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Date : 20081020

Dossier : IMM‑666‑08

Référence : 2008 CF 1171

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2008

En présence de monsieur le juge suppléant Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

SANDRA MARIA DE SOUSA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne du Brésil qui est arrivée au Canada avec sa fille Amy de 14 mois grâce à un visa de visiteur de six mois à la fin 1996 et elle n’a pas quitté le pays après cette période. En mai 2004, elle a présenté une demande d’exemption, pour des motifs d’ordre humanitaire, à l’exigence qu’elle présente sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[2]               Cette demande a été rejetée le 26 juin 2006. Cependant, le contrôle judiciaire de cette décision a été accordé au motif que l’agent n’avait pas examiné de façon adéquate l’intérêt supérieur d’Amy si celle‑ci devait être séparée de sa mère. La présente demande porte sur la deuxième question dans ce dossier.

 

[3]               Au départ, Mme de Sousa habitait avec sa sœur, une résidente permanente, et son beau‑frère. Elle prenait soin de la mère malade de son beau‑frère en échange du gîte et du couvert pour elle‑même et pour Amy. Pendant cette période, elle soutient qu’elle a été maltraitée et agressée verbalement et physiquement. Sa sœur et son beau‑frère l’ont convaincue qu’Amy pourrait recevoir des soins de santé, la citoyenneté canadienne et une meilleure éducation s’ils l’adoptaient. La demande d’adoption a été présentée en 1999 et l’adoption a été finalisée en octobre 2002. Amy a reçu la citoyenneté canadienne en septembre 2005.

 

[4]               En décembre 2003, la demanderesse et sa fille ont quitté le domicile de sa sœur et en janvier 2004, la demanderesse subvenait à ses propres besoins grâce à un emploi comme femme de ménage. Elle a plus tard demandé la garde d’Amy, qu’elle a obtenue le 19 avril 2007, après la décision du premier agent.

 

[5]               Mme de Sousa a présenté des observations et des documents mis à jour à Citoyenneté et Immigration Canada le 14 mars et le 15 juin 2007 pour un nouvel examen de sa demande CH. D’autres documents ont été présentés au début 2008.

 

[6]               L’agente a commencé par mentionner les antécédents de la demande de la demanderesse et a noté que le fait qu’elle ait obtenu la garde exclusive d’Amy le 19 avril 2007 résolvait la question juridique qui avait causé des complications dans la première évaluation de la demande CH : le fait que la demanderesse était la pourvoyeuse de soins mais n’était pas la tutrice légale de sa fille.

 

[7]               Dans ses motifs, l’agente a noté qu’il existait peu de renseignements au sujet du père d’Amy, mais elle a noté que les actions de la demanderesse avaient empêché toute relation entre sa fille et son père ou ses autres parents en Amérique du Sud. L’agente a alors décrit l’adoption et a conclu que la relation mère‑fille entre la demanderesse et Amy n’avait jamais été coupée. L’agente a noté que les observations au sujet de l’état psychologique d’Amy portaient principalement sur le résultat d’une séparation causée par le déportement de la mère. Elle a aussi noté qu’Amy était en sixième année et était assez jeune pour s’adapter facilement à des nouveaux amis et à un nouvel environnement.

 

[8]               Quant à la déclaration de Mme de Sousa au sujet du fait qu’elle serait incapable de donner un soutient financier à Amy au Brésil, l’agente a noté qu’elle avait été capable de se trouver un emploi et de subvenir à ses propres besoins alors qu’elle se trouvait dans un pays étranger, malgré le fait qu’elle ait eu à apprendre une nouvelle langue. Elle a donc conclu qu’il était raisonnable de croire qu’elle serait capable de faire la même chose dans son pays d’origine.

 

[9]               L’agente n’était pas convaincue que Mme de Sousa était bien établie au Canada. Elle a noté qu’elle avait des amis dans la collectivité et qu’elle avait un emploi, mais qu’il n’y avait pas suffisamment d’indices d’établissement pour démontrer qu’elle serait incapable de se rétablir au Brésil. Finalement, elle a conclu que les problèmes psychologiques dont elle disait souffrir en raison des agressions qu’elle avait subies dans la maison de sa sœur et de l’anxiété qu’elle ressentait par rapport au fait qu’elle serait séparée de sa fille si elle était déportée étaient auto‑imposées. La demanderesse pouvait retourner au Brésil à tout moment et rien ne l’empêchait d’amener Amy avec elle puisqu’elle avait obtenu la garde.

 

[10]           L’agente a noté que l’adoption avait été entreprise dans le but de donner un statut à Amy au Canada, ce qui est contraire à la LIPR, et que les faits avaient été faussés dans sa demande de résidence permanente parrainée. Une enquête aurait lieu pour fausse représentation au sujet de la sœur et du beau‑frère de la demanderesse, mais aucune enquête n’aurait lieu au sujet de la demanderesse, qui n’était pas directement touchée et qui ne pouvait pas être tenue responsable. L’enfant ne serait pas visée non plus.

 

[11]           La demanderesse soutient que l’agente d’immigration a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et que son analyse de l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse était entachée d’erreurs. Le défendeur répond que l’attaque de la demanderesse au sujet de la décision de l’agente n’est rien de plus qu’une tentative d’échapper aux exigences du système d’immigration.

