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Date : 20081124

Dossier : IMM-1074-08

Référence : 2008 CF 1300

Toronto (Ontario), le 24 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

STEPHEN MACHUNGO SOSI

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans la présente demande, le demandeur, agissant pour son propre compte, conteste deux décisions; une décision défavorable relative à l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) et une décision défavorable relative à l'existence de considérations humanitaires (la décision CH). Ces deux décisions ont été rendues le 31 octobre 2007. Les décisions qui font l’objet du présent contrôle rejettent les demandes conjointes de réparation du demandeur, de sa mère, de son père et de sa sœur en ce qui concerne leur éventuel retour au Kenya.

 

[2]               Il est contraire aux Règles de la Cour fédérale de demander le contrôle judiciaire de deux décisions dans une seule demande :

Article 302. Limitée à une seule ordonnance – Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

 

 

[3]               Toutefois, si je comprends bien, en raison des préoccupations en matière de risque personnalisé et de considérations humanitaires, les membres de la famille, agissant pour leur propre compte, ont décidé de contester les décisions faisant l’objet du présent contrôle en déposant des demandes de contrôle judiciaire indépendantes, une pour chacune des décisions; une demande fut déposée par la mère et le père et une demande fut déposée par le demandeur et sa soeur. Avant le stade de l’autorisation, les demandes auraient pu être rejetées pour vice de forme ce qui aurait eu pour effet que les décisions auraient ainsi dû être traitées séparément, peut‑être dans une seule demande d’autorisation. Même dans leur forme actuelle, les demandes auraient pu être rejetées au stade de l’autorisation sans être tranchées. Néanmoins, elles n’ont pas été rejetées à l’un ou l’autre stade et elles ont été introduites viciées sur le plan de la forme dans le processus décisionnel. Selon moi, la procédure adoptée par la famille était mauvaise, parce que, tel qu’il est précisé plus loin, elle a occasionné une grave injustice à chacun des membres de la famille, sauf au demandeur.

 

[4]               La procédure est mauvaise parce que la décision défavorable relative à l’examen des risques avant renvoi et la décision défavorable relative à l'existence de considérations humanitaires ont été tranchées par le même agent des visas et chacune des décisions vise l’ensemble des membres de la famille conjointement. Par conséquent, si la décision relative à l’ERAR ou la décision CH est annulée parce qu’il y a eu erreur susceptible de contrôle, chaque membre de la famille a droit à un nouvel examen au vu de la preuve telle qu’elle existe à la date du nouvel examen. En ce qui concerne la demande du demandeur par laquelle il conteste les deux décisions, l’autorisation fut accordée, alors que l’autorisation n’a pas été accordée quant aux demandes des autres membres de la famille. Comme la décision d’accorder l’autorisation n’a pas été motivée, il n’est pas possible de déterminer quelle décision comporterait une erreur.

 

[5]               L’injustice vient du fait que les demandes de la famille n’ont pas été traitées comme étant une unité. Comme je l’expose plus loin, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision relative à l’ERAR, mais j’estime que la décision CH est entachée d’un vice fondamental. Par conséquent, même si le demandeur a droit à un nouvel examen quant à la décision CH, les autres membres de sa famille n’y ont pas droit, même si la décision ne fait aucune distinction avec leurs plaidoyers fondés sur des considérations humanitaires. J’estime que cela est injuste. Les décisions qui font l’objet du présent contrôle ne font aucune distinction avec le bien‑fondé des arguments soumis par la famille, et, en effet, la décision d’accorder l’autorisation aurait dû être prise de la même façon; s’il y avait une erreur justifiant l’autorisation dans l’une ou l’autre des décisions, alors toutes les demandes auraient dû faire l’objet d’une autorisation.

 

[6]               En ce qui concerne la décision relative à l’ERAR visée par le présent contrôle, j’estime que la contestation du demandeur doit être rejetée.

