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Date : 20081120

Dossier : IMM-3745-08

Référence : 2008 CF 1297

Montréal (Québec), le 20 novembre 2008

En présence du juge en chef

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

 

XIAOQUAN LIU

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]        Le défendeur est soupçonné d’avoir commis une fraude en République populaire de Chine, le pays de sa citoyenneté, ainsi qu’aux États‑Unis.

 

[2]        En mars 2007, le défendeur a demandé l’asile au Canada. Il est détenu par les autorités de l’immigration depuis son arrivée au Canada. Sa détention a fait l’objet d’un contrôle à environ 20 reprises en vertu des dispositions de la section 6 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). À chaque occasion, un commissaire de la Section de l’immigration a conclu que le défendeur risquait de s’enfuir et sa détention a été prolongée.

 

[3]        Durant le contrôle de la détention du 22 août 2008, la commissaire de la Section de l’immigration (la commissaire) a été informée que l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) du défendeur serait terminé dans la deuxième moitié de décembre 2008, ce qui lui ferait une détention d’environ 20 mois. Compte tenu de ces renseignements et de la possibilité de la tenue d’une autre instance judiciaire à la suite de l’ERAR, la commissaire a conclu que la détention continue contrevenait aux droits conférés au demandeur par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, elle a ordonné sa libération à la condition qu’il se présente régulièrement devant les représentants du demandeur et les tienne au courant de ses allées et venues.

 

[4]        Le demandeur a immédiatement présenté la présente demande de contrôle judiciaire et il a obtenu un sursis à l’exécution de l’ordonnance de la commissaire. L’audition du présent contrôle judiciaire a été hâtée.

 

 

[5]        Dans la décision Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214, rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, le juge Marshall Rothstein a renvoyé pour nouvel examen la décision refusant la libération d’une personne qui était détenue depuis quatorze mois. Il a conclu que le décideur avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des facteurs pertinents.

 

[6]        Le juge Rothstein a réitéré le principe selon lequel on doit trouver un juste équilibre entre le droit de l’État de contrôler qui reste au Canada et le droit à la liberté de l’intéressé (Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, pages 151 et 152). Il a ensuite énuméré un certain nombre de facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer si la détention doit être prolongée (Sahin, au paragraphe 30) :

 

[…] Il est inutile de rappeler que les facteurs applicables à un cas d’espèce et leur importance relative dépendent des faits de la cause.

 

(1)    Les motifs de détention, savoir si le requérant peut constituer une menace pour la sécurité publique ou peut se dérober à la mesure de renvoi. À mon avis, une longue détention est d’autant justifiable que l’intéressé est considéré comme une menace pour la sécurité publique.

 

(2)    La durée de la détention et le temps pendant lequel la détention sera vraisemblablement prolongée. Si l’individu a été déjà détenu pendant un certain temps comme en l’espèce et s’il est prévu que la détention sera prolongée pour une longue période ou si on ne peut en prévoir la durée, je dirais que ces facteurs favorisent la mise en liberté.

 

(3)    Le requérant ou l'intimé a-t-il causé un retard ou ne s'est-il pas montré aussi diligent qu'il est raisonnablement possible de l'être? Les retards inexpliqués ou même le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable.

 

(4)   La disponibilité, l'efficacité et l'opportunité d'autres solutions que la détention, telles que la mise en liberté, la liberté sous caution, la comparution au contrôle périodique, la résidence surveillée dans un lieu ou une localité, l'obligation de signaler les changements d'adresse ou de numéro de téléphone, la détention sous une forme moins restrictive de liberté, etc.

 

 

[7]        Les lignes directrices énoncées dans la décision Sahin sont maintenant codifiées à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

[8]        Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, la Cour suprême du Canada a souscrit aux principes énumérés dans la décision Sahin lorsqu’elle a examiné les périodes de détention prolongées dans des affaires mettant en cause la sécurité nationale. La Cour suprême a souligné que le décideur doit prendre en compte les motifs de la détention, le temps passé en détention, les raisons qui retardent l’expulsion, la durée anticipée du prolongement de la détention et l’existence de solutions de rechange à la détention (aux paragraphes 108 à 117).

