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Date : 20081110

Dossier : IMM-1592-08

Référence : 2008 CF 1253

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2008

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

CHENG DONG LIU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Cheng Dong Liu a fait une demande de permis de travail pour une durée de deux ans à l’ambassade canadienne à Beijing. Il était l’un des 99 demandeurs qui souhaitait travailler dans un usine de transformation de la viande en Alberta dénommée XL Foods Inc. Un agent des visas a refusé sa demande de permis de travail. Les demandes des autres demandeurs ont aussi été refusées.

 

[2]               L’agent a découvert, grâce à des renseignements anonymes et à une enquête qui a suivi, que les demandeurs faisaient partie d’un réseau de recrutement illégal qui les obligeait à payer des montants élevés à des personnes intermédiaires (p. ex. recruteurs, agents et directeurs). En outre, l’agent a appris que certains des demandeurs ne possédaient pas réellement l’expérience requise pour occuper les emplois qu’ils cherchaient à obtenir au Canada. Il semble qu’on aurait dit aux demandeurs de nier ce qu’ils savaient sur le réseau si on leur posait la question. Selon l’agent, ces circonstances rendaient improbable le retour en Chine de M. Liu à l’expiration de son permis.

 

[3]               La seule question en litige est de savoir si M. Liu a été traité de façon inéquitable. M. Liu allègue qu’il était inéquitable que l’agent ne lui donne pas la possibilité de répondre aux renseignements extrinsèques qu’il avait obtenus au sujet du réseau de recrutement. M. Liu allègue que la décision de l’agent devrait être annulée. Je suis d’avis que M. Liu a été traité de façon inéquitable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie.

 

I.        Contexte factuel

[4]               M. Liu a fait une demande de permis de travail temporaire en octobre 2007. Le mois suivant, l’agent a reçu deux lettres anonymes qui contenaient des renseignements détaillés sur le groupe de demandeurs qui cherchaient à obtenir des permis de travail temporaires au Canada. Les  lettres indiquaient que les demandeurs devaient verser des montants à diverses personnes, lesquelles les aideraient à entrer au Canada. Les montants étaient considérables – un montant aussi élevé que 3 000 $ à titre de versement initial, et un montant pouvant aller jusqu’à 15 000 $ pour la délivrance d’un visa. Les employeurs obtenaient des pots-de-vin lorsqu’ils fournissaient des travailleurs ayant certaines compétences de base, ce que les demandeurs ont exagéré dans leurs demandes. Les lettres mentionnaient les noms des agences et des usines de transformation de la viande en cause.

 

[5]               L’agent a consulté des collègues de l’ambassade de l’Australie parce que ce pays procédait aussi à l’admission de travailleurs en vertu d’un programme semblable. Les agents des deux ambassades ont fait enquête sur la situation en rendant visite aux entreprises qui auraient fourni des travailleurs. Ils ont interrogé des employés et des cadres, et ils ont découvert que les renseignements qu’ils avaient reçus antérieurement étaient en grande partie exacts.

 

[6]               Tour à tour, douze des demandeurs ont été interrogés à l’ambassade canadienne. Ils ont confirmé avoir payé des montants, même si les montants qu’ils ont mentionnés étaient considérablement inférieurs à ceux signalés par d’autres. Toutefois, ils ont bien confirmé que leur travail en tant que bouchers ne comportait que l’utilisation de couteaux, tandis que l’employeur albertain éventuel exigeait des compétences dans le maniement d’outils électroniques.

 

II.     La décision de l’agent

 

[7]               L’agent a souligné que les demandeurs toucheraient un salaire se situant environ entre 19 700 $  et 22 300 $ pour les emplois qu’ils souhaitaient obtenir en Alberta. Il leur a demandé pourquoi ils paieraient un montant pouvant atteindre 15 000 $ à des recruteurs et des agents, simplement pour avoir l’opportunité de gagner des revenus aussi modestes pendant deux ans au Canada, puisqu’ils utiliseraient la plus grande partie de leur salaire de la première année pour rembourser leur dette. L’agent a également souligné que M. Liu avait très peu de chances de perspectives d’avancement en Chine. Par conséquent, il n’était pas convaincu que M. Liu retournerait dans ce pays après deux ans.

 

[8]               Enfin, l’agent a conclu que le réseau de recrutement visait à faire entrer des demandeurs au Canada pour qu’ils obtiennent une résidence à long terme ou permanente et non seulement un séjour de deux ans à l’abattoir en Alberta.