[7]               Au niveau de la Section de la protection des réfugiés, la demande d’asile conjointe de chacun des membres de la famille a été rejetée car on a conclu qu’ils bénéficieraient de la protection de l’État s’ils retournaient au Kenya. L’agent des visas a conclu que, comme le demandeur n’a produit aucun élément de preuve nouveau justifiant un examen de la protection de l’État, le demandeur ne serait exposé à aucun risque s’il retournait au Kenya. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans cette conclusion. Compte tenu des documents soumis par le défendeur dans le cadre de la présente demande et compte tenu de l’argumentation qu’il a présentée pour son propre compte au cours de l’audition de la demande, il est manifeste que le demandeur est préoccupé par le fait qu’il existe de nouveaux éléments de preuve postérieurs à la décision relative à l’ERAR concernant les risques auxquels il serait exposé au Kenya. Par conséquent, si j’ai bien compris, le demandeur entend déposer une autre demande d’ERAR en son nom et au nom des membres de sa famille.

 

[8]               Toutefois, pour ce qui est de la décision CH concernant conjointement le demandeur, ses parents et sa soeur, je suis d’avis qu’elle est entachée d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

 

[9]               En ce qui concerne les allégations de difficulté, la décision comporte trois rubriques séparées : Risques / Allégations de difficulté; Risques / Analyse des difficultés; et Établissement. La rubrique intitulée Risques / Allégations de difficulté est ainsi libellée :

[traduction]

 

Les demandeurs ont mentionné les mêmes risques auxquels ils seraient exposés au Kenya que ceux qu’ils ont mentionnés dans leur demande d’asile. En général, la famille a peur de la secte mungiki ainsi que des autorités de l’État au Kenya. Le demandeur principal [le père] est un membre de la tribu kisii et affirme que lui et sa famille ont été terrorisés par des membres de la tribu kalenjin et que la police a été incapable de les protéger. En conséquence de la violence, sa ferme a été incendiée, on lui a volé son bétail et, au bout du compte, son entreprise a été détruite. La demanderesse principale [la mère] affirme qu’elle a été battue et harcelée en raison de son refus de soumettre ses filles à la mutilation génitale et en raison de ses opinions quant à cette pratique répandue au Kenya.

 

Le fils du demandeur affirme qu’il a été accusé d’appartenir à la secte mungiki par la police et des pressions ont été exercées sur lui par [sic] pour qu’il devienne membre de cette organisation interdite.

 

La fille du demandeur a été brutalement violée en 2003 et cette agression a été signalée à la police. Elle est tombée enceinte à la suite du viol et, pendant qu’elle était enceinte, elle s’est fait voler dans une pharmacie.

 

La famille affirme qu’elle vivra dans la misère si elle retourne au Kenya et qu’elle est très attachée au Canada.

 

(Décision, pages 1 et 2)

 

Le début de la rubrique intitulée Risques / Analyse des difficultés est ainsi libellé :

Il semble que les demandeurs n’ont soumis en preuve aucun document étayant les risques auxquels ils seraient exposés s’ils retournaient au Kenya mais ils ont soumis de nombreux documents confirmant leur établissement au Canada.

 

J’ai lu et pris en considération les déclarations du demandeur concernant les risques auxquels ils seraient confrontés au Kenya ainsi que les motifs invoqués par la SPR quant à l’appréciation des risques lorsqu’elle a tranché leurs demandes d’asile. J’ai également fait des recherches sur la situation qui règne au Kenya en me servant des renseignements les plus récents et les plus fiables auxquels on peut avoir accès.

