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Date : 20081105

Dossier : IMM-848-08

Référence : 2008 CF 1235

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

ALI FARROKHI TAMEH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire vise le refus de faire droit à une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH). La demande CH a été tranchée par la même agente que celle chargée de se prononcer sur la demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR).

 

II.         FAITS

[2]               Le demandeur, un citoyen iranien, est arrivé au Canada en 2001. Sa demande d’asile a été rejetée en 2002.

 

[3]               En novembre 2001, le demandeur a été baptisé dans l’Église mormone et, en janvier 2003, il a commencé à fréquenter une église anglicane.

 

[4]               En 2004, le demandeur a soumis une demande CH et une demande d’ERAR. Pendant que ces demandes étaient en instance, il a été déclaré coupable d’avoir utilisé un document contrefait, en contravention du Code criminel, infraction pour laquelle il a été absous sous conditions.

 

[5]               Pour faire suite à la demande de l’agente pour que des documents à jour soient produits relativement à sa demande CH, le demandeur, dans les observations complémentaires qu’il a produites en juin 2007, a indiqué son intention de se marier. Le demandeur s’est en fait marié le 21 juillet 2007, mais il n’a jamais produit la preuve de ce mariage à l’agente. Cette preuve aurait été fournie à son avocat, qui ne l’aurait pas fait suivre à l’agente. Une plainte a été déposée au barreau.

 

[6]               Dans sa décision, l’agente a examiné tous les fondements de la demande CH, soit les liens familiaux et personnels avec le Canada et l’Iran, le degré d’établissement au Canada, la question de savoir si la décision aurait une incidence sur l’intérêt supérieur de l’enfant de son épouse et, enfin, les difficultés et les risques auxquels serait exposé le demandeur s’il retournait en Iran.

 

[7]               Plus particulièrement, l’agente a examiné la question de la persécution des chrétiens en Iran, l’omission par le demandeur à l’audience relative à sa demande d’asile de présenter des éléments de preuve de sa conversion, et le fait que le demandeur ait affirmé préférer garder secrète sa conversion.

 

[8]               L’agente a également analysé la preuve de la participation du demandeur à une seule manifestation contre le gouvernement iranien ainsi que la preuve de son intention de se marier qu’il lui avait soumise.

 

[9]               Eu égard à toutes ces considérations, l’agente a conclu que le demandeur ne subirait pas de difficultés indues, injustifiées ou excessives si elle ne lui accordait pas une dispense des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

III.       ANALYSE

[10]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la principale question en l’espèce est de savoir si l’agente, dans l’appréciation des demandes CH et d’ERAR, a commis une erreur en appliquant le mauvais critère ou, subsidiairement, en réunissant les critères applicables aux demandes CH et ceux applicables aux demandes d’ERAR (voir Youkhanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 187).

 

[11]           La norme de contrôle applicable aux décisions sur les demandes CH a déjà été établie dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S 817. Selon ce qu’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, la Cour doit utiliser la norme de contrôle établie dans la jurisprudence antérieure lorsque celle‑ci l’établit de manière satisfaisante. Comme la norme établie dans l’arrêt Baker est conforme à la conclusion dans Dunsmuir suivant laquelle la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, il n’y a rien de plus à ajouter sur ce point.

 

[12]           Selon le demandeur, l’agente, en affirmant ce qui suit, a appliqué le mauvais principe juridique dans l’examen de la demande CH ou a par ailleurs réuni les critères applicables aux demandes CH et ceux applicables aux demandes d’ERAR :

[traduction] Je ne crois pas que le demandeur coure personnellement un risque en Iran, de telle sorte que l’obligation pour lui de retourner dans ce pays pour y obtenir un visa de résident permanent lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           La Cour a à plusieurs reprises exprimé des réserves quant à la pratique administrative permettant qu’un même agent se prononce sur la demande CH et la demande d’ERAR, dans lesquelles l’élément de risque est pertinent, mais à partir de points de vue très différents. Le risque qu’un agent réunisse les critères applicables à chacune des demandes ou qu’il mélange par ailleurs les considérations applicables aux demandes CH avec celles applicables aux demandes d’ERAR n’est que trop évident. Le défendeur agit ainsi à ses risques et périls.

 

[14]           L’extrait cité ci‑dessus pose problème parce qu’il porte sur une question davantage liée à une demande d’ERAR qu’à une demande CH. Il permet de prétendre que l’agente a appliqué le mauvais critère ou a réuni les critères applicables à chacun des deux types de demandes.

