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Date : 20081029

Dossier : T‑1049‑08

Référence : 2008 CF 1212

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

GHEORGE CAPRA

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 128(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC), est invalide parce qu’il contrevient aux articles 7, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte).

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Roumanie âgé de 47 ans qui se trouve au Canada depuis le 7 août 1991. Le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu le 12 mars 1992 et il est devenu résident permanent du Canada le 2 décembre de la même année.

 

[3]               Peu après son arrivée au Canada, le demandeur a été déclaré coupable de paroles de menace le 24 novembre 1992 et d’usurpation d’identité le 18 juin 1993. Le 29 juin 1993, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) lui a envoyé une lettre d’avertissement indiquant que le Ministère avait décidé de ne pas tenir une enquête à la suite des déclarations de culpabilité, mais qu’une récidive de sa part serait susceptible de mener à l’application stricte des dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (la Loi sur l’immigration).

 

[4]               Malgré cet avertissement, le demandeur a été déclaré coupable de 80 chefs de fraude relativement à des cartes de crédit et des guichets automatiques le 1er octobre 2001. Il a été condamné à des peines d’emprisonnement de deux ans moins un jour, à purger concurremment. Du fait de ces déclarations de culpabilité, une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui le 9 septembre 2003 pour cause de grande criminalité. Son appel contre la mesure d’expulsion auprès de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 8 juillet 2004, et sa demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, en date du 27 septembre 2005, ont tous deux été rejetés.

 

[5]               Lorsque la Commission a rejeté l’appel du demandeur, la mesure d’expulsion prise à son endroit est entrée en vigueur et il a perdu son statut de résident permanent. Cependant, comme il a le statut de réfugié, il ne peut être expulsé en Roumanie que si le ministre de CIC délivre un avis selon lequel il constitue un danger pour le public.

 

[6]               Le 20 octobre 2007, le demandeur a été arrêté et accusé de trois infractions, dont une de fraude d’un montant de plus de 5 000 $. Selon un rapport exposant les répercussions sur la victime qu’un agent d’enquête sur les fraudes avait établi pour le compte de la Banque Royale du Canada, l’opération d’écrémage dans laquelle le demandeur était impliqué depuis 2005 avait rapporté la somme nette de 183 891 $, et 415 clients en avaient été victimes. Le demandeur est resté sous garde jusqu’au 4 janvier 2008, date à laquelle il a été reconnu coupable d’un chef de fraude d’un montant de plus de 5 000 $ et condamné à trois mois de peine déjà purgée et à une période d’incarcération supplémentaire de trente mois.

 

[7]               Le 8 avril 2008, le demandeur a été informé que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) avait l’intention de demander au ministre de délivrer l’avis qu’il est un danger pour le public au Canada. Cela signifie que le demandeur pourrait être expulsé en Roumanie une fois qu’il obtient sa libération conditionnelle.

 

[8]               Le 9 janvier 2008, le demandeur a été admis à l’Établissement de Stony Mountain (l’ESM), un établissement correctionnel fédéral à sécurité moyenne administré par le Service correctionnel du Canada (le SCC). À son arrivée à l’ESM, le demandeur a été soumis à une évaluation initiale. Un plan correctionnel a aussi été dressé, et il y a été recommandé que le demandeur suive le programme Alternatives, Fréquentations et Attitudes (AFA), de même qu’un programme de perfectionnement des études et de formation en matière d’emploi.

 

[9]               En date du 8 août 2008, le demandeur avait terminé avec succès le programme AFA et suivait la formation de base des adultes de niveau 1, c’est‑à‑dire le premier des trois niveaux nécessaires pour décrocher un diplôme d’études secondaires. Il avait également commencé une formation en matière d’emploi à l’atelier de métal de l’ESM, mais n’avait pas pu la poursuivre pour des raisons de santé. Il sera en mesure de suivre une autre formation en matière d’emploi à l’ESM.

 

[10]           Aux termes de la LSCMLC, le demandeur est admissible à la procédure d’examen expéditif en vue de sa libération conditionnelle. Il souhaite être libéré dans la région de Montréal, car son plan de libération conditionnelle a été établi par le Bureau de libération conditionnelle du SCC de Laval (Québec). Selon ce plan, le demandeur vivra dans un établissement résidentiel communautaire ou un centre correctionnel communautaire dans la région de Montréal s’il obtient la semi‑liberté ou la libération conditionnelle totale. Il est également recommandé dans ce plan que la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) assujettisse la libération conditionnelle du demandeur à certaines conditions.

 

[11]           Le demandeur était initialement admissible à une permission de sortir sans escorte (la PSSE) ainsi qu’à la semi‑liberté le 4 juillet 2008. L’ASFC a informé le bureau de gestion des peines de la mesure d’expulsion antérieurement prise contre le demandeur. De ce fait, par application du paragraphe 128(4) de la LSCMLC, le demandeur n’a pas droit à une PSSE ou à la semi‑liberté avant la date de son admissibilité à une libération conditionnelle totale. Ses dates d’admissibilité à une libération ont donc été rajustées de manière à ce que sa date d’admissibilité à une PSSE ou à la semi‑liberté soit le 3 novembre 2008.

 

[12]           Le demandeur a l’impression d’être traité différemment, au chapitre de l’admissibilité à la semi‑liberté, parce qu’il n’est pas citoyen canadien. Il croit aussi être victime de discrimination. Le demandeur, qu’il soit autorisé ou non à demeurer au Canada, a le sentiment d’être privé de la possibilité de faire des efforts en faveur de sa propre réadaptation juste à cause de son identité.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Le demandeur a présenté la question suivante dans le cadre de la présente demande :

1)      Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC contrevient‑il à la Charte?

 

[14]           Le défendeur a développé cette question et l’a subdivisée en trois sous‑questions :

1)      Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC contrevient‑il aux articles 7, 9 ou 15 de la Charte?

2)      S’il y a violation de la Charte, cette violation constitue‑t‑elle une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte?

3)      S’il y a violation injustifiée de la Charte, la réparation de l’« inclusion par interprétation » que propose le demandeur est‑elle appropriée?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[15]           Les principales dispositions législatives qui s’appliquent à la présente demande sont les suivantes :

A.                 Loi constitutionnelle de 1982, partie 1, Charte canadienne des droits et libertés :

 

B.                 Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :

 

C.                 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :

 

ANALYSE

            Généralités

 

[16]           Le demandeur déclare que le paragraphe 128(4) de la LSCMLC équivaut à un régime de détention arbitraire qui contrevient aux articles 7, 9 et 15 de la Charte. En fait, dit‑il, malgré les initiatives législatives qui ont suivi la décision rendue dans l’affaire Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F no 297, le législateur n’a pas évité les lacunes relevées dans cette affaire par le juge Evans et a adopté un régime qui, pour les non‑citoyens, est encore plus arbitraire et attentatoire aux droits garantis par la Charte que celui qui existait dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration.