(Décision, page 2)

 

 

La déclaration relative aux risques qui porte principalement sur l’existence de la protection de l’État est un coupé‑collé tiré du corps de la décision relative à l’ERAR, sauf la conclusion qui est ainsi libellée :

[traduction]

 

Après avoir examiné tous les renseignements qui m’ont été soumis ainsi que mes propres recherches, je suis d’avis que les risques décrits par les demandeurs ne sont pas assez importants pour qu’ils puissent constituer des difficultés s’ils retournaient au Kenya. [Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, page 2)

 

 

L’analyse portant sur l’Établissement est ainsi libellée :

 

Les demandeurs sont entrés au Canada il y a moins de trois ans, mais depuis ce temps, ils ont fait d’énormes progrès en matière d’établissement au Canada

 

Je souligne que les demandeurs principaux ont trois enfants qui résident toujours au Kenya, et que deux de ces enfants sont encore plus jeunes que les deux enfants mentionnés dans la présente demande. Les demandeurs n’ont fourni aucun renseignement concernant la situation de leurs enfants au Kenya ou concernant la raison pour laquelle ceux‑ci n’ont pas accompagné leurs parents au Canada. On ne peut que présumer que ces enfants sont établis au Kenya et qu’ils hésitaient à venir au Canada ou qu’ils estimaient qu’il n’avait pas besoin de venir au Canada. Cette absence de renseignement porte à réfuter l’idée que les demandeurs seraient exposés à des difficultés s’ils retournaient dans leur pays d’origine.

 

Les demandeurs principaux travaillent tous les deux et ils ont soumis des lettres de référence de leurs employeurs et des preuves établissant qu’ils ont entrepris de perfectionner leurs compétences à titre de travailleur en soutien communautaire. Leur fils occupe un emploi rémunéré chez UPS et il s’occupe de sport et d’autres activités au sein de la collectivité. Leur fille suit un cours d’infirmière et elle travaille également, vraisemblablement afin de défrayer en partie les coûts de ses études. Je souligne que les demandeurs principaux l’aident à défrayer le coût de ses études et qu’ils payent pleins frais internationaux. Tous les membres économisent de l’argent sur une base régulière.

 

Les demandeurs ont reçu un appui important de la part de la communauté de l’Église adventiste du septième jour dans laquelle ils sont bien connus et à laquelle ils participent activement.

 

Les demandeurs ont démontré que, en peu de temps, ils s’étaient établis de façon importante au Canada; toutefois, même si l’établissement est un facteur important à prendre en compte dans l’évaluation des difficultés, il n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Les qualités de travailleur des membres de cette famille tendent également à démontrer que ceux‑ci pourraient très facilement s’établir de nouveau dans la société kényane, surtout si l’on tient compte du fait qu’ils seront réunis avec leurs enfants à leur retour.

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, page 3)

 

 

[10]           En ce qui concerne la rubrique Établissement de la décision qui fait l’objet du présent contrôle, elle comporte manifestement, selon moi, une erreur importante susceptible de contrôle. Comme je l’ai mentionné au cours de l’audition de la présente demande, une erreur de fait importante, en soi, permet de conclure que la décision comporte une erreur susceptible de contrôle. L’erreur de fait importante est constituée par l’affirmation selon laquelle « trois enfants résident toujours au Kenya ». En fait, à la date de la décision, les « enfants » étaient âgés de 27, 23, et 20 ans et l’aîné demeurait à Dallas (Texas) (Dossier du tribunal CH, page 101). Cette erreur est importante parce qu’elle déforme le prétendu bien‑être familial qui atténuerait les difficultés auxquelles la famille serait confrontée au Kenya.

 

[11]           Même si l’erreur relevée suffit pour que l’on exige une nouvelle décision CH, j’ai certaines autres réserves quant à cette décision. Même si on ne traite pas de ces réserves ni dans les arguments écrits ni dans les arguments oraux, j’estime qu’elles sont à ce point importantes quant à la qualité de la nouvelle décision que je me dois de les mentionner.

