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Date : 20081031

Dossier : IMM-966-08

Référence : 2008 CF 1202

Montréal (Québec), le 31 octobre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

IRINA VOLOSHINA

demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               La demanderesse sollicite la révision judiciaire de la décision d’un agent sur l’examen des risques avant renvoi (agent ERAR), rendue le 16 janvier 2008, à l’effet que la demanderesse n’a aucun motif sérieux de craindre un risque de torture, de traitements cruels ou de menace à sa vie advenant un retour dans son pays.

 

[2]               Le fils de la demanderesse, Vyacheslav Voloshin, s’est désisté le 9 octobre 2008 d’une demande semblable présentée dans le dossier IMM-967-08, contre une décision du même agent ERAR, rendue le 16 janvier 2008 et concluant au même effet que la décision quant à la demande ERAR de sa mère.

 

II          Les faits

 

[3]               Citoyenne du Kazakhstan, la demanderesse arrive au Canada le 10 mai 1997 avec son fils Vyacheslav et les deux revendiquent le statut de réfugiés.

 

[4]               La demanderesse présente une histoire assez longue et complexe. Elle soutient vouloir fuir avec son fils la persécution menée par les nationalistes kazakhs au Kazakhstan en raison de leur nationalité russe. Ils prétendaient avoir été battus et menacés.

 

[5]               Leur demande d’asile est refusée le 1er décembre 1997, alors que le tribunal (CISR) conclut que les menaces dont ils ont été victimes proviennent de personnes reliées au crime organisé sans que leur nationalité soit mise en cause. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision est refusée.

 

[6]               La demanderesse et son fils déposent par la suite une demande d’admission offerte aux demandeurs dont le statut de réfugié au Canada n’a pas été reconnu (DNRSRC). Cette demande ne fait l’objet d’aucune décision et mène plutôt à la demande ERAR du 7 mars 2005.

 

[7]               Entre-temps, la demanderesse marie en 1998 Ghislain Ouellette, un citoyen canadien, et le 27 mars 1998 celui-ci dépose une demande de parrainage pour la demanderesse et son fils. Cette demande est étudiée dans le cadre d’une demande faite par un immigrant au Canada pour des motifs humanitaires, en conformité avec le paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration de 1978 et de l’article 2.1 des Règlements sur l’immigration de 1978 (ancienne Loi). La demanderesse obtient en 1999 une dispense ministérielle de son obligation d’obtenir son visa à l’extérieur du Canada.

 

[8]               Cependant, le 8 septembre 2000, conformément à l’article 27 de l’ancienne Loi, un rapport d’inadmissibilité est émis contre la demanderesse pour des raisons de criminalité sérieuse au Kazakhstan. Ce rapport indique l’émission au Kazakhstan, le 9 juillet 1997, d’un mandat d’arrestation faisant état contre la demanderesse d’une fraude de 500 000 $US, acte qui si commis au Canada, rendrait celle-ci passible d’emprisonnement pour une durée maximale de 10 ans.

 

[9]               La demanderesse conteste ce rapport et l’étude de son dossier se poursuit selon le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) qui entre en vigueur en 2002, sur la base de motifs d’ordre humanitaire (demande CH). Le 28 février 2003, un agent d’immigration rejette la demande CH au motif de l’inadmissibilité de la demanderesse aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR pour cause de criminalité sérieuse.

 

[10]           La demanderesse interjette appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration (SAI), mais le défendeur oppose à cet appel le défaut de compétence de la SAI. Finalement, le 17 octobre 2003, la SAI rejette l’appel de la demanderesse du refus de sa demande faisant état de motifs humanitaires.

 

[11]           La décision de la SAI ne fait l’objet d’aucune demande de contrôle judiciaire et sera suivie de la demande ERAR qui rejette la décision visée par le présent recours en révision judiciaire.

 

III        Décision ERAR

 

[12]           L’agent ERAR résume l’histoire de la demanderesse et note l’absence de nouveaux renseignements sur la situation en Kazakhstan depuis la décision négative de la CISR sur les mêmes risques. Après quoi il conclut que la demanderesse n’a pas démontré l’existence de motifs sérieux lui permettant de croire que celle-ci serait personnellement soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention sur la torture) ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, tel que décrit à l’article 97 de la LIPR.

 

[13]           L’agent ERAR rappelle que l’ERAR ne doit pas servir d’appel de la décision sur la demande CH de sorte que « malgré l’existence des certificats de police » invoqués par la demanderesse au soutien de son innocence des crimes retenus contre elle, il ne peut par ailleurs ignorer qu’il existe « également des preuves probantes … qui mentionne une accusation criminelle et le refus de la demande CH qui cite une condamnation criminelle au Kazakhstan, qui contredisent le preuve de la demanderesse ».

 

[14]           Partant de là, l’agent ERAR tient compte de deux possibilités :

 

a.       Dans l’hypothèse d’une absence d’accusation ou condamnation criminelle au Kazakhstan contre la demanderesse celle –ci « ne s’exposera pas à un emprisonnement ou une détention au Kazakhstan et elle ne s’exposera pas à une menace à la vie ou un risque de torture ou de traitements ou peines cruels ou inusités »

b.      Dans l’hypothèse où le mandat mentionné dans la décision CH concerne « la même affaire de fraude pour laquelle la demanderesse aurait été condamnée au Kazakhstan en 2002…même si les informations et les preuves ne montrent pas qu’il est nécessairement probable que la demanderesse sera emprisonnée ou détenue au Kazakhstan en raison du vieux mandat d’arrestation », mais considérant néanmoins la possibilité d’une détention ou emprisonnement au Kazakhstan sous cette accusation il est improbable « qu’elle s’exposera à une persécution selon la Convention…ou …à un risque à sa vie, un risque de torture ou de peine ou traitement cruel et inusité… »

 

IV        Question en litige

 

[15]           La décision de l’agent ERAR découle-t-elle de conclusions de faits erronées, abusives ou arbitraires qui ne tiennent pas compte de la preuve?

