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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081015

Dossier : T‑118‑08

Référence : 2008 CF 1162

Toronto (Ontario), le 15 octobre 2008

En présence du protonotaire Kevin R. Aalto

 

ENTRE :

BIOVAIL CORPORATION et DEPOMED, INC.

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans quelles circonstances est‑il approprié d’obliger le fabricant du produit générique sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) à présenter en premier sa preuve à l’appui de son allégation d’invalidité, ce qui inverse ainsi l’ordre dans lequel la preuve des parties doit être présentée? Cette question litigieuse est soulevée plus fréquemment dans les instances introduites en vertu du Règlement. Le Règlement lui‑même ne prévoit pas expressément l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Toutefois, dans certains cas, la Cour a jugé cette mesure appropriée et, dans sa récente Instruction relative à la pratique, elle a précisé que cette question pouvait être examinée dès l’introduction de toute instance régie par le Règlement.

[2]               Dans la présente requête, les demanderesses, Biovail Corporation et Depomed Inc. (collectivement désignées sous le nom de Biovail), réclament la production de certains renseignements en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement et l’établissement d’un échéancier pour les étapes qu’il reste à franchir avant l’audience, y compris l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Biovail a introduit la présente instance en vue de faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour son médicament Apo‑Metformin ER.

I.          Inversion de l’ordre de présentation de la preuve

[3]               Biovail soutient que la principale question soulevée dans l’avis d’allégation déposé par Apotex Inc. (Apotex) porte sur la validité. Apotex invoque pour sa part ce qu’on est convenu d’appeler le moyen de défense tiré de l’arrêt Gillette, que Biovail qualifie de contestation de la validité déguisée sous forme d’allégation d’absence de contrefaçon. Biovail réclame par ailleurs des renseignements se rapportant à divers aspects du profil de vitesse de libération du produit d’Apotex, qui est une des questions en litige dans l’instance. Parce que c’est l’invalidité qui est en cause, Biovail soutient que la présente instance est [traduction] « l’exemple idéal » d’un cas dans lequel il convient d’inverser l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité.

[4]               Dans plusieurs affaires récentes, la Cour a ordonné que l’ordre de présentation de la preuve sur l’invalidité soit inversé et l’Instruction relative à la pratique publiée par la Cour le 7 décembre 2007 envisage une telle inversion de l’ordre de présentation de la preuve.

[5]               La philosophie suivie par la Cour pour inverser l’ordre de présentation de la preuve repose sur une volonté de simplifier la procédure, de circonscrire le débat et d’accélérer le déroulement de l’instance, le tout en tenant compte du fait que l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve permettra fort probablement d’apporter au litige une solution qui soit la plus expéditive et la plus économique possible, tout en demeurant juste [voir Pharma c. Pharmascience Inc., [2007] A.C.F. no 1568].

[6]               Dans le cours normal d’une demande, l’article 306 des Règles prévoit que, dans les 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande, le demandeur doit signifier et déposer les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa demande. L’article 307 des Règles prévoit que, dans les 30 jours suivant la signification des affidavits du demandeur, le défendeur doit signifier et déposer les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa position. Il s’agit des droits procéduraux qui sont habituellement reconnus aux parties à une demande.

[7]               Cependant, ces droits sont simplement procéduraux et, à l’aube de cette nouvelle ère en matière de gestion des instances visées par le Règlement, l’on reconnaît que les droits procéduraux traditionnels ne favorisent pas toujours l’audience la plus juste et la plus expéditive et économique possible. Le fait de suivre servilement les dispositions des articles 306 et 307 des Règles peut dans bien des cas conduire à des requêtes visant à faire reconnaître le droit de présenter une contre‑preuve et même une réplique à la contre‑preuve. Pareilles requêtes ne favorisent pas l’instruction la plus juste et la plus expéditive et économique possible de l’affaire. Elles ont plutôt souvent pour effet de retarder encore plus le déroulement de l’instance et d’entraîner des frais supplémentaires. Elles utilisent aussi une quantité excessive de ressources judiciaires qui pourraient être affectées plus utilement à l’instruction des affaires sur le fond.

