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Date : 20081112

Dossier : IMM-1862-08

Référence : 2008 CF 1255

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

TINGTING SUN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE  DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Tingting Sun, est une citoyenne de la République populaire de Chine qui est arrivée au Canada le 26 février 2006 munie d’un permis d’études. Le 19 juillet 2006, elle a  présenté une demande d’asile, en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), fondée sur une crainte de persécution du fait de sa religion et de son appartenance à une église clandestine en Chine, si elle était renvoyée dans ce pays. Dans une décision rendue le 15 novembre 2007, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande après avoir conclu qu’elle « manqu[ait] de crédibilité pour ce qui est de la raison principale de sa demande d’asile ». Plus particulièrement, la Commission n’a pas cru que la demanderesse avait appartenu à une église clandestine en Chine ou qu’elle était recherchée par les agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP).

 

[2]               La demanderesse veut faire annuler cette décision.

 

[3]               Dans la présente demande, la seule question en litige est de déterminer si la Commission a commis des erreurs en tirant ses conclusions relatives à la crédibilité. La décision de la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ce qui signifie qu’il incombe à la Cour de déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il importe aussi de souligner que, selon cette norme de contrôle, la Cour ne doit pas substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission, même si la Cour aurait pu tirer des inférences différentes ou parvenir à une autre conclusion. Autrement dit, il ne suffit pas que la demanderesse démontre que des conclusions différentes auraient pu être tirées compte tenu de la preuve; la demanderesse doit établir que les conclusions de la Commission sont déraisonnables (Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, [2004] A.C.F. n188 (QL), au paragraphe 11).

 

[4]               En examinant la décision dans son ensemble, il semble que la Commission ait mis en doute la crédibilité de la demande de la demanderesse principalement pour les raisons suivantes :

 

·                    L’adhésion de la demanderesse à l’église clandestine, malgré l’opposition de ses parents, sachant que cela pouvait compromettre ses chances de venir au Canada, n’est pas rationnelle;

 

·                    Sa prétention selon laquelle les agents du BSP la recherchaient en Chine n’est pas vraisemblable étant donné que : (a) le BSP aurait probablement su qu’elle avait déjà quitté la Chine; que (b) si les agents du BSP s’étaient effectivement présentés à la résidence de ses parents, ils auraient probablement laissé une sommation ou un mandat; et que (c) son témoignage quant au nombre de visites des agents du BSP à son domicile était incohérent.

 

[5]               Lorsqu’on évalue le caractère raisonnable de la décision de la Commission, il faut respecter certains principes bien établis en jurisprudence :

 

1.                  La Commission, qui a entendu le témoignage oral, est la mieux placée pour jauger la crédibilité et la vraisemblance du récit d’un demandeur (voir, par exemple, Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), au paragraphe 4).

 

2.                  Une conclusion d’absence de crédibilité peut être fondée sur des invraisemblances, des contradictions, sur l’irrationalité et sur le sens commun (voir, par exemple, Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.F.) (QL)).

 

3.                  La Commission peut tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité en invoquant des omissions de renseignements importants dans le Formulaire de renseignements personnels d’un demandeur (le FRP) (voir, par exemple, Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n444 (C.F. 1re inst.) (QL); Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1994] A.C.F no 867 (1re inst. (QL)).

 

4.                  La Commission a le pouvoir discrétionnaire de décider de la valeur à accorder à la preuve (voir, par exemple, Aguebor, précité, au paragraphe 4, Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n1087 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 1).

 

[6]               La demanderesse reproche à la Commission d’avoir commis des erreurs dans ses conclusions. Je vais examiner chacune de ces erreurs.

 

[7]               La première de ces erreurs se rapporte à la conclusion de la Commission selon laquelle il était invraisemblable que la demanderesse soit devenue membre d’une église clandestine après seulement quatre conversations informelles avec des amis et une émission de télévision sur le christianisme. La demanderesse soutient qu’il n’y avait aucune incohérence ou contradiction dans son témoignage au sujet de son adhésion à une église clandestine après avoir discuté à quatre reprises avec une amie.

 

[8]               Je suis d’avis que la conclusion de la Commission n’était pas déraisonnable. Dans la présente affaire, la Commission a fait preuve de bon sens et de rationalité pour apprécier le témoignage de la demanderesse. Cette dernière serait devenue membre de l’église à peu près au même moment où elle avait commencé à prendre des dispositions sérieuses pour venir au Canada. Ses parents lui avaient déconseillé de devenir membre de l’église, à cause du danger possible. Le fait que la demanderesse n’ait pas tenu compte des mises en garde de ses parents et qu’elle ait compromis son plan d’études après quatre discussions avec des membres de l’église et une émission de télévision suscite certainement un doute quant à la plausibilité de sa demande.

