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Date : 20081103

Dossier : T-703-08

Référence : 2008 CF 1221

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 3 novembre 2008

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

NOVOPHARM LIMITED et
MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

ELI LILLY and COMPANY LIMITED

Défenderesse/titulaire du brevet

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) s’est adressée à la Cour en vue d’obtenir, en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (le Règlement AC), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Novopharm Limited (Novopharm) un avis de conformité pour les comprimés à dissolution orale d’olanzapine tant que son brevet canadien no 2,214,005 (le brevet 005) ne sera pas expiré.

 

[2]               Dans la présente requête, Novopharm sollicite une ordonnance :

a.       déclarant que les articles 2, 3 et 4 du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS /2008-211, pris le 12 juin 2008 (le Règlement modificatif de 2008), sont ultra vires et inopérants (le jugement déclaratoire);

b.      rejetant la présente demande en application de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC (la réparation réglementaire).

 

[3]               Le brevet 005 revendique le polymorphe d’olanzapine de forme II, des formulations pharmaceutiques contenant le polymorphe d’olanzapine de forme II et des utilisations pour le polymorphe d’olanzapine de forme II, notamment dans le traitement de courte durée et d’entretien de la schizophrénie et des troubles psychotiques apparentés ainsi que dans le traitement de courte durée et d’entretien des épisodes maniaques ou mixtes du trouble bipolaire I.

 

[4]               Le brevet 005 a été délivré le 3 juillet 2001 et arrivera à expiration le 22 mars 2016. Eli Lilly and Company Limited en est la titulaire. La question en litige porte sur l’inscription du brevet 005 au registre tenu par le ministre conformément au paragraphe 3(2) du Règlement AC (le registre).

 

[5]               Lilly commercialise actuellement au Canada des comprimés d’olanzapine à dissolution orale sous la marque ZYPREXA ZYDIS (les comprimés de Lilly). Le 18 mars 2008, Novopharm a signifié un avis d’allégation (l’AA) relativement au brevet 005 et à ses propres comprimés à dissolution orale d’olanzapine. L’AA soulève plusieurs questions préliminaires, notamment une allégation d’inscription erronée au registre, ainsi que des allégations de non‑contrefaçon et d’invalidité relativement à un nombre substantiel de revendications du brevet 005.

 

[6]               Lilly a répondu à l’AA de Novopharm en introduisant, le 2 mai 2008, la présente demande. Novopharm a déposé initialement cette requête quelques jours avant l’entrée en vigueur du Règlement modificatif de 2008. Toute la preuve qu’à présenté Novopharm pour faire rejeter la présente demande repose sur la thèse selon laquelle le brevet 005 n’est pas admissible à l’inscription au registre relativement aux comprimés de Lilly.

 

[7]               Novopharm invoque la jurisprudence qui établit, à son avis, qu’il doit exister un lien entre l’invention du brevet et la présentation de drogue nouvelle (PDN) ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) approuvé par la délivrance d’un avis de conformité, notamment les arrêts AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560 (AstraZeneca Canada Inc.), et Wyeth Canada c. Ratiopharm, [2007] A.C.F. no 1062, 2007 CAF 264 (Wyeth).

 

[8]               Le brevet 005 est inscrit au registre à l’égard des comprimés de Lilly et de trois présentations de drogue et les AC auxquels elles se rapportent, à savoir SPDN no 062065 (AC délivré le 1er décembre  2000), SPDN no 070917 (AC délivré le 17 mars 2003) et SPDN no 082444 (AC délivré le 20 octobre 2004). En l’espèce, Novopharm soutient qu’il n’y a aucun lien entre l’objet de l’invention et les trois SPDN de Lilly, leur AC et l’invention visée par le brevet 005.

 

[9]               Lilly et le ministre ont tous deux déposé des dossiers de requête et ont participé à l’audience. Lilly conteste les deux aspects de la requête, alors que les observations du ministre présentées en opposition se limitent à la première partie de la requête (le jugement déclaratoire demandé par Novopharm).

 

[10]           La présente requête peut être tranchée sur le fondement de motifs restreints.

 

[11]           Le Règlement AC prévoit des conditions précises pour l’inscription d’un brevet dans le registre. Leur application a suscité de nombreux litiges. D’autre part, les dispositions réglementaires ayant trait à l’inscription des brevets ont été modifiées de temps à autre. Les exigences actuelles relative à la « pertinence » ont été adoptées en 2006 par le Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevets (avis de conformité), DORS/2006-242, pris le 5 octobre 2006 (le Règlement modificatif de 2006).

