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Date : 20081110

Dossier : T‑1595‑03

Référence : 2008 CF 1251

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2008

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

DENNIS NOWOSELSKY

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En 1997, M. Dennis Nowoselsky s’est plaint auprès de la Commission canadienne des droits de la personne ( la Commission) d’avoir été congédié du Service correctionnel du Canada (SCC) en raison de discrimination du fait d’une déficience. La Commission a décidé de ne pas statuer sur sa plainte à ce moment parce que les points soulevés par M. Nowoselsky faisaient également l’objet de griefs présentés à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Après que la CRTFP eut rejeté ses griefs, M. Nowoselsky a demandé à la Commission de réactiver sa plainte. Une fois l’enquête effectuée, et après avoir reçu des parties d’autres observations, la Commission a refusé de statuer sur la plainte parce que la CRTFP s’était adéquatement penchée sur cette plainte.

 

[2]               Monsieur Nowoselsky soutient que la Commission a commis une erreur du fait de ne pas avoir renvoyé sa plainte pour instruction devant un tribunal. Je ne vois aucun motif d’annuler la décision de la Commission et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La seule question en litige consiste à savoir si la décision de la Commission était raisonnable.

 

I.        Le contexte factuel

 

[4]               À la suite d’un accident survenu alors que M. Nowoselsky était enfant, on a dû lui amputer un doigt et il a perdu en partie l’usage d’un autre doigt. Il est clair qu’une telle déficience a une incidence sur sa capacité à écrire au moyen d’un clavier. Il soutient que le SCC l’a congédié parce qu’il était incapable d’exécuter les tâches d’écriture associées à son emploi d’agent de libération conditionnelle à Prince Albert, en Saskatchewan. Il avait demandé qu’on lui fournisse un ordinateur commandé par la voix, mais sa demande a été refusée. Il prétend que par la suite le SCC a pris des mesures visant à le congédier, dont une suspension. Effectivement, en novembre 1998, le SCC a mis fin à son emploi.

 

[5]               Monsieur Nowoselsky s’est d’abord adressé à la Commission en 1997. En août 1998, la Commission l’a informé qu’il devrait poursuivre ses griefs en cours contre son employeur, lesquels faisaient l’objet d’une instance devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique, et se présenter à nouveau devant la Commission après qu’une décision aurait été rendue à l’égard de ces griefs. À différents moments, M. Nowoselsky a demandé à la Commission de statuer sur sa plainte, mais elle a continué à lui dire qu’elle attendrait l’issue de ses griefs. Après avoir entendu pendant 11 jours les témoignages de quatorze témoins, la CRTFP a rendu en février 2001 sa décision par laquelle elle a rejeté les griefs de M. Nowoselsky.

 

[6]               La CRTFP a conclu que M. Nowoselsky avait été congédié pour mauvaise conduite. Elle a en outre conclu qu’elle avait compétence pour examiner l’allégation de M. Nowoselsky selon laquelle il avait été congédié en raison de sa déficience. Elle a jugé que le SCC aurait pu mieux répondre aux préoccupations de M. Nowoselsky à l’égard de ses tâches d’écriture, mais elle a également décidé que M. Nowoselsky n’avait pas suffisamment approfondi la question avec ses employeurs. Par exemple, il ne s’était pas présenté à une rencontre avec son superviseur, de même qu’à un rendez‑vous pour une évaluation médicale.

 

[7]               Monsieur Nowoselsky s’est adressé de nouveau à la Commission en mars 2002 et a signé une plainte officielle contre le SCC. La Commission a nommé un enquêteur et a demandé au SCC de répondre à la plainte. L’enquêteur a recommandé que la Commission ne statue pas sur la plainte de M. Nowoselsky parce qu’il ne serait pas dans l’intérêt du public de le faire. L’enquêteur estimait que la CRTFP avait déjà examiné les mêmes points, qu’il n’y avait pas d’autres points à trancher et que M. Nowoselsky n’avait pas fourni un motif valable quant à savoir pourquoi les points en litige devaient faire l’objet d’une enquête plus poussée. Le rapport de l’enquêteur a été remis aux parties et elles y ont répondu toutes deux en présentant des observations.

