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Date : 20081024

Dossier : T-1036-07

Référence : 2008 CF 1181

ENTRE :

NADINE KASSAB

 

Demanderesse

et

 

BELL CANADA

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pinard

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Nathalie Faucher, nommée arbitre en vertu de la section XIV de la Partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2 (« l’arbitre »), laquelle a rejeté la plainte de la demanderesse concernant son licenciement par le défendeur.

 

[2]          La demanderesse a été embauchée par le défendeur le 28 avril 2003. Le 13 décembre 2004, elle a été nommée Directeur en solution de facturation.

[3]          La supérieure immédiate de la demanderesse dans son nouveau poste, Francine Ahern, a été remplacée par Anne Couture, le 11 avril 2005. Selon la demanderesse, depuis sa première rencontre avec madame Couture, leurs rapports ont présenté de multiples difficultés, cette dernière étant « agressive » et tenant « des propos très insultants ». Par ailleurs, selon la version de madame Couture, elle essayait simplement d’aider la demanderesse à s’améliorer en entreprenant des sessions de « coaching » mensuelles.

 

[4]          Le 31 octobre 2005, deux nouveaux employés ont commencé leur travail dans la même division que la demanderesse. Ces deux employés avaient déjà travaillé pour le défendeur pendant sept et 25 ans respectivement.

 

[5]          Le 3 novembre 2005, la demanderesse a été informée que son emploi allait être terminé en date du 2 février 2006. Elle a reçu une lettre de terminaison d’emploi expliquant « qu’en raison de changements dans l’entreprise, votre emploi au sein de la compagnie prend fin. »

 

[6]          Selon le témoignage de madame Couture à l’audience devant l’arbitre, elle a pris connaissance de l’élimination de deux positions dans sa division lors d’un appel conférence qui a eu lieu le 24 octobre 2005. C’était à madame Couture de déterminer les critères pour effectuer la sélection des employés qui seraient visés par les coupures. Madame Couture a expliqué aussi que les embauches des deux autres employés qui ont commencé à travailler le 31 octobre 2005 ont été effectuées avant qu’elle n’ait pris connaissance des coupures.

 

[7]          Selon l’affidavit de la demanderesse, dans les trois mois suivants la fin de son emploi, deux autres directeurs en solution de facturation ont été embauchés par madame Couture. La demanderesse allègue aussi qu’un troisième individu a été embauché en janvier 2006, lequel aurait été géré par Sylvie Carbonneau; par contre, la demanderesse a appris plus tard que ce dernier aurait vraiment été géré par madame Couture. Toutefois, la preuve ne démontre pas si la demanderesse a soulevé la question des deux embauches par madame Couture devant l’arbitre, laquelle parle dans sa décision seulement de la personne qui aurait été gérée par madame Carbonneau. La demanderesse, dans son affidavit, mentionne aussi un quatrième poste qui a été affiché en avril 2006 et pour lequel elle a présenté sa candidature, mais sans succès. Dans ses représentations écrites à l’arbitrage, le défendeur explique que la raison pour laquelle ce poste est devenu ouvert est qu’un des directeurs a accepté une autre position et devait être remplacé.

 

[8]          Le 26 avril 2006, la demanderesse a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail.

 

* * * * * * * *

 

[9]          Après avoir résumé la preuve et les soumissions de la demanderesse et du défendeur, l’arbitre commence son analyse comme suit :

[57]     Le présent litige soulève la question à savoir si la cessation d’emploi de Mme Kassab découle d’un manque de travail ou de la suppression d’un poste et si la décision de mettre fin à son emploi a été prise de bonne foi par l’employeur. […]

 

[58]     Si j’en viens à la conclusion que la terminaison d’emploi de la plaignante constitue bel et bien un licenciement attribuable à un manque de travail ou à la suppression d’un poste, je me devrai d’accueillir l’objection préliminaire de l’employeur et me déclarer sans compétence. […]

 

 

 