[8]               Ainsi, grâce au jeu réciproque de la gestion des instances, de l’Instruction relative à la pratique et de la souplesse assurée par les Règles des Cours fédérales, on peut adapter les droits procéduraux de manière à s’assurer non seulement que tout le monde est traité sur un pied d’égalité, mais aussi que l’affaire progresse de la façon la plus expéditive et la plus économique possible. Un des objectifs de la gestion des instances est d’assurer la souplesse nécessaire pour répondre aux besoins de l’affaire sans toutes les formalités procédurales qui retardent si souvent le déroulement de l’instance.

[9]               Il n’est pas nécessaire de savoir s’il s’agit de l’exemple idéal d’un cas dans lequel il convient d’inverser l’ordre de présentation de la preuve. Ce qui importe, c’est de savoir si le fait d’obliger ou non Apotex à présenter la première sa preuve sur l’invalidité permettra de circonscrire le débat et de simplifier la procédure tout en limitant l’intervention judiciaire et l’utilisation des ressources judiciaires et si cette mesure sera équitable pour les parties.

[10]           L’Instruction relative à la pratique qui est entrée en vigueur le 7 janvier 2008 prévoit :

Instruction relative à la pratique – instances relatives à des avis de conformité

 

Selon l’article 384 des Règles, la Cour peut ordonner qu’une instance introduite conformément aux dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93‑133, dans sa version modifiée, (instances relatives à des avis de conformité) se poursuive immédiatement en tant qu’instance à gestion spéciale.

 

Un juge ou un protonotaire sera affecté à titre de juge responsable de la gestion de l’instance pour chaque instance relative à un avis de conformité nouvellement introduite. Le juge responsable de la gestion de l’instance convoquera une réunion avec les avocats des parties peu de temps après la comparution de toutes les parties dans l’instance ou l’expiration du délai prévu pour les comparutions. Lors de la réunion, les parties devront :

 

1.   répondre à la question de savoir s’il est approprié d’inverser l’ordre dans lequel la preuve des parties est présentée, c’est‑à‑dire le défendeur (produit générique) présenterait sa preuve en premier et le demandeur (produit de marque) présenterait sa preuve en réponse;

 

2.   établir un calendrier pour la présentation de la preuve, la conduite du contre‑interrogatoire et le traitement de toutes les autres questions, comme les requêtes fondées sur le paragraphe 6(5);

 

3.   fixer un délai pour le dépôt d’une demande pour fixer la date, l’heure et le lieu de l’audience;

 

4.   toute autre question utile permettant d’assurer une prise de décision qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Dans la jurisprudence qui a été élaborée au sujet de l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve, les principes susmentionnés ont été appliqués. Mentionnons notamment les décisions Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2008 CF 579; Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 537, [2008] A.C.F. no 681 (QL); Abbot Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 1291, [2007] A.C.F. no 1660 (QL); Pharma c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1196, [2007] A.C.F. no 1568 (QL)). Dans la décision Pharma, la protonotaire Tabib a formulé les observations suivantes :

7.         Je suis d’avis que la Cour a, s’agissant de la gestion des instances, le pouvoir discrétionnaire de modifier l’ordre dans lequel la preuve des parties, dans une demande, sera signifiée et produite, si elle est persuadée que cela est nécessaire pour apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Ce pouvoir discrétionnaire est envisagé à l’alinéa 385(1)a) des Règles. Au besoin, on peut aussi invoquer à ce propos l’article 55 des Règles, qui autorise la Cour à modifier une règle ou à exempter une partie ou une personne de son application. On peut également faire une analogie avec l’article 274, qui fixe l’ordre dans lequel la preuve sera présentée durant un procès, mais qui prévoit explicitement que la Cour peut donner des directives contraires.

