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Date : 20081117

Dossier : IMM‑5342‑07

Référence : 2008 CF 1283

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

NARCISA ANCHETA SIMAN

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration, Thierry A. N’kombe, en date du 8 décembre 2007, par laquelle celui‑ci a refusé sa demande, fondée sur des considérations humanitaires, de dispense de visa de résidente permanente, et sa demande de permis de séjour temporaire (le PST).

 

I.          Points litigieux

[2]               La demanderesse soulève les points suivants :

a)      L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a laissé de côté certaines preuves?

b)      L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur en disant que la demande de la demanderesse était motivée par des raisons de commodité davantage que par l’existence de difficultés lorsqu’il a rejeté sa demande fondée sur des considérations humanitaires et sa demande de PST?

c)      L’agent d’immigration a‑t‑il négligé de motiver suffisamment sa décision?

 

II.        Contexte

[3]               Mme Narcisa Ancheta Siman est une Philippine qui est arrivée au Canada le 23 mars 2004 à la faveur du Programme des aides familiaux résidants (le PAFR). Le PAFR est une catégorie prescrite, les participants au programme devant accomplir deux années d’emploi à temps plein avant de pouvoir prétendre à la résidence permanente. Cependant, la durée totale de tous les permis de travail (additionnés les uns aux autres) ne doit pas dépasser trois ans. La période de trois ans donne aux participants au programme la possibilité de compenser les périodes de chômage, de maladie, de vacances ou de congé de maternité. Il y a aussi une possibilité de prorogation qui tient compte des périodes de transition et consiste en un permis de travail provisoire accordé à ceux qui se trouvent entre deux emplois et n’ont pas encore trouvé un nouvel employeur.

 

[4]               La première employeuse de la demanderesse était Melodie Stania. En raison des difficultés conjugales de son employeuse, la demanderesse a été licenciée en décembre 2004. Comme Mme Stania avait donné à la demanderesse un préavis de son licenciement imminent, la demanderesse fut en mesure, grâce à une agence de placement, de trouver un nouvel emploi auprès d’une autre employeuse, Denise Schaffer, une plasticienne opérant au laser. Il semble qu’il n’y a pas eu d’interruption dans son emploi.

 

[5]               À cause d’un manque de communication sur la question de savoir si c’était à l’agence de placement ou à Mme Schaffer qu’il appartenait de déposer auprès de Ressources humaines Canada la nouvelle demande d’avis relatif au marché du travail (AMT), le permis de travail de la demanderesse n’a pas été renouvelé avant son expiration. La demanderesse s’en est aperçue en mars 2005. Sa demande d’AMT a été envoyée en avril 2005. À cette date, le permis de travail de la demanderesse avait déjà expiré. La demanderesse ne répondait donc plus aux conditions du PAFR.

 

[6]               Aux environs de mai 2005, la demanderesse a déposé une demande de rétablissement de son permis de travail et informé Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) que son AMT allait suivre sous peu. Elle a reçu son AMT de Service Canada trois jours après avoir envoyé sa demande de rétablissement de son permis de travail.

 

[7]               Le 15 juillet 2005, sa demande de rétablissement de son permis de travail fut refusée parce qu’elle n’était pas appuyée par un AMT. En raison de ce refus, Mme Schaffer a mis fin à l’emploi de la demanderesse parce qu’elle n’avait pas de statut.

 

[8]               La demanderesse vit au Canada sans statut depuis juillet 2005 et elle travaille sans autorisation. Selon l’affidavit de la demanderesse, elle travaille pour la famille de Judy et Paul Magrath depuis septembre 2005, mais ils hésitent à confirmer que la demanderesse travaille pour eux, étant donné qu’elle n’a pas de statut au Canada.

 

[9]               La demanderesse a engagé un conseiller en immigration, Alfonso Bontoc, pour qu’il l’aide à obtenir un permis de travail, mais le conseiller n’a rien fait. Elle s’en est aperçue environ huit mois plus tard.

 

[10]           Le 28 février 2007, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada en alléguant des considérations humanitaires. Elle a aussi demandé, subsidiairement, que lui soit délivré un PST. Cette demande était faite en raison d’une possible interdiction de territoire au Canada puisqu’elle travaille ici sans autorisation valide.

 

III.       La décision contestée

[11]           Le 8 décembre 2007, l’agent a décidé de ne pas accorder de dispense, et la demande de résidence permanente présentée depuis le Canada et fondée sur des considérations humanitaires fut refusée.

