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Date : 20081107

Dossier : IMM‑1758‑08

Référence : 2008 CF 1244

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2008

En présence de madame la juge Dawson

 

ENTRE :

 

JORLENY VARGAS CAMPOS, CARLOS ANDRES BRENES CAMPOS

et KAROLINA LISETH BRENES CAMPOS

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Jorleny Vargas Campos et ses enfants, Carlos Andres Brenes Campos et Karolina Liseth Brenes Campos, sont de nationalité costaricienne. Tous vivent au Canada depuis le 10 novembre 1997, date à laquelle ils sont arrivés ici pour vivre avec le fiancé de Mme Vargas Campos, un citoyen canadien.

 

[2]        Le mari de Mme Vargas Campos n’a pas réussi dans sa tentative de faire en sorte que Mme Vargas Campos et ses deux enfants obtiennent le droit d’établissement au Canada. La raison de cela, c’est la difficulté de Mme Vargas Campos à obtenir la garde légale officielle de ses deux enfants.

 

[3]        La demande de contrôle judiciaire ne se rapporte pas à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou à un autre type de demande. Dans la présente demande, Mme Vargas Campos et ses enfants contestent plutôt la décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a estimé qu’ils ne sont exposés qu’à une simple possibilité de persécution en cas de retour au Costa Rica. L’agente a jugé aussi que Mme Vargas Campos et ses enfants ne couraient vraisemblablement pas les risques dont parle l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par exemple une menace à leurs vies ou le risque d’être soumis à la torture, s’ils devaient retourner au Costa Rica.

 

[4]        La situation de Mme Vargas Campos et de ses enfants suscite la sympathie. C’est un cas qui pourrait justifier une mesure spéciale d’après les dispositions de la Loi relatives aux considérations humanitaires. Dans la présente demande, cependant, le seul point à décider est de savoir s’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que Mme Vargas Campos et ses enfants ne seraient pas exposés à un risque au Costa Rica, tel que ce risque est défini dans les articles 96 et 97 de la Loi. Ces dispositions, ainsi que le paragraphe 25(1) de la Loi, sont reproduites dans l’annexe des présents motifs.

 

Le risque allégué

[5]        La demande d’ERAR de Mme Vargas Campos précisait que ses parents, sa grand‑mère, ses trois frères ainsi qu’une de ses sœurs vivent au Costa Rica. Ce qu’elle craint, et ce que craignent ses enfants, c’est que son ex‑conjoint de fait, un individu que j’appellerai simplement M. B, cherche à leur faire du mal s’ils retournent au Costa Rica.

 

[6]        Mme Vargas Campos dit que, peu après avoir commencé une vie commune avec M. B, elle a appris qu’il était mêlé au trafic de la drogue et à la mafia locale et qu’ [traduction] « il travaillait en étroite collaboration avec la police ». Mme Vargas Campos a vécu avec M. B durant trois ans et quatre mois, période au cours de laquelle elle a été régulièrement la cible de coups et d’agressions sexuelles. Ses voisins appelaient parfois la police. Mme Vargas Campos dit que, même lorsqu’elle signalait les violences à la police, celle‑ci ne faisait rien. La seule chose que la police faisait à l’occasion, c’était d’appeler une ambulance, ou de la transporter à l’hôpital si elle croyait qu’il fallait l’hospitaliser. Les policiers qui répondaient à ses appels, et aux appels des voisins, étaient ceux qu’elle a désignés comme des complices de M. B.

 

[7]        Mme Vargas Campos a quitté M. B en juillet 1996, pour se réfugier chez ses parents. Lorsque M. B s’est présenté chez eux à sa recherche, il a menacé de tuer tout le monde si elle ne revenait pas auprès de lui. Selon Mme Vargas Campos, la police n’a rien fait, même après que sa mère l’eut appelée pour lui signaler les menaces de mort.

 

[8]        En août 1996, Mme Vargas Campos s’est rendue à San Jose pour trouver un travail. Elle a trouvé un travail dans un hôtel où elle a rencontré son mari actuel. D’octobre 1996 à janvier 1997, ils ont vécu, avec ses enfants à elle, au Nicaragua, où travaillait son mari actuel. En mars 1997, ils sont tous retournés au Costa Rica, où ils ont vécu jusqu’en novembre 1997, et c’est alors qu’ils sont tous partis au Canada. Lorsqu’ils étaient au Costa Rica, M. B n’a pu trouver Mme Vargas Campos parce que le couple et les enfants vivaient dans une [traduction] « banlieue cossue ». D’après elle, M. B appelait cependant constamment sa mère pour savoir où elle se trouvait. Toujours d’après Mme Vargas Campos, M. B aurait dit à sa mère, en 2007, qu’il avait encore [traduction] « des choses à régler » avec Mme Vargas Campos.

