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Date : 20081103

Dossier : T‑620‑08

Référence : 2008 CF 1222

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

ARSHAD HUSSAIN ARASTU

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur fait appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi), de la décision d’un juge de la citoyenneté, rendue le 26 février 2008 (la décision), dans laquelle le juge a accordé au défendeur la citoyenneté canadienne au motif qu’il avait rempli les conditions de résidence fixées par l’article 5 de la Loi.

 

 

CONTEXTE

 

[2]               Le défendeur, de nationalité indienne, réside actuellement à Frisco, au Texas, aux États‑Unis d’Amérique (les États‑Unis). Il a le statut de résident permanent dans ce pays. L’épouse et la fille du défendeur sont citoyennes canadiennes.

 

[3]               Le 11 février 2000, le défendeur a acquis le statut de résident permanent au Canada. Cependant, il est retourné en Inde le 1er mars 2000, moins d’un mois après avoir obtenu le droit d’établissement. Il est revenu au Canada 43 jours plus tard, le 24 avril 2000, mais a quitté de nouveau le Canada pour retourner en Inde moins de deux mois plus tard, le 16 juin 2000. Il est resté en Inde durant 158 jours, jusqu’au 22 novembre 2000.

 

[4]               Le 15 mars 2006, le défendeur a déposé une demande de citoyenneté canadienne en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. Il a dit à ce moment‑là qu’il était domicilié à Troy, au Michigan, aux États‑Unis, et qu’il avait résidé à cet endroit avec sa famille depuis juillet 2004.

 

[5]               Dans sa demande de citoyenneté canadienne, le défendeur écrivait que, au cours des quatre années précédant la date de la demande (entre le 16 mars 2002 et le 15 mars 2006), il avait été absent du Canada durant un total de 769 jours, c’est‑à‑dire plus de deux ans. En outre, il écrivait qu’il s’était trouvé au Canada la dernière fois en juillet 2004, puisque, à ce moment‑là, il avait quitté le Canada pour s’établir aux États‑Unis, où il vit actuellement avec sa famille.

 

[6]               Sur son formulaire de demande, le défendeur indiquait les absences suivantes durant les quatre années précédant la date de sa demande :

du 7 septembre 2002 au 7 octobre 2002, puisqu’il avait pris 30 jours de vacances en Inde

du 21 juillet 2003 au 23 décembre 2003, puisqu’il avait passé 153 jours en Inde, pour visiter sa mère malade

du 6 juillet 2004 au 15 mars 2006, c’est‑à‑dire 586 jours passés aux États‑Unis, où il s’était installé avec sa famille.

 

[7]               Dans le questionnaire sur la résidence, que le défendeur a rempli le 10 octobre 2006, il signalait une période additionnelle d’absence du Canada au cours des quatre années précédant la date de sa demande, à savoir :

du 19 juin 2003 au 23 juin 2003, c’est‑à‑dire cinq jours passés à Chicago, aux États‑Unis, pour subir l’examen FPGEC.

 

[8]               Le défendeur a indiqué une absence totale de 774 jours au cours des quatre années précédant la date de sa demande de citoyenneté. Durant cette période, il s’est trouvé au Canada durant un total de 686 jours (moins de deux ans). Il lui manquait 409 des 1 095 jours requis (c’est‑à‑dire trois ans) avant la date de sa demande de citoyenneté canadienne.

 

[9]               Du 11 février 2000 (date à laquelle le défendeur a obtenu le droit d’établissement au Canada) et le 15 mars 2002, le défendeur a été absent du Canada durant 230 jours supplémentaires. Il a déclaré avoir été absent du Canada durant les périodes suivantes :

Du 1er mars 2000 au 12 avril 2000, durant 43 jours, parce que sa mère était malade, à Mumbai, en Inde.

Du 16 juin 2000 au 22 novembre 2000, durant 158 jours, parce que sa mère était malade, à Mumbai, en Inde.

Du 29 août 2001 au 26 septembre 2001, durant 29 jours, parce qu’il était en vacances à Mumbai, en Inde.