 

[12]           Puisque le brevet 005 a été inscrit au registre avant le 17 juin 2006, les avocats conviennent qu’en l’espèce les anciens critères d’inscription s’appliquent. Ces critères ont été établis par le Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/1998-166 (le Règlement modificatif de 1998). Toutefois, ces critères ne seront requis que si je décide que la Cour est habilitée à accorder la réparation demandée par Novopharm, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[13]           L’alinéa 6(5)a) du Règlement AC a été adopté en 1998 (voir le paragraphe 6(2) du Règlement modificatif de 1998). De toute évidence, le gouverneur en conseil savait à l’époque qu’il était possible que des brevets non admissibles soient inscrits au registre et qu’ils ne puissent pas facilement en être supprimés aux termes du paragraphe 3(1) du Règlement AC. L’alinéa 6(5)a) a permis aux fabricants de médicaments génériques, dans le cas d’une demande présentée par le propriétaire d’un brevet à l’égard d’un avis d’allégation qui lui était signifié par un fabricant de médicaments génériques, de demander à la Cour de rejeter la demande parce qu’elle est fondée sur un brevet non admissible à l’inscription au registre (voir Apotex Inc.  c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 1978, au par. 23, 181 D.L.R. 4th 404 (Apotex 1999)).

 

[14]           Toutefois, le Règlement AC ne confère pas à l’heure actuelle le pouvoir d’accorder l’ordonnance demandée aux termes de l’alinéa 6(5)a). Le brevet 005 a été déposé par voie de listes de brevets qui ont toutes été présentées avant le 17 juin 2006. Les paragraphes 6(5) et (5.1) du Règlement AC, édictés par l’article 3 du Règlement modificatif de 2008, empêchent la Cour de rejeter tout ou partie d’une demande « pour la seule raison qu’un brevet inscrit sur une liste de brevets présentée avant le 17 juin 2006 [tel le brevet 005] n’est pas admissible à l’inscription au registre ». Tel serait le cas si je devais accepter les observations de Novopharm portant qu’il n’existe aucun lien entre l’objet de l’invention du brevet 005 et l’un des trois SPDN susmentionnés.

 

[15]           Par contre, le paragraphe 3.1(1) du Règlement AC, édicté par l’article 2 du Règlement modificatif de 2008, interdit au ministre de supprimer du registre un brevet inscrit sur une liste de brevets présentée avant le 17 juin 2006 (« un brevet protégé par des droits acquis »), mis à part certaines « exceptions logiques ». À cet égard, le ministre conserve le pouvoir discrétionnaire de supprimer du registre un brevet protégé par des droits acquis lorsque ce brevet a expiré, est périmé ou a été déclaré invalide, dans une poursuite en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, lorsque ce brevet est jugé non admissible à l’inscription au registre en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC ou lorsque l’identification numérique attribuée à une drogue à l’égard de laquelle le brevet est inscrit au registre est annulée en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

 

[16]           De plus, le paragraphe 3.1(2) du Règlement AC, édicté par l’article 2 du Règlement modificatif de 2008, interdit au ministre de refuser d’ajouter au registre un brevet protégé par des droits acquis « pour la seule raison que celui‑ci n’est pas pertinent quant à la demande d’avis de conformité à laquelle se rapporte la liste ».

 

[17]           Le Règlement modificatif de 2008 prévoit des dispositions transitoires régissant la suppression du registre, par le ministre, ou le refus du ministre d’ajouter au registre un brevet protégé par des droits acquis « pour la seule raison que celui‑ci n’était pas pertinent », édictées également par les paragraphes 4(2) à 4(5). Cela dit, le paragraphe 4(8) dudit règlement prévoit que le paragraphe 6(5.1) du Règlement AC « ne s’applique pas à la requête de la seconde personne présentée aux termes du paragraphe 6(5) de ce règlement avant la date de publication du présent règlement dans la Gazette du Canada Partie I ».

 

[18]           La requête de Novopharm ne tombe pas sous le coup de l’exception édictée par le paragraphe 4(8) du Règlement modificatif de 2008. Par conséquent, Novopharm demande que la Cour applique l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC comme si le Règlement modificatif de 2008 n’existait pas, afin d’éviter l’application du paragraphe 6(5.1) du Règlement AC. Novopharm demande également à la Cour de déclarer ultra vires et inopérants les articles 2, 3 et 4 du Règlement modificatif de 2008.  

