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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081027

Dossier : IMM-5445-07

Référence : 2008 CF 1207

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

ALFONSO ESCORCIA TREJO

ET

DEMANDES CONNEXES

(TA7-10402-5)

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’ IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Alfonso Escorcia Trejo et sa famille sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la Commission) a rejeté leur demande de réouverture de leur demande d’asile après qu’elle eut conclu qu’ils s’étaient désistés de cette dernière demande.

 

[2]               La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle par son refus de rouvrir la demande d’asile de M. Trejo?

 

[3]               Je conclus que la Commission a commis un manquement à la justice naturelle en concluant que la demande d’asile de M. Trejo avait été abandonnée et qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant de rouvrir la demande d’asile de M. Trejo.

 

CONTEXTE

[4]               M. Trejo, son épouse et leurs deux enfants sont arrivés au Canada en provenance du Mexique le 9 octobre 2007 et ont présenté une demande d’asile le même jour. Ils ont été détenus jusqu’au 12 octobre 2007, date à laquelle le Centre d’Immigration Canada leur a remis des documents, notamment des formulaires de renseignements personnels (les FRP) à remplir, avant de les relâcher.

 

[5]               Le jour même où ils ont été relâchés, ils se sont rendus au Centre de réfugiés FCJ (le FCJ) où un agent a pris en charge leur dossier. L’agent leur a fourni des FRP en espagnol pour qu’ils les remplissent, ce qu’ils ont fait, et ils les ont remis au FCJ le 14 octobre 2007. L’agent s’est engagé à faire traduire leurs FRP en anglais.

 

[6]               Le 19 octobre 2007, M. Trejo est retourné au FCJ pour rencontrer un conseil, M. Warkwa Wanyioke, mais ce dernier n’a pas pu prendre en mains le dossier parce que la demande d’aide juridique de la famille Trejo n’avait pas encore été acceptée. Le représentant du FCJ avait promis de remplir et de produire les FRP pendant que les Trejo attendaient l’approbation de leur demande d’aide juridique. M. Trejo a téléphoné au FCJ à plusieurs reprises, et on l’a rassuré que les FRP seraient transmis à la Commission.

 

[7]               Le 2 novembre 2007, M. Trejo a reçu une lettre de la Commission. Étant donné qu’il ne comprend pas l’anglais, il s’est rendu au FCJ pour faire traduire la lettre. Le personnel du FCJ lui a dit que cette lettre était pour lui rappeler qu’il disposait d’un délai maximal de 28 jours pour produire les FRP. M. Trejo affirme que l’employé du FCJ ne lui a pas dit que la lettre de la Commission indiquait aussi qu’il devrait se présenter à une audience sur le désistement prévue pour le 21 novembre 2007 dans le cas où les FRP ne seraient pas produits à temps. M. Trejo a toutefois été rassuré par l’employé du FCJ que le FCJ produirait les FRP dans le délai prescrit.

 

[8]               Le conseil, M. Wanyioke, a demandé à M. Trejo de lui fournir des copies des FRP pour qu’il puisse préparer une lettre d’opinion pour l’Aide juridique Ontario. M. Trejo a téléphoné au FCJ mais n’a pas été en mesure de parler à l’agent chargé de son dossier. Le 19 novembre 2007, il s’est rendu en personne au FCJ pour obtenir des copies des versions anglaises des FRP des membres de sa famille. C’est à ce moment que M. Trejo a appris que les FRP n’avaient pas été produits.

 

[9]               Cette même journée du 19 novembre 2007, le FCJ a remis à M. Trejo les traductions anglaises des FRP aux fins de production, ainsi qu’une lettre à l’intention de la Commission pour l’informer que les FRP n’avaient pas été produits à cause d’une erreur du FCJ et pour lui demander de proroger le délai.

 

[10]           Le lendemain, le 20 novembre 2007, M. Trejo a produit les versions anglaises des FRP et la lettre du FCJ dans laquelle on demandait à la Commission une prorogation de délai. Il n’était toujours pas au courant de l’audience sur le désistement prévue pour le 21 novembre 2007.

 

[11]           Le 21 novembre 2007, puisque personne ne s’était présenté, la Commission a conclu que les Trejo s’étaient désistés de leur demande d’asile. Le 26 novembre 2007, une lettre a été envoyée à M. Trejo l’avisant de la décision sur le désistement.

 

[12]           Le conseil, M. Wanyioke, dont les services n’avaient pas encore été retenus, a aidé les Trejo à présenter une demande de réouverture de leur demande d’asile. La demande était accompagnée d’un affidavit de M. Trejo qui exposait les faits et confirmait que l’employé du FCJ n’avait pas traduit l’avis de la Commission qui lui enjoignait de se présenter le 21 novembre 2007 à une audience sur le désistement.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]           Le 18 janvier 2008, la Commission a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile de la famille Trejo. Le conseil de la famille a demandé qu’on lui fournisse les motifs et a reçu une réponse :

[traduction]

« Vu qu’aucune disposition législative ne l’exige, aucun motif écrit n’a été fourni pour justifier la décision; cependant, la mention suivante figure au dossier.

