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Date : 20081029

Dossier : T-2225-07

Référence : 2008 CF 1211

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

PAULINE BUSCH

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Résumé des faits

 

[1]               Mme Busch, la demanderesse, a travaillé pour une période déterminée, de 2000 à 2003, au ministère de la Justice (le MJ), comme coordonnatrice nationale du réseau de la justice autochtone (le RJA). Le 3 février 2003, on a informé Mme Busch que son emploi prendrait fin le 9 mai 2003 parce que le RJA serait dissout et que le poste qu’elle occupait n’existerait plus.

 

[2]               Le 3 février 2004, Mme Busch a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP ou la Commission) dans laquelle elle a fait valoir qu’elle avait subi de la discrimination fondée sur le motif de sa race et de son origine nationale ou ethnique, en cours d’emploi, et à la cessation subséquente de cet emploi par le MJ, en contravention aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la LCDP). La plainte alléguait que le directeur général du RJA et le supérieur immédiat de la demanderesse, Daniel Watson, lui avaient refusé des formations et des possibilités d’avancement, avaient refusé d’intervenir au sujet des traitements discriminatoires qu’elle avait subis, ne s’étaient pas attaqués à un environnement de travail malsain et avaient refusé de reconduire son contrat d’emploi, parce qu’elle est une femme autochtone traditionnelle.

 

[3]               Par une lettre du 20 novembre 2007, la Commission a avisé Mme Busch que, conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, elle avait décidé de rejeter sa plainte parce que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’instruction par le Tribunal n’était pas justifiée.

 

[4]               Mme Busch demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.        Les questions en litige

 

[5]               Telles qu’elles ont été présentées lors des observations orales, les questions litigieuses dans la présente demande sont les suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle manqué aux principes d’équité procédurale lorsqu’elle n’a effectué ni enquête ni analyse neutres et rigoureuses des allégations de discrimination de Mme Busch :

 

a)      lorsqu’elle n’a pas interviewé les membres du comité consultatif du RJA et d’autres personnes que Mme Busch avait désignées comme ayant des renseignements relatifs à ses allégations?

b)      lorsqu’elle n’a pas tenu compte de la preuve qui lui avait été présentée après la clôture de l’enquête?

 

III.       Le processus conduisant à la décision

 

[6]        Je commencerai par faire la description du processus qui a conduit à la décision de la Commission. En l’espèce, les erreurs qui auraient été commises ressortent de la description du processus.

 

[7]        La plainte de Mme Busch a été renvoyée à une enquêtrice. Sa plainte a été transmise à l’employeur, le MJ qui, en réponse, a présenté de longues observations. En bref, la réponse rédigée par M. Watson présentait l’argument principal selon lequel la décision de ne pas renouveler le contrat d’emploi à durée déterminée de Mme Busch était due au fait que [traduction] « elle n’a pas été en mesure de produire un document de planification stratégique qui était essentiel au bon fonctionnement de la section dont elle était responsable ». M. Watson conteste aussi l’allégation de Mme Busch selon lequel le RJA n’a pas été dissout comme on le lui avait dit. Le 8 novembre 2006, par l’intermédiaire de son avocat, Mme Busch a présenté ses commentaires en réponse. Il est important de souligner que Mme Busch a fourni une liste de douze témoins potentiels; elle a décrit le genre de preuve qui pouvait être obtenu de chacun d’entre eux lors d’une entrevue. Certains de ces témoins étaient des employés et Mme Busch a affirmé qu’ils pouvaient fournir des preuves relatives à l’environnement de travail. Mme Busch a aussi désigné des aînés, anciennement au RJA, qui étaient présents à une réunion au cours de laquelle M. Watson avait fait des commentaires relatifs au licenciement de Mme Busch; ces commentaires seraient incohérents avec les motifs avancés comme étant le fondement de son licenciement.