 

[9]        La commissaire a estimé que, d’après son expérience, les procédures de renvoi prennent environ 18 mois avant de se terminer. Elle a ajouté ce qui suit : [traduction] « C’est ce que je voulais dire quand j’ai parlé de longue détention et, lorsqu’on la met en balance avec un risque de fuite, je décide que cela est justifié, malgré l’article 7 de la Charte. »

 

[10]      Les extraits suivants tirés de la transcription des motifs oraux de la commissaire expliquent davantage sa décision d’ordonner la libération du défendeur :

 

[traduction]

 

[…] Je suis obligée, lorsque je tiens compte de l’application de l’article 7, de tenter d’estimer la durée du prolongement de votre détention jusqu’à votre renvoi du Canada et non pas jusqu’à la conclusion de la demande d’examen des risques.

 

[…]

 

[…] Je dois conclure, selon les renseignements dont je dispose et selon ma connaissance des procédures judiciaires, dans le contexte du droit de l’immigration, que cela prendra encore beaucoup de temps avant qu’une décision définitive, favorable ou défavorable, soit rendue quant à savoir si pouvez rester au Canada ou si vous devez quitter le pays.

 

Après avoir tiré ces conclusions, je conclus qu’ordonner une prolongation de votre détention pour ce motif, compte tenu du temps qu’il faudra encore attendre, constituerait une violation de l’article 7 de la Charte.

 

 

[11]      En vertu de la section 6, la détention ne peut pas durer indéfiniment (Sahin, au paragraphe 23). Une longue détention ne signifie toutefois pas nécessairement une détention qui dure indéfiniment. Il faut prendre en compte chacun des facteurs mentionnés dans la décision Sahin et leur accorder l’importance qui leur revient.

 

[12]      En l’espèce, les motifs de la commissaire ne révèlent pas un examen suffisant des raisons ayant retardé le renvoi. La demande d’asile du défendeur a été retirée neuf mois après qu’elle a été déposée. Durant cette période, le défendeur a été représenté à diverses reprises par l’un ou l’autre des cinq avocats dont il a retenu les services. Ses trois demandes d’ajournement ont été accueillies. L’analyse de la commissaire n’indique pas s’il « sera[it] justifié de retenir […] [ce] manque de diligence contre la partie qui en est responsable » (Charkaoui, au paragraphe 114).

 

[13]      L’opinion de la commissaire concernant la durée anticipée du prolongement de la détention était prématurée et conjecturale. Dès le début du processus de contrôle des motifs de la détention, les commissaires de la Section de l’immigration ont compris que le défendeur, comme il en a le droit, épuiserait les recours qui lui sont offerts par la LIPR.

 

[14]      Le 26 juin 2008, le défendeur a été informé qu’on avait conclu qu’il était visé par l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés parce qu’il avait commis un crime grave de droit commun avant d’entrer au Canada. Selon les représentants du demandeur, cette conclusion le faisait tomber sous le coup du paragraphe 112(3) de la LIPR. Le 30 juillet 2008, la Section de l’immigration a été informée que les représentants du demandeur avaient conclu à l’existence d’un risque au regard de l’article 97 de la LIPR. La décision relative à l’ERAR devait être rendue dans la deuxième moitié de décembre 2008.

 

[15]      Il se peut qu’une décision relative à l’ERAR défavorable entraîne rapidement un autre litige en Cour fédérale. Un tel litige peut immédiatement faire l’objet d’une gestion de l’instance. On peut demander un échéancier accéléré établissant les étapes ultérieures. Si l’autorisation est accordée, sur consentement ou autrement, on peut demander la tenue d’une audience au plus tôt. Avec la collaboration des avocats, les demandes futures de contrôle judiciaire concernant le défendeur peuvent et devraient être entendues en temps tout aussi opportun que la présente demande.

 

[16]      Dans nombre de cas, la solution la plus satisfaisante consistera à détenir l'intéressé tout en expédiant la procédure d'immigration, même si la personne qui risque de s’enfuir ne constitue pas un danger pour le public (Sahin, au paragraphe 31).

 

[17]      L’omission par la commissaire de prendre dûment en compte les facteurs énumérés dans la décision Sahin, notamment le manque de diligence en ce qui concerne la nature conjecturale de son évaluation d’un autre litige devant la Cour, constitue une erreur de droit (Sahin, au paragraphe 33). En l’espèce, la commissaire devait examiner la période de détention en fonction des critères prévus dans la décision Sahin et dans l’article 248 du Règlement. Sa décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et elle est par conséquent déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[18]      Compte tenu de cette conclusion, les arguments du demandeur relatifs aux motifs clairs et convaincants n’ont pas à être examinés.

 

[19]      Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats peuvent soumettre des arguments concernant la certification d’une question grave dans les cinq jours suivant la date des présents motifs.

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3745-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. XIAOQUAN LIU

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE EN CHEF

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DEMANDEUR

Craig Costantino

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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