 

[12]           L’agent s’est fondé sur trois éléments pour refuser la demande fondée sur des considérations humanitaires et la demande de PST : les difficultés que pourrait causer à la demanderesse l’obligation de présenter sa candidature au PAFR depuis l’étranger; son niveau d’établissement au Canada; enfin la situation économique aux Philippines.

 

[13]           L’agent a reconnu que la demanderesse n’est pas un fardeau pour la société. Elle appartient à une congrégation, et plusieurs lettres d’appui rédigées par des amis ont été produites, mais son niveau d’établissement ne dépasse pas le niveau normal d’établissement auquel on s’attendrait de la part de la demanderesse dans sa situation, puisqu’elle vit au Canada depuis 2004.

 

[14]           La demanderesse n’a pas montré que la rupture des liens avec sa collectivité et avec son emploi au Canada aurait des répercussions négatives importantes justifiant une dispense fondée sur des considérations humanitaires.

 

[15]           L’agent a reconnu aussi que les conditions sociales et économiques qui ont cours aux Philippines ne sont sans doute pas favorables, mais il s’agit là de conditions qui touchent la population toute entière. L’agent écrivait finalement que la demande était motivée par des raisons de commodité davantage que par l’existence de difficultés.

 

[16]           Quant à la demande de PST, la demanderesse n’a pas de liens avec le Canada; ses parents et ses sept frères et sœurs ne vivent pas ici. Une autorisation d’emploi lui a été refusée le 15 juillet 2005, et elle a pris elle‑même la décision de rester au Canada et d’occuper un emploi sans autorisation. La demanderesse est une aide familiale résidante qui remplit les conditions requises et qui a le droit de présenter une nouvelle demande et de revenir au Canada dans le respect des formes. L’agent n’a vu aucune raison impérieuse de lui délivrer un PST.

 

IV.       Analyse

A.        Norme de contrôle

[17]           La demanderesse dit que la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à des demandes fondées sur des considérations humanitaires est la norme de la décision raisonnable simpliciter (Ojinma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 922, 116 A.C.W.S. (3d) 571).

 

[18]           Le défendeur ajoute que l’unique norme de la décision raisonnable, explicitée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion de la part des cours de justice. Lorsque la question posée est une question qui touche aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à une politique, la retenue judiciaire s’imposera habituellement d’emblée. Dans la présente affaire, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est la nouvelle norme de la décision raisonnable.

 

1.         L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur parce qu’il a laissé de côté certaines preuves, rendant ainsi une décision déraisonnable?

[19]           La demanderesse dit que les difficultés que lui causerait l’obligation de demander un visa de résidente permanente depuis l’extérieur du Canada seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives, en raison de son niveau d’établissement au Canada, de la situation économique qui a cours aux Philippines, enfin du manque à gagner qu’elle subirait durant le traitement de sa demande. Elle affirme qu’il lui sera extrêmement difficile de se prévaloir à nouveau du PAFR, car les délais d’attente à Manille dépassent actuellement deux ans.

 

[20]           Le défendeur relève que les sections 6.5 et 6.6 du Guide opérationnel IP‑5 (le Guide IP‑5) rendent compte du caractère exceptionnel des considérations humanitaires, lesquelles se limitent aux cas où un candidat à la résidence permanente serait exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives non envisagées par le législateur, s’il devait présenter sa demande de visa de résident permanent à l’extérieur du Canada. La section 6.7 précise que les difficultés inhabituelles et injustifiées doivent être le résultat de circonstances échappant au contrôle du candidat, tandis que la section 6.8 explique que les difficultés doivent avoir des répercussions disproportionnées sur le candidat compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

 

[21]           La demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur parce qu’il a laissé de côté certaines preuves intéressant la présente affaire. Elle dit qu’il a commis une erreur de droit en rendant une décision sans tenir compte de la totalité de la preuve qu’il avait devant lui (Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 98 N.R. 312, 15 A.C.W.S. (3d) 344 (C.A.F.); Carlos Enrique Sangueneti Toro c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 1 C.F. 652, [1980] A.C.F. n° 192 (C.A.) (QL); Ana Vilma Irarrazabal‑Olmedo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 1 C.F. 125 (C.A.).

 

[22]           Dans le jugement Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, 124 A.C.W.S. (3d) 773, au paragraphe 22, la Cour reproduisait les facteurs énumérés dans le Guide IP‑5 qui servent à évaluer le niveau d’établissement d’un demandeur au Canada. La demanderesse croit que les facteurs en question et le fait qu’elle est arrivée au Canada il y a environ quatre ans démontrent qu’elle est très bien établie.