 

[10]           Sur son formulaire de demande de citoyenneté, le défendeur indiquait ses lieux de domicile des quatre années antérieures (du 16 mars 2002 au 15 mars 2006), au Canada, en Inde et aux États‑Unis :

de mars 2002 à juillet 2003 : #1001, 40 Tuxedo Court, Scarborough (Ontario)

août 2003 à décembre 2003 : #2 (ou #4) Silver Plaza Fatima Nagarms, Pune India

janvier 2004 à juillet 2004 : # 307‑2940, avenue Elsmere N8X 5A9, Windsor (Canada)

juillet 2004 à mars 2006 : #101, 2346 Golf View Dr., Troy, MI (États‑Unis)

 

[11]           Le défendeur s’est installé à Detroit après avoir obtenu une « carte verte » des États‑Unis, qu’il avait demandée alors qu’il avait le statut de résident permanent au Canada. Avant de quitter le Canada pour les États‑Unis, le défendeur étudiait afin d’obtenir un permis d’exercice de la profession de pharmacien, et il a travaillé périodiquement au Canada pour divers employeurs à divers endroits du sud de l’Ontario.

 

[12]           Au soutien de sa demande de citoyenneté canadienne, le défendeur a produit des copies de divers documents antérieurs à août 2004, à savoir : dossiers d’emploi, déclarations de revenus, factures de téléphone, prêts bancaires, relevés de carte de crédit, assurance automobile, baux, bulletins scolaires et relevés de notes, carte‑santé, preuves de citoyenneté de son épouse et de sa fille et cartes d’assurance sociale. Le défendeur a aussi produit certains relevés postérieurs à juillet 2004, qui montraient qu’il remboursait des dettes préexistantes contractées au Canada et qu’il conservait avec son épouse un modeste investissement dans un REEE.

 

DÉCISION CONTESTÉE

 

[13]           Le 26 février 2008, le juge de la citoyenneté a fait droit à la demande de citoyenneté présentée par le défendeur en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. Le passage qui suit reproduit les notes manuscrites du juge concernant les six questions énumérées par la juge Reed dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.) :

La personne était‑elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

[traduction]

Oui – 20 jours – il devait se rendre en Inde pour visiter sa mère malade, visite de 42 jours, retour ici durant 64 jours, puis retour à nouveau en Inde pour voir sa mère qui était malade et était devenue veuve, parce que son fils était parti.

 

            Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

[traduction]

L’épouse et la fille (citoyennes canadiennes) du demandeur sont restées au Canada lorsqu’il est parti, mais […] [sic – illisible] aux États‑Unis avec lui en raison de son travail.

 

La forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

 

[traduction]

Oui – son rêve a toujours été de vivre au Canada – sa famille en Inde ne voulait pas qu’il quitte l’Inde, mais il ne l’a pas écoutée; il ne remplissait pas alors les conditions pour devenir pharmacien ici – il devait subir un autre examen, pour alors remplir les conditions et chercher un travail ici.

 

Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

 

[traduction]

Hors du Canada : 802 jours                              Au Canada : 658 jours

 

L’absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

 

            Il a un travail aujourd’hui – travail temporaire en raison de la nécessité de travailler aux États‑Unis – reviendra au Canada dès que possible.

 

Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

            Voir section 3

 

            Je crois qu’il souhaite tout simplement vivre ici et devenir citoyen de notre pays.

 

POINTS LITIGIEUX

 

[14]           Le demandeur soulève les points suivants :

1)      la décision du juge de la citoyenneté est insuffisamment motivée;

 

2)      le défendeur n’a pas montré, d’après le dossier soumis au juge de la citoyenneté, qu’il remplissait les conditions de résidence fixées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté;

 

3)      le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit et s’est trompé en concluant que le défendeur remplissait les conditions fixées par l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, et il a commis une erreur dans sa manière d’appliquer les principes de la résidence présumée, ainsi que le critère de la résidence exposé dans Koo.

