

                                             Dossier : IMM-4267-01

 

 

ENTRE :

 

 

LINA GULISHVILI

 

demanderesse

 

 

 

- et -

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE LIMMIGRATION

 

                                                                   défendeur

 

 

 

                                                                      

 

MOTIFS DE LORDONNANCE

ET ORDONNANCE

 

                                                                    


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