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Date : 20081031

Dossier : IMM-1301-08

Référence : 2008 CF 1214

Montréal (Québec), le 31 octobre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

LETICIA LIZET DEL RIO RAMIREZ

partie demanderesse

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), la révision judiciaire de la décision rendue le 24 décembre 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Tribunal) de ne pas lui reconnaître la qualité de « réfugiée », ni celle de « personne à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi et, en conséquence, d’avoir rejeté sa demande d’asile.

 

II.         Les faits

 

[2]               Citoyenne du Mexique, la demanderesse allègue avoir été victime de persécution par son ex-conjoint, un agent de bureau à l’emploi du Ministère public.

 

[3]               Selon le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse, la vie de couple avec l’ex-conjoint débute en juin 2005 alors que les agressions de celui-ci commencent en décembre de la même année et se poursuivent avec plusieurs épisodes de violence successifs.

 

[4]               Après avoir en février 2006 dénoncé son ex-conjoint à un agent du Ministère public, la demanderesse ne donne pas suite à cette dénonciation. Menacée de mort le 18 mars 2006 en présence de trois témoins, la demanderesse attend à la fin de mai 2006 pour déposer une plainte à la police contre son ex-conjoint, plainte à laquelle elle ne donnera pas plus suite. Enfin elle ne recherche aucune aide auprès d’organismes voués dans son pays à la protection des femmes maltraités et battues.

 

[5]                Après avoir pris temporairement refuge chez des membres de sa famille, la demanderesse quitte finalement le Mexique pour venir le 11 juillet 2006 demander l’asile au Canada.

 

III.       Décision contestée

 

[6]               Trouvant difficile de concilier le comportement de la demanderesse avec la crainte que celle-ci exprime pour sa vie, le Tribunal n’attache aucune crédibilité à son récit.

 

[7]               Le Tribunal souligne de plus qu’à défaut d’avoir fait des démarches raisonnables pour bénéficier de la protection offerte par l’État mexicain, la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de réfuter la présomption voulant que son pays soit en mesure de protéger ses citoyens.

 

[8]               Finalement, compte tenu du degré et de la nature de l’instruction de la demanderesse, le Tribunal ne croit pas déraisonnable de croire que celle-ci ne rencontrerait aucune difficulté excessive à se trouver un emploi ou à se réinstaller à Monterrey, à Veracruz ou ailleurs au Mexique, sans mettre sa vie en péril pour autant.

 

IV.       Question en litige

 

[9]               Le Tribunal a-t-il commis une erreur déraisonnable dans son appréciation négative de la crédibilité de la demanderesse en lui refusant le statut de réfugiée et de personne à protéger, et en décidant qu’elle ne risquerait pas de subir des traitements cruels et inusités si elle devait retourner et chercher refuge au Mexique?

 

 

V.        Prétentions des parties

 

[10]           La demanderesse reproche principalement au Tribunal d’avoir erré en ne lui accordant aucune crédibilité et d’avoir totalement ignoré les Directives No 4 – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (Directives), ainsi que la preuve corroborant son témoignage.

 

[11]           Le défendeur défend pour sa part les conclusions du Tribunal, et souligne que celles-ci sont justifiées et découlent de son analyse de la preuve et de son expertise. Conséquemment, le défendeur ne relève aucun motif valable pouvant justifier l’intervention de cette Cour.

 

VI.       Analyse

 

            Norme de contrôle judiciaire

 

[12]           Les cours doivent traiter avec déférence les décisions des tribunaux administratifs spécialisés bénéficiant d’une expertise dans les affaires où s’exerce leur juridiction. (Voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir)).

 

[13]           La norme de la décision raisonnable s’applique au présent cas de sorte que pour justifier son intervention, la Cour doit se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de la justification de la décision, et de son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, par. 47).

 

[14]           À l’intérieur de cette norme de contrôle, la Cour peut-elle conclure que le Tribunal erre lorsqu’il décide que la demanderesse n’est ni une réfugiée et ni une personne à protéger au sens de la Loi et qu’au contraire, elle peut raisonnablement chercher refuge ailleurs dans son propre pays sans risquer de subir un traitement cruel et inusité?

 

L’absence de crédibilité

 

[15]           En tentant de convaincre la Cour que le Tribunal erre dans les inférences négatives tirées de la preuve quant à sa crédibilité, la demanderesse cherche en fait à justifier les parties de preuve que le Tribunal écarte parce qu’il les juge non fiables, insatisfaisantes, invraisemblables, incomplètes ou non corroborées. Or la demanderesse, ne l’oublions pas, a eu toute l’opportunité de présenter pleinement son récit au Tribunal et de le convaincre mais malheureusement elle n’a pas réussi.

