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Date : 20081020

Dossier : T-21-03

Référence : 2008 CF 1182

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2008

En présence de madame la juge Layden-Stevenson

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

demanderesse

et

 

 

EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Le 10 décembre 2004, j’ai rendu une ordonnance selon laquelle « [i]l est interdit à Emile Marguerita Marcus Mennes [le défendeur] d’engager d’autres instances devant la Cour ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec l’autorisation de la Cour. »

 

[2]        M. Mennes demande maintenant [traduction] « l’annulation nunc pro tunc de l’ordonnance » et le paiement des dépens, personnellement, par l’avocat de la Couronne. M. Mennes demande cette réparation au motif que l’ordonnance que j’ai rendue avait été [traduction] « obtenue par fraude en raison des fausses déclarations faites par [l’avocat] lors de l’audience du 5 octobre 2004 ».

 

[3]        J’ai examiné les documents contenus dans les dossiers de requête, y compris les mémoires des faits et du droit, la réponse de M. Mennes et les transcriptions des séances de l’audience tenues les 5 et 6 octobre, et les 30 novembre et 1er décembre 2004; je conclus que la requête n’est pas étayée par les faits. Par conséquent, la requête sera rejetée.

 

 

Résumé des faits

[4]        Le résumé des faits et la chronologie de la présente affaire sont exposés en détail dans les motifs de l’ordonnance que j’ai rendue le 10 décembre 2004 et je n’ai donc pas à les répéter ici; voir Canada c. Mennes, 264 F.T.R. 44. Il suffit de dire que l’issue de l’audience de 2004 était que M. Mennes a été qualifié de plaideur qui engage des instances vexatoires. Les conséquences de cette conclusion sont celles que j’ai citées au premier paragraphe des présents motifs.

 

[5]        Le 10 avril 2008, M. Mennes a déposé une demande alléguant l’application du paragraphe 40(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la Loi). Il demandait l’annulation de mon ordonnance. La demande et les droits de dépôt ont été retournés à M. Mennes avec la directive de la protonotaire Tabib selon laquelle [traduction] « la réparation doit être demandée par la voie d’une requête dans le dossier dans lequel l’ordonnance a été rendue ». Le 13 août 2008, M. Mennes a déposé la requête que j’examine maintenant. Le greffe a demandé des directives relativement à ce dépôt et le 21 août 2008, la protonotaire Tabib a ordonné que le dépôt de la requête soit accepté. De plus, elle a ordonné que [traduction] « le délai pendant lequel la demanderesse peut signifier et déposer un dossier de requête en réponse commence à courir à partir de la date de la présente directive ». Le dossier de requête de la demanderesse a été déposé le 29 août 2008.

 

[6]        M. Mennes affirme qu’en 2004, en dépit de son objection, je me suis fondée sur les déclarations erronées de l’avocat de la Couronne lorsque j’ai instruit la demande de la Couronne présentée en application du paragraphe 40(1) de la Loi. Il soutient qu’en raison de cette « fraude », Sa Majesté la reine a :

 

·        violé les modalités fondamentales du serment du couronnement quant à l’obligation qu’elle a nunc pro tunc à l’égard du défendeur;

·        été constituée partie à une fausse affaire;

·        privé le défendeur ou a fait en sorte que le défendeur soit privé d’un jugement dans sa totale opposition à la demande qu’elle avait présentée en application de l’article 40.

 

De plus, M. Mennes soutient que :

·        il a été privé de justice naturelle;

·        ont été violées ses attentes légitimes matière de justice et d’une administration de la justice conforme à la Loi;

·        il a vu ses droits en vertu de la common law, ses droits constitutionnels d’accès à la Cour et ses droits garantis par l’article 7 de la Charte lui être refusés ou être violés depuis le 14 février 2004.

 

[7]        Il s’ensuit que M. Mennes allègue que mon ordonnance est viciée et il demande qu’elle soit annulée. En ce qui a trait à sa demande que les dépens soient payés personnellement par l’avocat de la Couronne, il avance la somme de 3 900 % du revenu net de l’avocat, plus les intérêts courus depuis le 5 octobre 2004. De plus, il déclare que le retard qu’il a mis à déposer la présente requête est dû aux conditions de sa détention. Il soutient que ses livres de droit, ses notes personnelles et autres documents semblables ont été confisqués par les agents correctionnels de 2004 à 2007 et que c’est seulement en raison d’une ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario du 19 octobre 2006 (dans laquelle la cour ordonnait que le directeur du pénitencier de Kingston donne à M. Mennes accès aux ressources nécessaires à la préparation, à la signification et au dépôt des documents juridiques dans une affaire connexe), qu’il a été en mesure de se pencher sur la présente affaire. Enfin, M. Mennes demande que sa requête soit entendue par vidéoconférence ou si non, par téléconférence et que le délai pour sa réponse, s’il en a besoin, soit prorogé.