 

[8]        Le rapport de l’enquêtrice chargée de la plainte (le rapport de l’enquêtrice) date du 5 avril 2007. Les renseignements contenus dans le rapport ont été obtenus à partir de nombreuses entrevues et de documents. Toutefois, il appert qu’un seul des douze témoins désignés par Mme Busch a été interviewé; on a posé à ce témoin des questions pour savoir très précisément si le poste de coordonnateur national au RJA lui avait été offert. Dans son rapport, l’enquêtrice a déclaré qu’elle avait interviewé un grand nombre d’anciens employés et d’employés actuels du MJ; aucun d’entre eux n’avait été désigné ni par Mme Busch ni par le MJ. Fait révélateur dans le présent contrôle judiciaire, il semblerait que l’enquêtrice n’ait interviewé aucun des aînés désignés dans la liste de Mme Busch. Dans tout le rapport, il y a des références aux conflits entre M. Watson et Mme Busch. À un moment, en ce qui a trait à la possibilité de formation, l’enquêtrice a pris acte de l’existence de preuves contradictoires et du fait que [traduction] « l’enquête n’a pas permis d’évaluer la crédibilité des parties ». Une partie du rapport a trait à la question de savoir si Mme Busch avait été remplacée en tant que coordonnatrice nationale. À ce sujet, l’enquêtrice a conclu qu’on n’avait offert à personne le poste de coordonnateur national en remplacement de Mme Busch.

 

[9]        L’enquêtrice recommandait, en conclusion, dans son rapport que la Commission rejette la plainte.

 

[10]      Mme Busch et le MJ se sont vu offrir la possibilité de répondre avant que la Commission prenne sa décision définitive. Seule Mme Busch a fourni des commentaires. Il est particulièrement important de signaler que l’avocat de Mme Busch a fait suivre des copies d’une série de courriels qui avaient récemment été trouvés et qui semblent donner à penser que le poste de coordonnateur national du RJA avait été comblé par un détachement et que le travail que Mme Busch avait un temps effectué existait toujours.

 

[11]      Dans une lettre du 20 novembre 2007, la Commission a communiqué à Mme Busch sa décision de rejeter la plainte. Elle ne faisait aucune mention précise des questions soulevées par Mme Busch dans sa réponse. Il y avait simplement une déclaration stéréotypée selon laquelle les membres de la Commission avaient examiné le rapport de l’enquêtrice et [traduction] « toutes observations déposées en réponse au rapport ».

 

 

IV.       Analyse

 

[12]      Il n’y a pas de désaccord fondamental entre les parties sur les principes juridiques majeurs applicables à la présente décision. En bref :

 

1.        La question de savoir si l’enquête de la Commission a été faite avec rigueur relève de l’équité procédurale. En tant que telle, elle est contrôlée selon la décision correcte.

2.                  La Cour a le droit de considérer que le rapport de l’enquêtrice constitue les motifs de la Commission (voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 37).

 

3.                  Les enquêtes menées pour décider si le Tribunal devrait être saisi conformément à l’alinéa 44(3)a) de la LCDP doivent être neutres et rigoureuses afin de satisfaire à l’obligation d’équité procédurale (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), au paragraphe 49, confirmée par (1996) 205 N.R. 383 (C.A.F.), [1996] A.C.F. n° 385 (C.A.) (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 1297, [2006] 3 R.C.F. 283, au paragraphe 24; Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, (2005) 332 N.R. 60, au paragraphe 8).

 

[13]      Pour une analyse rigoureuse des obligations de la Commission dans le cadre de l’enquête et de l’examen préalable des plaintes, je réfère le lecteur aux paragraphes 16 à 18 de la récente décision Herbert c. Canada (Procureur général), 2008 CF 969, [2008] A.C.F. no 1209 (C.F.) (QL), de mon collègue le juge Zinn, analyse que je fais mienne.

 

[14]      Les parties sont en désaccord sur les questions de savoir si l’enquête de la Commission a été neutre et menée avec rigueur et si la Commission a pris sa décision sans tenir compte de certaines des observations de Mme Busch. Après avoir examiné le dossier, je suis d’avis que la Commission a commis des erreurs sur deux aspects fondamentaux.