 

V         Analyse

Norme de contrôle

[16]           La détermination des risques par l’agent ERAR repose essentiellement sur une appréciation des faits, et pour ce motif, il faut accorder une grande déférence à sa décision de sorte que la norme de contrôle applicable est celle de la « déraisonnabilité » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

Décision déraisonnable

La demanderesse

[17]           La demanderesse insiste sur le risque pour elle d’une incarcération indue et de mauvais traitements si elle retourne au Kazakhstan et sur le fait que malgré ses nombreuses demandes, on ne l’a jamais informée de la provenance de l’information sur laquelle le Ministre base sa décision à l’effet qu’elle fait l’objet d’une accusation et d’une condamnation pour un acte criminel sérieux au Kazakhstan. Par conséquent, elle ne dispose d’aucun moyen disponible pour contrer l’accusation ou réfuter son existence.

 

[18]           L’agent aurait exigé de la demanderesse des preuves incontestables pour démontrer les conséquences de son renvoi, pour se contenter de preuves discutables pour justifier son renvoi tout en omettant de considérer que la demanderesse nie faire l’objet d’ accusations au Kazakhstan, et ce, bien qu’il reconnaisse l’ incertitude de ces accusations criminelles.

 

Le défendeur

[19]           La demanderesse n’a jamais attaqué par une demande de contrôle judiciaire la décision CH et ne saurait se servir de la demande ERAR pour en appeler de cette décision ou faire valoir tardivement une preuve tendant à démontrer que la justice naturelle n’a pas été respectée parce que certains documents ne lui ont pas été divulgués. Le principe de la chose jugée devrait recevoir application en l’espèce.

 

[20]           La demanderesse n’a pas démontré la déraisonnabilité des inférences tirées de la preuve documentaire par l’agent ERAR, même si elle ne les partage pas. Il ne revient pas à cette Cour d’apprécier la preuve que l’agent ERAR devait apprécier à l’intérieur de sa juridiction et avec le bénéfice de son expertise.

 

VI        Analyse

 

[21]           La demanderesse reproche à l’agent ERAR d’avoir porté atteinte au principe de la justice naturelle parce qu’on ne lui a pas divulgué la preuve d’où découle son interdiction de territoire. Voici là une allégation sérieuse qu’il fallait soulever à la première occasion faute de quoi il faut présumer que celui qui se plaint a renoncé à invoquer ce moyen (Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.)). 

 

[22]           En ne déposant pas de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision CH ayant pour effet de refuser sa demande basée sur des motifs humanitaire, la demanderesse a renoncé à invoquer en temps utile le soi-disant manquement à l’équité procédurale aujourd’hui reproché à l’agent ERAR pour attaquer sa décision.

 

[23]           L’ERAR ne doit pas servir d’appel de la décision sur la demande CH qui a maintenant force de chose jugée. La demanderesse n’ayant pas soulevé ce moyen en temps utile et n’ayant pas davantage motivé son retard à le faire, ses arguments à cet égard deviennent irrecevables (Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1572).

 

[24]           Par ailleurs, les conclusions de l’agent ERAR sur les conditions des femmes au Kazakhstan ne paraissent pas déraisonnables compte tenu de la preuve analysée par celui-ci, y compris les rapports généraux sur les conditions de détention au Kazakhstan et les mesures prises par les autorités gouvernementales pour améliorer les conditions pour les prisonniers.

 

[25]           Il ne suffit pas que la demanderesse inscrive son désaccord avec les inférences tirées de la preuve documentaire par l’agent ERAR, encore fallait-il démontrer en quoi ces inférences sont déraisonnables, ce dont elle n’a pas réussi à convaincre la Cour.

 

[26]           Il appartient à l’agent ERAR d’analyser et peser la preuve, et non à cette Cour alors qu’elle siège en révision judiciaire (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1; Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 2). Pourtant, par ses prétentions, la demanderesse invite ni plus ni moins cette Cour à substituer son appréciation de la preuve à celle de l’agent ERAR, ce qui n’est pas le rôle de la Cour (Oduro v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 560; Mohimani v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 564 (C.A.F.)).

 

[27]           La demanderesse s’est rendu la tâche difficile en soulevant tardivement un moyen qu’elle aurait peut-être pu soulever contre la décision CH, mais avant que celle-ci acquière force de chose jugée. Une grande partie de la contestation de la demanderesse devant l’agent ERAR concerne la décision CH qu’elle n’a cessé de contester. Malheureusement pour la demanderesse, l’agent ERAR a raison de lui rappeler que l’ERAR ne doit pas servir d’appel de la décision CH, et que l’ERAR doit seulement servir à évaluer les risques auxquels la demanderesse se dit exposée advenant son retour au pays d’origine, et non pas à contredire la constatation de fait du ministère à l’effet qu’elle est coupable de fraude. La décision de l’agent ERAR est loin ici d’être déraisonnable.

[28]           L’agent ERAR envisage dans sa décision les conséquences potentielles du renvoi de la demanderesse dans son pays, alors que celle-ci ne démontre pas devant cette Cour en quoi les conclusions de cette décision sont déraisonnables. Par ailleurs, la Cour constate que la décision attaquée appartient aux issues possibles, acceptables et justifiées au regard des faits et du droit. Il s’agit donc d’une décision raisonnable, ce qui entraîne le rejet de la demande de révision.

 

[29]           Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-966-08

 

INTITULÉ :                                       IRINA VOLOSHINA  c.  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 31 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Richard Sheitoyan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Richard Sheitoyan

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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