 

[19]           La Constitution n’est pas invoquée en l’espèce. Il ne s’agit pas d’une affaire où la Cour serait appelée, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, à déclarer certaines dispositions législatives ou réglementaires invalides, inapplicables ou sans effet au motif qu’elles sont « incompatibles », et donc « inopérantes ».

 

[20]           Essentiellement, Novopharm remet en question l’exercice administratif des pouvoirs réglementaires conférés au gouverneur en conseil par le législateur. En l’espèce, Novopharm fait valoir que le Règlement modificatif de 2008 est rétroactif et qu’il n’est pas autorisé par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets.  

 

[21]           Cela dit, j’accepte entièrement les observations de Lilly et celles du ministre portant que le jugement déclaratoire demandé n’est pas offert par voie sommaire en l’espèce et que, quoi qu’il en soit, j’ai le pouvoir discrétionnaire de refuser de me prononcer sur la validité des dispositions réglementaires contestées. J’accepte également leurs observations portant que la compétence de la Cour pour connaître d’une demande d’ordonnance d’interdiction sous le régime du Règlement AC se limite aux questions particulières régies par ledit règlement.

 

[22]           La compétence de la Cour fédérale en matière de propriété industrielle découle de l’article 20 de  la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi sur les Cours fédérales), et, en l’espèce, du Règlement AC pris en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Puisque la Cour fédérale est un « tribunal » au sens de l’article 2 du Règlement AC, elle a compétence pour connaître d’une demande présentée aux termes de l’article 6 du Règlement AC, dont une requête en rejet d’une telle demande présentée aux termes du paragraphe 6(5). Toutefois, ni le Règlement AC ni la Loi sur les brevets ne confère à la Cour fédérale un pouvoir général de contrôle sur la légalité des dispositions réglementaires (à l’exception des brevets). De plus, il est évident que la Cour n’est pas habilitée à rendre le jugement déclaratoire demandé en vertu de la Loi sur les brevets ou du Règlement AC.

 

[23]           En conséquence, en rendant un jugement déclaratoire général et opposable selon lequel le Règlement modificatif de 2008 est ultra vires et inopérant, la Cour irait bien au‑delà de la portée limitée de l’instance sommaire engagée en l’espèce sous le régime du Règlement AC. Voir Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd.; Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc., [1998] 2 R.C.S. 129, aux par. 93, 95 et 97.

 

[24]           Je souligne également que le Règlement modificatif de 2008 a été pris par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de l’Industrie, en vertu du pouvoir conféré par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, qui permet au gouverneur en conseil de « prendre des règlements » « [a]fin d’empêcher la contrefaçon d’un brevet », concernant notamment « les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues ».

 

[25]           Le Règlement modificatif de 2008 doit être donc présumé valide dans la présente instance introduite en application de l’article 6 du Règlement AC (Ontario Hydro c. Canada (C.A.), [1997] 3 C.F. 565). Par conséquent, la Cour ne peut écarter le Règlement modificatif de 2008, à moins qu’il ne soit déclaré ultra vires et inopérant.

 

[26]           Une déclaration d’invalidité ne peut être prononcée que par un jugement définitif de la Cour, non par une ordonnance rendue dans le cadre d’une requête sommaire en rejet, surtout si les questions d’interprétation des dispositions législatives sont complexes ou qu’il s’agit d’une question litigieuse visant l’objet de la disposition réglementaire. Voir, sur ces points ou par analogie : Shubenacadie Indian Band c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] A.C.F. no 1445, aux par. 40 et 49; Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.F.); Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., (2001), 16 C.P.R. (4th) 473 (C.F. 1re inst.), au par. 13, [2001] A.C.F. no 1880, confirmé dans (2002), 20 C.P.R. (4th) 190 (C.A.F.); 1515545 Ontario Ltd. c. Niagara Falls (City), (2006) 78 O.R. (3d) 783, au par. 40; inf. (2005) 75 O.R. (3d) 151.

 

[27]           Même si je présume, comme l’indique Novopharm, que la Cour a compétence pour connaître de la première partie de la présente requête, et finalement pour déclarer le Règlement modificatif de 2008 invalide, ce pouvoir discrétionnaire doit être utilisé « judicieusement ». Voir Kourtessis c. Canada (Ministre du revenu national - M.R.N.), [1993] 2 R.C.S. 53, au par. 44. Je ne suis pas convaincu que ce pouvoir puisse être utilisé « judicieusement » en l’espèce.

