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Date : 20081112

Dossier : IMM-4161-08

Référence : 2008 CF 1256

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Frenette

 

ENTRE :

ERIUS ALLIU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une requête visant à obtenir une ordonnance pour surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion du demandeur, prévue le jeudi 13 novembre 2008 à 12 h 45.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Albanie qui est arrivé au Canada en septembre 2002, alors qu’il avait 18 ans. Il a présenté une demande d’asile pour les deux motifs suivants :

1.      Crainte de retourner dans son pays pour des motifs politiques;

2.      Crainte d’être persécuté pour s’être soustrait au service militaire.

 

[3]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté les allégations du demandeur concernant les risques en Albanie, invoquant le manque de crédibilité du demandeur et l’absence d’éléments de preuve indiquant qu’il serait persécuté s’il retournait en Albanie à cause de sa participation au sein du Parti démocratique.

 

[4]               Le 19 avril 2004, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[5]               Sa demande a été rejetée le 4 septembre 2008; il a ensuite été ordonné qu’il soit expulsé en Albanie le 16 mai 2008, mais une suspension administrative d’une durée de trois mois lui a été accordée.

 

[6]               En 2007, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été rejetée par décision le 9 avril 2008.

 

[7]               Le demandeur n’a pas demandé la révision de la décision rendue au sujet de sa demande d’ERAR, mais il a présenté une demande de contrôle de la décision concernant sa demande pour motifs d’ordre humanitaire.

 

Décision du 4 septembre 2008 concernant la demande pour motifs d’ordre humanitaire

[8]               L’agent a discuté des préoccupations du demandeur et de ses craintes de retourner en Albanie à cause de ses activités politiques, ainsi que de sa participation, de son intégration et de son établissement au Canada. Le demandeur a cité la lettre de son employeur, Grizzly Concrete Cutting Inc., qui déplorait la perte de ses services.

 

[9]               Il n’a pas été question du fait que le demandeur s’était soustrait au service militaire, ni des conséquences en résultant. L’agent a mentionné les services communautaires accomplis par le demandeur, le parrainage de son oncle et le fait que le demandeur avait appris les deux langues officielles du Canada.

 

[10]           L’agent énumère la documentation qu’il a consultée, notamment la décision de la Section de la protection des réfugiés, ainsi que la demande d’ERAR du demandeur et la décision défavorable qui a été rendue et qui n’a fait l’objet d’aucune demande de contrôle judiciaire. Il a conclu que la situation du demandeur, selon tous les renseignements dont il disposait, ne justifiait pas une exemption, car les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants.

 

[11]           L’agent n’a pas examiné les risques personnels auxquels serait exposé le demandeur s’il retournait en Albanie. Le demandeur demande un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à l’examen de sa demande d’autorisation et, si celle-ci est accueillie, jusqu’au règlement de la demande de contrôle judiciaire de la décision visant sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[12]           Dans l’arrêt Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), 86 N.R. 302, la Cour d’appel fédérale définit comme suit les conditions à remplir pour justifier un sursis :

1.      Il existe une question sérieuse à juger;

2.      Un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé;

3.      La prépondérance des inconvénients favorise le demandeur.

Qui plus est, ce critère est cumulatif, c’est-à-dire que toutes les conditions doivent être remplies.

 

[13]           Les dictionnaires proposent plusieurs définitions et synonymes au mot « sérieux », notamment aigu, critique, crucial, dangereux, grave, important, inquiétant, préoccupant, sévère, urgent... On pourrait s’attendre à ce que le critère de la « question sérieuse » s’applique littéralement lorsqu’il s’agit d’examiner une requête visant à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi, puisqu’il s’agit d’une mesure de dernière minute visant à éviter un renvoi. Cependant, la jurisprudence de la Cour fédérale a plutôt opté pour un très faible critère à remplir pour démontrer l’existence d’une « question sérieuse à juger ».

 

[14]           Ainsi, selon la jurisprudence, le tribunal n’a qu’à s’assurer que les questions, à leur vue, ne sont ni frivoles ni vexatoires (voir, par exemple, Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 851 et Oberlander c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 134, au paragraphe 20).

 

[15]           Dans Sowkey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 67, le juge Phelan a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 :

À mon avis, aucune de ces questions n’est frivole ou vexatoire. Il n’est pas nécessaire de déterminer à cette étape si elles respectent le critère relatif à l’autorisation du contrôle judiciaire.