 

19.       Je reconnais qu’il y a un avantage tactique indéniable pour la partie, quelle qu’elle puisse être, qui produit sa preuve la deuxième. Non seulement cette partie produira sa preuve sensiblement de la manière qu’elle avait prévu de la présenter et de la modeler, mais encore elle a l’avantage additionnel de pouvoir l’adapter pour qu’elle s’oppose le mieux à celle de la partie adverse; en l’absence d’une preuve indépendante qui lui soit propre, cette partie a aussi la possibilité d’affaiblir et de contester directement la preuve de la partie adverse, ainsi que de miner sa crédibilité. Ce sont là des avantages tactiques, qui, bien que légitimes, ne sont ni substantiels ni procéduraux. Ces avantages tactiques, du moins l’espère‑t‑on, ne devraient pas en définitive déterminer l’issue de la procédure.

 

20.       Pour le meilleur ou pour le pire, la procédure envisagée par les Règles en ce qui concerne les demandes présentées en vertu du Règlement fait que la défenderesse dispose de cet avantage tactique, et il me semble que, pour la priver de cet avantage sans son consentement, il faudrait pouvoir compter sur d’importantes épargnes de temps, d’argent et de ressources, tant pour la Cour que pour les parties.

 

21.       Comme je l’ai dit plus haut, cette affaire fait intervenir des questions de contrefaçon, d’absence de solides prévisions et d’invalidité, pour lesquelles la preuve devrait être produite dans l’ordre normal; l’inversion de cet ordre ne s’appliquerait donc qu’à une partie de la preuve, une procédure qui, à ce jour, reste mal connue de la Cour et des parties et qui, pour cette raison, et sauf coopération exemplaire entre les parties, pourrait nécessiter davantage d’interventions interlocutoires de la part de la Cour.

 

[12]           La protonotaire Tabib a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Le facteur prédominant pour ce qui est de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire semblait être le fait que l’inversion ne s’appliquerait qu’à une partie de la preuve et que, comme il y avait de nombreuses questions en jeu, il n’était pas logique dans ce contexte d’ordonner l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve.

[13]           Il y a lieu d’établir une distinction entre l’affaire Pharma et la présente espèce, parce qu’il semble qu’il y ait non seulement moins de questions en litige, mais aussi que l’affaire porte sur les incidences du moyen de défense tiré de l’arrêt Gillette.

[14]           Dans l’affaire Lundbeck, la protonotaire Aronovitch a exercé son pouvoir discrétionnaire en ordonnant l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Dans cette affaire, les demanderesses cherchaient à obtenir que les défendeurs produisent leur preuve sur les questions d’invalidité avant les demanderesses. Les parties s’étaient entendues pour que les demanderesses présentent en premier leur preuve sur la contrefaçon. Les parties étaient divisées sur la question de savoir si, en raison de la preuve portant sur les allégations d’invalidité, les défendeurs devaient présenter leur preuve en premier. Il s’agissait notamment de savoir si l’ordre de présentation de la preuve devait être inversé en totalité ou en partie sur les questions d’invalidité. Pour en arriver à la conclusion qu’une inversion partielle ne permettrait pas de réaliser des économies dans l’action et qu’elle risquait plutôt de créer une plus grande complexité et des tiraillements sur le plan procédural, la protonotaire Aronovitch a fait observer ce qui suit :

27.       Après avoir examiné ces facteurs, je ne suis pas convaincue qu’une inversion partielle permettrait de réaliser des épargnes dans les circonstances. Comme l’a fait observer la protonotaire Tabib, l’inversion partielle constitue une procédure qui, à ce jour, reste mal connue de la Cour et qui nécessite une grande coopération. D’autant plus, dans la présente affaire, aucun des avocats ne préconise cette procédure ou ne manifeste d’enthousiasme à son égard. Je conviens avec les avocats, qui s’entendent sur ce point, qu’une inversion partielle, dans la présente instance, n’offre pas un avantage plus économique que le statu quo.