 

DISPOSITIONS LÉGALES

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente demande :

Attribution de la citoyenneté

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix‑huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

Période de résidence

 

(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l’application de l’alinéa (1) c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l’auteur d’une demande de citoyenneté a résidé avec son époux ou conjoint de fait alors que celui‑ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l’étranger, des forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province.

 

 

Information du ministre

 

14(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle‑ci et transmet sa décision motivée au ministre.

 

 

 

 

 

Période ne comptant pas pour la résidence

 

21. Malgré les autres dispositions de la présente loi, ne sont pas prises en compte pour la durée de résidence les périodes où, en application d’une disposition législative en vigueur au Canada, l’intéressé :

a) a été sous le coup d’une ordonnance de probation;

 

b) a bénéficié d’une libération conditionnelle;

 

c) a été détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction.

Grant of citizenship

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one‑half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

Residence

 

(1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided with the applicant’s spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the federal public administration or the public service of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraph (1)(c) and subsection 11(1).

 

Advice to Minister

 

14(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefore.

 

 

Periods not counted as residence

 

21. Notwithstanding anything in this Act, no period may be counted as a period of residence for the purpose of this Act during which a person has been, pursuant to any enactment in force in Canada,

 

(a) under a probation order;

 

 

(b) a paroled inmate; or

 

 

(c) confined in or been an inmate of any penitentiary, jail, reformatory or prison.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Selon le consensus général qui se dégage dans la jurisprudence de la Cour, c’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui est la norme applicable à la décision d’un juge de la citoyenneté portant sur la question de savoir si un demandeur remplit les conditions de résidence, une question mixte de droit et de fait : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85; Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536.

 

[17]           S’agissant des erreurs factuelles alléguées, il a été jugé à plusieurs reprises par la Cour que c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui devrait être appliquée : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 861, au paragraphe 10 :

Cependant, le défendeur fait valoir que dans le cas de conclusions purement factuelles, la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable. Le juge de la citoyenneté, en tant que juge des faits, a accès aux documents originaux et est en mesure de discuter des faits pertinents avec le demandeur. Dans le cas d’un appel en matière de citoyenneté, la présente Cour est une cour d’appel et elle ne devrait pas toucher aux conclusions à moins que ces dernières soient manifestement déraisonnables ou qu’elles fassent état d’une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : arrêt Dunsmuir, paragraphe 44. La Cour suprême du Canada a donc jugé que les deux normes de la raisonnabilité devraient être fondues en une seule norme de la décision raisonnable.

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également jugé qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de faire l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière soumise à la Cour est bien établie par la jurisprudence, alors la juridiction de contrôle peut tout simplement adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête de la norme applicable se révèle infructueuse que la juridiction de contrôle doit effectuer l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[20]           Je suis d’avis que la norme de contrôle applicable aux deuxième et troisième points soulevés dans la présente demande est celle de la décision raisonnable. Conformément à l’arrêt Dunsmuir, lorsque la Cour examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision du tribunal administratif est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[21]           Les questions d’équité procédurale sont de pures questions de droit, révisables d’après la norme de la décision correcte. Le point soulevé concernant le caractère adéquat des motifs est une question d’équité procédurale et de justice naturelle, qui est révisable selon la norme de la décision correcte : Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, paragraphe 15; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 486, paragraphe 9; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, paragraphe 9.

 

ARGUMENTS

Le demandeur

Décision insuffisamment motivée

 

[22]           Le demandeur dit que les motifs du juge de la citoyenneté sont insuffisants parce qu’ils ne sont pas clairs, précis, ni intelligibles, et parce qu’ils ne disent pas pourquoi il a rendu la décision ici contestée. Lorsque c’est la durée de la résidence au Canada qui est en cause, le juge de la citoyenneté doit préciser à quel critère de résidence il entend recourir, et il doit appliquer ce critère d’une manière conforme au droit : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 410, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mindich, [1999] A.C.F. n° 978.