 

 

 

[16]           Le demandeur en l’espèce soulève trois questions :

1.      La question du service militaire.

2.      La situation générale en Albanie en ce qui a trait à la corruption et à la criminalité.

3.      Son degré d’intégration et d’établissement au Canada.

 

La question du service militaire

[17]           Le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte du préjudice indu que représente le risque de persécution et d’incarcération, dans des conditions difficiles, s’il est reconnu coupable de s’être soustrait au service militaire.

[18]           Cependant, le défendeur fait valoir que cet argument est purement conjectural, car la documentation présentée en preuve montre que l’on peut facilement se soustraire au service militaire en Albanie, en payant la somme de 3 400 $ CA ou en faisant du bénévolat pour divers services communautaires.

 

[19]           Il a aussi été allégué que les faits en l’espèce diffèrent sensiblement de ceux présentés dans Solis Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 663 et Glass c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 881.

 

Situation générale en Albanie en ce qui a trait à la corruption et à la criminalité

[20]           Le demandeur s’appuie sur une documentation récente pour étayer ses arguments sur cette question.

 

[21]           Le défendeur soutient au contraire qu’aucun élément de preuve précis n’a été présenté pour étayer les allégations du demandeur sur cette question. Il ajoute que, quoi qu’il en soit, le demandeur ne subirait pas un plus grand préjudice que le reste des citoyens de l’Albanie.

 

Le degré d’intégration et d’établissement du demandeur au Canada

[22]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de sa situation personnelle qui témoigne de son intégration et de son établissement au Canada.

 

[23]           Les éléments de preuve montrent que le demandeur a un bon emploi au Canada, notamment son emploi pour l’entreprise Grizzly Concrete Cutting Inc. qui considère les services du demandeur comme essentiels.

 

[24]           Il a également été établi que le demandeur a appris les deux langues officielles du Canada et qu’il a accompli des services communautaires au pays.

 

Analyse

[25]           Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas examiné les risques personnels et les préjudices auxquels il serait exposé s’il était renvoyé en Albanie, eu égard aux questions précitées; or, selon le juge en chef Lutfy dans Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, aux paragraphes 2 et 5, ce manquement constitue une erreur de droit :

[...] il existe une différence entre l’examen des facteurs de risque dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et celui fait dans le cadre d’une demande de protection à l’encontre d’un renvoi.

 

     [...]

 

     À mon avis, l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas tenue de traiter des facteurs de risque dans son examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Elle n’aurait pas dû se fermer aux facteurs de risque même si une décision défavorable valide avait pu être rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi. Il peut exister des considérations relatives au risque qui soient pertinentes à une demande de résidence permanente depuis le Canada, lesquelles sont loin de satisfaire le critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités.

 

 

 

[26]           Je suis d’avis que ce raisonnement s’applique parfaitement en l’espèce, car l’agent n’a pas évalué les facteurs de risque dans son examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, les points 2 et 3, tout au moins, entrent dans cette catégorie et justifient une audition pour évaluer leur validité. Le demandeur satisfait donc cette condition.

 

Préjudice irréparable

[27]           Le demandeur soutient qu’il subirait des préjudices irréparables s’il retournait en Albanie : a) arrestation et incarcération parce qu’il s’est soustrait au service militaire; b) difficulté de retourner dans un milieu marqué par la criminalité et la corruption et c) importantes pertes économiques et personnelles, même si sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire est accueillie lorsqu’il sera à l’extérieur du Canada.

 

[28]           Le défendeur soutient que ces préjudices sont conjecturaux et qu’ils ne sont pas pires que ceux subis par toute personne renvoyée du Canada (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (T.D.), aux paragraphes 20 et 21). De plus, les pertes financières ne peuvent être considérées comme un préjudice irréparable (Sidi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 663 (T.D.)).

 

[29]           L’analyse de l’ensemble des éléments de preuve en l’espèce montre que le demandeur subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé.

 

Prépondérance des inconvénients

[30]           L’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, exige la prise en compte des aspects liés à l’intérêt public et à la sécurité, ainsi que l’exécution rapide des mesures de renvoi (Dugonitsch c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 320 (T.D.)).

 

[31]           Cependant, le demandeur vit au Canada depuis six ans. Il avait un emploi stable, faisait du bénévolat et semblait s’être bien intégré à la société canadienne. Pour ces motifs, la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Par conséquent, le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi doit être accordé.

 


ORDONNANCE

 

 

Le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur est accordé. Le sursis sera en vigueur jusqu’à ce qu’une décision judiciaire soit rendue au sujet de la demande d’autorisation et, si celle-ci est accueillie, jusqu’à ce que la Cour rende sa décision concernant la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4161-08

 

INTITULÉ :                                       ERIUS ALLIU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre, Grenier Avocats Inc.                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Simms, c.r.                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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