 

[28]           L’un des facteurs déterminants qui joue contre l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire est le fait qu’il est entièrement loisible à la Cour de conclure au bien‑fondé de toute allégation d’absence de contrefaçon ou d’invalidité de brevet formulée par Novopharm dans son AA, et de rejeter la présente demande d’ordonnance d’interdiction.

 

[29]           De plus, bien que Novopharm soit obligée de faire état du brevet 005 auquel la version générique des comprimés de Lilly est comparée, la Cour dispose d’un large pouvoir discrétionnaire relativement à l’attribution des dépens, particulièrement si la présente demande est rejetée. De plus, il sera toujours possible pour Novopharm, selon le cas, d’intenter une action en dommages‑intérêts contre Lilly pour toute perte subie au cours de la période visée par l’article 8 du Règlement AC et selon les modalités qui y sont prévues.

 

[30]           Un autre facteur important dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser aujourd’hui de statuer sur les questions d’invalidité soulevées par Novopharm dans la présente instance, se rapporte à l’existence d’un meilleur moyen procédural de statuer de manière définitive sur les questions d’interprétation des dispositions législatives et d’élaboration de politiques soulevées dans la présente requête interlocutoire.

 

[31]           Habituellement, la partie qui cherche à obtenir une déclaration d’invalidité de règlements d’application pris par le gouverneur en conseil (le cabinet) doit signifier et déposer une demande conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Le demandeur doit également désigner le procureur général du Canada comme défendeur.

 

[32]           Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales permet de présenter devant la Cour des demandes de contrôle judiciaire en vue d’obtenir un jugement déclaratoire contre le procureur général du Canada. Les entreprises pharmaceutiques ont présenté ce type de demandes dans le passé, comme dans Fournier Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 F.C. 327, [1998] A.C.F. no 1491, où la demanderesse cherchait à obtenir une déclaration portant que les paragraphes 4(3) et 4(5) du Règlement AC (dans leur version à l’époque) étaient ultra vires, ainsi qu’un bref de mandamus enjoignant au ministre d’inscrire la liste de brevets de la demanderesse dans le registre.

 

[33]           À cet égard, je ne partage pas les préoccupations de Novopharm, à savoir qu’une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclaratoire aux termes du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, ne peut contester la légalité du Règlement modificatif de 2008. Le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans Apotex 1999, se distingue nettement de l’espèce. Dans cette affaire, le fabricant de médicaments génériques avait, par voie de contrôle judiciaire, demandé à la Cour d’annuler la décision du ministre d’inscrire au registre des brevets censément non pertinents. On ne soutenait pas que le Règlement AC était ultra vires. Le raisonnement qui a amené la Cour d’appel fédérale à rejeter la demande se fondait en grande partie sur la présomption que l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC prévoyait à l’époque qu’« [u]n tribunal peut statuer sur l’admissibilité du brevet ou des brevets en cause après avoir entendu le propriétaire du brevet ou des brevets et le fabricant de médicaments génériques qui fait concurrence à celui‑ci (Apotex 1999, au par. 24).

 

[34]           Puisque depuis le 12 juin 2008, la Cour ne peut rejeter une demande pour la seule raison qu’un brevet protégé par des droits acquis « n’est pas pertinent quant à la demande [d’avis de conformité] », Novopharm est certes directement touchée par le Règlement modificatif de 2008. À mon avis, Novopharm aurait un intérêt légitime à demander, par voie de contrôle judiciaire, que la Cour se prononce sur la légalité du Règlement modificatif de 2008. Compte tenu des indications les plus récentes de la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, [2007] A.C.F. no 1585, et dans Association canadienne du médicament générique c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 375, [2007] A.C.F. no 1586, la Cour ne refuserait probablement pas de connaître d’une telle demande au motif que Novopharm n’a pas qualité pour agir.

 

[35]           Il est d’ailleurs évident que la présente requête constitue une tentative de contourner l’obligation de signifier et déposer une demande de contrôle judiciaire selon les modalités prévues aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et à l’article 300 et suivants des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La question qui se pose est alors de savoir si, et dans quelles circonstances, la Cour devrait accepter, dans le cadre d’une requête interlocutoire en vue d’obtenir le rejet de la demande présentée aux termes de paragraphe 6(1) du Règlement AC, d’examiner des motifs de contestation qui reposent sur le droit administratif.

 

[36]           Novopharm ne fonde pas sa preuve uniquement sur l’interprétation du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Les tenants et les aboutissants de l’élaboration des politiques dans le domaine pharmaceutique extrêmement spécialisé et complexe doivent également être réexaminés si la Cour entend la présente requête en jugement déclaratoire. Les arguments soulevés par les parties portent sur l’« objet » du Règlement modificatif de 2008, et dans cette mesure, sur la motivation et la bonne foi du gouvernement du Canada lorsqu’il a adopté les dispositions législatives contestées.

