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Date : 20081114

Dossier : IMM-2117-08

Référence : 2008 CF 1266

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

WEN BIAO HUANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision datée du 15 avril 2008 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu que le demandeur, un citoyen de la Chine, n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu’il n’est pas crédible.

 

FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen chinois âgé de 21 ans. Il était propriétaire exploitant d’une librairie dans la province du Fujian en Chine que lui avait cédée son père le 1er mars 2006.

 

[3]               Le 15 mai 2006, le Bureau de l’industrie et du commerce a inspecté la librairie et a trouvé des livres du Falun Gong cachés sous de vieux livres, dans un coin d’une salle d’entreposage. Le Bureau a alors accusé le demandeur de vendre des livres du Falun Gong, a fermé le magasin et a immédiatement imposé au demandeur une amende de 18 000 yuans.

 

[4]               Le Bureau de l’industrie et du commerce a dénoncé le demandeur au Bureau de la sécurité publique (le BSP), qui l’a par la suite arrêté. À l’audience, le demandeur a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

1.                  le BSP l’a détenu au poste de police à partir de 10 h ou 11 h jusqu’à 22 h; par la suite, il devait se présenter tous les lundis au BSP, où il était détenu pendant environ 2 heures;

2.                  lors de son arrestation le 15 mai, il a été interrogé de 11 h jusqu’à 14 h 30 quant à la provenance des livres. Lorsqu’il a répondu qu’il ne le savait pas, les agents du BSP ont [traduction] « eu recours à la violence. Ils m’ont frappé derrière la tête. » Interrogé par le président de l’audience, le demandeur a dit qu’ils l’avaient frappé derrière la tête à plus de 10 reprises;

3.                  lorsqu’il ne pouvait répondre aux questions qui lui étaient posées, les agents du BSP l’envoyaient à l’extérieur effectuer des travaux manuels, comme, par exemple, déplacer des briques. Lorsque le président de l’audience lui a demandé si les agents du BSP l’avaient fait souffrir de quelque autre façon, le demandeur a répondu que les agents du BSP lui avaient braqué une lampe dans les yeux pour l’interroger.

4.                  lorsqu’il se présentait au BSP les lundis suivants, les agents du BSP lui demandaient encore d’où venaient les livres, et lorsqu’il ne répondait pas, ils le frappaient de nouveau; et

5.                  le président de l’audience a demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas parlé de cette violence physique dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et le demandeur a répondu qu’il ne le savait pas.

 

[5]               Après qu’on lui eut dit lors d’une de ses visites au BSP qu’il serait de nouveau arrêté, le demandeur a fui la Chine. Il maintient qu’il n’est pas un adepte du Falun Gong et qu’il a fait l’objet d’un coup monté par un ennemi de sa famille.

 

Décision à l’étude

[6]               Le commissaire a conclu que le demandeur n’était pas crédible pour trois motifs :

                                   i.          le demandeur ne correspondait pas au type de personne qui serait persécuté par les autorités chinoises, parce que :

 

a.       le demandeur n’était pas un adepte du Falun Gong,

b.      le demandeur ne correspondait pas au type de personne qui, sans être membre du Falun Gong, serait persécuté pour avoir appuyé ce mouvement, et

 

c.       le demandeur venait d’une région connue pour faire preuve d’indulgence à l’égard du Falun Gong;

 

2.    le demandeur a omis de fournir des détails importants sur la façon dont il avait été traité, et ce, tant dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) que dans le formulaire rempli au point d’entrée. La Commission a déclaré au paragraphe 24 :

 

Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur d’asile n’a parlé ni de torture ni de travail manuel dans sa description de la première fois qu’il a été arrêté.

 

3.    il y avait des contradictions entre la preuve documentaire et le témoignage du demandeur.

 

a.       le demandeur a dit qu’on lui avait imposé une amende le jour de son arrestation, soit le 15 mai 2006. Toutefois, l’avis d’amende est daté du 16 mai 2006, et

 

b.      le demandeur a dit que son père avait payé l’amende le même jour. Toutefois, le reçu du paiement est daté du 26 mai 2006.

