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Date : 20081010

Dossier : IMM-636-08

Référence : 2008 CF 1148

Montréal (Québec), le 10 octobre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

Jose Miguel Hernandez Medina

Belia Rosa Martinez Guanipa

Martin Javier Sanchez Martinez

 

partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue 12 décembre 2007, à l’effet que les demandeurs ne se qualifient ni comme réfugiés au sens de la Convention, ni comme personnes à protéger, selon les termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

II.         Les faits

 

[2]               Jose Miguel Hernandez Medina (demandeur principal), et les autres demandeurs, sa femme Belia Rosa Martinez Guanipa, ainsi que son fils Martin Javier Sanchez Martinez, sont tous trois citoyens du Venezuela.

 

[3]               Le demandeur principal entre au service de la Petroleos de Venezuela SA (PDVSA), une société d’état vénézuélienne, le 27 septembre 1992, emploi qu’il occupera jusqu’à son licenciement, le 31 janvier 2003, avec quelque 19 000 autres travailleurs, suite à une grève générale déclenchée par les syndicats et le parti d’opposition au gouvernement du président Chavez.

 

[4]               Le jour de la grève, le demandeur principal aurait été arrêté par la garde nationale. Libéré peu de temps après, il apprend son licenciement par les journaux qui publient la liste de tous les autres travailleurs licenciés pour le même motif.

 

[5]               Le demandeur principal prétend avoir été par la suite incapable de se trouver un emploi dans son domaine, et ce, même dans une entreprise privée, en raison d’une lettre aux entreprises pétrolières les menaçant de représailles si elles engageaient d’anciens grévistes licenciés.

De sorte que, de 2004 à 2005, il opère un dépanneur qu’il doit finalement fermer.

 

[6]               Se croyant harcelé à cause de sa conviction politique anti-Chavez, il se procure un passeport des autorités de son pays, et l’utilise pour obtenir un visa de visiteur des autorités canadiennes. Il arrive au Canada le 21 juillet 2006, et demande l’asile le 4 août suivant. Sa conjointe et son fils viennent le rejoindre un mois plus tard pour se joindre à sa demande.

 

III.       Décision contestée

 

[7]               Pour refuser l’asile aux demandeurs, la Commission conclut à l’existence d’un refuge interne au Venezuela, mais ailleurs que dans les États de Carabobo et Falcon.

 

[8]               Après avoir considéré la preuve documentaire, la Commission note que le demandeur principal ne possède pas le profil des dirigeants qui avaient encouragé la grève de 2003 et que le régime du gouvernement Chavez ciblait, puisqu’il n’était qu’un des nombreux grévistes congédiés dont le seul rôle s’était limité à participer comme simple employé à cette grève. La Commission conclut donc que le statut d’ancien employé du PDVSA ne met pas le demandeur principal à risque ailleurs au Venezuela en raison de son profil, de son poste et de ses activités pendant la grève.

 

[9]               Et retenant que, lors de l’audition, le demandeur principal ajoute à son profil et déclare pour la première fois avoir été membre du parti Social Chrétien (COPEI) de 1982 à 1983, la Commission juge que cette ancienne allégeance du demandeur à ce parti ne le met pas à risque, puisque à cette époque, il n’avait fait qu’un travail politique ponctuel, limité et bénévole, sans jamais détenir un poste officiel pour ce parti.

 

[10]           Finalement, tenant compte des diplômes des demandeurs, leur expérience de travail, leur âge et leur état de santé, ainsi que la preuve documentaire, la Commission conclut qu’il n’est donc pas déraisonnable de croire que ceux-ci pourraient trouver refuge dans leur pays, ailleurs que dans les États de Carabobo et Falcon, sans être inquiétés.

 

IV.       Question en litige

 

[11]           La Commission omet-elle de tenir compte dans son analyse d'éléments de preuve importants donnant ouverture à l’erreur, lorsqu’elle conclut qu’avec leur profil, le demandeur et sa famille pourraient prendre refuge dans son pays, ailleurs que dans les États de Carabobo et Falcon, sans se mettre à risque?

 

[12]           Essentiellement, les demandeurs contestent les conclusions de fait tirées de la preuve par la Commission et soutiennent qu’elle n’a pas analysé toute la preuve.

 

V.        Analyse

            a. Norme de contrôle

 

[13]           En tant que tribunal administratif spécialisé, la Commission bénéficie d’une expertise dans les affaires où s’exerce sa juridiction. Les cours doivent traiter avec déférence les décisions de ces tribunaux basées sur une appréciation des faits, lorsque, comme dans l’espèce, ils agissent à l’intérieur de leur juridiction. Il faut donc se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de sa justification, et de son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). La norme de la décision raisonnable ne commande pas une plus grande intervention que la réponse à cette question.

 

[14]           À l’intérieur de cette norme de contrôle, peut-on conclure que la Commission erre lorsqu’elle décide qu’avec leur profil, le demandeur et sa famille pourraient prendre refuge dans leur pays, ailleurs que dans les États de Carabobo et Falcon, sans se mettre à risque?