 

[23]           L’agent n’a pas tenu compte des circonstances personnelles de la demanderesse au regard des difficultés économiques qu’elle connaîtrait si elle devait retourner aux Philippines et présenter à nouveau sa candidature au PAFR. L’agent a mal interprété la preuve lorsqu’il a dit que les conditions sociales et économiques ayant cours aux Philippines ne sont pas favorables, mais qu’il s’agit de conditions qui touchent toute la population de ce pays.

 

[24]           La demanderesse affirme aussi que l’agent n’a pas considéré la totalité de la preuve puisqu’il n’a pas tenu compte du soutien financier qu’elle apporte à sa famille dans son pays. Il ne s’agit pas simplement d’une question de difficultés économiques, mais plutôt d’une question qui concerne son aptitude à subvenir aux besoins de ses parents aux Philippines.

 

[25]           Finalement, la demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas considéré la preuve qu’il avait devant lui puisqu’il s’est limité à dire qu’elle avait cessé de répondre aux conditions du PAFR. L’agent n’a pas considéré les circonstances atténuantes qui font que, si les demandes de permis de travail de la demanderesse n’ont pas été déposées à temps, c’était en raison d’un manque de communication entre l’agence de placement et son employeuse quant à savoir laquelle des deux avait la responsabilité de sa demande d’AMT. La demanderesse avait payé un conseiller en immigration pour qu’il dépose sa demande de permis de travail, mais le conseiller n’avait rien fait. Cette preuve a été laissée de côté par l’agent d’immigration.

 

[26]           Le défendeur relève que l’agent a tenu compte des considérations sous‑jacentes à la demande présentée par la demanderesse, par exemple son niveau d’établissement au Canada et les difficultés économiques que lui causerait l’obligation de demander un visa depuis l’extérieur du Canada, et il a estimé que ces éléments n’équivalaient pas pour la demanderesse à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. L’agent n’a laissé de côté aucune preuve lorsqu’il a rendu sa décision. Selon le défendeur, ce que voudrait la demanderesse, c’est que la Cour remplace l’analyse de la preuve qu’a faite l’agent par une autre analyse qui lui soit favorable, mais cela n’est pas autorisé dans une procédure de contrôle judiciaire.

 

[27]           Le défendeur invoque l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 12, et fait valoir qu’il n’appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, de substituer sa manière de voir une demande fondée sur des considérations humanitaires à celle du décideur administratif, même si, au vu du dossier, la demande de visa de résident permanent faite depuis le Canada pour des raisons humanitaires peut avoir un certain bien‑fondé. Selon le défendeur, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[28]           Il existe une présomption selon laquelle l’agent a considéré l’ensemble des preuves qu’il avait devant lui. L’agent n’est pas tenu de faire état, dans sa décision, de chacun des faits probatoires dont il a pris connaissance, mais il a l’obligation de décrire les faits importants, qu’il doit examiner et soupeser. Une « affirmation générale » de l’agent selon laquelle il a considéré l’ensemble des preuves ne suffit pas (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 (C.F. 1re inst.); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 63 F.T.R. 312, 40 A.C.W.S. (3d) 657 (C.F. 1re inst.)).

 

[29]           La Cour est d’avis que l’agent a examiné et étudié les preuves qu’il avait devant lui, et qu’il a fondé sa décision sur les possibles difficultés que causerait à la demanderesse l’obligation de présenter sa candidature au PAFR depuis l’étranger, sur son niveau d’établissement au Canada et sur la situation économique générale qui a cours aux Philippines. L’agent a également analysé les arguments avancés par la demanderesse et n’a fait aucune généralisation laissant de côté ou interprétant erronément certaines preuves, comme le prétend la demanderesse.

 

2.         L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que la demande de la demanderesse était motivée par des raisons de commodité davantage que par l’existence de difficultés lorsqu’il a rejeté sa demande fondée sur des considérations humanitaires et sa demande de PST?

 

[30]           La demanderesse soutient que le PAFR doit être administré d’une manière transparente, mais que l’agent a appliqué d’une manière rigide et inflexible le Guide opérationnel (Karim c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 21 F.T.R. 237, 11 A.C.W.S. (3d) 271 (C.F. 1re inst.); Bernardez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 49 A.C.W.S. (3d) 369, 27 Imm. L.R. (2d) 149 (C.F. 1re inst.); Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 657, 272 F.T.R. 293. En outre, dans la décision Lim, précitée, la Cour a reconnu que l’obligation pour la demanderesse de présenter à nouveau sa candidature au PAFR constituait une forme de difficulté, étant donné l’arriéré des demandes aux Philippines à cette époque‑là.

