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Date : 20021104

 

Dossier : T‑1824‑02

 

Référence neutre : 2002 CFPI 1135

 

Montréal (Québec), le 4 novembre 2002

 

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

 

                                                 RICHARD PAUL CONDO

 

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

 

 

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                                               défendeur

 

 

 

 

                          MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une requête visant la suspension d’une peine par laquelle la perte de privilèges et le confinement pour une durée de cinq jours ont été imposés le 28 octobre 2002.

 

[2]               Le demandeur est détenu à l’établissement de La Macaza; il a été déclaré coupable de deux infractions disciplinaires mineures le 28 octobre 2002.

 

[3]               En conséquence, le demandeur s’est vu imposer la perte de privilèges et le confinement pour une durée de cinq jours, c’est‑à‑dire qu’il devait rester dans sa cellule entre 18 h et l’heure du petit déjeuner le lendemain matin, et ce, pour une période de cinq jours.

 

[4]               À ce jour, le demandeur a décidé de ne pas se prévaloir de la procédure de règlement des griefs. À l’audience, son avocat a affirmé qu’étant donné que le défendeur allait appliquer la peine immédiatement, il se voyait obligé de demander le contrôle judiciaire de la décision et la suspension de la sentence avant d’engager la procédure de règlement des griefs.

 

[5]               La Cour suprême du Canada a énoncé le critère à triple volet auquel il faut satisfaire pour qu’un tribunal judiciaire accorde une suspension d’instance. Le demandeur doit démontrer : i) qu’il existe une question sérieuse à trancher; ii) qu’il subira un préjudice irréparable si la suspension est refusée; et iii) que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

 

L’EXISTENCE D’UNE QUESTION SÉRIEUSE

 

[6]               Au fil des ans, la jurisprudence a démontré que l’exigence préliminaire permettant de déterminer s’il existe une question sérieuse à trancher est fort peu rigoureuse.


 

[7]               En l’espèce, le demandeur soutient que le défendeur n’a pas suivi ses propres règles, à savoir l’alinéa 31(1)b) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition du ministère du Solliciteur général :

 


31(1) Au cours de l’audition disciplinaire, la personne qui tient l’audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

 

31(1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

 

 

 

a) d’interroger des témoins par l’intermédiaire de la personne qui tient l’audition, de présenter des éléments de preuve, d’appeler des témoins en sa faveur et d’examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;

 

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate’s behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and

 

 

 

b) de présenter ses observations durant chaque phase de l’audition, y compris quant à la peine qui s’impose.

 

[...]

 

(b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

...

 

 

 


 

[8]               J’ai noté certaines contradictions entre l’affidavit du demandeur et les affidavits fournis par le défendeur, à savoir l’affidavit de M. Mario Bélanger et celui de M. Daniel Bonin. Voici ce que déclare M. Bélanger aux paragraphes 56 à 62 de son affidavit :

56.  Également, le demandeur a eu l’opportunité de faire des représentations au décideur;

 

 

57.  D’ailleurs, avant que le décideur ne rende son verdict quant à la culpabilité et la sentence du demandeur, il a demandé à ce dernier s’il avait fait toutes ses représentations;

 

 

58.  Le demandeur a alors dit oui;


 

59.  Le décideur a par la suite pris la cause en délibéré puis a rappelé le demandeur;

 

 

60.  Le décideur a alors fait part au demandeur de sa décision relativement au verdict et à la sentence;

 

 

61.  Le demandeur a alors demandé au décideur de faire d’autres représentations;

 

 

62.  La décision du décideur ayant été prise, le demandeur n’a pas eu droit de faire d’autres représentations;

 

 

 

[9]               La question sérieuse soulevée par le demandeur est de savoir si le détenu a eu « dans des limites raisonnables [...] la possibilité [...] de présenter ses observations durant chaque phase de l’audience, y compris quant à la peine qui s’impose ».

 

[10]           Au paragraphe 60 de son affidavit, M. Bélanger semble admettre que le décideur avait pris en même temps sa décision au sujet du verdict et de la sentence.

 

[11]           Ce faisant, le demandeur soutient que le décideur a commis une erreur, en ce sens qu’il aurait dû déterminer s’il était coupable et lui permettre ensuite de présenter des observations avant d’appliquer la peine.

 

[12]           Le demandeur n’a pas réussi à me convaincre qu’il n’a pas eu, dans les limites raisonnables, la possibilité de présenter ses observations, mais je conclus néanmoins qu’il a soulevé une question sérieuse.