 

[17]           Il était question dans Chaudhry d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle un arbitre avait déclaré qu’il n’avait pas compétence [traduction] « pour ordonner unilatéralement l’examen des motifs de la garde » en vertu du paragraphe 103(6) de la Loi sur l’immigration en l’absence d’une demande d’un agent principal. Selon l’arbitre, étant donné qu’aucune demande de ce genre n’avait été faite, il ne pouvait pas examiner les motifs concernant la prolongation de la garde du demandeur.

 

[18]           Dans l’affaire Chaudhry, le demandeur avait été reconnu coupable au Canada de trafic de stupéfiants et condamné à une peine d’emprisonnement de 14 ans. Une mesure d’expulsion avait ensuite été prise contre lui et un mandat d’arrestation et de mise en détention avait été délivré en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’immigration.

 

[19]           En même temps, un ordre avait été prononcé en vertu du paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration à l’intention du gardien, directeur ou responsable de l’établissement où le demandeur était incarcéré pour qu’il continue de détenir ce dernier jusqu’à l’expiration de sa peine et qu’il le confie ensuite à la garde de l’agent d’immigration.

 

[20]           Étant donné que l’arbitre, dans Chaudhry, avait déclaré qu’il lui était impossible d’examiner les motifs de prolongation de la garde du demandeur, ce dernier demandait à la Cour d’ordonner que la Section d’arbitrage effectue cet examen (soutenant que la loi l’exigeait) et de rendre une ordonnance accessoire obligeant le ministre de CIC à demander à la Section d’arbitrage d’examiner les motifs concernant la prolongation de la garde du demandeur. Dans Chaudhry, le demandeur soutenait qu’un tel examen était prescrit par le paragraphe 103(6) de la Loi sur l’immigration interprété de la façon appropriée ou, subsidiairement, par les articles 9 et 15 de la Charte.

 

[21]           Pour ce qui était de l’interprétation législative, le juge Evans a conclu dans Chaudhry que l’opinion qu’avait le demandeur du paragraphe 103(6) de la Loi sur l’immigration était juste et il a accordé un jugement déclaratoire portant qu’une personne visée par un ordre en vertu du paragraphe 105(1) est gardée au sens du paragraphe 103(6) et que les dispositions en matière d’examen de ce paragraphe s’appliquent aux ordres rendus en vertu du paragraphe 105(1).

 

[22]           Le juge Evans s’étant prononcé en faveur du demandeur dans l’affaire Chaudhry au sujet de la question de l’interprétation législative, il n’était pas nécessaire qu’il examine en détail les arguments subsidiaires, fondés sur la Charte, qu’invoquait le demandeur, mais il en a quand même traité.

 

[23]           Ces arguments étaient les suivants : si les ordres prévus au paragraphe 105(1) n’étaient pas susceptibles d’un examen en vertu du paragraphe 103(6), ils étaient donc invalides, en l’absence d’un examen quelconque des motifs concernant leur prolongation, parce qu’ils contrevenaient à l’article 9 de la Charte (en l’absence d’un examen, la détention était arbitraire) et à l’article 15 de la Charte (parce que seuls des non‑citoyens peuvent être visés par un ordre prévu au paragraphe 105(1), ce qui signifie que le pouvoir de délivrer un tel ordre exerce une discrimination fondée sur la nationalité, c’est‑à‑dire un « motif analogue »).

 

[24]           Quant à l’argument relatif à l’article 9, le juge Evans s’est prononcé en faveur du demandeur dans Chaudhry en se fondant sur les faits de l’affaire. Il a conclu qu’un individu visé par un ordre prévu au paragraphe 105(1) était « déten[u] ou [e]mprisonn[é] » pour l’application de l’article 9, et que la détention était arbitraire parce qu’elle avait eu lieu sans examen des motifs de sa prolongation dans le cadre d’une audience tenue par un tribunal indépendant.

 

[25]           C’est là une conclusion importante pour la demande qui m’est soumise. Le demandeur dit qu’il n’y a aucune différence essentielle (sauf que sa détention est encore plus arbitraire) entre le régime actuel et celui que le juge Evans a déclaré inconstitutionnel dans Chaudhry, et il ajoute que je suis tenu de suivre le juge Evans sur cette question.

 

[26]           En ce qui concerne l’article 15 de la Charte, le juge Evans s’est prononcé contre le demandeur dans Chaudhry parce qu’il a conclu que la fonction du paragraphe 105(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration faisait que cette disposition faisait partie d’un « régime d’expulsion », de sorte qu’elle n’était pas assujettie à un contrôle en vertu de l’article 15 du fait de l’article 6 de la Charte.

 

[27]           Dans la présente demande, le demandeur soutient que les dispositions législatives applicables en vertu desquelles il est gardé en détention ne font pas partie d’un « régime d’expulsion », de sorte qu’il convient de les examiner par rapport à l’article 15 de la Charte, et que, si cela est fait, la Cour conclura qu’elles sont invalides.

 

[28]           La décision que le juge Evans a rendue dans Chaudhry a été examinée en appel par la Cour d’appel fédérale. Essentiellement, cette dernière a confirmé la décision du juge Evans sur la question de l’interprétation législative, mais n’a pas jugé nécessaire d’examiner les points relatifs à la Charte.

 

[29]           Dans la présente demande, le défendeur déclare que le paragraphe 128(4) de la LSCMLC fait partie d’un régime législatif exhaustif qui garantit que les ressortissants étrangers purgent des peines criminelles qui se comparent à celles que purgent les Canadiens. Sans cette disposition, les contrevenants étrangers purgeraient des peines nettement plus courtes que la norme. Le paragraphe le fait en mettant en équilibre la réalité de l’expulsion d’un délinquant étranger avec les intérêts du délinquant et de la société à l’égard d’un processus efficace de détermination de la peine.

 

[30]           Le défendeur ajoute que l’actuel régime législatif est la réponse du législateur à la décision Chaudhry. Après cette dernière (et Larsen c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1999), 178 F.T.R. 30), un délinquant étranger pouvait être libéré dans la société canadienne après avoir obtenu une PSSE ou la semi‑liberté, et CIC ne pouvait pas l’expulser avant qu’il ait obtenu la libération conditionnelle totale ou atteint sa date de libération d’office.

 

[31]           Le législateur n’a pas jugé que cette situation représentait un équilibre approprié et il a donc décidé, dans le cadre de mesures prises en collaboration avec CIC, le SCC, la CNLC et le ministère de la Justice du Canada, de créer une politique et des dispositions législatives concernant les ressortissants étrangers purgeant une peine d’emprisonnement au Canada et visés par une mesure de renvoi.

 

[32]           Le résultat de cette collaboration est le régime actuel qui, au dire du défendeur, atteint un juste équilibre entre les objectifs de la politique d’immigration et ceux du régime canadien de justice pénale.

 

[33]           Les objectifs d’immigration pertinents sont énoncés à l’article 3 de la LIPR, et ils comprennent les suivants : l’alinéa 3h) – garantir la sécurité des Canadiens, et l’alinéa 3i) – promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité. Les objectifs pertinents du régime de justice pénale justifiaient que l’on se préoccupe de questions telles que l’obligation redditionnelle et la dissuasion.