 

La décision de l’agente

[9]        Après avoir examiné la prétention de Mme Vargas Campos qu’elle est une personne à protéger, l’agente est arrivée à la conclusion suivante :

[traduction]

J’ai examiné attentivement toute la preuve pertinente produite par la demanderesse et j’ai lu aussi le rapport du Département d’État des États‑Unis sur le Costa Rica ainsi qu’un document de Refworld. Je suis sensible aux graves violences subies par la demanderesse et ses enfants, et au fait que les mécanismes mis en place au Costa Rica pour enrayer la violence domestique laissent à désirer. Cependant, la demanderesse n’a pas produit une preuve objective suffisante montrant qu’elle ne peut obtenir de l’État une protection au Costa Rica. J’ai lu la preuve se rapportant aux mesures adoptées par le gouvernement, par exemple les lois qui proscrivent la violence domestique et les moyens mis en place pour s’en prémunir. L’Institut national pour les femmes offre des conseils juridiques et psychologiques, de l’hébergement et des abris, et la police reçoit une formation sur la manière de traiter les cas de violence domestique. Le ministère public, la police et l’ombudsman disposent de locaux spéciaux chargés de venir en aide aux victimes. Le point à décider dans ce dossier en particulier est celui de savoir si une protection peut être obtenue de l’État, et si la demanderesse n’a pas produit une preuve de nature à réfuter la présomption selon laquelle le Costa Rica est en mesure de protéger ses citoyens.

 

La demanderesse a dit que la police entretenait des liens amicaux avec son ex‑conjoint de fait et qu’elle s’abstiendrait de sévir contre lui. Cependant, la notion de risque est une notion de nature prospective, et je remarque que ces événements se sont produits il y a environ 11 ans, et la demanderesse n’a pas produit une preuve objective suffisante montrant qu’elle est encore menacée par son ex‑conjoint de fait. Par ailleurs, la preuve objective plus récente donne à penser que le sentiment de corruption policière ne correspond pas vraiment à la réalité. Chaque ministère disposait d’une section disciplinaire interne chargée d’examiner les accusations d’abus et de corruption portées contre ses agents. Les citoyens peuvent aussi déposer une plainte contre la police, directement auprès de la Police des enquêtes judiciaires, ou, en gardant l’anonymat, sur sa ligne directe.

 

J’ai aussi examiné les affidavits rédigés par la famille et les amis, mais je leur accorde peu de poids car ces personnes ont tout intérêt à ce que la demande d’asile faite par la demanderesse soit accueillie. J’accorde davantage de poids à la preuve objective montrant que le Costa Rica fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens. Je reconnais que la protection ne donne pas toujours de résultat, mais les affidavits ne suffisent pas à prouver que le Costa Rica n’est pas en mesure de protéger les personnes qui sont victimes de violence domestique.

 

En l’absence d’un autre témoignage personnel, la documentation sur le pays m’amène à conclure que les demandeurs ne sont exposés qu’à une simple possibilité de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention, selon l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Le dossier sur le pays me convainc aussi que les demandeurs ne sont pas vraisemblablement exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leurs vies ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités selon ce que prévoit l’article 97 de la LIPR.

 

Norme de contrôle

[10]      Dans une demande de cette nature, il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle de l’agent. La Cour doit plutôt déterminer la norme d’après laquelle la décision de l’agent sera examinée, puis établir si la décision de l’agent résiste à l’examen selon cette norme.

 

[11]      En l’espèce, la question fondamentale concerne la conclusion de l’agente selon laquelle [traduction] « [l]e point à décider dans ce dossier en particulier est celui de savoir si une protection peut être obtenue de l’État, et si la demanderesse n’a pas produit une preuve de nature à réfuter la présomption selon laquelle le Costa Rica est en mesure de protéger ses citoyens ».

 

[12]      La question de savoir si la protection offerte par l’État est suffisante ou non est une question mixte de droit et de fait, révisable selon la norme de la décision raisonnable. Voir par exemple Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n° 915, aux paragraphes 16 à 21.

