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Date : 20081028

Dossier : T-563-08

Référence : 2008 CF 1205

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

 

 

et

 

 

 

DIEGO ALBERTO FIGUEROA CASTRO

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

 

I.  Introduction

[1]               Les présents motifs découlent d’une audience relative à un appel interjeté par le demandeur en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté [1](la Loi). Le demandeur sollicite une ordonnance ou un jugement accueillant l’appel et annulant la décision rendue le 11 février 2008 par un juge de la citoyenneté (le juge), dans laquelle le juge a accueilli la demande de citoyenneté du défendeur. Le demandeur allègue que le défendeur n’a pas respecté l’exigence de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. De façon générale, cet alinéa dispose qu’un demandeur de citoyenneté canadienne doit résider au Canada pendant une ou des périodes équivalant à trois ans pendant les quatre années précédant immédiatement la date de sa demande de citoyenneté.

 

II.  Le contexte

[2]               Le défendeur est arrivé au Canada le 3 août 1999 muni d’un permis d’études. Lors de son arrivée, le défendeur était citoyen du Mexique. Le 5 avril 2001, on lui a accordé le statut de résident permanent au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Au Canada, il a terminé tant ses études universitaires de premier cycle que sa maîtrise, puis il a travaillé au Canada pendant un certain temps pour l’université où il a obtenu son diplôme.

 

[3]               Le 11 janvier 2007, le défendeur a présenté une demande de citoyenneté au Canada. Par conséquent, la période pertinente quant à la question de savoir s’il respecte ou non l’exigence de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi a débuté le 11 janvier 2003.

 

[4]               Le 1er août 2003, le défendeur a quitté le Canada et est retourné au Mexique, où ses parents et sa sœur demeurent encore. Il est resté au Mexique jusqu’au 5 août 2005, c’est‑à‑dire 734 jours, après quoi il est revenu au Canada. Pendant son séjour au Mexique, le défendeur a été sans travail pendant un certain temps, puis travailleur autonome et, enfin, il a travaillé pour Hewlett Packard.

 

[5]               À la suite de son retour au Canada et jusqu’à la date de sa demande de citoyenneté canadienne, le défendeur a été à l’étranger à quatre occasions différentes : deux fois en vacances au Mexique, une fois pour assister à un mariage au Mexique et une fois pour participer à une conférence aux États‑Unis. Par conséquent, pendant la période pertinente, le défendeur a été à l’étranger 817 jours et a été présent au Canada 643 jours. La durée de son séjour au Canada a donc été légèrement plus courte que l’exigence de résidence prévue par la Loi pour l’obtention de la citoyenneté canadienne; mais cela ne règle pas l’affaire. La notion de « résidence » au Canada a été interprétée comme n’exigeant pas en toutes circonstances la présence physique au Canada du demandeur de citoyenneté.

 

III.  La décision contestée

[6]               Le juge a conclu que le défendeur respectait l’exigence de résidence et, pour arriver à cette conclusion, il a appliqué le critère établi par la juge Reed dans la décision Re Koo[2], dans laquelle la juge Reed a écrit ce qui suit :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

1)      la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)      où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)      la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4)      quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5)      l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6)      quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

[7]               Le juge a répondu aux questions susmentionnées de la façon suivante[3] :

[traduction]

1)      Oui, le demandeur est venu au Canada, il étudie pour obtenir une maîtrise en Sciences à l’Université York et il a démarré son entreprise à Edmonton. Il travaille pour HP.

2)      Mère, père et sœur demeurent au Mexique. A un bon cercle d’amis et un partenaire d’affaires au Canada.

3)      Il a fait du Canada son pays. Il a centralisé son mode d’existence au Canada : dossiers de la banque, travail, demande d’emploi, éducation, voyages d’affaires.

4)      Dans la période pertinente, il a fait des voyages d’affaires et a été 817 jours à l’étranger par opposition à 643 jours au Canada. Il fait des voyages d’affaires et a des liens étroits ici.

5)      Il s’agit d’une situation temporaire, il souhaite être transféré à la section canadienne de HP.

6)      Liens étroits, étudie pour obtenir une maîtrise, paie de l’impôt et exploite une entreprise.