 

[8]        Les documents de la requête ont été portés à mon attention et le 15 septembre 2008, j’ai rendu une directive dans laquelle je faisais savoir, entre autres choses, que vu l’exhaustivité des des dossiers et des observations, j’étais convaincue que la requête pouvait être tranchée sur dossier. J’ai aussi ordonné, malgré l’absence de motif clairement énoncé en appui à la demande de prorogation du délai pour le dépôt de sa réponse, que le défendeur se voie accorder une prorogation jusqu’au 22 septembre 2008.

 

[9]        M. Mennes a signifié et déposé sa réponse comme convenu et il demande maintenant (parce que la demanderesse après avoir nié toute fraude et [traduction] « maintenant qu’elle a lié contestation sur l’allégation de fraude du défendeur »), une ordonnance [traduction] « pour que soit jugée ladite question de fraude ».

 

La disposition légale

[10]                 

Loi sur les Cours fédérales L.R., 1985, ch. F-7

 

40. (1) La Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d'une requête qu'une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d'une instance, lui interdire d'engager d'autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

 

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d'être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l'objet de la requête.

 

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l'affaire, demander soit la levée de l'interdiction qui la frappe, soit l'autorisation d'engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

 

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l'affaire peut, s'il est convaincu que l'instance que l'on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

 

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

Federal Courts Act,

R.S., 1985, c. F-7

 

40. (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

 

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

 

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

 

 

 

 

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

 

 

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

 

Analyse

[11]      Malgré les diverses allégations avancées par M. Mennes, l’essentiel de la présente affaire porte sur mon soi‑disant refus d’ajourner l’audition de la demande de la Couronne basée sur le paragraphe 40(1). M. Mennes est d’avis que, si j’avais ajourné l’affaire pour lui permettre d’effectuer les diverses démarches qu’il se proposait d’entreprendre, je n’aurais jamais rendu l’ordonnance du 10 décembre. Il allègue que mon rejet de sa demande d’ajournement était fondé sur les fausses déclarations de l’avocat de la Couronne. Il affirme que si ce n’avaient été ces déclarations, j’aurais accordé l’ajournement. Toutes les autres affirmations sont fondées sur mon soi‑disant refus de l’ajournement et y ont pris leurs racines. C’est donc la question que je dois trancher. Je conclus que les observations de M. Mennes à cet égard sont erronées et irrémédiablement viciées.

 

[12]      Les commentaires de l’avocat de la Couronne (reproduits ci-dessous) sont au cœur même des allégations de M. Mennes sur la fraude. Je souligne que, même si le contenu est identique, la pagination de la transcription à laquelle M. Mennes se réfère est différente de la pagination de ma transcription. Ainsi, bien que le passage contesté figure à la page 14 de la copie de la transcription que M. Mennes possède, ce passage figure à la page 22 de ma copie. Toutes les références que je ferai ultérieurement à la transcription auront trait aux pages de la transcription qui se trouve dans le dossier de la Cour. Le mardi 5 octobre 2004, l’avocat de la Couronne a déclaré :

 

[traduction]

M. Mennes a déclaré qu’il voulait contre‑interroger les affidavits que le procureur général a déposés et qu’il voulait présenter ses propres affidavits en défense dans la présente instance.

 

 

Le délai dont il disposait pour ce faire a expiré en février 2003 et depuis ce temps, il n’a pas présenté de requête pour la prorogation du délai; il n’a pas présenté de requête pour l’ajournement de la présente instance. Je n’ai reçu aucun document de requête ni aucune lettre de M. Mennes demandant l’une de ces choses ou même demandant une date pour l’audition de ses requêtes ex parte (Transcription, le 5 octobre 2004, page 22, lignes 5 à 16).

 

 

 

[13]      M. Mennes a extrait douze lignes des commentaires de l’avocat comme étant la seule base en appui à son allégation de fraude; l’ensemble de ces commentaires est reproduit dans une transcription de deux jours d’audience (contenant 209 pages pour le 5 octobre et 77 pages pour le 6 octobre). Après avoir examiné la transcription dans son ensemble, pour moi, il est évident que lorsque les commentaires sont remis en contexte, ils font référence au fait que M. Mennes n’a pas respecté la procédure prescrite et appropriée.

 

[14]      En outre, même si ce n’était pas le cas, toutes les questions soulevées par les commentaires de l’avocat avaient été examinées à fond par ailleurs pendant cette partie de l’instance. Le débat relatif au contre‑interrogatoire figure aux pages 67 et 68 de la transcription du 5 octobre. La question de la demande de prorogation du délai est examinée en détail à la page 50 de la transcription du 5 octobre (lignes 6 à 16) et aux pages 18 (lignes 13 à 15 et 21 à 25), 19 (première ligne), 36 (lignes 5 à 25), 37 (lignes 8 à 25), 40 (lignes 10 à 23) de la transcription du 6 octobre. Un débat exploratoire relatif à la demande d’audition des requêtes ex parte figure aux pages 5 (lignes 11 à 15), 10 (lignes 18 à 25) et 11 (lignes 1 à 3 et 17 à 23) de la transcription du 6 octobre. L’examen détaillé que j’ai fait des passages mentionnés ci‑dessus mène à la conclusion inéluctable selon laquelle je n’ai été ni trompée ni sujette à quelque mauvaise compréhension en raison du commentaire contesté. L’allégation de « fraude » ne tient pas.