 

[13]      Dans un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner la description des motifs du tribunal administratif et la justification des issues. Cette norme de contrôle « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

 

Principes juridiques applicables

[14]      Avant d’examiner la décision de l’agente, je ferais observer que l’agente était tenue d’appliquer plusieurs principes juridiques établis concernant la protection de l’État. En voici quelques‑uns :

 

1.                  Le critère du risque est un critère prospectif.

2.                  La protection des réfugiés est une forme de protection de substitution. Elle ne peut être invoquée que lorsqu’une protection ne peut être obtenue de l’État d’origine ou lorsqu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile obtienne protection de son État d’origine. Par conséquent, sauf effondrement complet de l’appareil d’État, il faut présumer qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens.

3.                  Pour réfuter cette présomption, un demandeur d’asile doit produire « une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » pour ce qui concerne le risque couru par le demandeur lui‑même. Voir l’arrêt Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 30 (C.A.F.).

4.                  Plus un pays est démocratique, plus lourde sera l’obligation du demandeur d’asile de réfuter la présomption de protection de l’État. Voir l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Hughey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 45 et 46.

5.                  L’impossibilité d’assurer des services policiers efficaces à certains endroits ne permet pas de conclure à une absence de protection de l’État. « Lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. » Voir l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n° 1189, au paragraphe 7 (C.A.F.). Ce passage est également applicable aux victimes de violence domestique.

 

[15]      Ayant exposé ces principes, j’examinerai maintenant les erreurs que l’agente aurait commises.

 

Les erreurs alléguées

[16]      Les demandeurs formulent les questions en litige en se fondant sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Cependant, je crois comprendre que les erreurs qu’ils allèguent sont les suivantes :

 

1.                  L’agente a commis une erreur en se fondant sur le fait qu’une période de 11 ans s’était écoulée depuis que les violences avaient été commises, pour arriver ensuite à la conclusion que les demandeurs n’étaient plus exposés à un risque. Les demandeurs font valoir que, ce faisant, l’agente a outrepassé sa compétence parce que le législateur n’avait pas l’intention de conférer à l’agente le pouvoir d’évaluer l’effet du passage du temps sur la possibilité de réalisation d’un risque futur. En outre, la réalité d’un risque est une question d’appréciation.

2.                  L’agente a commis une erreur lorsqu’elle a dit que les affidavits établis par la mère de Mme Vargas Campos et par trois autres personnes ne suffisaient pas à établir que le Costa Rica n’est pas en mesure de protéger les victimes de violence domestique, en affirmant que les auteurs des affidavits avaient tout intérêt à ce que les demandeurs obtiennent une décision favorable. Le peu d’empressement de l’agente à tenir compte des preuves favorables aux demandeurs atteste [traduction] « sa partialité et son incapacité de se prononcer sur le dossier en toute objectivité ».

3.                  L’agente a conclu à tort que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État. Pour conclure ainsi, l’agente a lu la documentation concernant les conditions dans le pays d’une manière sélective et elle a laissé de côté la preuve produite par les demandeurs.

4.                  L’agente a commis une erreur en ne remplissant pas la partie 5 des notes d’ERAR versées dans le dossier et elle a donc négligé de prendre en considération les « facteurs courants ».

5.                  L’agente a commis une erreur en se fondant sur l’existence d’une organisation non gouvernementale, à savoir l’Institut national pour les femmes (l’INAMU).

6.                  L’agente a commis une erreur en disant qu’elle était « sensible » aux violences subies par les demandeurs. Si elle l’avait vraiment été, elle serait arrivée à une conclusion autre.

7.                  L’agente a commis une erreur parce que, si elle croyait que Mme Vargas Campos n’était pas crédible, alors une audience aurait dû avoir lieu.

8.                  L’agente a commis une erreur en disant que [traduction] « le sentiment de corruption policière ne correspond pas vraiment à la réalité ».

 

Application de la norme de contrôle à la décision

L’agente a‑t‑elle commis une erreur en disant que les demandeurs avaient produit une preuve insuffisante pour montrer qu’ils sont encore menacés par l’ex‑conjoint de fait de Mme Vargas Campos?

[17]      L’analyse qui suit englobe les erreurs numéros 1, 2 et 8 susmentionnées.

 

[18]      L’agente s’est fondée sur le passage du temps, l’absence d’une preuve objective et la preuve de procédures à l’encontre des policiers corrompus, pour arriver à sa conclusion selon laquelle Mme Vargas Campos et sa famille n’étaient plus menacées par son ex‑conjoint de fait.