 

28.       J’ajouterais que la dissection des motifs d’invalidité, de la manière expliquée précédemment, laisse entendre qu’il est possible de cerner la preuve et les arguments à l’égard des allégations relatives aux solides prévisions, à la portée excessive et à l’article 53 de la Loi sur les brevets, et de les distinguer d’avec la preuve et les arguments présentés à l’égard des autres allégations soulevées dans l’avis d’allégation de Ratiopharm. Dans la pratique, il existe probablement un recoupement important entre la preuve et les arguments relatifs aux différentes allégations d’invalidité. Le fait d’obliger les experts de chaque partie à ne traiter que de certains points dans leurs affidavits initiaux et d’autres questions connexes en réponse risque d’entraîner une répétition et une complexité inutiles, puisqu’il est prévisible que les parties présentent des requêtes supplémentaires pour obtenir des précisions, ce qui exigerait de longues interventions de la Cour dans le cadre de la gestion de l’instance.

 

29.       L’inversion totale de l’ordre de présentation de la preuve relative à l’invalidité n’est pas non plus sans complexité. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les motifs d’invalidité comprennent l’absence de solides prévisions, la portée excessive des revendications et la mauvaise foi, et lorsque le demandeur peut vouloir déposer à cet égard une nouvelle preuve factuelle et une nouvelle preuve d’expert, une décision sur les requêtes sera probablement requise avant que puisse être déposée une preuve en réponse à cet égard, ce qui ajoute ainsi un degré de complexité. Cependant, dans le cours normal d’un litige, ces procédures sont rarement à l’abri des requêtes en production d’une preuve en réponse et, en l’espèce, des avantages considérables et évidents peuvent être tirés si l’on permet aux défendeurs de présenter tous leurs éléments de preuve sur les questions d’invalidité en premier, avantages qui l’emportent sur la complexité qui découle de la possibilité d’avoir à fournir des réponses à l’égard de nouveaux faits dont les demanderesses pourraient disposer.

 

30.       La réduction importante des questions d’invalidité mises en jeu et la possibilité de restrictions comparables dans le nombre d’experts ne peuvent que permettre de réaliser de grandes économies, notamment en ce qui concerne la possibilité qu’il soit requis de présenter une preuve en réponse. Je suis convaincue qu’une inversion totale de l’ordre de présentation de la preuve relative aux questions d’invalidité, dans les circonstances de l’espèce, est juste, et donnera lieu à une procédure plus expéditive et économique.

 

 

[15]           Dans l’affaire Abbott Laboratories, le juge Phelan était saisi d’une requête présentée par les demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à la défenderesse de signifier sa preuve avant que la demanderesse Abbott ne signifie la sienne. C’était la seconde demande introduite en vertu du Règlement relativement au même brevet et il s’agissait en fait de la remise en cause de la question de la contrefaçon. Dans sa décision, le juge Phelan a estimé que, malgré l’argument de la défenderesse suivant lequel la Cour n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance inversant l’ordre de production des éléments de preuve, la Cour avait effectivement cette compétence s’il existait des « circonstances spéciales » et ce, dans le cadre de la « gestion de l’instance ». Il a formulé la question en se demandant « s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance inversant l’ordre de production des éléments de preuve et de présentation des observations et s’il existe des circonstances spéciales justifiant une telle ordonnance ».

[16]           Le juge Phelan a rejeté la requête dans la mesure où elle visait à obtenir l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Il convient toutefois de signaler que la décision du juge Phelan est antérieure à l’Instruction relative à la pratique qui a été donnée par la Cour le 7 décembre 2007 et qui est entrée en vigueur le 8 janvier 2008, et que le juge a ordonné que l’instance fasse l’objet d’une gestion spéciale.

[17]           Enfin, dans les affaires Astrazeneca, les circonstances uniques de cette série d’affaires militaient contre l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve. Ainsi que la Cour l’a fait observer :

5.         Il convient de noter qu’un aspect fondamental de l’Instruction relative à la pratique est d’incorporer dans la gestion des instances relatives aux avis de conformité le principe général énoncé aux articles 3 et 385 des Règles des Cours fédérales, suivant lequel les instances relatives aux avis de conformité sont gérées de façon à « permett[re] d’assurer une prise de décision qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

 

6.         Ainsi, eu égard aux circonstances précises des sept demandes qui nous intéressent, la question à trancher est celle de savoir s’il est « approprié » qu’Apotex dépose sa preuve en premier au sujet de la question de la validité de trois des sept demandes. Il convient de noter que l’avocat des demanderesses soutient que deux des trois brevets en cause dans les trois demandes n’ont jamais été plaidés auparavant alors que le troisième brevet a déjà fait l’objet d’un procès et qu’il en va vraisemblablement de même pour les quatre autres demandes dans lesquelles l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve n’est pas demandée.