 

[34]           La mise en équilibre de ces objectifs a obligé le législateur à examiner deux questions de manière précise. Premièrement, le moment auquel il serait approprié et équitable d’autoriser à libérer un délinquant étranger de la peine d’emprisonnement infligée au Canada, compte tenu des conditions imposées aux délinquants canadiens, des exigences de la LSCMLC et des engagements du Canada à l’égard des personnes se trouvant légalement au Canada. Deuxièmement, les obligations internationales auxquelles est soumis le Canada, compte tenu du fait que tout contrevenant étranger renvoyé dans un autre pays est libéré de la peine d’emprisonnement infligée au Canada au moment de son renvoi et n’est soumis à la supervision d’aucune autorité canadienne. De ce fait, un délinquant étranger que l’on expulse purge en pratique une peine plus courte que celle d’un contrevenant canadien. Il a été décidé que la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale reflétait le juste équilibre.

 

[35]           À l’appui des objectifs d’immigration, dont celui de refuser l’accès au territoire canadien aux criminels ou aux individus représentant un risque pour la sécurité, le régime législatif garantit qu’un délinquant étranger visé par une mesure de renvoi ne sera admissible ni à une PSSE ni à la semi‑liberté avant d’atteindre la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. À ce moment‑là, si le ressortissant étranger est libéré, sa peine est réputée être terminée pour ce qui est de la mesure de renvoi, de sorte qu’il peut être renvoyé du Canada. Cependant, l’admissibilité retardée à la PSSE et à la semi‑liberté ne s’applique pas aux cas où le ressortissant étranger n’est pas visé par une mesure de renvoi, ou à ceux où il y a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en application des alinéas 50a) ou 66b) ou du paragraphe 114(1) de la LIPR.

 

[36]           En résumé, le régime législatif tout entier a été conçu pour trouver un juste équilibre entre un certain nombre d’objectifs de principe, dont la nécessité de :

-                     faire comprendre à la communauté internationale que les délinquants étrangers déclarés coupables au Canada et visés par une mesure de renvoi purgeront la partie exemplaire (le tiers) de la peine d’emprisonnement qui leur est infligée. Cette mesure cadre avec un changement qui a été apporté en 1992 au moment de l’entrée en vigueur de la LSCMLC. Avant cela, les délinquants étrangers pouvaient bénéficier d’une libération conditionnelle pour être expulsés au tout début de leur peine. Nombreux étaient ceux qui critiquaient le fait que certains délinquants étrangers se voyaient imposer de longues peines pour des crimes graves, mais étaient renvoyés dans leur pays d’origine après quelques mois seulement, sans restrictions correctionnelles;

-                     permettre à CIC (aujourd’hui l’ASFC) de s’acquitter de son mandat consistant à renvoyer du Canada, en temps opportun, les délinquants étrangers qui ont perdu le droit de rester au pays;

-                     permettre à la CNLC et au SCC de continuer de s’acquitter de leur mandat législatif consistant à réintégrer dans la société canadienne les délinquants étrangers qui ne seront pas renvoyés du Canada ou qui ne peuvent pas l’être.

 

[37]           Aux termes de l’alinéa 50b) de la LIRP, il y a sursis à la mesure de renvoi visant un ressortissant étranger condamné à une peine d’emprisonnement au Canada tant que la peine n’est pas purgée.

 

[38]           Le paragraphe 128(3) de la LSCMLC dispose qu’une peine est réputée être purgée pour les besoins d’un renvoi en vertu de la LIPR lorsque le ressortissant étranger obtient une forme quelconque de libération non supervisée, plus précisément une permission de sortir sans escorte (PSSE), une semi‑liberté, une libération conditionnelle totale ou une libération d’office :

 

[39]           Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC fixe le moment auquel est admissible à la PSSE, à la semi‑liberté et à la libération conditionnelle totale, un ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi :

 

[40]           Conformément au paragraphe 128(6) de la LSCMLC, le paragraphe 128(4) ne s’applique pas en cas de sursis à une mesure de renvoi aux termes de l’alinéa 50a) (sursis à la mesure de renvoi par suite d’une décision judiciaire), de l’alinéa 66b) (sursis à la mesure de renvoi pour motifs d’ordre humanitaire) et du paragraphe 114(1) (sursis à la mesure de renvoi pour une personne considérée comme ayant besoin d’une protection) de la LIPR :

 

[41]           En résumé :

-                     l’alinéa 50b) de la LIPR sursoit à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce que la peine infligée au délinquant soit réputée être purgée;

-                     le paragraphe 128(3) de la LSCMLC considère que la peine est purgée, pour les besoins d’une mesure de renvoi, dès l’octroi d’une PSSE ou de la semi‑liberté (plus tôt que dans l’ancienne LSCMLC);

-                     le paragraphe 128(4) de la LSCMLC reporte l’admissibilité à la semi‑liberté, pour ce qui est des délinquants visés par une mesure de renvoi, jusqu’à l’admissibilité à une libération conditionnelle totale. Ce faisant, cette disposition fixe une période minimale que ces délinquants doivent passer sous garde. La loi permet encore, après cela, de renvoyer ces individus dès qu’il sont libérés dans la société canadienne;

-                     le paragraphe 128(6) de la LSCMLC restreint l’application du paragraphe 128(4), en ce sens qu’il ne s’applique pas lorsqu’une mesure de renvoi ne peut pas être appliquée à cause d’un sursis légal attribuable à des motifs autres que la peine criminelle infligée au délinquant.

 

[42]           L’objet fondamental du régime que créent les paragraphes 128(3) à (7) de la LSCMLC est de veiller à ce qu’on tienne compte des circonstances d’un renvoi imminent dans la façon dont un délinquant purge la peine qui lui est infligée. En particulier, le paragraphe 128(4) empêche que les délinquants visés par une mesure de renvoi purgent des peines nettement plus courtes que celles que l’on inflige à des Canadiens. Ce faisant, cette disposition préserve le facteur dissuasif qui constitue un élément essentiel du régime de détermination des peines.

 

[43]           Parallèlement, le régime refuse dans les faits aux délinquants la possibilité d’avoir accès au territoire canadien, un but dont fait explicitement état la LIPR, pendant la période où il est légalement sursis à leur mesure de renvoi à cause de la peine criminelle qui leur a été infligée. Cette mesure empêche les délinquants de tirer avantage de leur peine criminelle, de pair avec la semi‑liberté, pour obtenir accès à la société canadienne. Sans cela, cet objectif de la LIPR serait réduit à néant. Du fait de leur peine criminelle, les délinquants auraient un meilleur accès à la société canadienne que les ressortissants étrangers qui ne sont pas des criminels, et qui peuvent être renvoyés sans délai.

 

[44]           Le défendeur déclare que le demandeur a tort de se fonder dans une large mesure sur la décision Chaudhry. Le régime législatif actuellement en vigueur est nettement différent du régime antérieur dans le cadre duquel l’affaire Chaudhry a été tranchée.