 

[19]      Les demandeurs n’ont pas prouvé une erreur susceptible de contrôle. Onze années s’étaient écoulées depuis le dernier incident de violence, et il y a maintenant plus de 12 ans que Mme Vargas Campos a quitté son conjoint violent. Elle écrivait, dans sa demande d’ERAR, que sa mère lui avait dit que M. B avait proféré de nombreuses menaces de mort et avait dit qu’il avait encore [traduction] « des choses à régler » avec elle, mais sa mère n’a pas donné cette information dans son affidavit qui fut remis à l’agente. Cet affidavit disait simplement que la mère [traduction] « avait peur des menaces de mort que le conjoint de sa fille avait proférées contre celle‑ci ». Aucun autre détail n’était donné dans l’affidavit, et aucun autre affidavit ne faisait état de menaces récentes proférées par M. B. Il n’était donc pas déraisonnable pour l’agente de dire que la preuve ne suffisait pas à attester un risque futur.

 

[20]      Je n’ai connaissance d’aucun principe juridique permettant d’affirmer que l’agente a outrepassé sa compétence parce qu’elle a tenu compte de l’effet du passage du temps sur la réalité du risque actuel, et je n’ai connaissance non plus d’aucun principe permettant de dire que la réalité d’un risque objectif est une question d’appréciation. C’est la question même que doit trancher un agent saisi d’une demande d’ERAR. Elle ne doit pas être confondue avec la question de savoir s’il existe ou non une crainte subjective pouvant fonder une demande d’asile.

 

[21]      L’agente était fondée à accorder moins d’importance aux affidavits de la mère, des anciens voisins et des amis de Mme Vargas Campos qu’à la preuve objective venant de sources non rattachées à Mme Vargas Campos. En tout état de cause, hormis l’unique mention apparaissant dans l’affidavit susmentionné de la mère, le contenu de tous les affidavits portait uniquement sur des mésaventures passées, et non sur les conditions actuelles ou sur un risque futur. Les affidavits étaient donc d’un intérêt moindre pour la question du risque futur que les documents utilisés par l’agente pour se renseigner sur la situation ayant cours dans le pays.

 

[22]      Le fait que l’agente ait accordé peu de poids à ces affidavits ne constitue pas la preuve d’une partialité, d’une injustice ou d’un parti pris.

 

[23]      Finalement, lorsque l’agente évoquait d’une manière quelque peu indirecte le « sentiment de corruption policière », elle faisait référence au fait que Mme Vargas Campos soupçonnait que M. B avait des amis ou des complices au sein du corps policier. L’agente évoquait ensuite la preuve qui lui avait été soumise et qui concernait les mesures appliquées présentement au Costa Rica pour lutter contre la corruption policière.

 

La conclusion de l’agente selon laquelle la protection offerte par l’État était suffisante était‑elle déraisonnable?

[24]      Il s’agit de la troisième erreur alléguée ci‑dessus.

 

[25]      L’agente a reconnu que les mécanismes en vigueur destinés à protéger les femmes et les enfants au Costa Rica [traduction] « laissaient à désirer ». Cependant, se fondant sur les rapports du Département d’État des États‑Unis concernant les pratiques suivies au Costa Rica en matière de droits de la personne, rapports datés du 6 mars 2007, ainsi que sur la RDI CRI43096.F, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Les renseignements figurant dans ces documents comprenaient les suivants :

 

          ●       Le Costa Rica est une démocratie constitutionnelle, dont les plus récentes élections furent libres et équitables.

          ●       Les forces policières du pays étaient généralement considérées comme efficaces.

●       Le gouvernement voyait encore comme un problème social grave et grandissant la violence domestique dont sont victimes les femmes et les enfants dans ce pays.

          ●       La loi du Costa Rica proscrit la violence domestique et prévoit des mesures de protection des victimes de violence domestique, notamment les suivantes : formation des recrues de la police dans le traitement des cas de violence domestique, obligation imposée aux hôpitaux de signaler les cas de violence domestique et interdiction faite à l’auteur de violences domestiques d’occuper le domicile familial. Le ministère public, la police et l’ombudsman disposaient de bureaux consacrés au phénomène de la violence domestique.

          ●       La police peut intervenir même en l’absence d’une ordonnance restrictive.