 

7.         Bien que l’Instruction relative à la pratique marque le début d’une nouvelle ère en matière de gestion des instances relatives aux avis de conformité et ce, en vue d’assurer une instruction juste et expéditive de ces instances, je suis d’avis que le fait d’inverser l’ordre de présentation de la preuve dans la présente série de demandes ne permettra pas d’atteindre ce résultat. Il convient donc de s’en tenir à la procédure habituelle : les demanderesses présenteront donc leur preuve en premier conformément à l’échéancier sur lequel les parties se sont entendues.

 

8.         Pour en arriver à cette conclusion, j’ai attentivement examiné les arguments de l’avocat des demanderesses et j’ai tenu compte des objectifs de l’Instruction relative à la pratique. L’avocat des demanderesses soutient que l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve permettra d’atteindre les objectifs de principe visés par l’Instruction relative à la pratique non seulement en circonscrivant le débat, mais aussi en réduisant le volume de la preuve, ce qui permettra d’apporter une solution au litige qui soit « juste et la plus expéditive et économique possible ». L’avocat souligne notamment le fait qu’Apotex cite 60 cas d’antériorité à l’annexe E des avis d’allégation. L’avocat soutient que les demanderesses doivent tous les traiter car rien ne permet de savoir si l’un d’entre eux ou la totalité seront abordés dans la preuve présentée par Apotex. L’avocat fait valoir qu’il est en conséquence logique d’inverser l’ordre de présentation de la preuve parce que cette mesure permettra d’épargner de l’argent et sera plus expéditive. S’il n’y avait que trois affaires au lieu de sept, cet argument serait plus convaincant. En l’espèce, les avis d’allégation sont très détaillés et ils exposent avec force détails les points litigieux et les éléments de preuve qui appuient l’argument d’invalidité d’Apotex. On ne peut guère prétendre que, compte tenu de la genèse du contentieux et des renseignements détaillés contenus dans les avis d’allégation, les demanderesses ne sont pas au courant de la thèse d’Apotex au sujet de l’invalidité ou qu’elles n’ont pas suffisamment d’éléments d’information en mains. Il ressort par ailleurs de l’examen de l’annexe E que bon nombre des renvois aux monographies et aux ouvrages se limitent à quelques pages dans chaque cas. Ainsi, bien que les 60 cas cités puissent, de prime abord, sembler constituer une masse importante d’éléments auxquels il faille répondre, le nombre de pages effectivement citées ne semble pas très élevé, surtout dans les cas où les médicaments en question ont déjà fait l’objet de procès, même s’ils ne portent pas expressément sur deux des brevets en question.

 

9.         L’instance relative à l’avis de conformité est une procédure viciée en ce sens que la partie qui a la charge de la preuve sur une question déterminée n’a pas à déposer sa preuve en premier. Cette approche incite jusqu’à un certain point les parties à se livrer jusqu’au procès au « jeu du chat et de la souris » pour tenter de savoir quels sont précisément les moyens et les éléments de preuve sur lesquels elles se fonderont à l’appui de leur thèse respective. Cette façon de procéder ne contribue pas beaucoup à délimiter le cadre du débat.