 

II.     La décision de la Commission

 

[8]               En juillet 2003, en se fondant sur l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (LCDP, voir l’annexe), la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte de M. Nowoselsky. Après avoir examiné le rapport et la recommandation de l’enquêteur, de même que les observations présentées par les parties en réponse au rapport, elle a conclu que [traduction] « les points faisant l’objet d’une plainte devant la Commission ont été examinés suivant des procédures prévues par une autre loi fédérale (celle de la CRTFP) ».

 

III.   La décision de la Commission était-elle raisonnable?

 

[9]               Monsieur Nowoselsky soutient que la Commission a commis une erreur du fait de s’en remettre à la décision de la CRTFP plutôt que de renvoyer sa plainte de discrimination pour qu’elle soit instruite devant un tribunal. Il soutient en effet que la Commission n’a pas exercé sa compétence prévue par la loi à l’égard des plaintes en matière des droits de la personne et qu’elle a plutôt laissé un décideur non spécialisé (la CRTFP) faire son travail pour elle. De plus, il soutient que la CRTFP a erronément assumé une compétence quant aux allégations de discrimination incluses dans ses griefs.

 

[10]           Étant donné que les questions en l’espèce concernent la relation entre la Commission et la CRTFP, M. Nowoselsky soutient que la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision de la Commission est la décision correcte (citant ainsi Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 61). Toutefois, à mon avis, la décision de la Commission est plus précisément décrite comme une décision portant sur l’interprétation de sa propre loi et l’exercice de l’examen préalable se rapportant aux plaintes. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité. En d’autres termes, je ne puis annuler la décision de la Commission que si je conclus que cette décision était déraisonnable dans le sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[11]           Le juge Robert Décary, dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145 (C.A.F.), a examiné le cadre juridique entourant la décision de la Commission de ne pas statuer sur une plainte. Dans cet arrêt, un arbitre avait rejeté le grief d’un plaignant, mais la Commission avait décidé de statuer quand même sur la plainte. Le juge Décary a conclu que la Commission n’avait pas pris très au sérieux le processus d’examen préalable prévu par l’article 41 de la LCDP. Il a déclaré que « la Commission doit examiner la décision de l’arbitre, non pas pour déterminer si elle est liée par cette décision, mais plutôt pour répondre à la question de savoir si, compte tenu de la décision de l’arbitre et des conclusions de fait et en matière de crédibilité qu’il a tirées, l’alinéa 41(1)d) ne s’applique pas, vu la nature de la plainte » (au paragraphe 28).

 

[12]           Monsieur Nowoselsky soutient cependant que la CRTFP n’aurait aucunement dû examiner la question de la discrimination. Par conséquent, la Commission n’aurait pas dû conclure de son côté que la CRTFP s’était adéquatement penchée sur sa plainte.

 

[13]           Monsieur Nowoselsky souligne en particulier le paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 ( la LRTFP, maintenant abrogée; voir l’annexe), lequel prévoyait qu’un fonctionnaire avait le droit de présenter un grief dans les cas où « aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale ». En d’autres termes, le grief ne devrait pas se rapporter à des points couverts par d’autres lois. Par conséquent, la CRTFP a eu tort de se pencher sur l’allégation de discrimination de M. Nowoselsky parce que la LCDP prévoit des réparations quant à la discrimination. Au soutien de cet argument, il renvoie à la décision Chopra c. Canada, [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.). Dans cette décision, la juge Sandra Simpson a conclu qu’un arbitre avait décidé à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour trancher un grief fondé sur une allégation de discrimination. La juge Simpson a conclu que, compte tenu du paragraphe 91(1) de la LRTFP, la Commission avait compétence sur la question.

 

[14]           La décision Chopra concernait un contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre de ne pas se pencher sur un grief. Par conséquent, la juge Simpson était directement saisie de la question du bien‑fondé de la décision de l’arbitre. En l’espèce, j’examine seulement la décision de la Commission. La question de savoir si la CRTFP aurait dû s’abstenir de se pencher sur l’allégation de discrimination de M. Nowoselsky n’est pas une question sur laquelle je peux me prononcer. La seule façon de mettre en doute la décision de la CRTFP serait de la contester au moyen d’un contrôle judiciaire. Je remarque que M. Nowoselsky a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la CRTFP, mais que sa demande a été rejetée pour cause de retard (Nowoselsky c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 418, [2004] A.C.F. no 2077).