 

[45]           Dans Chaudhry, le demandeur était visé par un mandat de l’immigration, délivré par un agent d’immigration pour cause de danger public ou de risque de fuite, ainsi que d’un ordre prévu à l’article 105 qui exigeait qu’il soit gardé en détention jusqu’à l’expiration de sa peine criminelle. Il ressort clairement de la décision Chaudhry que l’ordre prévu à l’article 105 donnait lieu à une nouvelle mise en détention, aux termes de l’ancienne Loi sur l’immigration, une détention qui ne découlait pas de la peine criminelle infligée. Cette détention ordonnée en vertu de la Loi sur l’immigration privait, pensait‑on, M. Chaudhry d’un droit légal existant à une admissibilité à la semi‑liberté et, dans ce contexte, elle exigeait que l’on recoure à un mécanisme d’examen de l’immigration pour déterminer si M. Chaudhry était gardé en détention à juste titre.

 

[46]           En l’espèce, M. Capra n’est pas gardé en détention sous le régime de la LIPR. Sa détention fait suite à un mandat d’incarcération valide, délivré en vertu du régime de justice pénale. Il est gardé à l’ESM à cause de cette peine criminelle, ainsi que par l’application de la LSCMLC. Contrairement aux circonstances dont il était question dans Chaudhry, M. Capra est légalement inadmissible à une libération conditionnelle. La double détention découlant de la peine criminelle et de la détention de l’immigration dont il était question dans Chaudhry a été éliminée.

 

[47]           Le défendeur dit aussi que l’actuel régime législatif n’est pas contraire à l’article 5 de la Charte et que, même si c’était le cas, la justification de cette atteinte pourrait se démontrer au sens de l’article premier de la Charte.

 

Article 9

 

[48]           Il n’y pas de désaccord entre les parties quant au fait qu’en ce qui concerne l’article 9, il existe bel et bien une « détention » au vu des faits de l’espèce. Le désaccord a trait à la question de savoir si cette détention est arbitraire au sens de l’article 9.

 

[49]           Le demandeur soutient que dans le cadre du présent régime la détention est encore plus arbitraire que dans le cas de Chaudhry parce que l’inadmissibilité à la semi‑liberté jusqu’à l’admissibilité à la libération conditionnelle totale découle systématiquement d’une mesure de renvoi, sans que quiconque, nulle part, n’en soit venu à croire que la personne pose un danger pour le public ou ne se présenterait pas en vue de son renvoi.

 

[50]           Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC prive le délinquant visé par une mesure de renvoi prise en vertu de la LIPR d’une admissibilité à la semi‑liberté ou à une PSSE jusqu’à ce qu’il soit admissible à la libération conditionnelle totale. Autrement dit, le législateur a décidé que ce type de délinquant n’aura pas droit à la semi‑liberté et à une PSSE dans les mêmes circonstances que pour les citoyens canadiens. Les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi sont tenus de purger la partie exemplaire de leur peine avant d’être admissibles à la libération conditionnelle totale, moment auquel ils tombent sous le coup de la mesure de renvoi prévue par la LIPR.

 

[51]           En d’autres termes, le législateur a décrété que les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi doivent passer un minimum de temps sous garde (un temps qui peut être plus long que celui qui est infligé aux délinquants qui ne sont pas visés par une mesure de renvoi et qui ont donc droit à ce qu’on prenne leur cas en considération en vue de l’octroi de la semi‑liberté et d’une permission de sortir sans escorte).

 

[52]           Cela est arbitraire, dit le demandeur, parce qu’aucun examen n’est fait. Mais la tenue d’un examen en vertu de la LIPR pour déterminer si de telles personnes sont un danger pour le public ou présentent un risque de fuite n’est pas la question. La preuve qui m’est soumise montre que l’intention du législateur est de retarder l’admissibilité de ces personnes à la semi‑liberté et à une PSSE de façon à atteindre des objectifs de principe précis qui sont convaincants et défendables. Plus précisément, le législateur voulait s’assurer que ces personnes ne purgent pas de peines plus courtes que celles que purgent des Canadiens pour le même crime (ce qui serait le cas si elles étaient renvoyées plus tôt) et que les délinquants ne se trouvent pas dans une situation meilleure que celle d’un étranger non délinquant visé par une mesure de renvoi en ayant accès à la société canadienne et au territoire canadien grâce à la semi‑liberté et à une PSSE.

 

[53]           Dans la décision Chaudhry, le juge Evans avait affaire à un cas de détention faisant suite à un ordre du sous‑ministre délivré en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration où, en l’absence d’une interprétation législative favorable, la détention du demandeur pouvait se poursuivre « sans que les motifs justifiant la prolongation de la garde soient examinés dans le cadre d’une audience tenue par un tribunal indépendant » (paragraphe 39).

 

[54]           Dans Chaudhry, le juge Evans n’était pas tenu d’examiner un régime de détention qui élimine l’admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE et qui est manifestement conçu pour que les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi purgent leur peine différemment des citoyens canadiens, de manière à ce que certains objectifs explicites puissent être atteints. Un tel régime peut être contestable pour d’autres motifs mais, selon moi, on ne peut pas dire qu’il est arbitraire. La question de savoir si les objectifs du législateur sont bel et bien atteints par le régime contesté actuel pourrait également susciter un vif désaccord. Mais ce désaccord ne rend pas non plus la détention arbitraire. Il est difficile d’intégrer des délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi à un régime de détention qui doit également s’occuper du cas de citoyens canadiens et d’autres individus qui ne sont pas visés par une mesure de renvoi.

 

[55]           L’affaire Chaudhry portait expressément sur les effets des paragraphes 103(6) et 105(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Dans la présente demande, la Cour est appelée à examiner des dispositions de la LSCMLC qui font entrer en ligne de compte un renvoi imminent dans la façon dont la peine infligée à un délinquant est purgée et qui accroissent le temps que passent sous garde les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi. L’effet est le même, dit le demandeur : les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi sont gardés en détention arbitrairement parce que la période qu’ils passent sous garde sans avoir droit à la semi‑liberté ou à une PSSE n’est pas susceptible d’examen. Cependant, il ressort clairement des faits de l’espèce que, pour diverses raisons de principe, le législateur entendait accroître le temps que les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi passent sous garde et, à mon avis, l’examen de l’immigration n’a aucun rapport avec cet objectif.

 

[56]           Je conviens avec le défendeur sur ce point que le paragraphe 128(4) de la LSCMLC est axé sur les détenus visés par une mesure de renvoi. L’application de ce paragraphe est déclenchée par la prise d’une mesure de renvoi. Un sursis à l’exécution de cette mesure suspend l’effet de la disposition. L’application de cette dernière se rattache rationnellement à son objet et ne peut pas être qualifiée d’arbitraire par rapport aux objectifs que l’on cherche à atteindre. Voir l’arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, au paragraphe 62. Ces objectifs sont énoncés dans la preuve que le défendeur a produite, et j’y ai fait référence plus tôt sous forme sommaire. Le demandeur n’est pas gardé en détention sous le régime de la LIPR. Il s’agit d’un détenu visé par une mesure de renvoi et, par application de la LSCMLC, il n’a pas droit à la semi‑liberté ou à une PSSE avant d’avoir atteint la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. Le législateur a clairement envisagé que c’était de cette façon que le demandeur – et les personnes dans la même situation que lui – devraient purger leur peine, et il envisageait clairement aussi que cette façon de purger une peine ne devrait pas être soumise à un examen de l’immigration. Cela tient au fait que les objectifs d’un examen de l’immigration (danger pour le public et risque de fuite) n’ont aucun rapport avec les objectifs qui sous‑tendent le régime de la LSCMLC. À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas de détention arbitraire au sens de l’article 9.