 

[15]           Cependant, la demande de contrôle judiciaire ne sera pas accueillie parce que la décision, lue dans son ensemble, est raisonnable. Ce serait une erreur d’examiner à la loupe chacun des mots utilisés dans une décision; en effet, accueillir la demande de contrôle judiciaire sur ce fondement reviendrait à faire triompher la forme sur le fond. Voir, à titre d’exemple, la décision Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, au paragraphe 37 :

Je ne crois pas que la mention, dans la dernière phrase, du risque pour la vie ou la sécurité personnelle soit la preuve que l’agente a appliqué le mauvais critère. En premier lieu, l’agente pouvait certainement adopter les conclusions de fait de sa décision d’ERAR dans l’analyse qu’elle faisait de la demande CH (Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1045, au paragraphe 41). Deuxièmement, après lecture du paragraphe entier, il apparaît clairement que l’agente arrivait à la conclusion que la demanderesse ne connaîtrait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives puisqu’il n’existait aucune preuve objective d’un risque personnalisé. Non seulement l’agente a correctement exposé, au tout début de ses motifs, le critère d’appréciation des demandes CH, mais aussi elle a conclu de la manière suivante son examen des risques et difficultés allégués par la demanderesse :

 

[traduction] Au vu de la preuve que j’ai devant moi, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas produit une preuve convaincante permettant d’établir qu’elle est exposée à un risque personnalisé pour sa vie ou à une menace venant de son ex‑mari pour la sécurité de sa personne si elle devait retourner en Inde. Pareillement, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas produit une preuve suffisamment concluante pour établir que les difficultés afférentes à son retour en Inde équivalent à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

[16]           En substance, l’agente a jugé en l’espèce que le « récit » du demandeur n’avait pas de sens. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable. La lecture de la décision dans son ensemble montre aussi clairement que l’agente était au courant des différents éléments de risque devant être évalués et qu’elle avait à l’esprit, lorsqu’elle a traité de la demande CH, des questions pertinentes.

 

[17]           Ayant conclu que le fondement principal du présent contrôle judiciaire ne peut être retenu, la Cour traitera brièvement, pour compléter son analyse, des autres éléments soulevés par le demandeur.

 

[18]           L’observation du demandeur selon laquelle il a été privé du droit à une audience ne peut non plus être retenue. La question dont était saisie l’agente n’était pas tant une question de crédibilité qu’une question portant sur le caractère suffisant de la preuve. Le demandeur se fonde à tort sur l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Le juge Evans a indiqué, dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, qu’il n’y avait pas de droit à une audience ni d’attente légitime à cet égard, sauf dans des circonstances très précises, qui ne sont pas présentes en l’espèce.

 

[19]           Les observations du demandeur suivant lesquelles l’agente n’a pas pris en considération ou a mal apprécié certains éléments de preuve visent avant tout à ce que la Cour réévalue la preuve et substitue son propre jugement à celui de l’agente. Vu ma conclusion que la décision de l’agente est, dans l’ensemble, raisonnable, ce moyen doit également être rejeté.

 

[20]           La Cour rejette également l’argument selon lequel les motifs sont vagues et obscurs. Il est bien établi en droit que l’agent n’a pas besoin de se référer à chacun des éléments de preuve soumis. On ne peut présumer en l’espèce que l’omission de faire référence à certains éléments de preuve signifie que ceux‑ci n’ont pas été pris en considération. Dans ses motifs, l’agente explique adéquatement le fondement de sa décision et rien ne permet de conclure qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants dont elle disposait.

 

[21]           Enfin, le demandeur ne peut prétendre qu’il a été privé du droit à un avocat. Il a soutenu que son avocat était incompétent ou, subsidiairement, qu’il l’avait mal représenté en l’espèce. La Cour, au vu des faits dont elle dispose, n’est pas en mesure d’évaluer l’éthique professionnelle de l’avocat. Rien n’indique dans la décision de l’agente que, si la preuve relative au mariage avait été soumise, le demandeur aurait eu gain de cause. Le demandeur n’a pas pu établir que la production de cette preuve à l’agente aurait modifié de façon appréciable l’issue de la demande.

 

IV.       CONCLUSION

[22]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-848-08

 

INTITULÉ :                                       ALI FARROKHI TAMEH

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS                       

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mehran Youssefi

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mehran Youssefi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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