 

[31]           La demanderesse précise que le Guide IP‑5 ne devrait pas être appliqué d’une manière rigide et inflexible dans le contexte d’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (1re inst.); Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 41 F.T.R. 118, 25 A.C.W.S. (3d) 709 (C.F. 1re inst.)). Elle explique qu’elle a travaillé comme aide familiale résidante pour des familles canadiennes durant plus de 24 mois au cours des trois ans qui ont suivi son arrivée au Canada. Si sa demande de permis de travail et de rétablissement de son statut de résidente temporaire n’avait pas été refusée en juillet 2005, elle aurait maintenant été admissible à la résidence permanente en tant que membre de la catégorie des aides familiaux résidants. En refusant la demande, l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire.

 

[32]           En outre, selon la demanderesse, l’agent a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas tenu compte de la possible interdiction de territoire dont la demanderesse pourrait être l’objet si elle devait poser sa candidature au PAFR depuis l’étranger, et cela en raison du fait qu’elle a enfreint la Loi puisqu’elle se trouve actuellement au Canada sans statut. Par conséquent, sa demande fondée sur des considérations humanitaires et sa demande de PST ne sont pas simplement fondées sur des raisons de commodité, comme l’a dit l’agent d’immigration, mais plutôt sur l’existence de difficultés démesurées et/ou excessives.

 

[33]           Pareillement, l’agent a commis une erreur en rejetant la demande de PST de la demanderesse au motif qu’elle avait pris elle‑même la décision de rester au Canada et d’exercer un emploi sans y être autorisée. Il ressort clairement d’une simple lecture de l’article 24 de la Loi que la délivrance de permis de séjour temporaires s’adresse aux demandeurs qui pourraient être interdits de territoire.

 

[34]           Le défendeur dit que la présente affaire n’est pas une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre du refus du défendeur, en date de juillet 2005, de délivrer à la demanderesse un permis de travail et de rétablir son statut de résidente temporaire. Par conséquent, la jurisprudence à laquelle se réfère la demanderesse concernant le PAFR n’est pas applicable à la décision dont il s’agit ici, qui est fondée sur des considérations humanitaires.

 

[35]           Le défendeur relève aussi que l’agent a tenu compte des circonstances personnelles de la demanderesse et n’a pas trouvé de raisons suffisantes justifiant la délivrance d’un PST à celle‑ci. Plus précisément, l’agent a considéré que la demanderesse n’avait aucune parenté au Canada, puisque ses parents et ses sept frères et sœurs ne vivent pas ici, qu’elle avait pris elle‑même la décision de rester au Canada et de travailler ici sans régulariser son statut en 2005, et qu’elle est une aide familiale qui répond aux conditions requises et qui a le droit de présenter à nouveau sa candidature dans le respect des formes.

 

[36]           Contrairement aux affirmations de la demanderesse, le défendeur dit que l’agent n’a manifestement pas refusé la demande de PST faite par la demanderesse au seul motif qu’elle pourrait être déclarée interdite de territoire. Le défendeur relève que le Guide opérationnel IP‑1 mentionne que les PST ne doivent pas servir à rétablir le statut de résident temporaire d’un visiteur, d’un étudiant ou d’un travailleur lorsque ce statut a expiré.

 

[37]           Malheureusement, le manque de communication entre l’agence de placement et l’employeuse de la demanderesse en 2005 quant à savoir à laquelle d’entre elles il appartenait de renouveler son permis de travail ne saurait servir à justifier la demande fondée sur des considérations humanitaires ni la demande de PST. Comme l’écrivait l’agent, la demanderesse a choisi de rester au Canada et d’y exercer un emploi sans autorisation. Elle n’a pas convaincu l’agent ni la Cour qu’elle subirait des difficultés excessives si elle devait retourner aux Philippines et présenter à nouveau sa candidature, selon les formes, au PAFR.

 

[38]           De plus, le fait que la demanderesse a apporté la preuve d’un certain niveau d’établissement au Canada ne suffit pas à justifier sa demande fondée sur des considérations humanitaires (Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465, 147 A.C.W.S. (3d) 1050; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, 138 A.C.W.S. (3d) 350).

 

3.         L’agent d’immigration a‑t‑il négligé de motiver suffisamment sa décision?

[39]           La demanderesse dit que l’agent d’immigration n’a pas expliqué pourquoi le fait pour elle de présenter à nouveau, depuis les Philippines, sa candidature au PAFR compte tenu de sa possible interdiction de territoire ne constituerait pas des difficultés excessives, qui sont le critère applicable dans une demande fondée sur des considérations humanitaires.

