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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081020

Dossier : IMM-4989-07

Référence :  2008 CF 1180

 

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

ALBA IXTLAXOCHITL PELAYO AGUILAR

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, Alba Ixtlaxochitl Pelayo Aguilar, la demanderesse, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu le 31 octobre 2007 que Mme Aguilar disposait d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Mexico et a rejeté sa demande.

 

CONTEXTE

[2]               Mme Aguilar est citoyenne du Mexique et résidente d’Autlan, dans l’État de Jalisco. Elle a présenté une allégation de crainte de persécution par son ex-conjoint de fait.

 

[3]               Elle a rencontré Jorge Quintero Ponceano (Jorge), un homme plus âgé, en 2000, lorsqu’elle était âgée de 19 ans. Leur relation a commencé en 2002. Jorge menait une vie aisée et profitait d’une influence politique. Lorsqu’ils ont commencé à vivre ensemble en 2005, Jorge a commencé à l’agresser verbalement et à être très possessif et contrôlant. Son comportement agressif s’est transformé en violence physique et sexuelle. La demanderesse a signalé cette violence conjugale à la police qui n’était pas intéressée à donner suite à sa plainte.

 

[4]               Mme Aguilar a quitté Jorge et s’est enfuie à Nayarit, une ville voisine, mais Jorge l’a retrouvée après trois jours et l’a ramenée chez lui. Jorge est aussi allé la chercher au Guatemala lorsqu’elle s’était enfuie dans ce pays voisin. Il aurait utilisé son fusil pour la fouetter. Le 10 avril 2006, Jorge a tiré sur elle lorsqu’elle s’était enfermée dans la toilette pour tenter de s’enfuir. Elle est allée se réfugier chez ses parents, et son père l’a accompagnée au poste de police pour qu’elle porte plainte. La police a recueilli sa dénonciation, mais n’y a pas donné suite.

 

[5]               Une copie de la dénonciation de Mme Aguilar, datée du 11 avril 2006, un certificat médical qui fait état des trois visites de la demanderesse à un centre médical et une lettre de confirmation d’un voisin corroborent son témoignage. La Commission a jugé qu’elle était un témoin crédible.

 

[6]               J’ai décidé d’accueillir la demande de contrôle. Mes motifs suivront.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               Le 31 octobre 2007, la Commission a jugé que la crainte de Mme Aguilar d’être persécutée par son ex-conjoint de fait, Jorge, était fondée. Cependant, la Commission a conclu que les questions déterminantes portaient sur l’existence d’une protection de l’État et d’une PRI valable dans le district fédéral de la ville de Mexico.

 

[8]               La Commission a indiqué qu’il était important de tenir compte du fait que Mme Aguilar et Jorge ne formaient plus un couple pour décider si la demanderesse disposait d’une PRI. Elle a conclu que la demanderesse pouvait vivre en sécurité à Mexico où les victimes de violence conjugale peuvent bénéficier d’une protection.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[9]               La question est de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une PRI à Mexico.

 

NORME DE CONTRÔLE

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’à la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle, on « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[11]           Avant de décider s’il existe une PRI sûre, il faut examiner les faits et, pour cela, il y a lieu d’appliquer une norme fondée sur la retenue. Avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable aux questions liées à une PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741; Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 673; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 193.

 

[12]           Plus récemment, dans Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, aux paragraphes 21 et 22, le juge Russell a conclu que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à une PRI est celle de la décision raisonnable. Je serais du même avis. Compte tenu du caractère factuel de l’analyse d’une PRI, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard du décideur, sauf si la décision de la Commission a été tirée de façon abusive ou arbitraire (al. 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7), ou qu’elle n’est pas raisonnable du fait qu’elle n’appartient pas aux issues possibles, acceptables, pouvant se justifier au regard des faits et du droit (l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une PRI à Mexico?

[13]           Le critère permettant de vérifier l’existence d’une PRI a été établi dans Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 67. Il comporte deux volets : d’abord, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la région du pays dans laquelle elle conclut qu’il existe une PRI. Ensuite, les conditions dans la région du pays où elle a conclu qu’il existe une PRI doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que le demandeur y trouve refuge.

 

[14]           Mme Aguilar n’est pas originaire de Mexico mais d’Autlan, dans l’État de Jalisco, au Mexique. La Commission a axé son examen du caractère adéquat de la protection de l’État sur la possibilité d’un refuge intérieur, et elle a conclu que Mme Aguilar disposait d’une PRI sûre à Mexico. La Commission a fondé sa conclusion selon laquelle Mme Aguilar bénéficierait d’une PRI sûre à Mexico sur le fait que Jorge n’était plus intéressé à elle.

 

[15]           La Commission a écrit :

« Quand elle est allée à Nayarit et au Guatemala, ils étaient encore en couple. Il a maintenant donné la permission à la sœur de la demandeure d’asile de prendre ses effets personnels, ce qui laisse croire au tribunal qu’il accepte le fait qu’elle est partie. Le fait que Jorge vient à la maison des parents de la demandeure d’asile, de temps en temps, quand il est ivre n’indique pas qu’il s’attend sérieusement à la revoir ou qu’elle l’intéresse encore ». [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           La Commission considère davantage la situation comme simplement la fin d’une relation plutôt qu’une fuite pour cause de violence conjugale. Elle explique que Mme Aguilar et Jorge étaient encore en couple lorsque la demanderesse avait tenté de le laisser les deux dernières fois, mais qu’ils ne le sont plus, puisque Jorge a permis à la sœur de la demanderesse de venir chercher ses effets personnels. La Commission a tiré une conclusion contradictoire, sans preuve ou analyse, que Jorge n’était plus intéressé à elle, malgré ses visites en état d’ivresse à la maison de ses parents à elle et ses menaces à leur égard après avoir permis à la sœur de la demanderesse de venir chercher ses effets personnels. La Commission ne mentionne aucunement la lettre de la mère de la demanderesse qui signalait les efforts faits par Jorge pour connaître les allées et venues de sa fille. Elle n’examine pas les menaces de Jorge envers Mme Aguilar sur ce qu’il lui ferait si elle le quittait. Le comportement de Jorge, lorsqu’on l’examine dans le contexte de la dynamique d’une relation conjugale, démontre une obsession et un intérêt constants à l’égard de Mme Aguilar.

 

[17]           Mme Aguilar affirme que, comme Jorge est un homme riche et qu’il profite d’une influence politique, il serait en mesure de la retrouver. Il avait pu facilement la retrouver deux fois déjà après qu’elle eut essayé de s’enfuir : il l’a retrouvée lorsqu’elle s’était enfuie à Nayarit et ensuite au Guatemala. Dans l’exposé 2.4 : Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violence et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle de février 2007, on souligne au paragraphe 4.4 que les femmes fuyant des hommes en position de pouvoir courraient un plus grand risque d’être retrouvées. Dans son examen sur la protection de l’État offerte dans le district fédéral de Mexico, la Commission n’a pas tenu compte de la possibilité que Jorge la retrouve et la ramène à Autlan.

 

[18]           La Commission a tiré la conclusion de fait selon laquelle Jorge n’est plus intéressé à Mme Aguilar sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. Son analyse relative à une PRI à Mexico, fondée sur une erreur de fait, manque de rigueur, et je conclus donc qu’elle est déraisonnable.

 

[19]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il réexamine la question relative à l’existence d’une PRI valable.

2.                  Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                         IMM-4989-07

 

 

INTITULÉ :                                        Alba Ixtlaxochitl Pelayo Aguilar c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 18 juin 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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