 

[57]           Le demandeur dit aussi ne pas tomber sous le coup du régime de la LSCMLC car, en tant que réfugié, on ne peut le renvoyer sans obtenir du ministre un avis de danger, et ce, même s’il a perdu son statut de résident permanent.

 

[58]           En fait, le demandeur soutient qu’il y a de grandes lacunes dans la loi contestée parce que les exceptions précises que contient le paragraphe 128(6) signifient qu’il peut arriver que des délinquants étrangers aient perdu leur admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE même s’il est impossible de les renvoyer. Il déclare qu’il existe une série d’exceptions que la loi n’envisage tout simplement pas, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles elle est arbitraire. Cela veut dire que le paragraphe 128(4) s’appliquera à quiconque, même s’il n’est pas un danger pour la société.

 

[59]           À mon avis toutefois, je ne puis traiter du caractère arbitraire et des principes de justice fondamentale qu’en me fondant sur les faits de l’espèce. La Cour ne peut pas faire de conjectures à propos d’anomalies conceptuelles qui peuvent ne jamais survenir, et certes pas au vu des faits dont il est question en l’espèce. Là où le demandeur tombe sous le coup du régime est évident. Il est visé par une mesure de renvoi et on cherche activement à le renvoyer du pays.

 

[60]           Les exemptions précises que comporte le paragraphe 128(6) indiquent clairement que le législateur envisageait que le paragraphe 128(4) s’applique à tous les autres cas dans lesquels un délinquant est visé par une mesure de renvoi. Cela englobe le demandeur qui, d’après les faits qui m’ont été soumis, est un individu à la fois visé par une mesure de renvoi et au sujet duquel un avis de danger est sollicité afin qu’il soit possible de l’expulser au moment fixé par la loi.

 

[61]           À mon avis, dans de telles circonstances, il serait illogique que le demandeur ait accès à la semi‑liberté et à une PSSE. En ce qui concerne donc ce dernier, je ne crois pas que l’on puisse dire que la loi contestée agit de manière arbitraire, ou d’une façon qui ne cadre pas avec les principes de justice fondamentale. Les autres situations devront être examinées sur le fond quand elles se présenteront.

 

Article 7

 

[62]           Comme dans le cas de l’article 9, les parties ne contestent pas que le droit à la liberté que garantit l’article 7 de la Charte au demandeur est suffisamment mis en cause par le retrait de son admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE en application du paragraphe 128(4) de la LSCMLC. Le point qui les oppose consiste à savoir si le demandeur a été privé de sa liberté, contrairement aux principes de justice fondamentale.

 

[63]           Le demandeur soutient que les dispositions relatives à un examen des motifs de détention qui figurent dans la LIPR sont conformes aux principes de justice fondamentale, de sorte que si ces dispositions ne s’appliquent pas – comme c’est le cas en l’espèce – la privation de sa liberté n’a pas eu lieu d’une manière conforme à ces principes. Il déclare que la justice fondamentale exige que son admissibilité à la semi‑liberté soit soumise à l’application des dispositions relatives à un examen des motifs de détention.

 

[64]           Là encore, il me semble que le demandeur tente de contourner le fait qu’il se trouve derrière les barreaux à cause de ses déclarations de culpabilité au criminel et qu’il est assujetti aux dispositions de la LSCMLC. Les dispositions relatives à la détention de l’immigration et leur objet (danger pour le public et risque de fuite) n’ont tout simplement aucun rapport avec la forme de peine qu’il purge. La forme de cette peine peut être déclenchée par une mesure de renvoi, mais sa justification et sa légitimité relèvent de la LSCMLC et des choix de principe que le législateur y a intégrés.

 

[65]           Au vu des faits de l’espèce, il y a eu respect des principes de justice fondamentale quand le demandeur a été jugé, déclaré coupable et condamné pour les infractions qu’il a commises. La forme de peine a été fixée par la LSCMLC et elle est entrée automatiquement en vigueur. Comme il a été signalé dans l’arrêt Cooper c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 374, au paragraphe 8 : « aucune audience n’est nécessaire dans ces affaires, car la loi produit ses effets de façon automatique, sans possibilité d’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ».

 

[66]           La Cour suprême du Canada a également indiqué clairement ce qui suit : « [u]ne modification de la façon dont une peine est purgée, qu’elle soit favorable ou défavorable à l’endroit du détenu, n’est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale ». Voir Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, à la page 152.

 

[67]           En fait, le demandeur dit que parce qu’il est un ressortissant étranger et qu’il est visé par une mesure de renvoi prise en vertu de la LIPR, le législateur ne peut pas modifier l’élément semi‑liberté et permission de sortir sans escorte de sa peine pour allonger le temps qu’il passe sous garde, et qu’il faut lui accorder un examen des motifs de détention en vertu de la LIPR.

 

[68]           À mon avis, cet argument ne peut pas être retenu. Rien dans le paragraphe 128(4) et les principes et les politiques qu’il intègre n’enfreint les principes de justice fondamentale, de manière procédurale ou substantielle. Par ailleurs, la tenue d’un examen de l’immigration pour déterminer s’il y a danger pour le public et risque de fuite n’a aucun rapport avec les motifs pour lesquels le demandeur a perdu son admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE aux termes du paragraphe 128(4) de la LSCMLC. Même si le demandeur ne représente pas un danger pour le public ou un risque de fuite, cela ne veut pas dire qu’il ne faudrait pas repousser son admissibilité à la semi‑liberté jusqu’à la date de la liberté conditionnelle totale, de façon à atteindre les objectifs de la LSCMLC et à satisfaire aux éléments de principe que comporte le paragraphe 128(4).

 

Article 15

 

[69]           Dans Chaudhry, le juge Evans a rejeté les arguments que le demandeur fondait sur l’article 15 de la Charte au motif que « [l]e paragraphe 105(1) [de l’ancienne Loi sur l’immigration] vise à faire en sorte que les personnes visées par un ordre comparaissent à un interrogatoire ou à une enquête susceptibles d’entraîner leur renvoi du Canada, ou obtempèrent à la mesure de renvoi elle‑même » :

Cette disposition fait donc partie d’« un régime d’expulsion ». Elle n’est donc pas assujettie à un contrôle en vertu de l’article 15, même si l’ordre prévu à l’article 105 peut priver uniquement les détenus qui ne sont pas citoyens du droit de faire examiner leur cas aux fins de la semi‑liberté ou des sorties sans surveillance. (Paragraphe 49.)