 

[15]      Premièrement lorsqu’elle a refusé d’interviewer onze des douze témoins désignés par Mme Busch, l’enquêtrice n’a sans doute pas mené son enquête avec rigueur. C’est le cas en particulier en ce qui a trait aux aînés de la liste, qui ont pu entendre les commentaires de M. Watson, lesquels contredisent (du moins jusqu’à un certain point) les raisons qu’il a avancées dans son rapport à l’enquêtrice. L’enquêtrice n’a donné aucune raison pour laquelle les aînés (ou les autres personnes figurant sur la liste de Mme Busch) n’avaient pas été interviewés. J’admets que ce ne sont pas toutes les personnes dont le nom figure sur la liste de témoins potentiels fournie par le plaignant qui doivent être interviewées; l’enquêteur dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de décider comment mener une enquête; voir par exemple Bateman c. Canada, 2008 CF 393, [2008] A.C.F no 510 (C.F.) (QL), au paragraphe 30; Slattery, précité, au paragraphe 69. Toutefois, lorsqu’un témoin possède des renseignements qui pourraient répondre à une conclusion importante de l’enquêteur et lorsque aucune autre personne qui pourrait permettre de résoudre un aspect important et controversé n’est interviewée, il me semble que le fait de ne pas interviewer cette personne peut résulter en une enquête qui est incomplète; voir Egan c. Canada (Procureur général), 2008 CF 649, [2008] A.C.F. no 816, pour une situation semblable. Dans la présente affaire, les motifs du licenciement de Mme Busch étaient en cause. Selon Mme Busch, M. Watson a lui donné des motifs de licenciement différents de ceux qu’il a donnés au Comité consultatif du RJA. À mon avis, l’omission d'interviewer tout membre de cet organisme consultatif a résulté en un rapport qui n’avait pas été fait avec rigueur.

 

[16]      Je ne suis pas autant interpellée par l’omission d’interviewer les anciens employés désignés par Mme Busch. L’enquêtrice a interviewé un certain nombre d’anciens employés qui pouvaient donner le même témoignage sur l’environnement de travail que ceux dont les noms figuraient sur la liste de Mme Busch. En outre, comme c’étaient des employés qui n’avaient été désignés par aucune des parties, ces témoins pouvaient vraisemblablement donner un point de vue impartial. Il n’y avait pas de manquement à l’équité dans le fait de ne pas interviewer les anciens employés désignés par Mme Busch.

 

[17]      La deuxième erreur a trait à l’échange de courriels transmis à la Commission par l’avocat de Mme Busch et qu’elle mentionne dans sa réponse au rapport de l’enquêtrice. Un courriel décrit le détachement d’une personne au poste de coordonnateur national. Dans sa décision définitive, la Commission ne fait aucune mention de cette nouvelle preuve. L’objet des courriels remet directement en question à l’une des conclusions de l’enquêtrice, celle selon laquelle Mme Busch n’avait pas été remplacée. Il se pourrait bien qu’il y ait une explication à ces courriels et qu’on puisse les rejeter parce qu’ils ne sont pas fiables, qu’ils sont ambigus ou qu’ils ne sont pas clairs. Néanmoins, il s’agit d’une preuve qui contredit une conclusion importante de l’enquêtrice. Le défaut de traiter des questions importantes soulevées par un plaignant dans sa réponse a été considéré comme constitutif d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire (voir par exemple Egan, précité, au paragraphe 16; Alliance de la fonction publique du Canada, précité, au paragraphe 50). Étant donné le mutisme de la décision de la Commission sur toute la réponse, je me demande s’il a été tenu compte de cette preuve. Vu ses liens étroits avec les questions en litige, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné cette preuve.

 

V.        Conclusion

 

[18]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens en faveur de la demanderesse.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.                  La décision de la Commission, du 20 novembre 2007, est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’une enquête soit menée par un autre enquêteur et qu’une nouvelle décision soit rendue ultérieurement par la Commission.

 

3.                  La demanderesse a droit aux dépens taxés selon la valeur médiane des unités prévues à la colonne III du tarif B.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                             T-2225-07

 

INTITULÉ :                                            PAULINE BUSCH c. PROCUREUR

                                                                 GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                      Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 22 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 29 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

Bijon Roy

 

POUR LA DEMANDERESSE

Alexander Gay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne et Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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