 

[12]           Il est évident que lorsqu’un agent des visas est appelé à rendre à la fois une décision relative à l’ERAR et à la fois une décision CH, l’ensemble de la preuve offerte par le demandeur quant aux deux questions est pertinente quant aux deux décisions. Il en est ainsi parce que les conséquences possibles du retour d’un demandeur dans son pays d’origine sont un facteur à prendre en compte dans le cade d’une décision CH et dans le cadre d’une décision relative à l’ERAR. Sur le plan pratique, un agent des visas doit posséder une connaissance complète de l’ensemble de la preuve soumise quant aux deux questions et les conclusions de fait, dans les deux demandes, doivent être fondées sur une connaissance de l’ensemble du dossier.

 

[13]           La rubrique Risques / Allégations de difficulté comporte une mention très importante quant à la souffrance dont la sœur du demandeur a été victime au Kenya. La description suivante, faite par le père du demandeur, illustre cette mention :

[traduction]

 

Par ailleurs, ma fille Naomi a eu de graves problèmes durant notre absence. Elle a été enlevée, violée et laissée pour morte, par un inconnu masqué. De bons samaritains l’ont amenée à la police, puis à l’hôpital. L’inconnu lui a dit qu’il s’agissait d’une leçon pour ma famille et elle est tombée enceinte à la suite du viol. Elle a éprouvé de nombreuses difficultés au cours de sa grossesse; elle a été attaquée à nouveau à la pointe d’une arme à feu à la pharmacie alors qu’elle était enceinte de sept mois, elle a manqué de faire une fausse couche et elle a été amenée à l’hôpital, ce qui lui a sauvé la vie.

 

(FRP de William Sosi Machungo, Dossier du tribunal relatif à l’ERAR, page 16)

 

Selon moi, si on conclut que l’expérience vécue par la sœur du demandeur est un élément à prendre en considération pour tirer une conclusion, comme ce fut le cas en l’espèce, il incombait à l’agent des visas de tirer une conclusion quant à l’importance à accorder à cet élément. Cela n’a pas été fait.

 

[14]           L’analyse Risques / Difficultés comporte des incohérences. Les déclarations des demandeurs selon lesquelles ils seraient exposés à des risques à leur retour au Kenya figurent dans la décision de la SPR et, de plus, les demandeurs ont soumis une série de documents à l’agent des visas quant aux risques qui existent au Kenya en raison des conditions dans le pays. Pour arriver à la décision relative à l’ERAR, l’agent des visas a dû lire ces éléments de preuve. Par conséquent, la déclaration selon laquelle « [i]l semble que les demandeurs n’ont soumis en preuve aucun document étayant les risques auxquels ils seraient exposés s’ils retournaient au Kenya » et la déclaration selon laquelle l’agent « [est] d’avis que les risques décrits par les demandeurs ne sont pas assez importants pour qu’ils puissent constituer des difficultés s’ils retournaient au Kenya » n’ont aucun sens, sauf s’il est entendu que l’agent des visas a commis des erreurs sur deux plans.

 

[15]           Premièrement, la mention suivante figure au tout début de la décision :

Les documents suivants ont été pris en considération :

● Guide IP-5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs humanitaires

● Demandes de résidence permanente et documents à l’appui

● Décision de la SPR datée du 24 février 2006 TA4‑1967/72/73 et TA5-04488

● Le Country Reports on Human Rights Practices pour l’année 2006 publié par le Département d'État des États-Unis

    http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2006/78740.htm

Rapport d’Amnistie internationale pour l’année 2007, http://thereport.amnesty.org

● Décision de la Cour fédérale : Mahin Davoudifar c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006, IMM‑3632-05, 20060310

 

(Décision, page 1)

 

Il est manifeste que, pour en arriver à la décision relative à la demande CH, l’agent des visas n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve soumis par les demandeurs quant à la question des risques. Même si certains de ces éléments de preuve figurent dans les documents déposés relativement à la demande d’ERAR, selon moi, on peut valablement prétendre qu’ils devraient soumettre les mêmes documents pour chacune des demandes lorsque celles‑ci sont inextricablement liées. En effet, comme l’agent des visas devait rendre les deux décisions, cela est tout à fait inutile. Dans ce genre de situation, un certain nombre de compromis doivent être faits afin de ne pas laisser la forme nuire au fonds. Il est important de souligner que l’agent des visas a bel et bien considéré la demande relative à l’ERAR et la demande CH comme étant inextricablement liées parce que l’analyse des risques dans la décision CH est directement tirée du corps de la décision relative à l’ERAR.