 

[16]           Partant du fait que le Tribunal ne retient pas ou ne commente pas dans sa décision certains éléments de preuve que la demanderesse considère plus importants que ceux que retient le Tribunal pour conclure comme il le fait sur sa crédibilité, la demanderesse lui reproche de ne pas avoir considéré toute la preuve offerte, et partant de là, qualifie la décision de déraisonnable.

 

[17]           Cet argument de la demanderesse ignore toutefois la présomption voulant que le Tribunal ait considéré toute la preuve présentée (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.AF.), [1993] A.C.F. no 598 (QL). La demanderesse oublie aussi que lorsqu’un Tribunal conclut en expliquant pourquoi qu’un revendicateur d’asile n’est pas crédible, il n’a pas l’obligation de s’attarder à tous les éléments de preuve soutenant les allégations contraires et qu’il ne retient pas parce qu’il les juge non crédibles, peu fiables, non corroborés ou non nécessaires à ses conclusions. (Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, au par. 26).

 

[18]           Il n’appartient pas à cette Cour à ce stade-ci de reprendre l’exercice, d’apprécier la preuve de nouveau ou de substituer son opinion à celle du Tribunal, et ce, d’autant plus que celui-ci bénéficie de l’avantage de son expertise, et surtout de l’avantage unique d’avoir entendu le récit et les revendications de la demanderesse. Le Tribunal demeure sûrement mieux qualifié que cette Cour pour juger de la crédibilité à accorder au récit de la demanderesse.

 

[19]           Au contraire, la Cour doit seulement vérifier si la décision du Tribunal est justifiée et raisonnable dans le sens indiqué par l’arrêt Dunsmuir, précité. Les décisions touchant à la crédibilité d’une partie constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits », de sorte que telles décisions doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire. Elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Siad c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1997] 1 C.F. 608, 67 A.C.W.S. (3d) 978, au paragr. 24; Dunsmuir, précité).

 

[20]           Or après audition du récit de la demanderesse, le Tribunal juge son comportement non crédible, et il explique pourquoi. Il considère non plausibles ses explications sur les dénonciations qu’elle aurait faites, mais qu’aucun document ne vient corroborer. Il retient de plus plusieurs éléments invraisemblables dans le récit de la demanderesse, et affectant sa crédibilité. Il note aussi l’absence de documents pour corroborer certaines allégations de la demanderesse.

 

[21]           Cette Cour a énoncé à plusieurs reprises « qu’un tribunal peut conclure au manque de crédibilité en se basant sur des invraisemblances contenues dans le récit du demandeur d’asile, le bon sens et la raison » (Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 206, au paragr. 9). De plus, l’absence de document corroborant les allégations de la demanderesse peut affecter négativement la crédibilité de celle-ci (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 62, 159 A.C.W.S. (3d) 568).

 

[22]           De plus, la demanderesse souligne qu’en vertu des Directives, le décideur doit avoir à l’esprit que le comportement d’une femme battue peut sembler incohérent mais ne l’est pas pour une personne traquée, comme l’est la demanderesse qui vit dans la peur. La demanderesse reproche au Tribunal de ne pas avoir tenu compte des Directives au moment d’apprécier son comportement, sans toutefois démontrer en quoi le Tribunal ne les a pas suivies.

 

[23]           Mais ce n’est pas parce que le Tribunal conclut négativement sur la crédibilité de la demanderesse qu’il n’a pas pour autant tenu compte des Directives. D’ailleurs, le Tribunal indique au début de sa décision avoir pris en considération les Directives, et rien ne permet d’en douter ou de conclure qu’il n’a pas suivi et considéré ces Directives lors de l’audition et son analyse du dossier. Ce qui importe, c’est que les motifs de la décision témoignent de la sensibilité du Tribunal envers la demanderesse et que la preuve soutienne suffisamment sa conclusion (Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1066, aux paragraphes 12 et 15, 163 A.C.W.S. (3d) 444).

 

[24]            Or, en l’espèce, la demanderesse n’a pas démontré en quoi le Tribunal n’a pas fait montre de la sensibilité requise, tandis que la preuve soutient suffisamment sa conclusion.

 

[25]           En conséquence, la conclusion du Tribunal sur la crédibilité de la demanderesse est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

La protection de l’État

 

[26]           Le Tribunal conclut de plus à l’existence d’une protection étatique pour la demanderesse au Mexique, et note que celle-ci n’a pas démontré, par une preuve claire et convaincante, l’incapacité de son pays à lui fournir la protection requise.

 

[27]           La demanderesse n’a pas donné suite à la plainte déposée tardivement contre son ex-conjoint, n’a pas cherché d’aide auprès d’organismes voués à la protection des femmes battues, et s’est limitée à prendre refuge chez des parents et à dénoncer à sa belle-famille les agissements de son ex-conjoint. Comment peut-elle aujourd’hui conclure à l’inefficacité de la protection offerte par son pays alors qu’elle ne l’a pas vraiment testée sérieusement?