 

[37]           En contestant la légalité du Règlement modificatif de 2008, Novopharm met directement en question le caractère raisonnable de la décision du gouvernement en 2006 de soumettre le registre au « principe des droits acquis » relativement aux listes de brevets présentées avant le 17 juin 2006 (date correspondant à la publication des modifications de 2006 dans la Gazette du Canada Partie I).

 

[38]           À cet égard, Novopharm allègue notamment que le gouvernement a agi dans un but illégal et/ou illégitime. En fait, Novopharm allègue que le gouvernement a excédé ses pouvoirs ou qu’il a agi irrégulièrement en interdisant au ministre et à la Cour d’agir en vertu du Règlement AC en ce qui a trait à un brevet inscrit de manière irrégulière, pour le seul motif qu’un brevet protégé par des droits acquis n’est pas « pertinent » au sens donné par la jurisprudence pertinente, notamment dans l’affaire AstraZeneca Canada Inc. et dans Wyeth. Selon Novopharm, il s’agit d’une répudiation des décisions rendues par la Cour suprême du Canada ou par la Cour d’appel fédérale dans les affaires susmentionnées.

 

[39]           En fait, Novopharm demande aujourd’hui à la Cour d’examiner le brevet 005 conformément au Règlement AC antérieur au 5 octobre 2006 et à la jurisprudence pertinente, au motif que le Règlement modificatif de 2008 a mis en place un [traduction] « nouveau plan de match ».

 

[40]           Comme le démontre le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), qui accompagne le Règlement modificatif de 2006 mais n’en fait pas partie, Novopharm soutient respectueusement que le gouvernement a admis que l’effet du Règlement modificatif de 2008 ne s’accorde pas avec l’esprit de la Loi sur les brevets et le rôle du ministre prévu par le Règlement AC.

 

[41]           Le ministre et Lilly adoptent un point de vue tout à fait contraire. Ils donnent une interprétation différente des commentaires figurant dans le REIR.

 

[42]           En fait, ainsi qu’il appert du REIR qui accompagne le Règlement modificatif de 2008 mais n’en fait pas partie, le ministre et Lilly font valoir que les dispositions réglementaires contestées renforcent la prévisibilité, la stabilité et la compétitivité du régime canadien de propriété intellectuelle pour les produits pharmaceutiques, en réaffirmant et en précisant l’effet recherché par la mesure transitoire incluse dans le Règlement modificatif de 2006 relativement à la protection des brevets « avec droits acquis » (tel le brevet 005). À cet égard, le paragraphe 6(5.1) du Règlement AC (édicté par l’article 2 du Règlement modificatif de 2008) « empêche[ra] efficacement tout autre litige sur l’interprétation qu’il convient de donner aux anciens critères d’inscription ».

 

[43]           Dans ce contexte, Lilly et le ministre portent à l’attention de la Cour qu’entre janvier 2003 et juin 2006, le droit s’agissant de la pertinence « spécifique d’un produit » a été établi par la Cour d’appel fédérale dans Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] A.C.F. no 75 (Eli Lilly 2003). À l’époque, les brevets inscrits au cours de cette période, sans égard à la « pertinence du brevet », étaient juridiquement entièrement admissibles à l’inscription au registre (dans la mesure où les autres critères d’inscription étaient respectés).

 

[44]            Toutefois, le 1er août 2007, la Cour d’appel fédérale a rendu l’arrêt Wyeth qui, selon Lilly et le ministre, : 1) a explicitement contredit en partie sa décision antérieure Eli Lilly 2003 (en se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême AstraZeneca Canada Inc.); 2) a essentiellement annulé l’effet recherché par les dispositions transitoires du Règlement modificatif de 2006, en statuant que « la pertinence spécifique d’un produit » constituait un critère d’inscription même avant juin 2006.

 

[45]           Par conséquent, le ministre et  Lilly soutiennent maintenant que le Règlement modificatif de 2008 constitue un véritable instrument correctif – visant essentiellement à rétablir l’effet recherché par les dispositions transitoires du Règlement modificatif de 2006 que la Cour fédérale avait annulé dans Wyeth. Quoi qu’il en soit, Lilly fait valoir, selon la preuve au dossier, que le brevet 005 n’a pas été valablement inscrit au cours de la période pertinente, point sur lequel je n’ai pas à me prononcer aujourd’hui.

