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Date : 20081113

Dossier : IMM-4826-07

Référence : 2008 CF 1257

Toronto (Ontario), le 13 novembre 2008

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

EGEMEN ULUS OZER

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Alléguant avoir été persécuté en Turquie en raison de sa religion (alevi), de sa descendance kurde et de ses opinions politiques, M. Egemen Ulus Ozer a demandé l’asile au Canada en 2006. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande en 2007. Il a conclu que M. Ozer avait été victime de harcèlement et non pas de persécution.

 

[2]               M. Ozer prétend que la Commission a commis une erreur en ne reconnaissant pas que les expériences qu’il avait vécues en Turquie constituaient de la persécution. Il qualifie de déraisonnable la décision de la Commission et me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Je conviens que la décision de la Commission devrait être annulée et, par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La question en litige consiste à savoir si la décision de la Commission était raisonnable.

 

I.        Le contexte factuel

 

[4]               M. Ozer a prétendu être un défenseur des droits des alevis et des Kurdes en Turquie. Il a relaté une attaque par la police turque en 1999 après qu’il eut manifesté contre le traitement par la police des étudiants alevis, kurdes et gauchistes. Il a prétendu que, après cet incident, il a été arrêté, détenu et torturé pendant deux jours.

 

[5]               M. Ozer a également prétendu avoir été attaqué par la police en 2000 lors d’une manifestation à l’université. De plus, il aurait fait l’objet de harcèlement et d’injures durant son service militaire, de 2002 à 2004. Il affirme également qu’il a été détenu par la police après avoir assisté à une réunion alevie en 2004. De plus, il a prétendu avoir été battu par la police pendant qu’il assistait à une réunion d’étudiants alevis et d’étudiants gauchistes en 2005. Enfin, il affirme qu’il a été arrêté, détenu et torturé en 2006, après avoir fait la promotion d’une célébration alevie. Dès lors, il a décidé de quitter la Turquie et de s’en aller au Canada. Il a affirmé que sa famille l’a aidé à contourner les contrôles de sécurité afin qu’il puisse obtenir un passeport.

 

II.     La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a conclu que, en Turquie, les alevis sont victimes de discrimination, mais qu’ils ne sont pas persécutés. Elle a affirmé que les Kurdes étaient également victimes de discrimination, mais que les expériences vécues par M. Ozer révèlent qu’il n’avait aucun problème important lié à son origine ethnique. Comme je l’ai déjà expliqué, la Commission a reconnu que M. Ozer avait eu des problèmes en raison de ses activités politiques.

 

[7]               Toutefois, même si elle a accepté que M. Ozer était « généralement crédible », la Commission a conclu que certaines parties de son témoignage étaient exagérées. Elle a conclu que si la police avait était vraiment préoccupée par les activités de M. Ozer, elle ne l’aurait pas libéré après l’avoir arrêté. Il n’aurait pas non plus été capable d’obtenir l’attestation de sécurité nécessaire à l’obtention d’un passeport.

 

[8]               La Commission a souligné que M. Ozer avait fourni un certain nombre de preuves médicales et psychologiques corroborant l’existence de ses nombreuses blessures, mais elle a conclu que ces preuves ne prouvaient pas comment ses blessures avaient été infligées.

 

[9]               En fin de compte, la Commission a conclu que certains militants kurdes de religion alevi courraient le risque d’être persécutés en Turquie, mais que M. Ozer n’avait pas démontré qu’il appartenait à cette catégorie. Par conséquent, il existait tout au plus une simple possibilité qu’il soit persécuté s’il retournait en Turquie.

 

III.   La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

 

[10]           M. Ozer prétend que la Commission n’a pas examiné le cœur de sa demande. Elle a conclu qu’il était un témoin crédible, mais qu’il avait exagéré certaines de ses expériences. Toutefois, en général, la Commission ne mentionne jamais quelles parties du récit du demandeur elle a crues et quelles parties elle a considérées comme ayant été embellies. Par conséquent, on ne sait trop pourquoi sa demande a été rejetée.

[11]           La Commission a semblé tirer une conclusion claire quant à la crédibilité de M. Ozer. M. Ozer a affirmé qu’il croyait avoir été surveillé par la police après son arrestation et sa détention en 2006. La Commission a douté de la véracité de cette affirmation car M. Ozer a pu obtenir une attestation de sécurité pour l’obtention de son passeport et a pu quitter le pays sans problème. Si la police s’était vraiment intéressée à lui, il n’aurait pas pu obtenir une attestation de sécurité de sa part.

 

[12]           Selon moi, les motifs de la Commission n’énoncent pas clairement pourquoi la demande de M. Ozer a été rejetée. Il n’est pas inhabituel que des demandeurs d’asile exagèrent les expériences qu’ils ont vécues, peut‑être parce qu’ils croient que, en faisant cela, ils ont plus de chance de persuader la Commission d’accueillir leur demande. Mais lorsque, comme en l’espèce, la Commission conclut qu’un demandeur était généralement crédible, mais qu’il a pu embellir sa demande, elle est tenue d’examiner si le demandeur répond toujours à la définition de réfugié.

 

[13]           La conclusion de la Commission selon laquelle un demandeur a exagéré la ou les expériences qu’il a vécues ne la libère pas de sa responsabilité d’apprécier la preuve, malgré les exagérations, et de décider si l’allégation de persécution est justifiée. Le juge Marceau a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Yaliniz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 7 Imm.L.R. (2d) 163, à la page 164 (C.A.),

Il nous semble que la Commission aurait dû se demander si, même si l'on tient compte de certaines exagérations, le demandeur n'avait pas démontré qu'il avait sans aucun doute été victime de différentes formes de harcèlement constituant de la persécution, rendant ainsi sa crainte de retourner dans son pays non seulement authentique mais fondée sur le plan objectif.

 

Les remarques du juge Marceau s’appliquent en l’espèce.

 

[14]           Si on examine le seul exemple donné par la Commission, peut‑être que M. Ozer a exagéré lorsqu’il a affirmé que la police le surveillait. Il était certainement loisible à la Commission de tirer cette conclusion. Toutefois, la Commission semble avoir accepté que M. Ozer a bel et bien été arrêté, détenu et torturé en 2006. Elle ne tire aucune conclusion à l’effet contraire. Il reste donc à savoir si M. Ozer craint avec raison d’être persécuté s’il retournait en Turquie, même s’il n’a pas fait l’objet d’une surveillance policière en 2006.

 

[15]           Je souligne également que la conclusion de la Commission quant à l’attestation de sécurité n’était aucunement étayée par la preuve. M. Ozer a affirmé dans son témoignage qu’il avait versé un pot‑de‑vin afin de contourner le processus d’attestation de sécurité. De cette manière, il a pu éviter l’attention de la police lorsqu’il a obtenu son passeport.

 

[16]           Selon moi, l’analyse faite par la Commission de la demande de M. Ozer était incomplète et la conclusion qu’elle a tirée n’était donc pas raisonnable.

 

IV.  Conclusion et dispositif

 

[17]           La Commission n’a pas analysé l’essence de la demande de M. Ozer. Par conséquent, sa conclusion selon laquelle M. Ozer n’est pas un réfugié n’était pas raisonnable car elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

[18]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué;

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

            « James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4826-07

 

INTITULÉ :                                       EGEMEN ULUS OZER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 juin 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT:
                               LE JUGE O’REILLY

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 13 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Michael Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

David Tyndale

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Michael Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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