 

[15]           Toutefois, je dois également mentionner que la CRTFP a effectivement examiné la question de savoir si elle avait compétence à l’égard de l’allégation de discrimination formulée par M. Nowoselsky et qu’elle a conclu qu’elle avait cette compétence, malgré l’application du paragraphe 91(1) de la LRTFP. La CRTFP connaissait manifestement l’effet de la disposition, de même que son interprétation jurisprudentielle.

 

[16]           Par conséquent, je ne puis conclure que la décision de la Commission était déraisonnable. La Commission s’est acquittée de son obligation d’examen préalable selon ce qui est énoncé dans l’affaire Société canadienne des postes et elle a conclu que la CRTFP s’était déjà penchée sur la plainte de M. Nowoselsky.

 

[17]           Monsieur Nowoselsky a formulé une observation additionnelle à l’égard des éléments de preuve qu’il a présentés au soutien de sa plainte. Il a soutenu que puisque ni l’enquêteur ni la Commission n’ont renvoyé à ces éléments de preuve, on pourrait conclure qu’ils ne les ont pas examinés. M. Nowoselsky s’appuie sur l’arrêt Société Radio-Canada c. Paul, 2001 CAF 93, [2001] A.C.F. no 542. Dans cet arrêt, le juge Edgar Sexton a déclaré que dans les cas où la Commission mentionne expressément les éléments de preuve sur lesquels elle s’appuie, on pourrait conclure qu’elle n’a pas examiné d’autres éléments de preuve. Ce n’est pas la situation en l’espèce. La Commission a expressément déclaré qu’elle avait examiné le rapport de l’enquêteur et les observations reçues en réponse à ce rapport. Ces observations incluaient une lettre dans laquelle M. Nowoselsky relevait ce qu’il estimait être des erreurs ou des omissions commises par l’enquêteur. Dans les circonstances, je ne puis voir aucune erreur de la part de la Commission quant à la manière dont elle a examiné la preuve.

 

IV.  Conclusion et dispositif

 

[18]           À mon avis, la décision de la Commission de ne pas renvoyer la plainte de M. Nowoselsky à un tribunal était raisonnable. La Commission s’est correctement penchée sur la question de savoir si le fondement de sa plainte avait déjà fait l’objet d’une décision. Elle a examiné le rapport d’un enquêteur et les observations respectives des parties comme elle était tenue de le faire. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


Annexe

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6

 

Irrecevabilité

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[...]

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35

 

Droit de déposer des griefs

Droit du fonctionnaire

 

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit d’une disposition législative, d’un règlement -- administratif ou autre --, d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi

 

 

 

 

Restrictions

 

(2) Le fonctionnaire n’est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d’une directive, d’une instruction ou d’un règlement conforme à l’article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l’interprétation ou à l’application à son égard d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

 

Droit d’être représenté par une organisation syndicale

 

(3) Le fonctionnaire ne faisant pas partie d’une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée peut demander l’aide de n’importe quelle organisation syndicale et, s’il le désire, être représenté par celle-ci à l’occasion du dépôt d’un grief ou de son renvoi à l’arbitrage.

 

Idem

 

(4) Le fonctionnaire faisant partie d’une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée ne peut être représenté par une autre organisation syndicale à l’occasion du dépôt d’un grief ou de son renvoi à l’arbitrage.

Canadian Human Rights Act, R.S.C. 1985, c. H‑6

 

Commission to deal with complaint

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

...

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

Public Service Staff Relations Act, R.S.C. 1985, c. P‑35

 

Right to Grievance

Right of Employee

 

91. (1) Where any employee feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

 

Limitation

(2) An employee is not entitled to present any grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies, or any grievance relating to any action taken pursuant to an instruction, direction or regulation given or made as described in section 113.

 

Right to be represented by employee organization

 

(3) An employee who is not included in a bargaining unit for which an employee organization has been certified as bargaining agent may seek the assistance of and, if the employee chooses, may be represented by any employee organization in the presentation or reference to adjudication of a grievance.

 

Idem

 

(4) No employee who is included in a bargaining unit for which an employee organization has been certified as bargaining agent may be represented by any employee organization, other than the employee organization certified as bargaining agent, in the presentation or reference to adjudication of a grievance.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1595‑03

                                                           

 

INTITULÉ :                                       DENNIS NOWOSELSKY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bob Hrycan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Chris Bernier

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Balfour Moss LLP

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

John Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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