 

[28]            Il incombait à la demanderesse de faire d’abord appel aux ressources protectrices de l’État mexicain avant de demander la protection d’un autre pays. Elle ne la pas fait parce que, dit-elle, elle doute de l’efficacité de la protection offerte au Mexique pour les femmes qui partagent sa situation. Douter de l’efficacité de la protection offerte par l’État alors qu’on ne l’a pas vraiment testée ne réfute pas pour autant l’existence d’une présomption de protection étatique dans son pays d’origine.

 

[29]           Il n’est donc pas surprenant que le Tribunal n’ait pas été convaincu de l’insuffisance de la protection de l’État mexicain compte tenu de la situation de la demanderesse, son comportement et sa crédibilité ainsi que le peu de démarches qu’elle a entrepris pour bénéficier de la protection existante.

 

[30]           Pour tous ces motifs, la Cour ne voit pas en quoi la décision du Tribunal sur cette question serait déraisonnable.

 

L’existence d’un refuge interne

 

[31]           Le Tribunal conclut finalement que la demanderesse pouvait déménager et chercher refuge ailleurs au Mexique, soit à Monterrey, une ville de plus de trois millions d’habitants ou a Veracruz, plus au sud. De plus, le Tribunal considère qu’avec son niveau d’instruction dans un domaine très en demande, la demanderesse n’aurait pas trop de difficulté à se trouver un emploi et à se réinstaller dans une de ces deux villes ou ailleurs au Mexique.

 

[32]           Il est bien établi qu’en matière de possibilité de refuge interne, le fardeau de preuve appartient au revendicateur d’asile (Del Real c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 140 au paragr. 18). Ainsi, la demanderesse devait démontrer, soit qu’il serait déraisonnable pour elle de chercher refuge dans une autre partie du pays, ou soit prouver l’existence réelle de conditions l’empêchant de se relocaliser ailleurs au Mexique, ce qu’elle n’a pas fait.

 

[33]           En effet, le Tribunal indique dans sa décision que les villes de Monterrey et de Veracruz ont été suggérées à la demanderesse, mais qu’elle ne considère pas y chercher refuge parce qu’elle n’a aucun lien familial dans ces régions. Toutefois, l'absence de lien familial dans les endroits offrant une « possibilité de refuge interne » (PRI) ne signifie pas pour autant que le PRI suggéré imposerait à la demanderesse des conditions plus déraisonnables que de venir chercher refuge au Canada. S’éloigner de la famille pour aller prendre refuge et s'installer dans une autre partie du pays, y trouver du travail et recommencer sa vie loin de sa famille et de ses amis, constituerait certes une certaine épreuve pour la demanderesse, mais pas une épreuve indue et déraisonnable, et certainement pas une épreuve comparable à l’expatriation dans un pays lointain.

 

[34]           Devant cette Cour, la demanderesse n’indique nullement en quoi la conclusion du Tribunal sur l’existence d’une possibilité de refuge interne serait erronée. Bref, l’absence de famille et d’amis dans le PRI suggéré n’imposerait pas à la demanderesse des conditions déraisonnables. En conséquence, la conclusion du Tribunal sur le PRI se situe dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

Les décisions à caractère persuasif

 

[35]           L’ultime argument de la demanderesse concerne l’utilisation par le Tribunal de décisions à caractère persuasif. Elle prétend en effet dans son mémoire que le Tribunal fait une utilisation illégale de ces décisions puisque ces dernières n’ont pas été déposées en preuve dans le dossier, et qu’en conséquence, le principe de divulgation de la preuve n’a pas été respecté. Un tel argument ne tient pas puisque les décisions à caractère persuasif ne font pas partie de la preuve, mais constituent tout au plus des indicateurs jurisprudentiels que les commissaires peuvent consulter et suivre, sans pour autant y être tenus (Rios c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1437, 153 A.C.W.S. (3d) 1214).

 

[36]           Ici, le Tribunal ne se contente pas d’adopter le raisonnement des décisions auxquelles il réfère; il se base de plus sur son analyse personnalisée des éléments de preuve devant lui avant de décider d'adopter le raisonnement de ces décisions. Il pouvait donc, pour assurer une certaine uniformité dans les décisions et dans la mesure où les faits de la cause le justifient, se référer légitimement aux décisions citées à titre de guide jurisprudentiel tout aussi bien que peut le faire cette Cour.

 

[37]           Pour tous ces motifs, la demanderesse n’a pas su démontrer en quoi la décision visée par le présent recours serait déraisonnable. Par ailleurs, l’analyse du dossier, de la décision et des arguments des parties amènent la Cour à conclure que la décision attaquée appartient aux issues possibles, acceptables et justifiées au regard des faits et du droit, ce qui entraîne le rejet de la demande de révision de celle-ci.

 

[38]           Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1301-08

 

INTITULÉ :                                       LETICIA LIZET DEL RIO RAMIREZ

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 31 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Mireille-Anne Rainville

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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