 

10.       Une façon de clarifier sa thèse dès le départ consiste à inverser l’ordre de présentation de la preuve sur les questions de validité. Cette façon de procéder répond à l’objectif consistant à favoriser le bon déroulement de l’affaire de la façon la plus expéditive et la plus économique possible. Elle est ordonnée plus fréquemment malgré le fait qu’elle prive d’un « avantage tactique » le fabricant de médicaments génériques qui plaide l’invalidité du brevet. Toutefois, pour ce faire, il doit y avoir une probabilité raisonnable que l’on épargnera ainsi des frais et que l’on gagnera du temps [voir, par exemple, la décision Purdue Pharma c. Pharmascience Inc., 2007 CF 1196]. Suivant mon interprétation de cette jurisprudence, le fait d’obliger Apotex à présenter sa preuve en premier au sujet de la validité ne permettrait pas d’économiser des frais et du temps. D’ailleurs, comme ces affaires seront instruites par le même juge, on risque vraiment de créer de la confusion au cours de l’audience en ce qui concerne la partie qui a la charge de la preuve sur certaines questions. Le présent groupe d’instances relatives à des avis de conformité est suffisamment complexe sans qu’on y ajoute d’autres complications, voire de la confusion, au sujet de l’inversion de l’ordre de la présentation de la preuve dans trois d’entre elles.

 

11.       Si les demanderesses subissent un préjudice du fait qu’elles doivent présenter leur preuve en premier et qu’elles ne présentent pas, par exemple, d’éléments de preuve sur un point inattendu soulevé par Apotex, le régime de gestion des instances offre amplement de souplesse, aux termes de l’Instruction relative à la pratique, pour compenser ce préjudice en permettant, par exemple, la présentation d’une contre‑preuve. Il est donc facile d’atteindre l’objectif de la solution « juste et la plus expéditive et économique possible » dans le cadre du régime de gestion de l’instance. Dans ces conditions, la requête sera rejetée, dans la mesure où elle se rapporte à l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve.

 

 

[18]           Il convient de rappeler que, dans cette affaire, sept dossiers avaient été jugés ensemble. L’inversion de l’ordre de la présentation de la preuve dans trois de ces dossiers ne constituait pas la façon la plus expéditive et la plus économique de juger l’affaire parce que cette mesure risquait de créer de la confusion et d’entraîner des retards.

[19]           Dans le cas qui nous occupe, il n’y a qu’une seule instance et, contrairement à ce qu’Apotex prétend, l’invalidité est de toute évidence la principale question en litige. Apotex invoque six motifs d’invalidité, dont l’insuffisance, le choix irrégulier et la portée excessive. Apotex soutient que le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est à la fois une contestation de la validité et une contestation de l’invalidité. Il n’est pas nécessaire de trancher la question. Qu’il suffise de dire que l’invalidité est le point principal de l’attaque qu’Apotex porte contre le brevet en litige. Ainsi, si l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve permet de simplifier la procédure et contribue à apporter la solution la plus expéditive et la plus économique possible, c’est la mesure qu’il faudrait ordonner. À mon avis, l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve serait une mesure avantageuse dans la présente affaire. Biovail saura quelles preuves et quels arguments elle doit réfuter en ce qui concerne la validité. On évitera ainsi de scinder l’affaire. Les questions auxquelles Apotex pourrait devoir répondre seront mieux cernées. Cette mesure permettra de connaître avec plus de précision les six motifs d’invalidité invoqués par Apotex et Apotex décidera peut‑être de ne donner suite qu’à quelques‑uns de ces motifs. Cette mesure évitera que Biovail ne produise sa preuve « dans le vide » et qu’elle ne dépose des éléments de preuve sur tous les aspects possibles et imaginables en ce qui concerne l’allégation d’invalidité. L’objectif visé par l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve sera donc atteint.

[20]           Il n’existe pas de liste exhaustive de facteurs dont on pourrait tenir compte pour décider de l’opportunité d’ordonner l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve et une telle liste ne peut exister, puisque chaque cas est un cas d’espèce. Il se peut que la complexité de l’avis de conformité, le degré de détails fournis dans les motifs de l’avis de demande ou la question de savoir si l’allégation d’invalidité contenue dans l’avis de conformité est la principale allégation constituent des facteurs qui entrent en jeu. Il n’en demeure pas moins que l’élément clé qui joue sur la question de l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve est celui de savoir si cette mesure permettra de simplifier la procédure ou si elle entraînera des retards ou des frais accrus en raison des requêtes supplémentaires visant à obtenir l’autorisation de déposer une contre‑preuve.