 

[15]      Surtout, M. Mennes s’est vu accorder un ajournement (transcription du 6 octobre, ligne 5). Notamment, au début de l’audience du 5 octobre, M. Mennes (sans avis préalable) a demandé que l’affaire soit ajournée. À la suite des observations des deux parties, j’ai refusé de faire droit à sa demande d’ajournement. Ma décision figure dans le dossier de la page 72 (ligne 21) à la page 77 (ligne 17) de la transcription du 5 octobre et elle est aussi résumée dans la transcription du 6 octobre aux pages 19 (lignes 21 à 25) et 20 (lignes 1 à 11). À la suite de ma décision, la Couronne a présenté sa preuve. À la fin de la présentation de la preuve de la Couronne, M. Mennes a demandé que je revienne sur ma décision (de refus de l’ajournement) afin de lui permettre de répondre correctement à la preuve de la Couronne. Après avoir entendu de longues observations des deux parties et après mûre réflexion, j’ai fait droit à la demande d’ajournement de M. Mennes, quoique à des conditions précises. Les arguments et les observations à cet égard couvrent presque toutes les soixante‑dix‑sept pages de la transcription du 6 octobre.

 

[16]      Le prononcé de l’ordonnance par laquelle j’ai fait droit à la demande d’ajournement est reproduit de la page 75 (ligne 15) à la page 76 (ligne 14) de la transcription du 6 octobre. J’ai ordonné que l’affaire soit ajournée au 30 novembre et au 1er décembre 2004, à Peterborough (le lieu demandé par M. Mennes) pour une durée d’une journée et demie. J’ai accordé l’ajournement malgré l’objection de la Couronne et je l’ai soumis aux conditions suivantes :

 

  1. le but de l’ajournement est de permettre au défendeur de préparer sa réponse aux arguments et observations de la demanderesse tels qu’ils ressortent du mémoire des faits et du droit de la demanderesse et de ses arguments oraux relatifs à la présente demande;
  2. les observations du défendeur devront se limiter aux questions débattues relativement à la présente demande;
  3. la Cour n’entendra pas de questions ou de requêtes accessoires;

4.   le défendeur préparera une synthèse par écrit de ses arguments en réponse qui sera de 30 pages au maximum;

5.   le défendeur signifiera et déposera la synthèse écrite dont il est question au paragraphe 4, au plus tard le 15 novembre 2004;

6.   les arguments qui vont au‑delà des questions soulevées dans la présente demande ne seront pas examinés.

 

[17]      En résumé, l’audience a été ajournée comme M. Mennes l’avait demandé. Ultérieurement, conformément à mon ordonnance, M. Mennes a signifié et déposé ses observations et l’audience a continué comme prévu. M. Mennes a répondu à la demande de la Couronne le 30 novembre et le 1er décembre. La transcription relative à cette partie de l’instance compte 314 pages. De ces pages, 276 sont consacrées à la réponse de M. Mennes à la demande de la Couronne. En fait, après avoir terminé ses observations, M. Mennes a fait le commentaire suivant : [traduction] « je remercie la Cour de m’avoir donné pour la toute première fois l’occasion de me faire entendre de façon réelle » (transcription du 1er décembre, page 276, lignes 7 à 9).

 

[18]      Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que l’allégation de M. Mennes n’est pas étayée par les faits. Sa requête est erronée et irrémédiablement viciée. Par conséquent, elle sera rejetée.

 

[19]      Avant de conclure, j’aimerais répondre à l’allégation de M. Mennes selon laquelle il serait privé de son droit d’accès à la Cour. Ce n’est pas le cas. La seule différence entre M. Mennes et tout autre plaideur réside, en raison de mon ordonnance du 10 décembre 2004, dans l’obligation pour M. Mennes de démontrer, dès le début, que toute instance qu’il initie ne constitue pas un abus de procédure et qu’il existe des motifs raisonnables pour cette instance.

 

[20]      La Couronne n’a pas demandé de dépens et aucuns ne seront adjugés.

 

 


 

JUGEMENT

 

      La requête est rejetée.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              T-21-03

 

INTITULÉ :                                             SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                  EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES

 

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    La juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 20 octobre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shain Widdifield

 

POUR LA DEMANDERESSE

Emile Mennes

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

Emile Mennes

LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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