 

[23]           Dans la présente affaire, le demandeur affirme que les motifs du juge de la citoyenneté sont clairsemés, imprécis et inintelligibles, car ils ne montrent pas que le juge a compris les grands principes juridiques régissant la résidence réputée telle selon la Loi, ni qu’il s’est concentré sur les facteurs pertinents et les preuves pertinentes lorsqu’il a examiné le critère exposé dans Koo.

 

Les conditions de résidence fixées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi ne sont pas remplies

 

[24]           Le demandeur dit que, selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi, un demandeur de la citoyenneté canadienne peut être absent du Canada durant un an au cours de la période de quatre ans précédant la date de sa demande. Cependant, le législateur exige qu’un demandeur de la citoyenneté ait résidé au Canada durant au moins trois ans au cours de la période prescrite. L’autorisation d’une année d’absence durant la période de quatre ans prévue par la Loi donne clairement à penser que la présence de l’intéressé au Canada au cours des trois autres années doit être appréciable.

 

[25]           Le demandeur invoque plusieurs précédents : Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Uppal, [1999] A.C.F. n° 699, paragraphe 14 (C.F. 1re inst.); Canada (Secrétaire d’État) c. Martinson, [1987] A.C.F. n° 367 (C.F. 1re inst.); et Canada (Ministre d’État, Multiculturalisme et Citoyenneté) c. Shahkar, [1990] A.C.F. n° 506 (C.F. 1re inst.). Selon lui, ces précédents signifient qu’un demandeur de la citoyenneté doit en premier lieu montrer, en se fondant sur des faits objectifs, qu’il a au départ établi son lieu de résidence au Canada au moins trois ans avant de présenter sa demande et que, par la suite, il a maintenu sa résidence au Canada durant toute cette période.

 

[26]           Le demandeur dit aussi qu’il ne suffit pas à un demandeur de la citoyenneté d’avoir l’intention, le désir ou l’espoir d’établir ou de maintenir son lieu de résidence au Canada. Un lieu effectif de résidence doit être établi et maintenu de facto : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Ting, 2002 CFPI 875; Young c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 367 (C.F. 1re inst.), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lui, [1997] A.C.F. n° 1724 (C.F. 1re inst.). Les conditions de résidence fixées dans l’alinéa 5(1)c) de la Loi ne sont pas non plus remplies du seul fait de l’existence de comptes bancaires, du paiement d’un loyer ou de l’achat de meubles, de vêtements ou autres marchandises : Koo; Re Fung, [1997] A.C.F. n° 250 (C.F. 1re inst.); et Re Lee, [1996] A.C.F. n° 1590 (C.F. 1re inst.).

 

[27]           Le demandeur se fonde sur le jugement Papadogiorgakis pour dire que la nécessité d’une présence effective au Canada ne peut être écartée que dans un « cas limite ». Il conclut sur ce point en disant que le défendeur a été souvent absent du Canada durant la période de quatre ans, et que sa présence au Canada était sporadique et temporaire, ce qui ne s’accorde pas avec les conditions de résidence fixées dans la Loi. La preuve produite ne montre pas non plus que le défendeur a rempli les conditions de résidence durant la période considérée.

 

Le juge a commis une erreur de droit et une erreur en appliquant le critère établi dans Koo

 

[28]           Selon le demandeur, le volet du critère établi dans Koo qui concerne la présence physique est un facteur important, pertinent et crucial pour savoir si un demandeur de la citoyenneté canadienne répond aux conditions de résidence : Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 778, et Cheung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 1408 (C.F. 1re inst.).

 

[29]           Le demandeur dit que le juge de la citoyenneté a totalement négligé de considérer l’importance de l’acquisition par le défendeur du statut de résident permanent aux États‑Unis lorsqu’il s’est demandé si, pour les besoins de la citoyenneté canadienne, le Canada « est le pays dans lequel le défendeur réside régulièrement, normalement ou habituellement ou dans lequel il a centralisé son mode d’existence ». C’est là une erreur importante et fatale.