 

[26]      Une entrevue tenue en mars 2004 avec le vice‑ministre du ministère de la Sécurité publique (dont le compte rendu se trouve dans un document produit par les demandeurs) contenait les renseignements suivants :

 

●       Le Costa Rica dispose d’une force policière spécialisée en matière de violence domestique.

●       Lorsque cela est possible, les cas de violence domestique sont examinés à la fois par un policier de sexe masculin et un autre de sexe féminin.

●       Le poste de « défenseur des victimes de violence domestique » a été établi au sein des corps policiers, et chaque municipalité compte un tel poste. Les titulaires de ces postes [traduction] « surveillent les cas de violence domestique, recueillent des statistiques et élaborent des projets de prévention ».

●       Les délinquants récidivistes sont l’objet d’une attention accrue. Les tribunaux ont accès [traduction] « aux casiers judiciaires détenus par le bureau du procureur général », ce qui permet au procureur général et au juge de mieux évaluer le risque posé par les délinquants récidivistes.

 

[27]      Les motifs qu’avait l’agente de conclure à une protection de l’État adéquate sont justifiés, transparents et intelligibles. La preuve étayait les conclusions de l’agente, de telle sorte que sa décision entre dans l’éventail des issues possibles acceptables. La décision de l’agente était donc raisonnable.

 

[28]      Comme l’a noté l’agente, la preuve montrait que la protection offerte par l’État laissait à désirer. L’agente ne s’est pas non plus référée à l’ensemble des documents produits par les demandeurs. Cependant, un agent n’est pas tenu de se référer à chacune des preuves produites. Vu l’ancienneté et la provenance de la preuve documentaire qui n’a pas été explicitement mentionnée par l’agente, je ne suis pas disposée à en déduire que l’agente a laissé de côté certaines preuves.

 

[29]      Je suis d’avis que la plainte des demandeurs est en réalité une plainte portant sur la manière dont l’agente a apprécié la preuve.

 

Les autres erreurs alléguées

[30]      Les erreurs restantes peuvent être traitées brièvement.

 

[31]      Erreur n° 4 : L’agente n’a coché aucune des cases de la partie 5 des notes d’ERAR. C’est là une mauvaise pratique. Cependant, l’agente a ensuite examiné dans ses motifs tous les facteurs courants et a pleinement évalué le risque allégué par les demandeurs. L’agente n’a pas commis d’erreur importante du seul fait qu’elle n’a pas coché les cases.

 

[32]      Erreur n° 5 : La preuve produite ne permet pas de dire si l’INAMU est une organisation non gouvernementale. La RDI CRI41541.FE renferme ce qui suit :

Selon la loi, il incombe à l’Institut national des femmes (Instituto Nacional de las Mujeres, l’INAMU) d’établir la politique en matière de violence conjugale, notamment ce qui concerne la détection des cas de violence conjugale, les procédures à suivre et les moyens de prévention (Costa Rica. s.d.). Dix‑sept bureaux répartis parmi différents départements gouvernementaux sont chargés de l’application de la politique de l’INAMU (ibid.). L’INAMU est également responsable de la sensibilisation et de la formation de la police en ce qui concerne la violence conjugale (Associacion Alianza de Mujeres Costarricenses 30 juin 2003). Toutefois, malgré les efforts de l’INAMU, les femmes qui font une plainte officielle ne sont pas toujours bien accueillies par la police (ibid.).

 

[33]      Au vu de cette preuve, je suis d’avis que l’agente n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a parlé de cette organisation comme d’une organisation qui prouvait l’existence d’une protection de l’État.

 

[34]      Erreur n° 6 : En disant qu’elle était [traduction] « sensible » à la situation des demandeurs, l’agente ne faisait ni plus ni moins qu’exprimer sa sympathie et sa compréhension à l’égard des demandeurs. En exprimant ainsi son sentiment, elle n’était pas tenue pour autant de rendre une décision favorable aux demandeurs.

 

[35]      Erreur n° 7 : L’agente a accepté que le témoignage de Mme Vargas Campos était crédible. Aucune audience n’était donc requise.

 

[36]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n’ont pas proposé qu’une question soit certifiée, et je suis d’avis qu’aucune question n’est soulevée ici.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


ANNEXE

 

            Le paragraphe 25(1) et les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont ainsi formulés :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

[…]

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[…]

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1758‑08

 

INTITULÉ :                                       JORLENY VARGAS CAMPOS ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Zak Tatomirovic Manula                                                           POUR LES DEMANDEURS

 

 

Nicole Butcher                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tatomirovic Manula Law Office                                                POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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