 

 

[8]               Dans le formulaire où l’on trouve les réponses susmentionnées, la mention suivante a été rédigée sous le sous‑titre [traduction] « motifs » :

[traduction]

Le demandeur a des liens assez étroits avec le Canada; paie des impôts; a un compte en banque; a une entreprise et fait des voyages d’affaire pour HP pour qui il travaille. Je suis convaincu que ces liens satisfont à l’exigence de la Loi. Bonne connaissance du Canada – Demande approuvée.

 

[9]               Dans le même formulaire, sous le sous‑titre [traduction] « décision », le juge a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je suis convaincu que le demandeur a des liens assez étroits avec le Canada. Il a vécu ici pendant une période de temps considérable, a étudié, a démarré une entreprise, a payé de l’impôt et a fait des voyages d’affaires.

 

Bonne connaissance du Canada.  Demande approuvée.

 

 

IV.  Les questions en litige

 

[10]           Comme dans toutes les affaires telles que celle en l’espèce, la Cour doit trancher la question de la norme de contrôle. La Cour est saisie d’une seconde question dans la présente affaire : le bon critère a‑t‑il été appliqué au regard de la norme de contrôle applicable; autrement dit, les motifs prononcés par le juge pour arriver à la conclusion que le demandeur s’était ou ne s’était pas déchargé de son fardeau sont‑ils intelligibles et étayés par la preuve?

 

[11]           Dans une affaire un peu semblable à celle en l’espèce, Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], la juge Dawson a écrit ce qui suit aux paragraphes 3 à 5 et 18 de ses motifs :

Le mot « résidence » n’est pas défini dans la Loi ni dans le Règlement sur la citoyenneté, 1993, […]. La Cour a en fait établi deux genres de critère de résidence, l’un quantitatif et l’autre qualitatif. Le premier critère oblige le demandeur à être effectivement présent au Canada durant un total de trois ans, calculé selon un comptage rigoureux de jours. […] Le deuxième critère interprète la notion de résidence d’une manière plus contextuelle et plus souple, puisque le demandeur doit alors justifier de liens étroits avec le Canada ou avoir centralisé son mode d’existence au Canada. […] Il est loisible au juge de choisir l’une de ces deux méthodes reconnues, et il appartient à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, de déterminer si le critère choisi a été validement appliqué. […]

 

En l’espèce, la juge a adopté le critère exposé dans la décision Pourghasemi [le critère quantitatif et non le critère adopté ici]. Ce constat est attesté par le fait qu’elle se réfère explicitement à la question en cause : [traduction] « Le demandeur a‑t‑il résidé au Canada durant les 1095 jours requis, et les renseignements fournis sont‑ils crédibles? »

 

Le point de savoir si M. Chen a prouvé qu’il avait été effectivement présent au Canada durant 1095 jours est une question de fait. Je suis d’avis, et les parties reconnaissent avec moi, que la conclusion de la juge sur ce point est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable. […]

 

[…]

 

En résumé, c’est à M. Chen qu’il appartenait de produire une preuve établissant qu’il répondait aux conditions de résidence fixées dans la Loi. Les déclarations faites dans une demande de citoyenneté n’ont pas à être prises au pied de la lettre. […] Les motifs qu’avait la juge pour conclure que M. Chen ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve étaient intelligibles et, sauf l’exception susmentionnée, ils étaient justifiés par la preuve. La décision peut se justifier au regard des faits et du droit et elle appartient aux issues acceptables. La décision était donc raisonnable.

                                                                                   [Renvoi omis.]

 

 

[12]           Les avocats dans la présente affaire sont convaincus que, en l’espèce, la norme applicable est la raisonnabilité, comme dans la décision Chen. Je suis d’accord. Par conséquent, au regard de la raisonnabilité, la question en litige est la suivante (question paraphrasée du dernier paragraphe de la citation de la décision Chen) :

Les motifs prononcés par le juge de la citoyenneté pour arriver à la conclusion selon laquelle le défendeur s’est acquitté du fardeau de fournir des éléments de preuve établissant qu’il respecte l’exigence de résidence de la Loi sont‑ils intelligibles et étayés par la preuve?