 

[16]           Deuxièmement, la preuve des souffrances éprouvées par les demandeurs qui figure dans la décision de la SPR n’est pas réfutée; en effet, comme il a déjà été mentionné, la SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à elle. Par conséquent, les souffrances ont existé et la question est la suivante : les demandeurs devraient‑ils être renvoyés et être confrontés aux mêmes risques si on tient compte des motifs d’ordre humanitaire? L’existence de la protection de l’État n’est pas la question fondamentale dans une décision CH. La question consiste à savoir si on devrait renvoyer les demandeurs même si ceux‑ci risquent de vivre à nouveau les expériences qui les ont amenés à fuir. Même si leur demande d’asile présentée en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR a été rejetée, les demandeurs ont droit à une évaluation CH qui tient compte de leurs expériences passées. L’agent des visas n’a pas examiné au complet cet élément du dossier des demandeurs. 

 

[17]           La rubrique Établissement de la décision CH fait état d’une deuxième erreur importante liée à l’erreur factuelle qui justifie une nouvelle décision comme il a déjà été conclu. L’agent des visas a déclaré que « [l]es demandeurs n’ont fourni aucun renseignement concernant la situation de leurs enfants au Kenya ou concernant la raison pour laquelle ceux‑ci n’ont pas accompagné leurs parents au Canada » pour fonder le postulat fondamental selon lequel « ces enfants sont établis au Kenya et qu’ils hésitaient à venir au Canada ou qu’ils estimaient qu’il n’avait pas besoin de venir au Canada ». Le postulat n’est que pure conjecture. Il est clair que la conjecture constitue une partie importante de la décision défavorable qui a été rendue. En effet, le dossier comporte une preuve qui réfute l’hypothèse et qui, selon l’analyse de la preuve entreprise, n’était apparemment pas connue ou dont on n’a pas tenu compte. Dans son FRP, le père affirme ce qui suit concernant les enfants qui sont au Kenya :

[traduction]

 

Je pleure encore pour mes deux autres enfants qui se trouvent au Kenya et que je n’ai pas été capable d’emmener parce qu’ils étaient dans des pensionnats (qui leur servaient de refuge) et qu’ils n’avaient pas obtenu de certificats leur permettant d’être admis et d’obtenir des visas d’étudiant et pouvoir ainsi fuir le pays.

 

(FRP de William Sosi Machungo, Dossier du tribunal relatif à l’ERAR, pages 16 et 17)

 

 

[18]           Selon moi, l’utilisation de la conclusion selon laquelle les demandeurs sont bien établis au Canada est mauvaise parce qu’elle tient compte de l’existence d’un facteur énuméré dans le Guide IP 5 comme élément favorisant l’octroi d’un redressement fondé sur des motifs d'ordre humanitaire et l’utilise pour faire le contraire. Manifestement, l’établissement prouvé des demandeurs au Canada devrait jouer en leur faveur parce qu’il n’y a absolument aucune façon de savoir si les capacités personnelles qu’ils ont utilisées pour créer cet établissement peuvent être utilisées au Kenya pour accomplir la même chose. Émettre l’hypothèse que les demandeurs réussiraient est une erreur importante compte tenu de la preuve des souffrances qu’ils ont vécues au Kenya avant de s’enfuir au Canada.