 

[70]           En l’espèce, le paragraphe 128(4) de la LSCMLC prive les délinquants non citoyens visés par une mesure de renvoi prise en vertu de la LIPR du droit à la semi‑liberté ou à une PSSE jusqu’à ce qu’ils soient admissibles à la libération conditionnelle totale.

 

[71]           La raison pour laquelle le juge Evans a rejeté l’argument fondé sur l’article 15 dans l’affaire Chaudhry est bien reconnue : « Étant donné que le droit d’entrer et de demeurer au Canada et le droit de quitter le Canada s’appliquent uniquement aux citoyens canadiens en vertu de l’article 6 de la Charte, les tribunaux n’ont pas assujetti les dispositions de la Loi sur l’immigration à un contrôle en vertu de l’article 15 pour le motif que ces dispositions constituent de la discrimination fondée sur la nationalité. » (Paragraphe 48.) La source de cette thèse réside dans les propos du juge Sopinka, dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 736 :

Ne constitue […] pas une discrimination interdite par l’art. 15 un régime d’expulsion qui s’applique aux résidents permanents, mais non aux citoyens.

 

[72]           En l’espèce, la Cour a affaire non pas à la LIPR, mais au paragraphe 128(4) de la LSCMLC dont l’application, comme le fait remarquer le défendeur, est déclenchée par la prise d’une mesure de renvoi et qui a pour objet de s’assurer que l’on tient compte des circonstances d’un renvoi imminent dans la façon dont la peine infligée à un délinquant est purgée.

 

[73]           Le législateur a décidé que les délinquants visés par une mesure de renvoi devraient purger leur peine différemment des autres délinquants, ce qui inclut ceux qui ont la citoyenneté canadienne. Cette mesure vise à garantir que leur statut de délinquant n’améliore pas leurs chances d’accéder à la société canadienne, comparativement aux non‑délinquants qui sont menacés d’expulsion; elle vise aussi à veiller à ce que leur statut de personne renvoyée n’ait pas pour effet qu’ils purgent des peines moins longues que des citoyens ou des non‑citoyens canadiens qui ne sont pas visés par une mesure de renvoi. Le législateur a décidé de régler ces questions en suspendant l’admissibilité des délinquants visés par une mesure de renvoi à la semi‑liberté et à une PSSE. On peut ne pas être d’accord avec cette manière de procéder ni avec la question de savoir si cette manière de procéder atteint les objectifs visés, mais là n’est pas la question qui m’est soumise en l’espèce. Ce qui est pertinent, à mon sens, est que la modification de la forme de peine qui découle du paragraphe 128(4) de la LSCMLC est déclenchée par l’existence d’une mesure de renvoi et la question de savoir si cela en fait un élément d’un régime d’expulsion.

 

[74]           Le défendeur déclare que le paragraphe 128(4) de la LSCMLC, de même que le reste des paragraphes 128(3) à 128(7), ont été adoptés par la LIPR et, de pair avec l’article 50 de cette loi, ces dispositions régissent le moment où peut être expulsé du pays un délinquant étranger visé par une mesure de renvoi qui purge une peine d’emprisonnement au Canada. Ce régime législatif s’applique de façon à fixer un délai précis pour le renvoi du délinquant, dès que les circonstances le permettent, mais uniquement après que la partie exemplaire de la peine criminelle a été purgée.

 

[75]           Autrement dit, le défendeur soutient que le paragraphe 128(4) fait partie intégrante d’un régime d’expulsion qui s’applique aux délinquants incarcérés, et que c’est précisément à cette fin qu’il existe.

 

[76]           Le demandeur souligne que le processus par lequel le défendeur prend une mesure de renvoi et par lequel la personne visée la conteste n’est pas touché par le paragraphe 128(4). Ce processus demeure exactement le même, que le délinquant soit assujetti ou non au paragraphe 128(4).

 

[77]           Cela signifie, dit le demandeur, que, par l’entremise du paragraphe 128(4), le législateur a fait une distinction entre les citoyens et les non‑citoyens à un autre niveau qu’à celui de la détermination des limites des droits des non‑citoyens de demeurer au Canada. La distinction en litige est une différence sur le plan de l’admissibilité à la semi‑liberté, et non une différence quant au droit de demeurer au Canada. L’article 15 de la Charte devrait donc s’appliquer.

 

[78]           Le demandeur s’inspire de l’arrêt rendu par le juge Sopinka dans Chiarelli et du fait que ce dernier se soit fondé sur les motifs rendus par le juge Pratte, de la Cour d’appel fédérale, dans la même affaire :

[…] [L]a Charte reconnaît implicitement le pouvoir du Parlement d’établir une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents en imposant des limites aux droits des résidents permanents de résider au Canada. En exerçant ce pouvoir, le gouvernement n’est pas coupable de discrimination au sens de l’article 15. La situation serait différente si le Parlement ou une assemblée législative provinciale voulait établir une distinction entre les résidents permanents et les citoyens à un autre niveau qu’à celui de la détermination des limites des droits des résidents à demeurer au pays.

 

Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 10 Imm. L.R. (2d) 137, aux pages 147 et 148.

 

 

[79]           En l’espèce, soutient le demandeur, la distinction est devenue « à un autre niveau ».

 

[80]           Pour l’application de l’article 6 de la Charte, il semble clairement ressortir de Chiarelli qu’un « régime d’expulsion » est un mécanisme législatif qui traite des droits des non‑citoyens d’entrer au Canada, d’y demeurer et de le quitter. Il me semble donc que l’alinéa 50b) de la LIPR (qui sursoit à l’exécution de la mesure de renvoi visant un ressortissant étranger condamné à une peine d’emprisonnement au Canada jusqu’à ce qu’il ait purgé sa peine) fasse partie d’un régime d’expulsion.

 

[81]           Dans le même ordre d’idées, je crois que le paragraphe 128(3) de la LSCMLC (la disposition dans laquelle la peine est réputée être purgée) s’inscrit également dans un régime d’expulsion car il fixe les limites au sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi qui est intégré à l’alinéa 50b) de la LIPR.

 

[82]           Cependant, le paragraphe 128(4) ne traite pas du renvoi du délinquant du Canada. Il comporte plutôt, pour un délinquant visé par une mesure de renvoi, un changement dans la façon dont il doit purger sa peine. Et ce paragraphe le fait en suspendant l’admissibilité du délinquant à la semi‑liberté et à une PSSE pendant la durée du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi qui découle de l’application de l’alinéa 50b) de la LIPR et du paragraphe 128(3) de la LSCMLC.

 

[83]           Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC est une disposition sur la détermination des peines et la détention dont l’application est déclenchée par une mesure de renvoi prise dans le cadre d’un régime d’expulsion constitutionnellement valide, mais son objet consiste néanmoins à changer la façon dont une peine criminelle est purgée au Canada dans le cas d’une catégorie particulière de délinquants : les personnes visées par une mesure de renvoi.

 

[84]           Le paragraphe 128(4) fait manifestement partie d’un régime législatif général qui s’applique aux délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi mais, à mon avis, son objet et son effet dépassent le strict cadre du contrôle du droit d’entrer au Canada, d’y demeurer et de le quitter.

