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Date : 20081105

Dossier : T-1889-07

Référence : 2008 CF 1237

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

VÊTEMENTS CORPORATIFS MULTI-FORMES INC.

demanderesse

et

 

RICHES, MCKENZIE & HERBERT LLP

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Bien que l’objet de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la LMC), soit de débarrasser le registre des marques de commerce du « bois mort », les marques de commerce qui ne sont plus utilisées, la preuve de l’usage permet à la marque de commerce de demeurer dans le registre.

 

[2]               Ainsi, même la preuve d’une seule vente effectuée dans le cours normal du commerce a été déclarée suffisante à condition qu’elle soit considérée comme une véritable transaction commerciale et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce; voir Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] 8 F.T.R. 310, 13 C.P.R. (3d) 289, à la page 293 (C.F. 1re inst.)

 

II.         La procédure

 

[3]               La demanderesse demande une ordonnance visant l’annulation de la décision du registraire des marques de commerce par laquelle l’enregistrement no 498, 437 de la marque de commerce L'AMADEI serait radiée du registre des marques de commerce (la décision du registraire) en application du paragraphe 45(4) de la LMC. Il s’agit en l’espèce d’un appel, non contesté, interjeté selon l’article 56 de la LMC.

 

III.       Le contexte

 

A.                 Les faits

 

[4]               La demanderesse, Vêtements corporatifs Multi‑Formes Inc. (Multi‑Formes), fabrique des vêtements pour femmes et les vend à des magasins de vente au détail au Canada et aux États‑Unis. Le 7 août 1998, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a accordé l’enregistrement no 498, 437 relativement à la marque de commerce L’AMADEI à Multi‑Formes. La marque de commerce visait les vêtements pour femmes suivants : les pantalons, les vestes, les jupes, les robes, les chemisiers et les chandails.

 

[5]               Vers le 30 mars 2007, Multi‑Formes a reçu un avis daté du 28 mars 2007 (l’avis du registraire). Cet avis du registraire des marques de commerce (le registraire) déclarait que la défenderesse, Riches, McKenzie & Herbert LLP (RMH), avait demandé l’application de l’article 45 et la radiation de la marque de commerce L’AMADEI. L’avis du registraire exigeait que Multi‑Formes fournisse un affidavit ou une déclaration solennelle présentant une preuve suffisante qu’elle avait utilisé la marque de commerce L’AMADEI au Canada au cours des trois ans précédant la date de l’avis du registraire. Le fait de ne pas fournir une telle preuve dans les trois mois pouvait entraîner la radiation de l’enregistrement de la marque de commerce.

 

[6]               Multi‑Formes a consulté son avocat et elle a affirmé que c’est en raison de sa propre inadvertance qu’elle n’a pas donné à son avocat tous les renseignements et les documents dont il avait besoin pour répondre à l’avis. Le registraire a rendu une décision le 6 septembre 2007, Multi‑Formes n’ayant pas répondu à l’avis dans le délai prescrit. Dans sa décision, le registraire avisait Multi‑Formes que son enregistrement de la marque de commerce L’AMADEI serait radié du registre des marques de commerce en raison de son omission de fournir la preuve requise, à moins qu’un appel soit produit au Bureau du registraire et à la Cour fédérale dans le délai prescrit à l’article 56 de la LMC.

 

[7]               Le 31 octobre 2007, Multi‑Formes a produit, dans le délai prescrit, un avis d’appel de la décision de radiation de la marque de commerce L’AMADEI.

 

[8]               RMH ne s’oppose pas à la demande.

 

B.                 La décision du registraire

 

[9]               La décision du registraire du 6 septembre 2007 de radier la marque de commerce L’AMADEI du registre des marques de commerce est celle qui est contestée dans le présent contrôle judiciaire. La partie pertinente de la décision du registraire est rédigée comme suit :

Vous êtes avisé par la présente qu’en raison de l’omission de fournir la preuve requise, l’enregistrement sera radié du registre, conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur les marques de commerce.

 

Les dispositions prescrites au paragraphe 45(5) de la Loi seront suivies à moins qu’un appel soit produit au Bureau du registraire et à la Cour Fédérale dans le délai prévu par l’article 56 de la Loi.

 

You are advised that by reason of the failure to file the evidence required, the registration will be expunged from the register pursuant to Sub-Section 45(4) of the Trade-mark Act.

 

The procedure prescribed by Sub-Section 45(5) of the Act will be followed unless an appeal is filed with the Registrar and the Federal Court within the time limited by Section 56 of the Act.

 

 

IV.       Les questions en litige

 

[10]           (1)        La Cour doit‑elle tenir compte de la preuve additionnelle produite dans un appel interjeté contre la décision du registraire sous le régime de l’article 56?

(2)        La preuve additionnelle démontre‑t‑elle une utilisation suffisante justifiant l’annulation de la décision du registraire de radier l’enregistrement no 498, 437 de la marque de commerce L’AMADEI?