 

 

QUESTION EN LITIGE

[7]               La présente demande vise à déterminer si la Commission a commis une erreur en concluant que le récit du demandeur n’était pas crédible et que le demandeur n’était donc pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[9]               Avant l’arrêt Dunsmuir, il était bien établi en droit que les conclusions de fait de la Commission, y compris celles relatives à la crédibilité, étaient assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Après l’arrêt Dunsmuir, la Cour a appliqué la norme de la « raisonnabilité » pour contrôler les décisions relatives à la crédibilité. Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447, le juge Russell, aux paragraphes 18 à 20; Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, 166 A.C.W.S. (3d) 1123, le juge Russell, au paragraphe 22; Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, 167 A.C.W.S. (3d) 773, le juge Mandamin, aux paragraphes 13 et 14; Arizaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 774, le juge Teitelbaum, aux paragraphes 16 à 18.

 

[10]           Lorsqu’elle contrôle une décision de la Commission suivant la norme de la raisonnabilité, la Cour examine « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu[e] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

ANALYSE

[11]           Dans sa décision, la Commission a jugé le demandeur non crédible pour les trois motifs susmentionnés. De l’avis de la Cour, le premier motif pour lequel la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible n’est pas raisonnable. Il est bien établi que le demandeur n’a pas nécessairement besoin d’avoir les croyances ou les opinions sur lesquelles il fonde sa crainte de persécution. La question pertinente consiste à se demander si l’auteur de la persécution attribue ces opinions au demandeur. Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Sertkaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 734, 131 A.C.W.S. (3d) 729, la juge Layden‑Stevenson, au paragraphe 6; Yonn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 881, 125 A.C.W.S. (3d) 481, le juge Rouleau, au paragraphe 14, Mwika c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 F.T.R. 155, le juge Teitelbaum, aux paragraphes 18 à 21.

 

[12]           La Commission a ajouté que les seules personnes que l’on sait être persécutées malgré le fait qu’elles ne soient pas adeptes du Falun Gong sont les journalistes ou les avocats qui défendent ou appuient le Falun Gong. Cette observation n’est pertinente que s’il est établi que les autorités chinoises ne percevaient pas le demandeur comme étant un adepte du Falun Gong, question sur laquelle ne s’est pas penchée la Commission. Enfin, la Commission a affirmé que la province du Fujian est connue pour son indulgence à l’égard du Falun Gong, et qu’aucun incident de persécution visant des non‑adeptes du Falun Gong ayant appuyé ce mouvement n’a été recensé dans cette province. Encore une fois, cela présuppose que le demandeur n’était pas perçu comme un adepte du Falun Gong. De plus, le document auquel se réfère la Commission n’indique pas, en fait, que les autorités de la province du Fujian font preuve d’indulgence; il mentionne uniquement d’autres régions comme celles où ont lieu les pires incidents de persécution visant le Falun Gong.

 

[13]           Le deuxième motif ayant justifié la conclusion de non‑crédibilité tirée par la Commission est que le demandeur avait omis de fournir des détails dans son Formulaire de renseignements personnels sur la « torture » dont il avait fait l’objet au poste de police. La Cour a examiné le témoignage produit par le demandeur devant la Commission ainsi que son Formulaire de renseignements personnels.

 

[14]           Selon la preuve du demandeur, la police l’a interrogé pendant trois heures et demie et le maltraitait lorsqu’il ne donnait par les réponses qu’elle voulait entendre. Les policiers l’ont frappé à la tête à plus de 10 reprises.

 

[15]           Il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’était pas crédible parce qu’il n’avait pas parlé de la violence du BSP dans son FRP présenté à l’appui de sa demande d’asile. Le demandeur n’a été en mesure de fournir aucune explication relativement à cette omission importante.

 

[16]           Le troisième motif donné par la Commission, soit les légères contradictions entres les dates figurant sur la preuve documentaire et celles données par le demandeur dans son témoignage, est déraisonnable. La Commission ne doit pas examiner la preuve à la loupe. Voir Warnakulasuriya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 885, le juge Mandamin, au paragraphe 7; Jamil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, 295 F.T.R. 149, le juge Lemieux, au paragraphe 24; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 F.T.R. 43, le juge Martineau, au paragraphe 11. Ces contradictions étaient mineures et ne portent pas atteinte à la crédibilité du récit du demandeur.

 

[17]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce que l’omission importante dans le FRP constitue un fondement raisonnable en soi pour que la Commission conclue que le demandeur n’est pas crédible.

 

[18]           Les avocats n’ont pas proposé de question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2117‑08

 

INTITULÉ :                                       WEN BIAO HUANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shelley Levine

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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