[10]      L’arbitre considère la jurisprudence qui établit les définitions de « manque de travail » et « suppression de poste », notant que c’est l’employeur qui doit non seulement démontrer la justification économique de la terminaison de l’emploi, mais aussi expliquer le choix de licencier l’employé. Si l’employeur réussit, c’est à la demanderesse de démontrer que sa terminaison est en fait un congédiement déguisé :

[64]     Il n’est pas vraiment contesté que l’employeur a bel et bien procédé à une réorganisation de ses opérations en date du 3 novembre 2005 et que deux postes devaient être coupés dans le département où travaillait Mme Kassab, le tout tel qu’il appert de la preuve documentaire ainsi que des témoignages entendus. La preuve a également démontré que cette réorganisation s’inscrivait dans une restructuration d’une grande ampleur ayant conduit l’employeur à licencier plusieurs centaines d’employés au cours de l’année 2005.

 

[…]

 

[66]     Il a été démontré que lorsqu’elle fut avisée du fait qu’elle devait procéder à des coupures de postes, Mme Couture a déterminé les critères en vertu desquels elle effectuerait la sélection des personnes visées. Ainsi, cette dernière a choisi de couper les postes qui affecteraient le moins possible l’efficacité de l’équipe et la satisfaction de la clientèle et qui nuiraient le moins possible à l’esprit d’équipe. Il ressort de la jurisprudence que le choix des critères utilisés aux fins de procéder aux coupures de postes appartient à l’employeur. Dans la mesure où ces critères ne sont pas discriminatoires et qu’ils sont appliqués de bonne foi, l’arbitre ne peut intervenir. […]

 

[68]     Rien dans la preuve ne démontre que les critères retenus par Mme Couture aient pu être retenus de mauvaise foi, de façon à viser une personne en particulier. Au contraire, l’on note que cette dernière tentait de procéder à des coupures de façon à ce que l’impact de celles-ci soit le plus faible possible sur les opérations de l’employeur. On ne peut certes pas considérer qu’un tel objectif va à l’encontre de la bonne foi. De plus, les critères retenus par cette dernière étaient pertinents.

 

[69]     En fait, la prétention de la plaignante est plutôt à l’effet que c’est dans l’application de ces critères que l’employeur aurait agi de mauvaise foi et aurait utilisé le prétexte de cette réorganisation pour se débarrasser d’elle. Pour ce faire, elle allègue dans un premier temps que Mme Couture l’a choisie en raison d’un conflit de personnalité que les opposait. En second lieu, elle soumet que son licenciement résulte d’un subterfuge puisque l’employeur a procédé à des embauches dans les jours précédents sa terminaison d’emploi et qu’un poste s’est ouvert en janvier. Finalement, elle soutient qu’elle aurait dû être traitée comme M. N.A., et être considérée comme étant une employée nouvellement embauchée et qu’elle a donc été traitée de façon discriminatoire par rapport à ce collègue.

 

 

 

[11]      L’arbitre fait référence à une évaluation des employés faite par madame Couture dans sa division avant qu’elle ait connaissance des coupures, évaluation qui a été approuvée sans modification par ses supérieurs. La performance de la demanderesse a été évaluée comme étant « moins bonne » :

[72]      . . . Or, la soussignée ne voit rien qui puisse être jugé discriminatoire ou déraisonnable dans le fait d’utiliser cette évaluation dans la prise de décision. . . . Qui plus est, la preuve corrobore le fait que Mme Kassab n’avait pas atteint le niveau de performance souhaité par l’employeur puisque différentes mesures avaient été mises en place pour l’aider à améliorer sa performance. […]

 

 

 

[12]      L’arbitre tient compte des évaluations positives que la demanderesse avait reçues antérieurement dans son emploi. Cependant, ces évaluations n’indiquent pas que la demanderesse a atteint « des résultats espérés par l’employeur dans le cadre de l’emploi qu’elle détenait lors de sa terminaison d’emploi. »

 