 

V.        La norme de contrôle

 

[11]           Le paragraphe 56(1) de la LMC prévoit un « appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi ». Le paragraphe 56(5) prévoit que la Cour fédérale peut examiner une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

 

[12]           La jurisprudence penche aussi pour un large pouvoir de contrôle de la Cour fédérale. En appel, lorsque aucune preuve additionnelle n’est produite qui pourrait avoir une incidence importante sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, qu’il s’agisse d’une question de fait ou d’une question mixte de fait et de droit; voir Brasseries Molson c. John Labatt Ltée., [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), 5 C.P.R. (4th) 180, au paragraphe 51.

 

[13]           Toutefois, si une preuve additionnelle est produite, la norme de contrôle est différente. Comme le juge Marshall Rothstein l’a énoncé :

[51]      […] lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

 

(Brasseries Molson , précité; voir aussi Accessoires d'Autos Nordiques Inc. c. Canadian Tire Corp., 2007 CAF 367, 62 C.P.R. (4th) 436, au paragraphe 29).

 

[14]           Lorsque la Cour tire sa propre conclusion sur le caractère correct de la décision du registraire, la Cour substitue ses propres conclusions à celles du registraire sans devoir trouver une erreur dans le raisonnement de ce dernier; voir Guido Berlucchi & C. S.r.l. c. Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245, 310 F.T.R. 70, au paragraphe 24. C’est‑à‑dire que la Cour doit trancher l’affaire sur le fond et sur la base de la preuve dont elle dispose; voir Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, 60 C.P.R. (4th) 369, au paragraphe 4.

 

[15]           Pour déterminer si la preuve additionnelle justifie un examen de novo, il faut que la Cour examine dans quelle mesure cette preuve additionnelle a une force probante plus grande que celle de la preuve dont était saisi le registraire (Guido Berlucchi, précité, au paragraphe 25). En fait, le juge John Evans a décidé que « [p]lus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d’appel sera portée à tirer elle‑même une conclusion de fait »; voir Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] 176 F.T.R. 80, 3 C.P.R. (4th) 224, au paragraphe 38 (C.F. 1re inst.).

 

[16]           Puisque la décision du registraire était basée sur une omission de fournir la preuve de l’usage requise par les dispositions de l’article 45 relatives à l’avis, la preuve additionnelle de l’usage produite dans le présent appel a une valeur probante; par conséquent, la norme de contrôle en l’espèce est la décision correcte. C’est‑à‑dire que la décision du registraire justifie un examen de novo pour lequel la Cour peut trancher la question sur le fond et sur la base de la preuve dont elle dispose.

 

VI.       Analyse

(1) La Cour doit‑elle tenir compte de la preuve additionnelle produite dans un appel interjeté contre la décision du registraire sous le régime de l’article 56?

 

[17]           Le demandeur a, dans le cadre d’un appel interjeté selon l’article 56 contre la décision du registraire, la même possibilité de produire sa preuve que celle qu’il avait devant le registraire; voir, Austin Nichols & Co. (faisant affaire sous la raison sociale Orangina International Co.) c. Cinnabon, Inc., [1998] 4 C.F. 569, 82 C.P.R. (3d) 513, au paragraphe 13 (C.A.F.). Ainsi, la cour qui siège en appel peut prendre en compte la preuve additionnelle, même dans les affaires pour lesquelles le demandeur n’a pas produit de preuve devant le registraire; voir, Austin Nichols & Co., précité, au paragraphe 22). Dans Baxter International Inc. c. P.T. Kalbe Farma TBK., 2007 CF 439, 157 A.C.W.S. (3d) 632, au paragraphe 13, le juge Yvon Pinard a décidé que même si un avis, selon l’article 45, avait été envoyé aux bonnes adresses du demandeur et de son représentant pour fin de signification, la Cour pouvait admettre la preuve additionnelle.

 

[18]           Ainsi, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’examiner la preuve additionnelle dans la présente demande de contrôle judiciaire, qui est un appel de la décision du registraire.

 

(2) La preuve additionnelle démontre‑t‑elle une utilisation suffisante justifiant l’annulation de la décision du registraire de radier l’enregistrement no 498, 437 de la marque de commerce L’AMADEI?

 

[19]           Selon Multi‑Formes, la preuve fournie montre suffisamment que des ventes ont été effectuées dans le cours normal du commerce et qu’elles établissent un usage au sens de l’article 45 de la LMC. Toutefois, Multi‑Formes reconnaît bel et bien que dans les trois ans précédant la date de l’avis, elle n’a pas utilisé sa marque de commerce L’AMADEI relativement aux vestes et aux chandails pour femmes. Cependant, son enregistrement ne devrait pas être radié pour ce qui est des vêtements pour femmes suivants : les pantalons, les jupes, les robes et les chemisiers.

