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Date : 20081119

Dossier : T-1236-01

Référence : 2008 CF 1271

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

ENTRE :

WEATHERFORD ARTIFICIAL LIFT SYSTEMS

CANADA LTD. WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP,

EDWARD GRENKE ET GRENCO INDUSTRIES LTD.

demandeurs

 

 

et

 

CORLAC INC., NATIONAL-OILWELL CANADA LTD.

et NATIONAL OILWELL INCORPORATED

 

défenderesses

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

  • [1] Les défenderesses ont demandé une ordonnance les autorisant à modifier leur défense et demande reconventionnelle afin d’obtenir une déclaration selon laquelle les modèles de boîte à garniture achetés auprès d’un tiers, SAI Hydraulics Ltd., et vendus par la défenderesse National-OilWell Canada Ltd. ne contrefont pas un brevet détenu par les demandeurs.

 

  • [2] Dans une ordonnance datée du 9 juin 2008, le protonotaire Lafrenière a refusé l’autorisation de modifier la défense et la demande reconventionnelle demandée par les défenderesses. Les défenderesses interjettent appel de l’ordonnance du protonotaire devant la Cour.

 

CONTEXTE

  • [3] Le dispositif connu dans le jargon des champs pétrolifères sous le nom de boîte à garniture est un dispositif de retenue des fuites de pétrole dans des pompes rotatives pour puits de pétrole. Dans une action regroupée, déposée le 8 mai 2007, les demandeurs allèguent, entre autres, que les défenderesses ont fabriqué, construit, utilisé, mis en vente et vendu des systèmes d’entraînement comprenant des boîtes à garniture rotatives qui sont revendiquées et décrites dans le brevet canadien no 2 095 937 (le brevet 937) détenu par les demandeurs. La demande initiale pour contrefaçon dans le cadre de cette action remonte au 6 juillet 2001.

 

  • [4] Les demandeurs ont demandé une déclaration selon laquelle le brevet 937 est valide et que les défenderesses ont contrefait le brevet des demandeurs. Les défenderesses, dans leur défense et demande reconventionnelle, allèguent que le brevet 937 est invalide et présentent une demande reconventionnelle en vue d’une déclaration d’invalidité.

 

  • [5] Les interrogatoires préalables ont eu lieu avant et après la réunion d’instances. Par ordonnances du juge en chef adjoint Lutfy, datées du 21 janvier 2003 et du 2 novembre 2004, l’action a été placée sous la supervision, en matière de gestion des instances, du juge Hugessen avec l’aide du protonotaire Lafrenière. Le 8 mai 2008, le juge Hugessen a émis une directive précisant que le procès dans la présente affaire se déroulerait sur une période de cinq semaines à compter du printemps 2009. Le procès devrait débuter le 20 avril 2009.

 

  • [6] Au cours des interrogatoires préalables, une question a été soulevée au sujet des boîtes à garniture de SAI Hydraulics Canada (boîtes à garniture SAI) qui ont été achetées et revendues par la défenderesse National-OilWell Canada Ltd. Les boîtes à garniture SAI ont fait l’objet d’interrogatoires préalables plus ciblés, tant par les demandeurs que par les défenderesses. Les demandeurs ont soutenu que les boîtes à garniture SAI n’étaient pas comprises dans la portée de la demande.

 

  • [7] Le 22 avril 2008, les défenderesses ont signifié une copie de la défense et la demande reconventionnelle modifiées proposées aux demandeurs et leur ont demandé soit de consentir à la signification et au dépôt de la défense modifiée proposée, soit d’admettre que les boîtes à garniture SAI ne constituaient pas une contrefaçon du brevet 937. Les demandeurs ont refusé d’accepter l’une ou l’autre option.

 

  • [8] Le 5 mai 2008, les défenderesses ont déposé un avis de requête en autorisation de signifier et de déposer une défense et une demande reconventionnelle modifiées qui comprenait une demande visant l’obtention d’une déclaration selon laquelle les boîtes à garniture SAI vendues par la défenderesse National-OilWell Canada Ltd. ne contrefont pas les revendications du brevet 937. Les modifications proposées se lisent comme suit :

[traduction

  1. Défense : 17A Quant au paragraphe 35 de la demande, les défenderesses rejettent les allégations de contrefaçon des demandeurs. En particulier, National-Oilwell Canada Ltd. achète certaines boîtes à garniture à un tiers, SAI Hydraulics Canada Inc. et les défenderesses nient expressément que les boîtes à garniture SAI contrefont les revendications du brevet 937.

 

  1. Demande reconventionnelle : 26 b) :Une déclaration selon laquelle les boîtes à garniture SAI ne contrefont aucune des revendications du brevet 937.

 

DÉCISION EN APPEL

  • [9] Le 9 juin 2008, le protonotaire Lafrenière a rendu une ordonnance rejetant la demande d’autorisation de signifier et de déposer la défense et la demande reconventionnelle modifiées.