 

[40]           La demanderesse fait valoir que les motifs de l’agent sont insuffisants parce qu’il n’a pas expliqué pourquoi la demanderesse ne connaîtrait pas de difficultés compte tenu de son niveau d’établissement au Canada, et parce qu’il n’a pas tenu compte non plus des explications qu’elle lui a données concernant son omission de présenter une demande de prorogation de son permis de travail à l’intérieur du délai prévu. L’agent n’a pas non plus considéré le soutien financier que la demanderesse apporte à ses parents aux Philippines.

 

[41]           La demanderesse invoque l’arrêt Future Inns Canada Inc. v. Nova Scotia (Labour Relations Board), 160 N.S.R. (2d) 241, 69 A.C.W.S. (3d) 1073, où la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse écrivait, au paragraphe 52, que [traduction] « les cours de justice peuvent exiger, et devraient exiger, d’un tribunal administratif qu’il expose des motifs écrits toutes les fois que des points fondamentaux doivent être résolus ». Dans un jugement récent, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mann, 2004 CF 1338, 258 F.T.R. 139, la Cour fédérale a infirmé une décision de la Commission d’appel de l’immigration parce que ses motifs étaient lacunaires. La Cour fédérale a également infirmé, pour cause de motifs insuffisants, une décision relative à une demande fondée sur des considérations humanitaires parce que les motifs ne renfermaient aucune explication pouvant être examinée par la Cour dans un contrôle judiciaire (Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, 139 A.C.W.S. (3d) 164).

 

[42]           La demanderesse affirme que l’agent a fait une erreur semblable dans la présente affaire. En rédigeant ses motifs, il a simplement exposé les preuves et blâmé la demanderesse de s’être établie ici, dans des conditions difficiles, et d’avoir cessé de remplir les conditions du PAFR. Il n’y a dans les motifs de l’agent aucun examen véritable des circonstances atténuantes dans lesquelles s’est trouvée la demanderesse.

 

[43]           Le défendeur dit que les motifs de l’agent satisfont au critère du caractère suffisant puisqu’ils informent la demanderesse des raisons pour lesquelles sa demande a été refusée et qu’ils ne portent pas atteinte à son droit de solliciter un contrôle judiciaire.

 

[44]           Le défendeur relève qu’il est bien établi que les motifs d’une décision répondent à deux objets principaux : faire savoir aux parties que les points soulevés ont été examinés, et leur permettre d’exercer une voie de recours, en interjetant appel ou en déposant une demande de contrôle judiciaire (Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.); Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 371, 231 F.T.R. 116; Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527, 244 F.T.R. 223). Dans l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, la Cour suprême du Canada a jugé que des motifs qui laissent à désirer ne confèrent pas un droit d’appel distinct, en ce sens qu’ils ne constituent pas automatiquement une erreur susceptible de contrôle. La partie qui veut faire infirmer une décision pour insuffisance des motifs doit montrer que cette insuffisance lui a causé un préjudice dans l’exercice du droit d’appel que lui confère la loi (voir aussi l’arrêt R. c. Kendall, 75 O.R. (3d) 565, paragraphe 44 (C.A. Ont.)).

 

[45]           Selon le défendeur, l’agent a clairement dit que le niveau d’établissement de la demanderesse au Canada n’allait pas au‑delà de ce à quoi l’on pouvait raisonnablement s’attendre de la part d’une personne qui a vécu au Canada durant moins de quatre ans, et les difficultés normales entraînées par l’obligation de rompre des liens avec la collectivité et avec un emploi pour se prévaloir d’un programme de la manière envisagée par la loi n’équivaut pas à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. L’agent a aussi relevé que les prétendues difficultés économiques que causerait à la demanderesse l’obligation de solliciter un visa de résidente permanente depuis les Philippines ne dépassaient pas les difficultés habituelles qu’avait à l’esprit le législateur. Les motifs de l’agent répondent donc suffisamment à l’argument de la demanderesse relatif aux difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, et ils sont suffisants pour qu’elle puisse exercer son droit de déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[46]           La Cour juge que l’agent a rédigé des motifs convaincants et suffisants pour expliquer son refus de faire droit à la demande fondée sur des considérations humanitaires. La demanderesse n’a pas prouvé que l’agent s’est fourvoyé.

 

[47]           Les parties n’ont pas proposé qu’une question soit certifiée, et aucune question du genre ne se pose ici.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5342‑07

 

INTITULÉ :                                       NARCISA ANCHETA SIMAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis S. Patel                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Ian Hicks                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamman et Associés                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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