[13]      Concernant les deux individus embauchés dans les jours précédents la terminaison de l’emploi de la demanderesse, l’arbitre conclut que ces embauches ont eu lieu avant que la réorganisation ne soit connue et qu’elles n’ont pas eu lieu dans le but de remplacer la demanderesse. « En d’autres termes, il n’y a aucune preuve d’une suppression fictive de la fonction de Mme Kassab au profit de ces deux personnes. Il n’y a pas non plus de preuve à l’effet que ces embauches constituaient un subterfuge de la part de l’employeur. »

 

[14]      Par rapport à l’affichage d’un poste de directeur en solution de facturation en janvier 2006, l’arbitre conclut que la preuve ne démontre pas que ce poste visait à remplacer le poste qui avait été détenu par la demanderesse.

 

[15]      Finalement, l’arbitre rejette la prétention de la demanderesse selon laquelle elle aurait été traitée de façon discriminatoire parce que son comportement n’a pas été évalué de la même manière que M. N.A., un autre directeur en solution de facturation qui avait été embauché peu après la demanderesse. Selon l’arbitre :

[77]     . . . Il ressort du témoignage de Mme Couture qu’au moment où elle a effectué son évaluation, elle n’était pas encore en mesure de l’évaluer autrement et c’est pourquoi elle l’a classé dans la case no 7. Or tel que souligné précédemment, le privilège d’évaluer les employés appartient uniquement à l’employeur et la soussignée est sans juridiction à cet égard et ce, d’autant plus que cette évaluation fut préparée avant même que Mme Couture sache qu’une réorganisation aurait lieu.

 

 

 

[16]      L’arbitre conclut que « le licenciement de Mme Kassab découle d’une suppression de poste résultant d’une réorganisation effectuée pour des raisons économiques et l’employeur a clairement expliqué les motifs de son choix. » En conséquence, l’arbitre a considéré qu’en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, elle n’avait pas la compétence pour considérer la plainte de la demanderesse.

 

* * * * * * * *

 

 

[17]      Les dispositions suivantes du Code canadien du travail sont pertinentes en l’espèce :

  16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

 

[…]

 

c) accepter sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’à son appréciation, il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

 

 

  242. (2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

 

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

 

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

 

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

 

 

 

 

  (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

 

a) décide si le congédiement était injuste;

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

 

 

 

  (3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

 

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

 

 

  16. The Board has, in relation to any proceeding before it, power

 

[…]

 

(c) to receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as the Board in its discretion sees fit, whether admissible in a court of law or not;

 

 

 

  242. (2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

 

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

 

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

 

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

 

  (3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

 

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

 

  (3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

 

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

 

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

 

 

[18]      La disposition suivante des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106, est aussi pertinente :

  81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

 

  81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds therefor, may be included.

 

* * * * * * * *

 

[19]      Les questions soulevées par la demanderesse peuvent se résumer comme suit :

(1)   L’arbitre en est-elle venue à des conclusions erronées concernant les faits entourant le licenciement?

(2)   L’arbitre a-t-elle commis une erreur de droit en acceptant une preuve orale fondée sur du ouï-dire et une preuve documentaire ayant été modifiée par la partie défenderesse?

(3)   L’arbitre a-t-elle violé le droit à l’équité procédurale de la demanderesse au cours de l’audience?

 

* * * * * * * *

[20]      De façon préliminaire, le défendeur demande que les paragraphes 3, 7, 8, 14, 17, 24, 26, 28, 34, 36, 38, 39 et 41-3 de l’affidavit de la demanderesse soient radiés parce qu’ils ne se conforment pas au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, lequel prévoit que les affidavits doivent se limiter aux faits qui sont à la connaissance personnelle du déclarant, lequel ne peut pas « spéculer, argumenter ou tirer des conclusions de droit dans un affidavit déposé dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire » (Bakayoko c. Bell Nexxia, 2004 CF 1408 au par. 22, [2004] A.C.F. no 1705 (1re inst.) (QL)).