 

[19]           Le dernier facteur pris en compte dans la rubrique Établissement appelle des commentaires. L’agent des visas a renvoyé à la décision Mahin Davoudifar pour faire valoir qu’un simple plaidoyer de la part d’un membre méritant et apprécié de la collectivité qui est au Canada sans statut ne suffit pas pour lui permettre de rester au Canada. Cet argument vise les demandeurs. Selon moi, compte tenu des circonstances que les demandeurs soumettent, il serait injuste de leur appliquer cette norme. Par exemple, ce qui suit est le plaidoyer fait par la mère afin de pouvoir rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire :

[traduction]

 

Comme j’ai demandé l’asile et qu’on me l’a refusé, on ne me permettra pas de voyager à l’extérieur du pays pour pouvoir demander un visa de résidence permanente au Canada et pouvoir revenir au Canada. J’ai donc très peur de sortir du Canada comme l’exige la loi et le Canada est le seul pays depuis lequel je peux soumettre ma demande. J’ai très peur de ce qui va m’arriver si je retourne dans mon pays. Je vais vivre dans la misère car je n’ai aucun endroit pour rester car j’ai perdu tout ce que je possédais. Ma maison a été brûlée, ma terre a été saisie et l’entreprise familiale a été complètement incendiée par mes ennemis dans mon propre pays, qui voulaient me tuer moi et ma famille. Je suis devenue une réfugiée dans mon propre pays. Mes parents ont beaucoup contribué à mes souffrances en m’excommuniant de la collectivité après avoir refusé à mes filles d’être exemptées de la MGF et ils ne peuvent donc pas m’aider moi et ma famille. Le Canada est le seul pays que je connais qui a un bon dossier en matière de droits de la personne. Le Canada a servi de refuge et de protection à moi et à ma famille. Sur le plan émotionnel et sur le plan social, je suis attachée aux Canadiens qui sont devenus mes frères dans tous les aspects de la vie. Sur le plan économique, je suis stable et si je retourne dans mon pays, personne ne nous aidera moi et mon mari à vivre car nous sommes partis depuis de nombreuses années, surtout depuis les quatre dernières années.

 

Par conséquent, je demande qu’on me permette de soumettre ma demande depuis le Canada.

 

(Renseignements supplémentaires de Christne Moraa, Dossier CH du tribunal, page 99)

 

En raison de cette déclaration, non seulement l’état psychologique de la fille est en cause en raison de l’agression sexuelle qu’elle a subie, mais également l’état psychologique de la mère est également en cause. L’agent des visas n’a pas examiné cet élément de preuve.

 

[20]           Par conséquent, je conclus que la décision CH, qui traite de façon erronée les plaidoyers fondés sur des considérations humanitaires du demandeur, de ses parents et de sa sœur, est déraisonnable compte tenu des erreurs susceptibles de contrôle constatées. C’est une erreur judiciaire que d’être capable d’annuler cette décision quant au demandeur, mais pas quant aux autres membres de sa famille. Ce résultat appelle un examen particulier.

 

[21]           Je n’ai compétence que pour annuler la décision CH quant au demandeur et pour ordonner une nouvelle décision quant à lui, mais, par souci d’équité, compte tenu du traitement de ces plaidoyers fondés sur des considérations humanitaires de la famille agissant pour son propre compte, selon moi, les parents du demandeur, ainsi que sa sœur, ont droit au même résultat. C’est‑à‑dire, il n’est pas seulement équitable envers les membres de la famille de leur accorder un nouvel examen, mais il est conforme avec la manière selon laquelle la demande CH de la famille a été traitée; les demandeurs ont présenté leur demande en tant qu’unité familiale, la décision a été rendue quant à eux à titre d’unité familiale et le nouvel examen devrait leur être accordé à titre d’unité familiale.

 

[22]           Je demande au ministre d’examiner soigneusement et promptement la demande CH du père, de la mère et de la sœur du demandeur s’ils décident d’en soumettre une autre.


ORDONNANCE

 

Par conséquent, j’annule la décision CH qui fait l’objet du présent contrôle et je renvois l’affaire à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1074-08

 

 

INTITULÉ :                                       STEPHEN MACHUNGO SOSI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 novembre 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen M. Sosi

 

POUR LE DEMANDEUR (pour son propre compte)

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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