 

 

b. Existence d’un refuge interne

 

[15]           Même si la Commission ne doute pas du récit des demandeurs, il leur appartient de prouver, selon la balance des probabilités, qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés dans tout leur pays, sans aucune possibilité d’y trouver refuge, y compris les États mentionnés par la Commission, et qu’il était objectivement déraisonnable pour eux, compte tenu de leur situation et des circonstances d’aller trouver refuge ailleurs dans leur pays (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (CAF)).

 

[16]           La Cour d’appel fédérale énonce un critère à deux volets pour le refuge interne : le tribunal doit se convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés dans la partie du pays où il existe une possibilité de refuge, et il doit de plus pouvoir conclure que la situation dans la partie du pays qu’il estime constituer un refuge interne est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances. (Thirunavukkarasu, précité, pages 597 et 598).

 

[17]           Il appert des motifs de la décision attaquée, qu’avant de conclure à l’existence d’un refuge interne, la Commission prend soin d’analyser l’ensemble de la preuve en fonction des deux volets du critère énoncé dans l’arrêt précité.

 

[18]           L’examen de la preuve documentaire citée par la Commission l’a convaincu que les personnes ciblées sont des « opposition leaders », des « prominent human rights lawyers », des « journalists and offices of media companies », des dirigeants d’organisations, bref des personnes présentant un profil fort différent que celui du simple syndiqué de base qu’était le demandeur principal lors de son licenciement de 2003.

 

[19]           La situation du demandeur principal ne diffère pas de celle des nombreux syndiqués licenciés comme lui, et qui ont pu se localiser, trouver emploi ailleurs au Venezuela, et même pour plusieurs, recevoir une compensation. D’ailleurs, aucun des rapports mis en preuve n’indique que le régime Chavez ciblerait depuis leur congédiement de simples employés de la PDVSA, en raison seulement de leur participation à la grève de 2003, comme ce fut le cas pour le demandeur principal.

 

[20]           Lors de son témoignage devant la Commission, le demandeur principal ajoute cependant que malgré ses efforts de s’installer ailleurs dans son pays, il serait toujours sujet à l’intimidation et au harcèlement en raison de sa conviction politique. Mais là aussi sa situation ne diffère pas de celle des très nombreux Vénézuéliens qui partagent la même conviction et contestent ouvertement le régime Chavez. La preuve documentaire analysée par la Cour indique que seuls les chefs de file, les activistes ou les dirigeants des mouvements politiques contestataires risquent d’être ciblés par le régime Chavez, ce que n’a jamais été le demandeur principal.

 

[21]           Or, dans la déclaration de renseignements personnels que le demandeur soumet au soutien de sa demande d’asile, celui-ci fait largement état de son congédiement de 2003, de ses efforts pour se relocaliser ailleurs, et de ses difficultés à trouver un travail lui permettant de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Nulle part dans cette déclaration se décrit-il comme un activiste politique. Ce n’est que lors de son témoignage devant la Commission, que pour la première fois il se décrit comme un activiste politique opposé au régime Chavez. Toutefois, même là son témoignage indique que la seule fois où il aurait manifesté publiquement contre le régime Chavez, c’était à titre de simple gréviste prenant part à un rassemblement lors de la fameuse grève qui lui vaut son congédiement. Un tel rôle n’en fait pas un activiste ou un leader pour autant.

 

[22]           Si, comme le révèle la preuve documentaire analysée par la Commission, un grand nombre d’anciens compagnons de travail ont pu se relocaliser et gagner leur vie ailleurs au Venezuela, malgré leur participation au mouvement de grève de 2003, il était loisible pour la Commission de croire qu’il en irait de même pour le demandeur principal et sa famille. Se décrire soudainement, comme le fait le demandeur principal lors de l’audition de sa demande, comme un activiste politique opposé au régime Chavez, et ce alors que le demandeur principal n’en fait pas mention dans sa déclaration écrite préalablement, c’est une chose qui fait peut-être l’affaire. Mais l’activisme se mesure dans les faits, et avant cette déclaration du demandeur à l’audition, sa propre description des faits n’en fait pas un activiste politique plus que les très nombreux opposants au régime Chavez.

 

[23]           Après l’analyse de la décision visée par le présent recours, ainsi que la preuve au dossier, y compris la transcription du témoignage du demandeur principal, la Cour ne voit pas en quoi il est déraisonnable pour la Commission de croire que les demandeurs pourraient vivre ailleurs et gagner leur vie dans leur pays sans se mettre à risque, plutôt que de tenter de chercher refuge au Canada.

 

[24]           En bref, les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que la Commission a commis une erreur justifiant l’intervention de cette Cour. Il n’appartient pas à cette Cour, à ce stade-ci, d’apprécier la preuve de nouveau et de substituer son opinion à celle de la Commission. La Commission bénéficie de l’avantage de son expertise, et surtout de l’avantage unique d’avoir entendu la demande.

 

[25]           La question n’est pas tant de savoir si la Cour aurait rendu la même décision, mais bien de vérifier si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Or, les faits et le droit soutiennent la décision.

 

[26]            La Cour se doit donc de conclure que la décision visée n’est pas déraisonnable, ce qui entraîne le rejet de la demande de révision. Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

Rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

 

                                                                                                            « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       IMM-636-08

 

INTITULÉ :                                      Jose Miguel Hernandez Medina et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 11 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphane J. Hébert

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Lisa Maziade

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morneau L’Écuyer La Leggia et associés

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

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