 

III.   L’agent a-t-il traité M. Liu de façon inéquitable?

 

[9]               De façon générale, le ministre reconnaît que les décideurs ne peuvent s’appuyer sur des éléments de preuve extrinsèques sans avoir donné aux personnes visées la possibilité d’y répondre. Cependant, dans les circonstances de l’espèce, le ministre allègue qu’on peut supposer que M. Liu connaissait les préoccupations de l’agent. Étant donné que tous les demandeurs étaient représentés par le même consultant en immigration et la même agence de recrutement, la nouvelle de la tenue d’une enquête par les agents canadiens et australiens s’est probablement répandue rapidement chez les demandeurs.

 

[10]           En outre, le ministre allègue qu’il aurait été inutile de donner à M. Liu la possibilité de répondre, car il n’aurait pas pu dissiper les préoccupations de l’agent. Les résultats de l’enquête étaient clairs. Dans la même veine, le ministre soutient qu’il servirait à rien de renvoyer la demande de M. Liu pour réexamen puisque le résultat serait inévitablement le même.

 

[11]           Je crois que le ministre a raison en soulignant qu’il est probable que les demandeurs, dont M. Liu, aient été courant de la tenue de l’enquête et qu’ils aient su que des agents canadiens avaient des doutes sur le réseau de recrutement et leurs compétences pour exercer les emplois offerts en Alberta. Cependant, si c’est le cas, on peut aussi supposer que M. Liu savait que plusieurs demandeurs avaient subi une entrevue au cours de laquelle ils auraient eu la possibilité de répondre à ces préoccupations. Dans ce contexte, il n’aurait pas constaté qu’il lui incombait de répondre en son propre nom. Comme l’a fait observer le juge Marshall Rothstein, « [c]e qu’il faut savoir, c’est si celle-ci a eu la possibilité de répondre à la preuve » (Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1902, au paragraphe 21). M. Liu n’a pas eu cette possibilité de répondre.

 

[12]           Quant à la question de savoir si une réponse n’aurait rien changé et, par conséquent, qu’un réexamen de la demande de M. Liu serait inutile, je ne puis souscrire à la thèse du ministre. L’enquête a révélé un éventail de frais de recrutement. L’agent reconnaît que le montant initial se situait entre 300 $ et 3 000 $. Toutefois, il affirme qu’il n’aurait pas [traduction] « accordé trop d’importance au refus du demandeur d’admettre qu’il avait payé des frais de recrutement anormalement élevés » et qu’il « s’attendait à ce que le demandeur nie le paiement de frais de recrutement élevés pour masquer sa raison véritable de venir au Canada ».

 

[13]           Bien sûr, un agent peut refuser de croire un demandeur, mais seulement après lui avoir donné une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations découlant de sources extrinsèques. Le ministre a cité de la jurisprudence selon laquelle il n’y a aucune inéquité dans les situations où il est impossible que le demandeur puisse répondre de manière satisfaisante aux préoccupations de l’agent : Talwar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 702; Lord’s Evangelical Church of Deliverance and Prayer of Toronto c. Canada, 2004 CAF 397. Dans Talwar, la question était de savoir si le demandeur pouvait répondre à une restriction légale concernant l’argent qu’il pouvait retirer de l’Inde. La juge Carolyn Layden‑Stevenson a conclu que le demandeur ne pouvait pas répondre à cette restriction puisqu’il était impuissant à y changer quoi que ce soit. Dans Lord’s Evangelical Church, la Cour d’appel fédérale a statué que, même si l’appelante avait été traitée de façon inéquitable, il n’y avait pas lieu d’annuler la décision puisque son issue aurait inévitablement été la même, étant donné qu’elle était fondée sur d’autres motifs. À mon avis, cette jurisprudence n’est d’aucun secours au ministre. Je ne suis pas certain que M. Liu était dans l’impossibilité de répondre aux préoccupations de l’agent. De plus, la décision de l’agent était fondée uniquement sur la question de savoir si M. Liu quitterait le Canada après deux ans. Étant donné que la conclusion de l’agent sur ce point était fondée principalement sur les préoccupations auxquelles M. Liu n’avait pas eu la possibilité de répondre, il n’est pas certain, selon moi, que le résultat serait inévitablement le même.

 

IV.  Conclusion et décision

 

[14]           M. Liu a été traité de façon inéquitable puisqu’il n’a pas eu la possibilité de répondre à l’information extrinsèque sur laquelle reposait la décision de l’agent. Par conséquent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et ordonne le réexamen par un autre agent de la demande de permis de travail temporaire de M. Liu. Ni l’une ni l’autre des parties m’a demandé de certifier une question de portée générale et je n’en énoncerai aucune.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La demande de permis de travail temporaire de M. Liu est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

3.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.


« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1592-08

 

INTITULÉ :                                       LIU c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 novembre 2008

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

   POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd

                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WALDMAN & ASSOCIATES

Toronto (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ONTARIO)

 

 

 

                             POUR LE DÉFENDEUR

 

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