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Date : 20081113

Dossier : IMM-2249-08

Référence : 2008 CF 1262

Toronto (Ontario), le 13 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

RANA ABDUL RAUF et al.

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs forment une famille, le père, la mère et deux enfants. Le père, la mère et l’aîné des enfants ont quitté le Pakistan et sont allés aux États‑Unis où ils ont résidé pendant environ neuf ans avant de venir au Canada. Le cadet est né aux États-Unis. Apparemment tous, y compris le cadet, sont Pakistanais.

 

[2]               Les demandeurs sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile le 21 janvier 2003. Dans une décision écrite du 14 avril 2004, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile. Les demandeurs n’ont pas été autorisés à présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               En février 2005, les demandeurs ont présenté une demande d’exemption, fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire (les CH), à l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Dans une décision écrite du 28 mars 2008, un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) a décidé de ne pas faire droit à la demande d’exemption. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je conclus au rejet de la demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Les demandeurs adultes sont tous les deux musulmans; cependant, il est chiite et elle est sunnite. Cette différence a créé un conflit dans chacune de leurs familles, à tel point que les demandeurs soutiennent que leurs vies sont menacées. La preuve donne à penser que certains membres de leurs familles ont peut-être accepté le mariage, cependant les demandeurs prétendent que leurs vies demeurent menacées.

 

[6]               Les demandeurs semblent s’être adaptés à la vie en Amérique du Nord, d’abord aux États‑Unis, puis au Canada. L’aîné des enfants avait seulement deux ans quand ils sont arrivés aux États‑Unis. Le cadet n’a jamais vécu à l’extérieur de l’Amérique du Nord. Le dossier ne fait pas clairement ressortir les raisons pour lesquelles ils ont quitté les États‑Unis pour venir au Canada. Mme Pilowski, une psychologue qui a examiné les demandeurs, déclare dans une lettre servant de rapport qu'ils n'ont pas demandé l'asile aux États‑Unis parce qu’on leur avait dit qu'ils seraient renvoyés au Pakistan. Bien entendu, il s’agit de ouï‑dire; il n’y a aucune preuve directe des demandeurs sur ce point.

 

[7]               Dans le présent contrôle judiciaire, la principale question en litige soulevée pour le compte des demandeurs a trait aux conclusions de l’agent sur les enfants et à la question de savoir s’ils seraient soumis à des difficultés injustifiées ou excessives. L’avocat des demandeurs affirme que l’agent a commis les trois erreurs suivantes :

[traduction]

a)                  Il a conclu que les enfants bénéficieraient du soutien de leurs parents pour s'adapter à la vie au Pakistan, alors qu’il notait que les parents avaient eu un diagnostic de dépression et de stress post‑traumatique, mais il a omis de mentionner que leur psychologue avait indiqué qu'ils souffriraient probablement d’un effondrement psychologique s'ils étaient renvoyés au Pakistan.

 

b)                  Il a conclu que, le fait que les enfants aient pu s’adapter au déménagement du quartier Queens de New York à Montréal et ensuite à Mississauga était d’une certaine façon un indice qu’ils seraient en mesure de composer avec le changement qui accompagne le passage d’une société occidentale multiculturelle, diversifiée et ouverte à Sialkot, au Pakistan.

 

c)                  Il a conclu que les enfants étaient responsables d'une certaine façon du fait qu’ils sont restés au Canada malgré une mesure de renvoi valide et qu’ils se sont établis ici et par conséquent, qu’ils sont à l’origine du degré d'établissement acquis depuis que la mesure de renvoi est devenue exécutoire.