 

[9]               Ensuite, la demanderesse remet en question la conclusion de la Commission selon laquelle il était invraisemblable que les agents du BSP l’aient recherchée parce qu’ils auraient déjà été au courant qu’elle se trouvait au Canada pour étudier.

 

[10]           Cette conclusion est défendable à la lumière de la preuve documentaire et du témoignage même de la demanderesse. Lorsque cette dernière a quitté la Chine, son départ aurait été enregistré dans une base de données informatisées à laquelle le BSP avait probablement eu accès. Même la demanderesse reconnaît, dans son témoignage, que le BSP aurait su qu’elle était déjà à l’étranger au moment où les agents se seraient présentés à son domicile en Chine. Un autre problème lié à cette partie du récit est que la demanderesse a changé sa version des faits sur le nombre de visites du BSP à son domicile. Comme je l’ai mentionné précédemment, des incohérences contenues dans une demande peuvent être retenues contre un demandeur. En l’espèce, la demanderesse a indiqué dans son FRP que les agents du BSP n’avaient fait qu’une seule visite à son domicile, tandis qu’à l’audience elle a dit qu’ils s’étaient présentés à cinq reprises. Compte tenu de ces deux sérieux doutes au sujet des interventions du BSP, la conclusion de la Commission selon laquelle cette partie de la demande n’était pas vraisemblable est bien étayée par la preuve.

 

[11]           La troisième erreur invoquée se rapporte à une erreur qu’aurait commise la Commission en exigeant une preuve matérielle, telle qu’une sommation ou un mandat, pour reconnaître que le BSP s’était présenté au domicile de la demanderesse. Cette dernière a produit l’opinion d’un professeur agrégé dans laquelle il était indiqué que l’application de la loi par les divers BSP varie selon les régions. Certains BSP peuvent avoir recours aux sommations et aux mandats tandis que d’autres non, comme le BSP de la localité où réside la famille de la demanderesse.

 

[12]           Le premier problème que pose cet argument est que la preuve documentaire révèle que des sommations seraient normalement délivrées. Les exceptions signalées par la demanderesse ne semblent pas être répandues.

 

[13]           Il faut aussi souligner que l’absence d’une sommation a été un motif de plus pour écarter le témoignage de la demanderesse selon lequel elle était recherchée par les agents du BSP. Non seulement la demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi le BSP, qui était probablement au courant de son départ, se donnerait la peine de lui rendre visite à son domicile, mais elle n’a pas produit le document auquel on aurait pu raisonnablement s’attendre (une sommation ou un mandat) et qui pouvait appuyer sa demande. Dans les circonstances, la conclusion de la Commission selon laquelle les agents du BSP la recherchaient appartient aux issues possibles acceptables.

 

[14]           La dernière erreur que la demanderesse reproche à la Commission est qu’elle l’aurait obligée à fournir une preuve matérielle confirmant qu’elle avait fréquenté une église clandestine en Chine. Comme l’a fait valoir la demanderesse, le fait qu’elle n’ait pas obtenu de document d’une église clandestine n’est pas surprenant. En exigeant une telle preuve, la Commission a agi de façon déraisonnable.

 

[15]           Il ne me paraît pas que cette partie des motifs de la Commission énonçait que la Commission obligeait la demanderesse à fournir un document matériel, délivré par l’église qu’elle avait fréquentée en Chine. Je crois plutôt que les commentaires de la Commission sur ce point  doivent être considérés ensemble eu égard aux autres préoccupations de la Commission. Immédiatement après sa déclaration concernant l’absence de preuve matérielle, la Commission a renvoyé à l’ensemble de la preuve. Selon la Commission, il n’y avait tout simplement pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la demande de la demanderesse, laquelle était fondée sur son appartenance à une église clandestine et sur le fait qu’elle était recherchée en Chine par les agents du BSP. À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion générale d’après la preuve dont elle disposait (ou plus exactement celle dont elle ne disposait pas).

 

[16]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a demandé de certifier une question de portée générale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1862-08

 

INTITULÉ :                                       TINGTING SUN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 NOVEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 NOVEMBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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