[21]           En l’espèce, l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve devrait permettre de simplifier la procédure et de répondre aux objectifs susmentionnés.

II.         Divulgation prévue au paragraphe 6(7)

[22]           Biovail réclame par ailleurs la production de certains renseignements en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement, qui dispose :

6 (7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l’instance :

 

a)   ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la présentation ou du supplément qu’elle a déposé pour obtenir un avis de conformité et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l’instance;

 

[23]           Dans l’arrêt Biovail Corp. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2002] A.C.F. no 1539, la Cour a énoncé le critère à trois volets suivant en ce qui concerne la divulgation prévue à cet article :

1.         la demande de divulgation a été formulée en temps opportun;

2.         les renseignements déjà fournis ne sont pas suffisants pour pouvoir traiter des questions en jeu;

3.         la divulgation des renseignements demandés est nécessaire parce qu’elle est utile pour trancher les questions en litige dans l’instance.

 

 

 

[24]           Apotex a déjà communiqué passablement de renseignements, notamment les données portant sur la dissolution, les profils de vitesse de libération et les renseignements sur la capacité de gonflement. D’ailleurs, les renseignements réclamés n’existent pas (voir l’article 2.7.1 de la PADN d’Apotex). Dans sa preuve, Biovail affirme que ces éléments de preuve devraient exister. Ils ne font cependant pas partie de la PADN. Apotex a déjà communiqué une grande quantité de renseignements qui, vu l’ensemble des éléments dont je dispose, devraient être plus que suffisants pour permettre à Biovail de répondre aux questions en jeu. La demande de Biovail ne satisfait donc pas à tous les critères exigés pour justifier en l’espèce le prononcé d’une ordonnance en vertu du paragraphe 6(7).


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande sera instruite conformément à l’échéancier suivant :

a)                  Apotex devra signifier sa preuve dans les 90 jours suivant la présente ordonnance.

b)                  Les demanderesses devront signifier leur preuve dans les 90 jours suivant la signification de la preuve d’Apotex.

c)                  Les contre‑interrogatoires devront être terminés dans les 90 jours suivant la signification de la preuve des demanderesses.

d)                  Une demande d’audience peut être signifiée et déposée dès que les contre‑interrogatoires seront achevés et, en tout état de cause, elle devra être signifiée et déposée dans les 20 jours suivant la date à laquelle les contre‑interrogatoires seront achevés.

e)                  Le dossier de la demande des demanderesses devra être signifié et déposé dans les 45 jours suivant la date à laquelle les contre‑interrogatoires seront achevés.

f)                    Le dossier de réponse d’Apotex devra être signifié et déposé dans les 45 jours suivant la date à laquelle le dossier de la demande des demanderesses aura été signifié et déposé.

2.                  Pour le cas où l’une ou l’autre des parties réclamerait une modification au présent échéancier, elle peut en faire par la demande par écrit à la Cour si cette demande est faite de consentement. Si la modification n’est pas faite de consentement, la partie qui réclame la modification doit prendre les dispositions nécessaires pour organiser une conférence sur la gestion de l’instance avec la Cour.

3.                  Aucune des parties ne doit présenter de requête sans avoir d’abord pris les dispositions nécessaires pour organiser une conférence sur la gestion de l’instance avec la Cour pour que soient examinées les questions proposées dans la requête.

4.                  La requête est par ailleurs rejetée.

5.                  Comme chacune des parties obtient en partie gain de cause, il n’y a pas d’adjudication de dépens relativement à la présente requête.

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑118‑08

 

INTITULÉ :                                                   BIOVAIL CORPORATION et DEPOMED, INC.

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 AOÛT 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         LE 15 OCTOBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Marguerite Ethier

Elizabeth S. Dipchand

 

POUR LES DEMANDERESSES

Natalie Henein

 

 

Andrew Brodkin

M. Cohen

POUR LE DÉFENDEUR (ministre de la Santé)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE (Apotex Inc.)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lenczner Slaght Royce

Smith Griffin

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR (ministre de la Santé)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE (Apotex Inc.)

                                                                                   

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