 

 

[8]               La souffrance des enfants était le point principal de l’argumentation des demandeurs. Lorsque l’agent a pris sa décision relativement à la demande basée sur les CH, il a déclaré à l’avant‑dernière page de sa décision ce qui suit à propos des enfants :

[traduction]

Les enfants du demandeur principal sont inscrits à l’école et selon les rapports, ils s’en sortent très bien. Ils sont jeunes et ont vécu un déménagement dans le passé. La preuve dont je dispose ne m’indique pas qu’ils ne seront pas en mesure de s’adapter à cette étape de leurs vies. Mme Pilowski déclare que Rana [traduction] « […] a peur de quitter le Canada parce qu’il s’est fait beaucoup d’amis ici et qu’il voit aussi que ses parents se sentent en sécurité et sont heureux ». Farheen aime vivre au Canada parce que [traduction] « ses parents se sentent en sécurité en sont généralement heureux ». Il n’y a aucun doute qu’il est difficile, à n’importe quel moment, pour des enfants de déménager et de quitter leurs amis. Toutefois, les enfants bénéficient du soutien de leurs parents et la preuve dont je dispose ne m’indique pas que les enfants ne seraient pas en mesure de se faire de nouveaux amis au Pakistan. Il est possible qu’ils s’attachent à la famille de leur père. En outre, l’éducation et les services de santé seront accessibles aux enfants. J’ai tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants et des renseignements fournis par les demandeurs à cet égard; néanmoins, je conclus que les déplacer au Pakistan ne constituerait pas une difficulté qui serait inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que l’agent a tiré la conclusion que les enfants « bénéficient du soutien de leurs parents […] », ce qui signifie que l'agent n'a pas dû tenir compte des conclusions d'une psychologue qui a examiné les demandeurs et qui a donné son avis dans un rapport écrit daté du 24 août 2006 qui est versé au dossier et selon lequel :

« En ce qui concerne M. Rauf et Mme Rana, je suis d’avis qu’ils souffriraient probablement d’un effondrement psychologique, s’ils devaient être renvoyés au Pakistan […] »

 

 

[10]           L’avocat des demandeurs allègue que si les demandeurs devaient probablement souffrir d’un effondrement psychologique, ils ne seraient pas en mesure d’offrir le « soutien » sur lequel l’agent s’est basé dans sa décision. Selon l’avocat des demandeurs, la décision est donc déraisonnable.

 

[11]           L’avocat du défendeur soutient que le rapport de la psychologue ne va pas aussi loin : il n’en ressort pas que si les parents des demandeurs souffraient d’un effondrement psychologique, ils ne seraient alors pas en mesure d'offrir un soutien adéquat à leurs enfants. La preuve n’établit pas les conséquences de l'un sur l'autre. En outre, il avance que même si le soutien des parents est un des facteurs sur lesquels l'agent s'est fondé pour parvenir à la décision contestée, de nombreux autres facteurs avaient aussi été énumérés.

 

[12]           L'octroi d'une dispense basé sur des CH est une décision hautement discrétionnaire qui relève du ministre et qui est gérée par les agents du ministre. Il faut faire preuve d’une grande retenue envers ces agents comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 62.

 

[13]           Étant donné la grande retenue due aux agents et la norme de contrôle au regard de laquelle une décision comme celle ici en cause doit être examinée et pour laquelle les parties s'accordent à dire qu'il s'agit de la raisonnabilité, et étant donné la directive récemment donnée par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, selon laquelle lorsqu’une décision est contrôlée selon la raisonnabilité, il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard du décideur; la décision de l’agent qui fait l’objet du contrôle en l’espèce doit être considérée comme entrant dans les limites de la risonnabilité décrites dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[14]           Par conséquent, la demande sera rejetée. Aucune des parties n'a demandé la certification d’une question, l'affaire reposant sur des faits qui lui sont propres. Il n’y a aucune raison spéciale d’adjuger des dépens.

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      la demande est rejetée;

2.      il n'y a pas de question à certifier;

3.      aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                IMM-2249-08

 

INTITULÉ :                                                RANA ABDUL RAUF et al. c. LE MINISTRE DE LA

                                                                     CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 13 novembr2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                    Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                              Le 13 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Russ Makepeace

 

POUR LES DEMANDEURS

Modupe Oluyomi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Makepeace Romoff

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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