 

[46]           Je conviens avec le ministre et avec Lilly que la complexité des questions soulevées par la première partie de la requête de Novopharm exige que la décision définitive à cet égard soit reportée par la Cour à une date ultérieure et rendue par un tribunal mieux placé (dans la mesure où Novopharm présente une demande de contrôle judiciaire). À ce stade, la Cour ne devrait pas statuer par voie sommaire, dans le cadre d’une requête en rejet d’une demande d’ordonnance d’interdiction, sur des questions de droit et de fait controversées et de nature très délicate, concernant l’intention du gouvernement et l’objet du règlement contesté, sans s’assurer d’abord qu’elle possède tous les documents et tous les éléments de preuve pertinents. À mon humble avis, une telle certitude n’existe pas en ce moment. Il s’agit également d’un facteur qui entre en ligne de compte dans ma décision d’aujourd’hui de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de statuer sur le bien‑fondé des arguments concernant le caractère ultra vires invoqués par Novopharm.

 

[47]           De plus, il est évident que le jugement déclaratoire demandé par Novopharm dans la présente requête déterminerait des droits autres que ceux des parties immédiates à l’instance. Cela exige aussi que la Cour adopte une approche prudente qui permettrait d’éviter toute perturbation du marché et incertitude en matière d’investissement qui pourraient par ailleurs découler si la Cour devait prononcer, par voie sommaire, le jugement déclaratoire demandé par Novopharm dans la présente instance (point sur lequel je ne me prononce pas non plus).

 

[48]           Je tiens encore une fois à souligner que Novopharm cherche par la présente requête à invalider : 

1)         l’article 2 du Règlement modificatif de 2008, qui ajoute l’article 3.1 du Règlement AC visant à protéger contre la suppression tous les brevets « avec droits acquis »;

2)         l’article 3 du Règlement modificatif de 2008, qui modifie l’article 6 du Règlement AC;

3)         l’ensemble des dispositions transitoires édictées par l’article 4 du Règlement modificatif de 2008.

 

[49]           Je rappelle que le procureur général du Canada n’est pas présentement partie à la présente instance. Je ne peux présumer que sa position serait la même que celle du représentant du ministre aujourd’hui (notamment en ce qui concerne une réparation subsidiaire à l’invalidation, le cas échéant).

 

[50]           De plus, bien que le jugement déclaratoire demandé par Novopharm puisse également toucher directement les droits d’autres propriétaires des brevets protégés par des droits acquis (il en est de même particulièrement si les mesures visées par l’article 4 du Règlement modificatif de 2008 ont déjà été prises), le Règlement AC ne prévoit aucun moyen permettant aux tiers d’intervenir pour être entendus par la Cour. Par contre, les Règles des Cours fédérales sont plus souples à cet égard.

 

[51]           Par conséquent, compte tenu de la compétence restreinte de la Cour et de son pouvoir limité, de la nature sommaire de la présente instance, de l’intérêt public, de la complexité des questions préliminaires que Novopharm souhaite soulever, de la prépondérance des inconvénients et de la possibilité d’un recours plus approprié, je ne suis pas convaincu qu’il est dans l’intérêt supérieur de la justice que la Cour prononce aujourd’hui un jugement définitif sur la requête de Novopharm visant à invalider les articles 2, 3 et 4 du Règlement modificatif de 2008. Par conséquent, je refuse de me prononcer sur leur possible illégalité.

 

[52]           Pour le moment, les dispositions réglementaires contestées sont présumées valides. Le paragraphe 6(5.1) du Règlement AC ne permet pas d’accorder la réparation réglementaire recherchée par Novopharm dans la présente instance relative à un AC.

 

[53]           Pour ces motifs limités, la présente requête doit être rejetée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par les parties. Lilly et le ministre ont droit à leurs dépens contre Novopharm.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec dépens en faveur de Lilly et du ministre.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-703-08

 

INTITUTÉ :                                                   ELI LILLY CANADA INC. c. NOVOPHARM LIMITED ET AL

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 22 octobre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         Le 3 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jay Zakaib                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Scott Robertson

 

Jonathan Stainsby                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Andrew Skodyn                                                                 NOVOPHARM LIMITED           

 

F.B. (Rick) Woyiwada                                                       POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                          LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.                                         POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

Heenan Blaikie s.r.l.                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                               NOVOPHARM LIMITED           

 

John H. Sims, c.r.                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada                                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Ottawa (Ontario)                                                                     

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