 

[21]      Je conviens avec le défendeur que plusieurs paragraphes de l’affidavit de la demanderesse contiennent des déclarations qui sont hors de la connaissance de cette dernière, et qu’ils comportent des suppositions, des opinions et des arguments. Cependant, la plupart de ces paragraphes comportent aussi des faits qui sont à la connaissance personnelle de la demanderesse. Par conséquent, je suis d’avis que, au lieu de radier ces paragraphes en leur entièreté, les éléments qui s’y trouvent et qui ne sont clairement pas à la connaissance personnelle de la demanderesse ne doivent recevoir aucun poids.

 

[22]      Dans un premier temps, la demanderesse plaide que l’arbitre en est venue à des conclusions erronées concernant les faits entourant son licenciement.

 

[23]      La question à laquelle l’arbitre devait répondre était celle de savoir si le licenciement de la demanderesse avait été fait en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste. Si oui, en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, l’arbitre n’avait pas la compétence d’entendre la plainte de la demanderesse concernant le bien-fondé de son licenciement.

[24]      Pour qu’un employeur puisse invoquer le paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, il doit démontrer deux choses : « premièrement, une justification économique du licenciement; deuxièmement, une explication raisonnable quant au choix du licenciement des employés » (Bande indienne Crie d’Enoch c. Arleen Thomas, 2004 CAF 2 au par. 5, [2004] A.C.F. no 3 (C.A.) (QL)).

 

[25]      Lorsque l’employeur démontre ces éléments, c’est au plaignant de convaincre l’arbitre que « la mesure par ailleurs justifiable prise par l’employeur est une ‘mise en scène’, un ‘subterfuge’, une mesure ‘malveillante’ ou ‘détournée’ », ce qui peut être le cas si l’ensemble d’activités acquittées par l’employé licencié est confié à une autre personne (Flieger et al. c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651).

 

[26]      Ici, la demanderesse conteste avant tout la conclusion de l’arbitre voulant que son licenciement ait fait partie de la restructuration de l’entreprise, restructuration qui, des soumissions des parties, affectait soit 950, soit 4 000 employés du défendeur.

 

[27]      Les parties ont déposé leurs soumissions écrites avant la décision de la Cour suprême du Canada (la CSC) dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, décision dans laquelle la CSC a déterminé qu’il n’existe que deux normes de contrôle applicables aux décisions des tribunaux administratifs, celles de la décision correcte et de la décision raisonnable. Pour déterminer la norme de contrôle applicable, la CSC a noté :

[53]     En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599-600; Dr. Q, par. 29; Suresh, par. 29-30). Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

[28]      En l’espèce, la demanderesse conteste les conclusions de faits de l’arbitre. Donc, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le caractère de laquelle « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au par. 47).

 

[29]      La demanderesse reproche à l’arbitre d’avoir écrit qu’il n’était « pas vraiment contesté » que le licenciement de deux employés par madame Couture faisait partie de la restructuration de l’organisation du défendeur. À mon sens, ce choix de mots ne saurait vicier la décision, laquelle, lue dans son entier, révèle clairement que l’arbitre a bien considéré les arguments de la demanderesse à l’effet qu’elle n’avait pas été la victime d’une réorganisation la concernant. Je suis d’avis que l’arbitre a raisonnablement conclu que le défendeur s’est acquitté de son fardeau de démontrer qu’il existait une raison économique pour le licenciement de la demanderesse, soit la restructuration de l’entreprise dans son entier. Bien que la demanderesse et le défendeur soient en désaccord sur le nombre d’emplois affectés par cette restructuration, il ne fait pas de doute, après révision de la preuve, que cette restructuration a bel et bien eu lieu. De plus, à mon avis, la preuve supporte bien la conclusion de l’arbitre à l’effet qu’il existait une explication raisonnable quant au choix du licenciement des employés, lequel avait été basé sur les critères établis par madame Couture pour l’efficacité et l’esprit de l’équipe.