 

[20]           Le critère que le propriétaire inscrit doit remplir selon l’article 45 n’est pas contraignant; voir Austin Nichols & Co., précité, au paragraphe 29. Dans l’arrêt Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Cohen, 2005 CAF 64, 48 C.P.R. (4th) 223, la Cour d’appel fédérale a réitéré ce qui suit :

[6]        […] il n'est pas nécessaire dans le cadre d'une demande de radiation sous l'article 45 de faire une preuve surabondante d'usage ou d'utilisation de la marque. Le but de l'article 45 est de débarrasser le registre du « bois mort » […]

 

[21]           En outre, l’usage doit être de nature commerciale. Dans Les Compagnies Molson Limitée c. Halter (1976), 28 C.P.R. (2d) 158 (C.F. 1re inst.), [1976] A.C.F. no 302 (QL), le juge Frederick Gibson a décidé que :

[31]      Pour prouver l'emploi au Canada d'une marque de commerce pour les fins de la Loi, il faut établir, avant tout, une opération commerciale ordinaire par laquelle le propriétaire de la marque de commerce conclut un contrat avec un client qui lui commande les marchandises portant la marque de commerce et livre à ce dernier ces marchandises conformément au contrat. Autrement dit, suivant les dispositions de l'article 4, l'emploi doit avoir lieu « dans le cadre des affaires courantes » au moment du transfert du droit de propriété où de la possession de ces marchandises.

 

 

[22]           Ainsi, même la preuve d’une seule vente effectuée dans le cours normal du commerce a été déclarée suffisante à condition qu’elle soit considérée comme une véritable transaction commerciale et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce (Philip Morris Inc., précité).

 

[23]           À la faveur de l’évolution de la jurisprudence et de l’arrêt très récent de la Cour d’appel fédérale Eclipse International Fashions Canada, précité, la Cour reconnaît que dans la présente affaire, il ne s’agit pas de la question d’une seule vente dans le cours normal du commerce, mais plutôt de transactions commerciales importantes dûment prouvées par des factures.

 

[24]           À cet effet, Multi‑Formes produit comme preuve de l’usage un affidavit de la présidente de Multi‑Formes, Mme Paola Altomonte. Elle affirme que Multi‑Formes a utilisé la marque de commerce L’AMADEI au Canada relativement aux vêtements pour femmes depuis juin 1991. Multi‑Formes a enregistré la marque de commerce L’AMADEI le 7 août 1998. Elle a aussi fourni des factures pour seize ventes de vêtements pour femmes portant la marque de commerce L’AMADEI sur les étiquettes de ces vêtements. Sur ces seize ventes, six ont eu lieu avec des entreprises canadiennes et les dix autres ventes ont eu lieu avec un client situé aux États‑Unis. Ces ventes ont eu lieu entre le 29 mars 2005 et le 27 mars 2007, soit dans la période de trois ans prescrite par la procédure engagée selon l’article 45.

 

[25]           Ces factures font référence à des opérations commerciales normales dans lesquelles le propriétaire de la marque de commerce conclut des contrats avec des clients qui achètent des marchandises portant la marque de commerce du propriétaire. Bien que les factures ne fassent pas mention de la marque de commerce L’AMADEI, selon l’affidavit de Mme Altomonte, Multi‑Formes a apposé des étiquettes portant la marque de commerce L’AMADEI sur les vêtements pour femmes mentionnés dans les factures. À partir du contenu des factures, on peut tirer l’inférence que ces vêtements pour femmes avaient été livrés à la suite de contrats de vente.

 

VII.      Conclusion

 

[26]           La preuve par affidavit et les factures établissent que la marque de commerce L’AMADEI a été utilisée relativement à des vêtements pour femmes pendant la période de trois ans précédant la date de l’avis émis en application de l’article 45.

 

[27]           Vu les motifs exposés ci‑dessus, la décision du registraire informant la demanderesse que l’enregistrement  no 498, 437 pour la marque de commerce L’AMADEI serait radié, est annulée et l’enregistrement no 498, 437 pour la marque de commerce L’AMADEI est maintenu dans le registre, mais seulement pour les vêtements pour femmes suivants : les pantalons, les jupes, les robes et les chemisiers.

 


 

JUGEMENT

La Cour statue que, la décision du registraire informant la demanderesse que l'enregistrement no 498, 437 pour la marque de commerce L’AMADEI serait radié, est annulée et l'enregistrement no 498, 437 pour la marque de commerce L' AMADEI est maintenu dans le registre, mais seulement relativement aux vêtements pour femmes suivants : les pantalons, les jupes, les robes et les chemisiers. Le tout sans adjudication des dépens.

 

 

« Michel  M. J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                T-1889-07

 

INTITULÉ :                                                VÊTEMENTS CORPORATIFS MULTI-FORMES

                                                                     INC. c. RICHES, MCKENZIE & HERBERT, LLP

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 23 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                      Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                              Le 5 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sébastien Tisserand

 

POUR LA DEMANDERESSE

S/O

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McMillan Binch Mendelsohn, LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

S/O

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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