 

  • [10] Le protonotaire, après avoir pris note des observations écrites et orales des parties, a écrit :

[traduction]
Et après confirmation par l’avocat des demandeurs que certains modèles de boîte à garniture achetés auprès de SAI Hydraulics Ltd. et vendus par National‑OilWell Canada Ltd ne font pas partie de la présente action, qu’aucune réparation n’est demandée relativement à ces boîtes à garniture dans le cadre du procès à venir.

 

 

  • [11] Le protonotaire a rejeté l’avis de requête pour solliciter une ordonnance accordant l’autorisation de signifier et de déposer une défense et une demande reconventionnelle modifiées.

 

Questions en litige

  • [12] J’estime que les questions en litige soulevées dans le présent appel sont les suivantes :

    1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le protonotaire?

    2. Compte tenu de la norme de contrôle, le paragraphe 2 de l’ordonnance du 9 juin devrait-il être annulé et l’autorisation devrait-elle être accordée aux défenderesses de signifier et de déposer la défense et la demande reconventionnelle modifiées proposées?

 

La norme de contrôle applicable

  • [13] Dans la décision Canada c Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] A.C.F. no 103,le juge MacGuigan a énoncé la proposition suivante :

 

[l]e juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits;

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause.

 

Le juge MacGuigan a ensuite statué que lorsque le protonotaire commet une erreur de droit, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

  • [14] La norme de contrôle a été analysée de nouveau dans Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2003 C.A.F. 488, où le critère a été reformulé par le juge Robert Décary de la Cour d’appel fédérale, qui a affirmé ceci :

 

[...] le critère devrait être légèrement reformulé comme suit : on ne doit pas toucher à l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire à moins a) qu’elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ou b) qu’elle ne soit manifestement erronée parce qu’elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [15] Si la question soulevée a une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge de révision devrait se livrer à un examen de novo d’une norme de contrôle qui n’appelle aucune retenue.

 

Analyse

  • [16] Les défenderesses ont soutenu que le protonotaire a commis une erreur en permettant aux demandeurs de limiter la portée de l’action malgré la demande du demandeur au paragraphe 35 qui énonce ce qui suit :

[traduction]
35.  L’étendue et la nature des actes de contrefaçon du brevet 937 par National-Oilwell et Corlac sont inconnues des demandeurs, mais sont connues de National-Oilwell et de Corlac. Les demandeurs réclament une réparation relativement à tous les actes de contrefaçon commis par National-Oilwell et Corlac.

 

  • [17] Les défenderesses ont soutenu qu’elles cherchaient à clarifier la portée de l’action et à s’assurer que tous les produits prétendument contrefaits étaient inclus, en particulier les boîtes à garniture SAI. Elles prétendent qu’en rejetant leur demande de modification, le protonotaire s’est prononcé sur une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. Les défenderesses soutiennent que la Cour doit examiner de novo la demande de modification.

 

  • [18] Les défenderesses s’appuient sur la décision Merck & Co. c Apotex Inc., [1999] A.C.F. no 2022 (CA) (Merck), pour faire valoir le principe selon lequel le libellé général de la contrefaçon dans une déclaration ne limite pas la réclamation aux produits énumérés.

 

  • [19] Je ne crois pas que le paragraphe 35 de la demande appuie l’interprétation des défenderesses. Le paragraphe 35 suit immédiatement une liste des détails relatifs à l’infraction alléguée. Une lecture objective du paragraphe donne lieu à une interprétation selon laquelle le paragraphe 35 est un paragraphe de sauvegarde à l’égard des précisions alléguées dans les actes de procédure des demandeurs plutôt qu’une interprétation selon laquelle le paragraphe 35 est une réclamation concernant de nouveaux produits inconnus.

 

  • [20] En outre, une demande fondée uniquement sur le paragraphe 35 sans allégation des faits substantiels nécessaires pour établir une cause d’action en contrefaçon serait défectueuse. Le paragraphe 35 en lui-même ne peut pas servir d’argument valable en ce sens qu’il est dépourvu de tout fait substantiel reliant les réclamations aux activités de contrefaçon relatives aux boîtes à garniture SAI. Harrison c Sterling Lumber Co., 2008 CF 220, aux paragraphes 20 à 23.

 

  • [21] Les défenderesses soutiennent également que la doctrine de la chose jugée exige qu’elles soient tenues de présenter l’ensemble de leur cause. Si elles ne le font pas, elles affirment qu’elles pourraient faire l’objet d’une deuxième action de la part des demandeurs à l’égard des boîtes à garniture SAI.

 

  • [22] L’argument des défenderesses en ce qui concerne la doctrine de la chose jugée est que celle-ci empêche les défenderesses d’avoir à se défendre contre une deuxième série de poursuites. L’application de la doctrine de la chose jugée, cependant, joue en faveur des défenderesses et ne leur est pas désavantageuse, puisque ce sont les demandeurs qui ne peuvent pas intenter une nouvelle action en justice s’ils ne présentent pas une demande connexe qu’ils auraient pu déposer. Merck, au paragraphe 13.