 

[12]           Le fait d’entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est une erreur de compétence qui relève de la norme de la décision correcte. L’évaluation supposément erronée de l’intérêt supérieur d’Amy porte sur les faits et sur l’application de la loi à ces faits et ne peut donc être annulée que s’il est conclu qu’elle ne faisait pas partie des conclusions raisonnables que l’agente pouvait tirer.

 

[13]           La demanderesse soutient que l’agente a tiré des conclusions spéculatives lorsqu’elle a pris sa décision au sujet de l’intérêt supérieur d’Amy, ce qui rend la décision déraisonnable. La demanderesse conteste entre autres la conclusion selon laquelle les enfants de douze ans [traduction] « s’adaptent facilement à de nouveaux amis et de nouveaux environnements ainsi qu’à de nouvelles écoles », pour laquelle l’agente n’a cité aucune preuve. Elle fait aussi valoir que la référence de l’agente aux liens possibles entre Amy et son père supposait de façon déraisonnable que la demanderesse et son ex‑mari puissent se réconcilier, malgré la preuve que la demanderesse avait déposée quant au fait que le père a une autre famille.

 

[14]           Le défendeur soutient que l’agente a fait des observations raisonnables fondées sur le sens commun et sur la logique. Il fait valoir que la demanderesse conteste l’évaluation de la preuve, ce qui n’est pas un motif de contrôle judiciaire.

 

[15]           En réponse, la demanderesse soulève le syndrome de stress post‑traumatique de sa fille et fait valoir que le défaut de l’agente d’examiner la preuve de cette maladie constitue une erreur.

 

[16]           Contrairement aux observations de la demanderesse, le défendeur soutient que l’agente n’a pas omis de tenir compte du stress psychologique d’Amy, puisqu’une lettre qui décrivait ses symptômes et son besoin de rester avec sa mère est citée dans la décision.

 

[17]           Dans ses observations, le défendeur soutient que [traduction] « l’agente d’immigration n’a commis aucune erreur susceptible de révision puisqu’un examen des longs motifs de l’agente révèle une évaluation attentive de l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse » (voir le paragraphe 33 du mémoire supplémentaire des arguments du défendeur, daté du 21 août 2008).

 

[18]           Le défendeur soutient aussi que l’agente a été alerte et sensible aux répercussions que subirait l’enfant si elle devait déménager au Brésil avec sa mère (voir le paragraphe 33 du mémoire supplémentaire des arguments du défendeur, daté du 21 août 2008).

 

[19]           Je ne souscris pas aux arguments du défendeur.

 

[20]           Le dossier contient une lettre du médecin de l’enfant qui la traite depuis son arrivée au Canada (lettre datée du 4 novembre 2006 de la Dre Trudy Chernin, Dossier du Tribunal, page 142).

 

[21]           Dans sa décision, l’agente d’immigration déclare :

 

[traduction]

« Il n’y a aucun renseignement au dossier qui laisse entendre qu’Amy souffre d’une difformité ou d’une maladie physique. En fait, il y a une lettre au dossier du médecin de famille, la Dre Trudy Chernin, datée du 4 novembre 2006 qui déclare “[j]’ai vu Amy pour la dernière fois le 30 octobre 2006 et il semble qu’on prenne bien soin d’elle et qu’elle ne souffre d’aucun stress physique.” »

 

 

[22]           L’agente n’a cependant pas tenu compte de la lettre du Dre Chernin en entier. Dans la lettre, la Dre Chernin poursuit :

 

[traduction]

« […] Si Mme Sousa devait être déportée, cela aurait un impact dévastateur sur Amy parce qu’elle devrait soit quitter le Canada avec sa mère ou bien rester avec sa tante. Ce serait une situation intolérable pour elle. »

 

 

[23]           Il est donc clair que la conclusion de la Dre Chernin était qu’Amy subirait des effets dévastateurs si elle devait se rendre au Brésil ou si elle devait rester au Canada sans sa mère. Cette preuve n’a pas été contredite par d’autres témoignages d’experts.

 

[24]           Le terme dévastateur est défini comme [traduction] « le fait de causer une grande destruction, être submergé par le choc, trop efficace; écrasant » (Canadian Oxford Dictionary).

 

[25]           À mon avis, l’agente n’a pas tenu compte de la preuve susmentionnée de la Dre Chernin et elle a donc commis une erreur susceptible de révision en ce qui a trait à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[26]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[27]           Compte tenu de ma conclusion au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’est pas nécessaire de traiter les autres motifs que la demanderesse a soulevés, soit le fait que l’agente a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[28]           Aucune question n’a été présentée pour la certification.

 

[29]           Il convient de noter qu’il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire qui a été accueillie pour la demanderesse au sujet de sa demande d’exemption de l’exigence que sa demande de résidence permanente soit présentée de l’extérieur du Canada.

 

[30]           Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt de la justice de renvoyer l’affaire pour nouvel examen. En fait, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, je suis d’avis que la demande CH de la demanderesse devrait être traitée à partir du Canada. Une ordonnance à ce sujet sera rendue.

 

[31]           Aucune question de portée générale n’a été présentée pour la certification.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agente d’immigration datée du 23 janvier 2008 est annulée pour des raisons juridiques. L’affaire est renvoyée au défendeur afin que la demande de résidence permanente de la demanderesse soit traitée à partir du Canada, compte tenu de ma conclusion au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant Amy.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑666‑08

 

INTITULÉ :                                       Sandra Maria de Sousa c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge suppléant Tannenbaum

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hilary Evans Cameron

Downtown Legal Services

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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