 

[85]           À cet égard, je conviens donc avec le demandeur que la distinction qui est en litige en l’espèce est une différence dans l’admissibilité à une semi‑liberté et à une PSSE, et non une différence quant au droit de rester au Canada, et elle n’est donc pas à l’abri d’un examen fondé sur l’article 15, en vertu de l’article 6 de la Charte.

 

[86]           Ce qui complique toutefois les choses, c’est que si le paragraphe 128(4) n’existait pas, le résultat que l’on obtiendrait serait une différence de traitement entre les délinquants étrangers incarcérés visés par une mesure de renvoi et au moins trois autres groupes pertinents :

a.                   les délinquants canadiens qui ont à purger la durée complète de leur peine au Canada;

b.                  les ressortissants étrangers visés par une mesure de renvoi et que l’on peut renvoyer immédiatement parce qu’ils ne sont pas des délinquants et ne sont donc pas visés par un sursis à l’exécution de leur mesure de renvoi en application de l’alinéa 50a) de la LIPR;

c.                   les délinquants étrangers incarcérés qui ne sont pas visés par une mesure de renvoi et qui devront aussi purger la durée complète de leur peine au Canada.

 

[87]           Le retrait du paragraphe 128(4) pourrait avoir l’effet suivant : un ressortissant étranger ayant commis un crime grave et visé par une mesure de renvoi aurait accès aux avantages de la société canadienne grâce à l’obtention de la semi‑liberté et d’une PSSE, tandis que son homologue respectueux des lois, qui ne peut bénéficier d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, ne jouirait pas d’un tel avantage. Et si le délinquant est renvoyé du pays pour éviter qu’il jouisse d’un tel avantage, cela revient en fait à lui éviter d’avoir à purger la peine qu’un délinquant canadien purgerait pour la même infraction.

 

[88]           Comme le fait remarquer le défendeur, il y a ici des objectifs concurrents qui sont difficiles, voire impossibles, à concilier. Le législateur a tenté de trouver un juste équilibre au moyen du paragraphe 128(4) de la LSCMLC afin de compenser la conséquence peu souhaitable que l’on traite les délinquants étrangers de la même façon que les délinquants canadiens. Tous ne conviendront pas que le résultat ultime est efficace ou souhaitable. Mais, là encore, il s’agit à mon avis d’une question qu’il appartient au législateur de trancher.

 

[89]           Si les peines destinées aux délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi sont conçues de façon à correspondre aux peines purgées par les délinquants canadiens, cela signifie que leur conduite criminelle aura conféré à ces délinquants étrangers un avantage dont ne bénéficient pas d’autres ressortissants étrangers qui sont visés par une mesure de renvoi. Si le législateur expulse du pays les contrevenants étrangers avant qu’ils aient purgé la durée complète de leur peine, cela signifie qu’ils sont libérés de leur peine et qu’ils passeront donc moins de temps derrière les barreaux que les délinquants canadiens équivalents. La solution du législateur à ces problèmes est de suspendre l’expulsion jusqu’au moment où il est prévu que les délinquants étrangers sont admissibles à la libération conditionnelle totale, et de suspendre l’admissibilité à la semi‑liberté et une PSSE en vertu du paragraphe 128(4) jusqu’à la date fixée pour l’admissibilité à la libération conditionnelle totale. Pour la Cour, la question consiste à savoir si la suspension de l’admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE dans ces circonstances constitue un manquement à l’article 15 de la Charte.

 

[90]           Je souscris à la position du demandeur selon laquelle, en l’espèce, le groupe de comparaison approprié est celui des délinquants canadiens équivalents qui ne sont pas visés par une mesure d’expulsion et qui demeurent donc admissibles à la semi‑liberté et à une PSSE. Je reconnais aussi que, d’après l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, le demandeur tombe dans une catégorie analogue au sens de l’article 15 parce qu’il est un non‑citoyen.

 

[91]           Dans l’arrêt Andrews, le demandeur était manifestement défavorisé par une loi qui faisait une distinction entre les citoyens et les non‑citoyens, car le fait d’être non‑citoyen l’empêchait de devenir avocat en Colombie‑Britannique et de jouir des avantages de cette profession.

 

[92]           En l’espèce, cependant, le désavantage particulier qu’impose au demandeur le paragraphe 128(4) est nettement plus difficile à définir. En effet, le demandeur est visé par une mesure de renvoi du Canada de sorte que, sauf si son renvoi n’a pas lieu et qu’il continue d’une certaine façon à résider dans notre pays, l’objet de réadaptation et de réintégration que comportent la semi‑liberté et une PSSE (ou, plus précisément, la chance de participer à cet objet) ne lui échappe pas parce qu’il est censé être renvoyé du Canada.

 

[93]           Dans l’arrêt Andrews, le juge McIntyre a déclaré que, pour qu’une distinction législative soit assimilée à de la discrimination contre un particulier ou un groupe, la distinction en question doit avoir « pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société » (paragraphe 174).

 

[94]           Comme le fait remarquer le demandeur, aux termes de la LSCMLC, la libération conditionnelle a pour objet, pour le délinquant, de contribuer « à la protection de [la société] en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois ». Si le demandeur est visé par une mesure de renvoi, cela signifie que conformément à ce statut, la société canadienne ne perdra rien du fait que le demandeur n’est pas admissible à la semi‑liberté, et on ne peut pas dire que le demandeur a perdu une chance de favoriser sa réintégration dans une société de laquelle il doit être renvoyé.

 

[95]           Le demandeur cherche à faire abstraction de cette difficulté en faisant remarquer que ce ne sont pas toutes les personnes visées par une mesure de renvoi qui sont renvoyées du Canada, de sorte que l’on n’empêche pas forcément une personne se trouvant dans sa situation, au moment où sa peine expire, de faire partie de la société canadienne. Il déclare que comme il est possible qu’il puisse demeurer au Canada à l’expiration de sa peine, la protection de la société canadienne justifie que l’on conserve la capacité de réadaptation qu’offre la semi‑liberté avant l’admissibilité à la libération conditionnelle totale.

 

[96]           Je ne suis pas convaincu que, si l’objet de la libération conditionnelle est de protéger la société, la disparition de la possibilité de cette protection en raison de la perte de l’admissibilité à la semi‑liberté en vertu du paragraphe 128(4) soit un désavantage pour le demandeur, qu’il soit renvoyé au non du Canada. Et si la libération conditionnelle est un avantage pour les délinquants, je ne suis pas convaincu que le demandeur a été défavorisé par la perte d’un avantage quelconque de ce genre dans une situation où la preuve montre que l’on tente activement de l’expulser et qu’il ne tombe pas sous le coup de l’une des exceptions que prévoit expressément le paragraphe 128(6).

 

[97]           En résumé, le demandeur n’a donc pas montré en quoi la différence de traitement que crée entre citoyens et non‑citoyens la suspension de l’admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE en vertu du paragraphe 128(4) de la LSCMLC constitue une discrimination au sens de l’article 15 de la Charte contre les personnes se trouvant dans sa situation et ne tombant pas sous le coup des exceptions prévues au paragraphe 128(6) et que les autorités de l’immigration tentent activement de renvoyer du Canada.