 


LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

 

[13]           Le demandeur soutient qu’il subira un préjudice irréparable si la suspension est refusée et mentionne la décision Fieldhouse c. Canada, [1994] B.C.J. no 740 (C.S.C.‑B.), à la page 18, paragraphe 68 : [TRADUCTION] « [...] Le préjudice est irréparable s’il est tel que l’adjudication de dommages‑intérêts après coup ne constituera pas une indemnisation adéquate [...]. »

 

[14]           Le demandeur soutient en outre que la Charte des droits et libertés (ci‑après la Charte) a été violée, comme il en est ensuite fait mention dans la décision Fieldhouse, précitée, au paragraphe 70 : [TRADUCTION] « [...] Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne reconnu au détenu à l’article 7 est en jeu lorsque l’isolement est imposé [...]. »

 

[15]           En l’espèce, les conséquences pour le détenu sont les suivantes : il restera dans sa cellule entre 18 et 23 h sans qu’il lui soit possible de participer à des activités ou d’utiliser le téléphone pour appeler les membres de sa famille ou des amis.

 

[16]           Néanmoins, la cellule ne sera pas verrouillée et le détenu aura également la possibilité de parler à son compagnon de cellule.

 

[17]           À ce stade, le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que pareille réduction partielle des privilèges constitue une violation de l’article 7 de la Charte.

 

[18]           Comme l’a soutenu le défendeur, je devrais tenir compte du fait qu’au cas où la suspension serait refusée, si la Cour conclut, dans la demande de contrôle judiciaire, que le défendeur a commis une erreur, le demandeur aura la possibilité de réclamer des dommages‑intérêts fondés sur la perte partielle de sa liberté pendant ces vingt (20) heures.

 

[19]           Les ennuis que le demandeur subira par suite de l’application de la peine seront donc minimes et ne constituent pas un préjudice irréparable.

 

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

 

[20]           Le demandeur soutient que si la réparation était refusée, les conséquences seraient plus graves pour lui qu’elles ne le seraient pour le défendeur, si une réparation était accordée. Je ne suis pas d’accord. De fait, la suspension de la sentence du demandeur influerait directement sur la capacité du Service correctionnel du Canada de s’acquitter de son mandat.

 

[21]           Au paragraphe 56 des arguments écrits de l’avocat du défendeur, on cite l’affidavit de M. Daniel Bonin, sous‑directeur à La Macaza, selon lequel l’intérêt public exige que le Service correctionnel du Canada puisse s’acquitter de son mandat. Je suis d’accord avec M. Bonin.

 

[22]           Je n’hésite pas à suivre la jurisprudence mentionnée par l’avocat du défendeur, à savoir Teale c. Canada, [2000] A.C.F. no 1666 et Plamondon c. Canada, [2001] A.C.F. no 221. Je n’hésite pas à conclure que la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur.

 

[23]           J’aimerais mentionner que l’avocate du demandeur a présenté sa cause devant la Cour d’une façon éloquente et convaincante. Néanmoins, l’affaire est essentiellement fondée sur le fait que le demandeur est réticent lorsqu’il s’agit de se conformer à des règles fort simples, qui s’appliquent à tous les détenus du pénitencier.

 


[24]           Eu égard aux circonstances de l’espèce, accorder une suspension serait permettre la contestation des centaines, sinon des milliers, de petites décisions administratives qui sont prises quotidiennement dans les pénitenciers partout au pays. Le demandeur pourrait profiter de l’occasion pour songer à adopter une attitude positive et pour réfléchir aux avantages que la chose comporterait au lieu de comparer les ennuis qu’il risque de subir par rapport à l’intérêt public, à la sécurité et à l’efficacité opérationnelle du Service correctionnel du Canada.

 

 

ORDONNANCE

 

[25]           Par conséquent, la demande de suspension est rejetée.

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T‑1824‑02

 

INTITULÉ :                                                               Richard Paul Condo

c.

Le procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario) (par conférence téléphonique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       le 31 octobre 2002

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE                           

ET ORDONNANCE :                                               Monsieur le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :                                              le 4 novembre 2002

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Diane Magas                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

M. Sébastien Gagné                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Magas                                                             POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

 

M. Morris Rosenberg                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada                              

Ottawa (Ontario)


 

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

 

 

 

Date : 20021104

 

Dossier : T‑1824‑02

 

 

ENTRE :

 

                RICHARD PAUL CONDO

 

                                                            demandeur

                                      et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                             défendeur

 

 

 

                                                                            

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

 

 

                                                                            

 

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