 

 

V.  Analyse

 

[13]           Au regard de la norme applicable, la raisonnabilité, je suis convaincu que la réponse à la question formulée ci‑dessus doit recevoir une réponse négative. Autrement dit, je conclus que la décision contestée ne peut se justifier au regard des faits et du droit et n’appartient pas aux issues acceptables.

 

[14]           Les réponses, précitées, données par le juge au sujet des questions formulées dans la décision Re Koo, également précitées, révèlent de la confusion, de l’incompréhension et de l’imprécision. Il est impossible de déterminer comment les réponses du juge appuient la conclusion tirée. Des exemples suivent.

 

[15]           En ce qui concerne la réponse à la première question, il faut souligner que la plus longue absence du Canada du défendeur, laquelle dépasse légèrement deux ans, s’est terminée en août 2005, près d’un an et demi avant que le demandeur dépose sa demande de citoyenneté canadienne. Pendant cette absence, le défendeur a, semble‑t‑il, d’abord été travailleur autonome au Mexique, puis il a travaillé pour Hewlett Packard.

 

[16]           En ce qui concerne la réponse à la deuxième question, le juge a correctement reconnu que la famille immédiate du défendeur demeurait au Mexique. Rien ne donne à penser qu’il a quelque personne à charge que ce soit. La mention du juge selon laquelle le défendeur avait [traduction] « un bon cercle d’amis et un partenaire d’affaires au Canada » n’est aucunement pertinente quant à la présente question et il n’a pas donné plus de détails.

 

[17]           La réponse à la troisième question ne constitue qu’une réponse indirecte; elle n’est soutenue par aucune analyse et elle ne met certainement pas en balance la question de savoir si le défendeur avait des liens plus étroits avec le Mexique et sa famille là‑bas qu’avec le Canada. La mention [traduction] « voyage d’affaires » ne semble tout simplement pas compatible avec la preuve relative au long séjour du défendeur au Mexique.

 

[18]           La réponse du juge à la quatrième question ne constitue qu’une répétition de ce qu’il avait écrit précédemment. La mention selon laquelle le défendeur [traduction] « a fait des voyages d’affaires » au cours de la période pertinente n’est pas compatible avec la preuve.

 

[19]           La réponse du juge à la cinquième question est déroutante. Il n’y a absolument aucune explication justifiant la conclusion du juge, selon laquelle le long séjour au Mexique du défendeur serait [traduction] « […] une situation temporaire […] », et cette conclusion n’est pas compatible avec la preuve faisant état des activités du défendeur ultérieures à sa demande de citoyenneté.

 

[20]           Enfin, la déclaration du juge en réponse à la cinquième question – selon laquelle le défendeur a des liens étroits avec le Canada parce que c’est ici qu’il aurait fait ses études, qu’il aurait payé des impôts et qu’il aurait exploité une entreprise – n’est pas compatible avec l’ensemble de la preuve et ne répond pas à la question en ce sens qu’il n’y a eu aucune analyse comparée.

 

[21]           Pour les brefs motifs qui précèdent, je conclus que la décision contestée, au regard de la norme de contrôle applicable, la raisonnabilité, ne peut pas être confirmée. De toute évidence, la décision ne peut tout simplement pas se justifier au regard ni des faits, ni du droit. Par conséquent, elle n’appartient pas aux issues acceptables.

 

VI.  Conclusion

[22]           Le présent appel sera accueilli. La décision contestée rendue le 11 février 2008, dans laquelle le juge a accueilli la demande de citoyenneté présentée par le défendeur, sera annulée.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 octobre 2008

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-563-08

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. DIEGO ALBERTO FIGUEROA CASTRO

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DEMANDEUR

Ronald Poulton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 



[1] L.R.C. 1985, ch. C-29.

[2] [1993] 1 C.F 286 (C.F. 1re inst.).

[3] Les réponses aux questions sont tirées d’une transcription des réponses manuscrites du juge. La transcription a été déposée au moyen d’un affidavit et acceptée par l’avocat du demandeur et du défendeur, ainsi que par la Cour.

[4] [2008] A.C.F. no 964, 2008 CF 763, le 19 juin 2008.

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