 

[30]      Par conséquent, il incombait à la demanderesse de démontrer que son licenciement avait été un « subterfuge ». Je ne peux pas conclure que l’arbitre est en venue à des conclusions déraisonnables à cet égard. La preuve démontre que, de tous les employés sous la charge de madame Couture, c’était la demanderesse et un autre employé qui se classaient dans la case 2, ce qui signifiait un rendement satisfaisant mais un potentiel de croissance jugé faible. Cette évaluation a été approuvée par les supérieurs de madame Couture. L’arbitre a tenu compte des prétentions de la demanderesse concernant la discrimination et a conclu qu’il existait une différence entre la situation de cette dernière et celle de M. N.A., classé dans la case 7 parce que nouvellement embauché. À mon avis, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée à l’égard de cette conclusion de l’arbitre.

 

[31]      La demanderesse prétend aussi que l’arbitre aurait dû tenir compte de l’attitude de madame Couture envers elle et qu’en omettant de le faire, elle l’a privée « de la possibilité d’invoquer que la décision était entachée d’arbitraire, voir même qu’elle était discriminatoire. » Cependant, il apparaît d’une lecture de la décision de l’arbitre que cette dernière a tenu compte de la prétention de la demanderesse selon laquelle madame Couture avait une attitude négative envers elle, mais qu’elle a conclu que cette prétention était sans fondement et que, à vrai dire, madame Couture faisait ce qu’elle pouvait pour améliorer le rendement de la demanderesse. Je ne peux pas conclure que cette conclusion est déraisonnable.

 

[32]      La demanderesse soutient enfin que madame Couture aurait dû annuler l’embauche des deux nouveaux employés dans sa division lorsqu’elle a pris connaissance des coupures. Cependant, comme noté par l’arbitre, c’est à l’employeur de déterminer la façon par laquelle les employés visés par une coupure seront choisis. Il n’appartient pas à l’arbitre d’évaluer le choix particulier de l’employeur (Bande indienne Crie d’Enoch, supra). L’arbitre a considéré les prétentions de la demanderesse, mais a conclu que le défendeur a choisi une façon raisonnable de déterminer quels employés seraient ciblés par les coupures. Encore là, sa décision ne peut pas être qualifiée de déraisonnable.

 

[33]      Dans un deuxième temps, la demanderesse plaide que l’arbitre a commis une erreur de droit parce qu’elle a accepté le témoignage de madame Couture, lequel était fondé sur du ouï-dire, et qu’elle a accepté « une preuve documentaire ayant été modifiée par la partie défenderesse ».

 

[34]      Concernant cette dernière prétention, la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve démontrant comment les documents en question auraient été modifiés par le défendeur. À mon avis, cette prétention est sans mérite.

 

[35]      Concernant la première prétention, l’alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail est clair à l’effet que l’arbitre a le pouvoir de déterminer sa procédure. En vertu de l’article 16 et de l’alinéa 242(2)c) du Code canadien du travail, l’arbitre peut aussi déterminer quels éléments de preuve sont acceptables. Ainsi, je ne peux pas conclure que l’arbitre a erré dans son acceptation de la preuve.

 

[36]      Dans un troisième temps, la demanderesse plaide que l’arbitre l’a privée du droit de faire des représentations au cours de l’audience parce qu’elle l’interrompait constamment, ce qui lui « a fait perdre le fil de son argumentation ». Il n’y a aucun doute que l’arbitre avait l’obligation de donner à la demanderesse l’occasion de présenter ses arguments, tel qu’énoncé à l’alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail. Cependant, la demanderesse n’a soumis aucune preuve faisant état de ces interruptions et indiquant lesquels de ses arguments n’auraient pas été portés à l’attention de l’arbitre. Je conclus que cette prétention est aussi sans mérite.

[37]      Pour toutes ces raisons, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée et, malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour la demanderesse victime d’une réorganisation justifiée, sa demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, avec dépens.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 24 octobre 2008


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1036-07

 

INTITULÉS :                                     NADINE KASSAB c. BELL CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Mme Nadine Kassab

 

 

LA DEMANDERESSE EN SON NOM

 

Me William Hlibchuk

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

 

William Hlibchuk

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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