 

Article premier

 

[98]           Au cas où je me serais trompé dans mes conclusions sur les articles 7, 9 ou 15 de la Charte, je suis convaincu que le défendeur a établi que le paragraphe 128(4) de la LSCMLC est une limite raisonnable, prescrite par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer conformément à l’article premier de la Charte.

 

[99]           L’application du paragraphe 128(4) est déclenchée par une mesure de renvoi prise en vertu de la LIPR, conformément à un régime d’expulsion constitutionnellement valide.

 

[100]       Les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi présentent, sur le plan de la détermination des peines, des problèmes importants que le législateur a tenté de régler au moyen du paragraphe 128(4) de la LSCMLC et des dispositions législatives connexes que j’ai mentionnées plus tôt dans les présents motifs.

 

[101]       Je crois qu’il est important de reconnaître que la différence de traitement, sur le plan de la détermination des peines, que l’on a fait subir au demandeur n’est pas attribuable au fait qu’il est un ressortissant étranger, ni même au fait qu’il est un délinquant étranger. Elle est due au fait qu’il est un délinquant étranger visé par une mesure de renvoi. C’est la mesure de renvoi qui fait toute la différence. Cette mesure déclenche l’application du paragraphe 128(4) et oblige à effectuer les rajustements à la forme de peine qui est nécessaire pour tenir compte du statut spécial du demandeur en tant que délinquant visé par une mesure de renvoi.

 

[102]       La mesure de renvoi fait partie d’un régime d’expulsion constitutionnellement valide qui n’est pas contraire à la Charte. Cette différence de traitement constitutionnellement valide du demandeur doit être prise en compte au moment de la détermination de la peine. Le paragraphe 128(4) est la tentative faite par le législateur pour rajuster les mesures de détermination de la peine que requiert la distinction constitutionnelle valide qui est faite entre le demandeur, en tant que ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi, et les délinquants canadiens et étrangers qui ne sont pas visés par une telle mesure. Le changement apporté à la forme de la peine est à la fois une réponse à un régime d’expulsion valide, et une conséquence de ce régime. C’est la raison pour laquelle, je crois, le défendeur considère qu’il s’agit d’un élément de ce régime d’expulsion. Comme je l’ai déjà souligné, c’est là une position à laquelle je ne puis souscrire à cause de mon opinion au sujet de la jurisprudence sur ce qui est considéré comme un régime d’expulsion au sens de l’article 6 de la Charte. Cependant, je crois qu’il est exact de dire que la différence de traitement qui est intégrée au paragraphe 128(4) de la LSCMLC est une conséquence nécessaire d’un régime d’expulsion valide. Une fois qu’une mesure de renvoi entre en jeu il est difficile de voir comment les délinquants étrangers pourraient être traités de la même façon que leurs équivalents canadiens. Comme je l’ai dit plus tôt, il est possible de ne pas souscrire à la réponse du législateur au problème que présente l’article 128 de la LSCMLC, mais, comme l’a fait remarquer le juge Linden dans l’arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2000] 2 C.F. 117 (infirmé pour d’autres motifs, [2002] 3 R.C.S. 519), à la page 174, « […] le Parlement a droit à une grande retenue relativement à ses choix en matière de politique pénale ».

 

[103]       Dans tout ce contexte général, je crois que le défendeur a satisfait aux critères nécessaires au regard de l’article premier de la Charte. Il est évident que les dispositions législatives contestées ont été adoptées dans le cadre d’un régime exhaustif qui obligeait à rationaliser la LIPR et la LSCMLC en vue d’atteindre des objectifs qui, même s’ils sont difficiles à concilier, sont pressants et importants : dissuasion, renvoi, déni d’accès pour les délinquants étrangers, réintégration.

 

[104]       Conformément à l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, je suis convaincu que la loi contestée satisfait au critère du lien rationnel et favorise des objectifs clairs, légitimes et importants. Le régime intégré aux paragraphes 128(3) à 128(7) de la LSCMLC préserve le principe de dissuasion en établissant une période d’incarcération minimale et, en même temps, il traite du renvoi rapide des délinquants étrangers aussitôt que ces derniers ont droit à une libération sans supervision. L’accès du délinquant étranger à la société canadienne est rejeté grâce à la suspension de son admissibilité à la semi‑liberté pendant que l’on sursoit à l’exécution de la mesure de renvoi qui le concerne. Le législateur a donc donné un effet pratique à la privation du droit d’un délinquant étranger de rester au Canada s’il est visé par une mesure de renvoi. Son objet est d’éviter le résultat illogique qui serait de permettre qu’une peine criminelle donne accès au Canada, alors que le même acte criminel oblige à renvoyer la personne du Canada.

 

[105]       La loi ne touche les délinquants étrangers que dans les cas où une mesure de renvoi applicable a été prise, et les paragraphes 128(6) et 128(7) rétablissent l’admissibilité à la semi‑liberté lorsqu’une mesure de renvoi devient inapplicable. Cela signifie que les délinquants étrangers non visés par une mesure de renvoi peuvent poursuivre leur processus de réintégration à la société canadienne.

 

[106]       En ce qui concerne la suspension de l’admissibilité à la semi‑liberté et à une PSSE, le régime ne touche que les personnes visées par une mesure de renvoi et entrave donc le moins possible l’admissibilité à la libération conditionnelle. Le fait que certaines mesures de renvoi ne seront pas appliquées ne mine pas la légitimité du régime parce que le parfait respect de la loi n’est pas une condition essentielle. Voir R. c. Bryan, [2007] 1 R.C.S. 527; 2007 CSC 12, au paragraphe 40.

 

[107]       Quant à la proportionnalité, le principal effet préjudiciable est le fait de refuser l’accès à une libération non supervisée dans la collectivité jusqu’après la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale, date à laquelle le délinquant peut être renvoyé du Canada.

 

[108]       Selon moi, l’effet est négligeable car le délinquant n’a pas le droit d’avoir accès à la société canadienne. L’intention exprimée dans la mesure de renvoi le concernant est de le renvoyer du Canada. La semi‑liberté et une PSSE ne sont que l’un des aspects d’un processus de réintégration qui débute dès l’incarcération et se poursuit jusqu’à la libération complète. Les programmes institutionnels auxquels le demandeur a accès pendant qu’il est incarcéré se poursuivent. Aucune mesure, à part le fait de repousser le renvoi jusqu’à la date d’expiration du mandat, ne pourrait éviter un effet négatif quelconque sur la réadaptation, et une telle mesure réduirait tout à fait à néant l’objectif qui consiste à renvoyer sans délai les délinquants.

 

[109]       Si l’on examine les choses dans ce contexte, je suis d’accord avec le défendeur que tout effet préjudiciable est peu important par rapport aux objectifs positifs rationnels et légitimes de la loi et à la nécessité de tenir compte d’un renvoi imminent dans un régime de détermination des peines.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1049‑08

 

INTITULÉ :                                       GHEORGE CAPRA c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 29 OCTOBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

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