 

Les demandeurs ont dûment reçu signification d’un avis de convocation à une audience prévue pour le 21 novembre 2007. De plus, ils ont eu le bénéfice d’un interprète. Il n’y a pas eu manquement à un principe de justice naturelle. »

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           La demande de la famille Trejo visant à faire rouvrir leur demande d’asile a été présentée conformément à l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, dont le paragraphe (4) énonce :

55(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

 

S’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle dans le rejet de la demande d’asile présentée par les Trejo, la Section doit accueillir la demande visant à faire rouvrir leur demande d’asile.

 

[15]           Dans Ding c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. 454, au paragraphe 6, le juge Campbell fait observer que si la CISR ne peut accueillir une demande de réouverture que s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, il s’ensuit que « l’omission de la CISR de reconnaître l’existence d’un tel manquement lorsqu’il a eu lieu constitue une erreur justifiant un contrôle judiciaire. »

 

ANALYSE

[16]           Le défendeur reconnaît qu’un manquement à un principe de justice naturelle est le seul fondement sur lequel la Commission peut s’appuyer pour rouvrir une demande, mais il ajoute qu’il y aura lieu de conclure à un tel manquement que dans des cas exceptionnels.

 

[17]           Le défendeur soutient également que la demande de réouverture, qui est de nature interlocutoire, ne requiert qu’un minimum de motifs. Même si très peu de motifs sont fournis, la Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve.

 

[18]           Enfin, pour appuyer son argument selon lequel la demande de réexamen est simplement de nature interlocutoire, le défendeur souligne que les Trejo ne sont pas à la fin du processus applicable aux réfugiés en ce sens qu’ils peuvent toujours poursuivre leurs démarches en présentant une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire ou en demandant un examen des risques avant renvoi.

 

[19]           Le défendeur se fonde sur les décisions du juge Mosley dans Hamad Ali c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1154 et de la juge Layden-Stevenson dans Ji Long Lin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 512.

 

[20]           Dans Ali, le demandeur n’a pas produit son FRP à temps en raison du retard à obtenir les services d’un avocat de l’aide juridique. Il s’est présenté accompagné de son conseil à l’audience sur le désistement, où il a remis son FRP et expliqué son retard. La Commission n’était pas convaincue que les explications de M. Ali faisaient ressortir clairement son intention de poursuivre sa demande d’asile. M. Ali n’a pas sollicité de contrôle judiciaire. Il a plutôt présenté une demande de réouverture de sa demande d’asile. Puisque M. Ali avait reçu avis de l’audience sur le désistement, qu’il y avait assisté accompagné d’un conseil et qu’il avait eu la possibilité de fournir des explications au sujet de la production tardive de son FRP, le juge Mosley a conclu qu’il n’avait pas réussi à établir qu’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle.

 

[21]           Dans Lin, la juge Layden-Stevenson s’est aussi penchée sur une contestation liée au refus de la Commission de rouvrir une demande d’asile. Dans cette affaire, M. Lin avait déménagé de Vancouver à Toronto. Il avait obtenu une prorogation de délai pour la production de son FRP mais avait été avisé que si ce FRP n’était pas reçu au plus tard le 20 mai 2002, un avis de convocation à une audience sur le désistement serait donné. Le FRP n’a pas été produit à temps en raison de la remise tardive des notes prises au point d’entrée à son conseil. Le 6 juin, la Commission a délivré un avis de convocation à une audience sur le désistement. M. Lin a produit son FRP le 18 juin. Le 2 juillet 2002 a eu lieu l’audience sur le désistement à laquelle M. Lin et son conseil ont participé par téléconférence. M. Lin a choisi de ne pas témoigner à cette audience. La Commission a conclu qu’il n’avait pas suffisamment démontré qu’il avait l’intention de poursuivre sa demande d’asile et elle a jugé qu’il s’en était désisté. M. Lin a présenté à la Cour une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision sur le désistement rendue par la Commission, laquelle a été rejetée. Il a sollicité la réouverture de sa demande d’asile, ce que la Commission a refusé de lui accorder. Il a ensuite demandé à la Cour de réexaminer la décision relative au refus de rouvrir sa demande. La juge Layden-Stevenson a considéré la demande de M. Lin comme une contestation indirecte de la décision sur le désistement de la Commission et de la décision de la Cour de rejeter la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette première décision. Elle a conclu que les motifs de refus de la Commission, quoique brefs, étaient suffisants et elle a rejeté la contestation de M. Lin.

 

[22]           Je ne suis pas en désaccord avec les conclusions tirées dans ces affaires, mais je suis d’avis que celles-ci présentent des faits différents de ceux exposés dans le dossier des Trejo. Tant dans Ali que dans Lin, les demandeurs ont eu la possibilité de se présenter à l’audience sur le désistement accompagnés d’un conseil. Dans la présente affaire, la famille Trejo ne s’est pas présentée à l’audience sur le désistement ni n’a obtenu l’assistance d’un conseil.