 

  • [23] L’exclusion de la demande reconventionnelle des défenderesses pour une déclaration d’absence de contrefaçon résulte d’une ordonnance du tribunal, à savoir l’ordonnance du protonotaire du 9 juin. Les facteurs mentionnés dans Merck, soit le manque de diligence, la négligence, l’inadvertance ou l’accident, ne s’appliquent pas dans ces circonstances. À mon avis, les défenderesses n’ont pas manqué de faire preuve de diligence ou de négligence de façon à soulever une question liée au principe de la chose jugée si elles exercent leur droit de demander une déclaration d’absence de contrefaçon.

 

  • [24] De plus, les défenderesses ne seraient pas empêchées d’introduire une demande reconventionnelle pour absence de contrefaçon si elles étaient poursuivies par les demandeurs dans le cadre d’une action subséquente pour contrefaçon du brevet 937 relativement aux boîtes à garniture SAI, puisque le droit de demander une déclaration repose sur un fondement législatif, soit l’article 60(2) de la Loi sur les brevets. Je ne crois pas que la doctrine de la chose jugée empêcherait les défenderesses d’exercer un droit légal de demander une déclaration d’absence de contrefaçon dans le cadre de toute défense future pour un dispositif qui n’a pas fait l’objet d’un litige antérieur.

 

  • [25] Compte tenu de ce qui précède, je ne considère pas que le protonotaire se soit prononcé sur une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. Par conséquent, j’estime que l’ordonnance du protonotaire est de nature discrétionnaire.

 

  • [26] Le rôle d’un juge chargé de la gestion de l’instance a été discuté par le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale dans la décision L’Hirondelle c Canada, 2001 CAF 338, au paragraphe 11. Il s’est exprimé ainsi :

Nous tenons à profiter de l’occasion pour énoncer la position prise par la Cour dans les cas où une ordonnance rendue par le juge responsable de la gestion d’une instance a été portée en appel. Il faut donner au juge responsable une certaine latitude aux fins de la gestion de l’instance. La Cour n’intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé

 

  • [27] Dans la décision Microfibres Inc. c Annabel Canada Inc., 2001 CFPI 1336, le juge Gibson a considéré que le rôle du protonotaire revêt une importance semblable. Il a affirmé ce qui suit :

J’arrive à la conclusion que les observations du juge Rothstein devraient s’appliquer par analogie à la décision discrétionnaire rendue par un protonotaire dans le cadre de la gestion d’une instance complexe comme celle visée par les présentes. Le protonotaire chargé de la gestion de l’instance doit avoir la même marge de manœuvre que le juge exerçant les mêmes fonctions.

 

[. . .]  À l’instar du juge chargé de la gestion de l’instance, le protonotaire appelé à exercer la même fonction connaît bien la procédure en cause, alors que le juge de première instance siégeant en appel de la décision discrétionnaire rendue par le protonotaire dans ce contexte ne peut généralement pas avoir le même degré de familiarisation.  

 

  • [28] Je suis d’avis que le protonotaire exerçait son pouvoir discrétionnaire de prendre une décision relative à la gestion de l’instance lorsqu’il a refusé la demande des défenderesses d’autorisation de signifier et de déposer la défense et la demande reconventionnelle modifiées. Il connaissait le déroulement de l’instance et les complexités procédurales concernées dans la procédure. Il le faisait dans le cadre d’une réunion d’instances dont la Cour était saisie depuis six ans et qui devait être inscrite au rôle pour audition à une certaine date.

 

  • [29] Je ne peux pas conclure que le protonotaire a manifestement commis une erreur en se prononçant selon un mauvais principe ou une mauvaise interprétation des faits lorsqu’il a rendu son ordonnance.

 

  • [30] L’appel interjeté par les défenderesses à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire du 9 juin 2007 est rejeté.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’appel interjeté par les défenderesses à l’encontre du paragraphe 2 de l’ordonnance du protonotaire du 9 juin 2007 est rejeté;

  2. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1236-01

 

INTITULÉ :  Edward Grenke et Grenco Industries Ltd.

  c 

Corlac Inc.

   

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 21 juillet 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT  Le juge Mandamin

ET JUGEMENT : 

 

DATE DES MOTIFS :  Le 19 novembre 2008 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joshua Spicer  POUR LES DEMANDEURS, WEATHERFORD

  ARTIFICIAL LIFT SYSTEMS CANADA LTD. et

  WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP

 

Personne n’a comparu  S/O représentant la demanderesse Grenco Industries Ltd.

 

William Regan  POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bereskin & Parr  POUR LES DEMANDEURS, WEATHERFORD

Toronto (Ontario)  ARTIFICIAL LIFT SYSTEMS CANADA LTD. et

  WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP

 

Dimock Stratton LLP  POUR LES DEMANDEURS, EDWARD GRENKE et

Toronto (Ontario)  GRENCO INDUSTRIES LTD.

 

Ridout & Maybee  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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