 

[30]           Le demandeur cite la décision Koo, au paragraphe 12, où la juge Reed a rejeté la notion de « résidence double » pour l’application de la Loi :

[…] À mon sens, pour qu’une période d’absence physique soit considérée comme une période de résidence au sein du pays afin d’obtenir la citoyenneté, la qualité des attaches de la personne en question avec le pays doit montrer la primauté ou le caractère prioritaire de la résidence au Canada (les attaches avec le Canada doivent être plus importantes que celles qui peuvent exister avec un autre pays).

 

 

[31]           Le demandeur signale ensuite le jugement Panossian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 255, ainsi que les motifs exposés par le juge Rothstein (son titre à l’époque) dans le jugement Re Tai, [1994] A.C.F. n° 1841 (C.F. 1re inst.), un précédent où était soulignée la différence entre, d’une part, le statut de résident selon les lois sur l’immigration et, d’autre part, le calcul des années de résidence selon la Loi sur la citoyenneté :

3. … En fait, la [Loi sur la citoyenneté] énonce le mode de calcul de la période de résidence aux fins de la citoyenneté. Il est à mon avis faux de dire que, du seul fait que quelqu’un est résident permanent et qu’on n’a pas jugé qu’il avait abandonné le Canada comme son lieu de résidence permanente, il est automatiquement admissible à la citoyenneté après quatre ans.

 

 

[32]           Selon le demandeur, les motifs du juge de la citoyenneté montrent qu’il n’a pas évalué la nature et la qualité des liens du défendeur avec le Canada pour les besoins de la citoyenneté. Il s’est plutôt concentré sur les désirs et vœux subjectifs du défendeur, sur ses liens avec sa famille et sur sa volonté de faire progresser ses perspectives de carrière, à l’exclusion de tout autre facteur. C’est là une manière mécanique de considérer les conditions de résidence et c’est pourquoi les motifs du juge de la citoyenneté sont dépourvus de contenu. On ne sait trop si le juge de la citoyenneté a fait porter son attention sur la période de quatre ans précédant la date de la demande, ou sur la tendance des présences au Canada et des absences du Canada durant la période pertinente.

 

[33]           Selon le demandeur, les motifs du juge de la citoyenneté montrent qu’il a commis une erreur de droit en saisissant mal le critère établi dans Koo, et que son évaluation des faits de la présente affaire était déraisonnable.

 

            Le défendeur

 

[34]           Le défendeur n’a pas déposé d’acte de procédure dans le présent appel et il ne s’est pas présenté à l’audience.

 

ANALYSE

Décision insuffisamment motivée

 

[35]           L’obligation de produire des motifs est salutaire. Non seulement les motifs favorisent‑ils une meilleure prise de décision en garantissant la clarté des questions posées et du raisonnement du juge, mais encore ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d’appel ou de contrôle possibles. Cela est particulièrement important lorsque la décision rendue est révisable selon une norme de contrôle qui dicte la retenue judiciaire : arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, paragraphes 17 et 19 (C.A.F.).

 

[36]           L’obligation de motiver une décision requiert que les motifs fournis soient suffisants. Ils doivent exposer les conclusions de fait et aborder les principaux points en litige. Le raisonnement suivi par le décideur doit être expliqué et doit rendre compte des principaux facteurs considérés. En outre, la question de savoir si les motifs fournis sont suffisants doit être examinée à la lumière des circonstances particulières de chaque cas. Lorsque le statut d’une personne est en cause, les conditions sont plus rigoureuses : arrêt Baker, paragraphes 25 et 75, et arrêt Via Rail, paragraphes 21 et 22.

 

[37]           Je partage l’avis du demandeur. Après examen des motifs du juge de la citoyenneté, et examen des notes versées au dossier, je suis d’avis qu’aucune analyse n’autorise la conclusion du juge selon laquelle le défendeur satisfait aux conditions fixées par la Loi. Cela est d’autant plus vrai que, d’après les notes versées au dossier, les arguments du défendeur étaient extrêmement faibles. Il résidait aux États‑Unis. Je suis d’avis que le juge a commis une erreur en n’appuyant pas sa conclusion de motifs plus élaborés.