 

[23]           Je signale que l’avis de l’audience sur le désistement a été donné provisoirement, avant la fin du délai accordé à la famille Trejo pour produire ses FRP. Le rappel fait par la Commission de produire un FRP avant la date limite est à l’avantage de la famille Trejo; cependant, la pratique qui consiste à envoyer un avis provisoire sur le désistement dans la même lettre, même si cela arrange sans doute la Commission, accroît la complexité de la lettre de rappel et les possibilités d’erreurs.

 

[24]           Le FCJ est un organisme à but non lucratif qui offre de l’aide aux demandeurs d’asile. Il ne s’agit pas d’un organisme gouvernemental et ses interprètes ne sont pas des employés du gouvernement. Ainsi, on ne peut pas présumer que le travail des interprètes du FCJ maintiendra toujours le même niveau de compétence. L’exactitude et l’intégralité du travail des interprètes non officiels est une question de preuve. Le seul élément de preuve au dossier est l’affidavit de M. Trejo indiquant que ce dernier n’a pas été avisé de la date de l’audience sur le désistement. Étant donné que son témoignage par affidavit n’a pas été contesté, selon la preuve, M. Trejo n’était pas au courant de la date de l’audience sur le désistement prévue pour le 21 novembre 2007. Le fait que M. Trejo se soit présenté en personne la veille, c’est-à-dire le 20 novembre 2007, pour remettre les FRP et la lettre du FCJ, confirme qu’il faisait ce qu’il pouvait pour faire avancer sa demande d’asile. La preuve fournie par M. Trejo permet d’établir qu’une erreur, une irrégularité dans la procédure relative à l’avis de l’audience sur le désistement, a effectivement été commise.

 

[25]           Le défendeur soutient également que des arguments sur l’incompétence d’un avocat ne peuvent être invoqués qu’à une audience sur le désistement ou lors du contrôle judiciaire de cette audience et non plus tard dans le cadre d’une demande de réouverture.

 

[26]           À l’audience sur le désistement qu’elle présidait, la Commission aurait eu la lettre du FCJ qui assumait l’entière responsabilité de la production tardive des FRP des membres de la famille Trejo. Dans cette lettre, on demandait également à la Commission de proroger le délai prévu pour la production des FRP. La lettre du FCJ énonce ce qui suit :

[traduction]

 « […] nous aidons les demandeurs d’asile susmentionnés; M. Escorica est arrivé au Canada en provenance du Mexique. Il a reçu le formulaire de renseignements personnels le 11 octobre 2007. Il est venu nous demander de l’aide au sujet de sa demande d’asile. En raison d’une erreur technique, nous avons perdu tous les renseignements sur M. Escorica, y compris son FRP et d’autres renseignements personnels. C’est pourquoi nous ne nous sommes rendus compte que son FRP était en retard qu’après l’expiration du délai. J’assume l’entière responsabilité pour la production tardive de son FRP, étant donné que M. Escorica a fait tous les efforts possibles pour tenter de remettre à la CISR son FRP dans le délai prescrit. Veuillez accepter cette requête en vue d’obtenir une prorogation de ce délai […] »

 

[27]           Dans les motifs de sa décision sur le désistement, la Commission a seulement mentionné l’absence à l’audience des membres de la famille Trejo ou d’un représentant. Elle n’a tenu compte ni de l’acceptation par le FCJ de la responsabilité pour la production tardive ni de la requête en prorogation de délai.

 

[28]           L’erreur commise par le FCJ n’est pas le genre d’erreur qui devrait être attribuée à la famille Trejo. C’est le type d’erreur que la Commission doit prendre en compte parce que cela indique que la production des FRP a été retardée sans faute de la part des Trejo.

 

[29]           La réponse toute simple est que, contrairement à M. Ali ou M. Lin, M. Trejo n’a pas été entendu. Il avait une explication à donner et il aurait fallu qu’elle soit prise en considération. La Commission était tenue de prendre en considération la lettre du FCJ.

 

[30]           Je suis d’avis qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle par l’omission de la Commission de tenir compte de la lettre du FCJ dont elle disposait.

 

[31]           Étant donné que j’arrive à la conclusion qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, je statue que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en décidant qu’il n’y avait pas eu un manquement de ce genre et en refusant de rouvrir la demande d’asile de la famille Trejo.

 

[32]           La décision de refuser la réouverture est annulée et la demande des Trejo est renvoyée à la Commission pour être examinée à nouveau.

 

[33]           Dans Ding, au paragraphe 11, le juge Campbell a annulé le refus de la Commission de rouvrir la demande et a donné les options qui consistent à réexaminer la question du désistement ou la demande d’asile. Conformément aux présents motifs, je donne l’instruction d’appliquer les options offertes qui consistent soit à réexaminer la question du désistement, soit à rouvrir la demande d’asile des Trejo.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La décision de la Commission est annulée.

2.                  L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’elle réexamine la question du désistement ou procède à la réouverture de la demande d’asile.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                         IMM-5445-07

 

 

INTITULÉ :                                        Alfonso Escorcia Trejo et demandes connexes (TA7‑10402-5) c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 15 octobre 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christine Lund

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waikwa Wanyioke

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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