 

Les conditions de résidence fixées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi ne sont pas remplies

 

[38]           Le paragraphe 5(1) de la Loi énonce les conditions requises pour l’obtention de la citoyenneté. L’alinéa 5(1)c) dispose qu’un demandeur de citoyenneté doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois années, ou 1 095 jours, au cours des quatre années qui ont précédé la date de sa demande.

 

[39]           L’objet de l’alinéa 5(1)c) de la Loi est, comme l’écrivait le juge Muldoon dans l’affaire Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. n° 232, « de garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d’acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de “se canadianiser” ».

 

[40]           La Loi ne définit pas le mot « résidence ». Il y a eu divergence de vues au sein de la Cour sur le critère à appliquer pour savoir si un demandeur de la citoyenneté répond ou non aux conditions de résidence. En bref, il s’agit des critères exposés dans les décisions Koo, Pourghesemi et Papadogiorgakis. Un juge de la citoyenneté peut adopter l’un quelconque des trois critères de résidence, sans être dans l’erreur, à condition d’appliquer les principes applicables aux circonstances de l’affaire considérée.

 

[41]           Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, l’analyse comporte un processus en deux étapes : la première étape requiert de dire si le demandeur de la citoyenneté a établi sa résidence au Canada, après quoi il faut se demander si la résidence a été maintenue. C’est à propos de la deuxième étape qu’il y a divergence de vues au sein de la Cour sur ce en quoi consiste la résidence. Dans Ping c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 777, au paragraphe 4, la Cour écrivait ce qui suit :

Comme le terme « résidence » n’est pas défini dans la Loi, il est bien établi que les juges de la citoyenneté peuvent appliquer un des trois critères établis pour décider si un demandeur a satisfait aux conditions de résidence (voir Rizvi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1641; Eltom c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1555, Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] A.C.F. no 410 (QL)). Un de ces critères, connu comme le critère de la présence physique ou le critère de la décision Pourghasemi, exige que le demandeur soit physiquement présent au Canada pendant une période minimale de 1 095 jours. Les deux autres critères reposent sur des interprétations plus souples des conditions de résidence. Par exemple, le critère de la décision Koo exige que l’on calcule les absences du demandeur du Canada en vue de déterminer quel genre de liens ce dernier entretient avec le Canada et s’il y « vit régulièrement, normalement ou ordinairement ». Un juge de la citoyenneté peut appliquer l’un de ces trois critères, et la Cour peut réexaminer la décision pour s’assurer que le critère choisi par le juge de la citoyenneté a bien été appliqué.

 

[42]           Un demandeur de la citoyenneté a la charge d’établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’il répond aux conditions de résidence.

 

[43]           Au vu des circonstances de la présente affaire, il est clair que le défendeur ne répondait pas aux conditions d’acquisition de la citoyenneté selon la Loi, puisqu’il n’avait pas résidé au Canada durant une période appréciable, ni ne résidait actuellement au Canada, mais aux États‑Unis. Le défendeur ne satisfaisait à aucun des trois critères que le juge de la citoyenneté était à même d’appliquer. Par conséquent, je suis d’avis que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en disant que le défendeur répondait aux conditions fixées dans la Loi.

 

Le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit et une erreur dans l’application du critère établi dans Koo

 

[44]           Eu égard à la conclusion tirée précédemment, il est clair que le critère établi dans Koo n’a pas été bien appliqué.

 

[45]           Je suis d’avis que la décision contestée est erronée et déraisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande est accueillie. La décision du juge de la citoyenneté est annulée. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

                                                                                                                « James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑620‑08

 

INTITULÉ :                                       Le MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. ARSHAD HUSSAIN ARASTU

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
                       Le 3 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DEMANDEUR

Arshad Hussain Arastu

(n’a pas comparu)

 

DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Se représente lui-même

 

DÉFENDEUR

 

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