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Date : 20081016

Dossier : T-1743-06

Référence : 2008 CF 1163

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2008

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

VICTOR KWONG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES

ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Victor Kwong cherche à faire annuler une décision de la Commission canadienne des droits de la personne par laquelle celle‑ci a rejeté sa plainte de discrimination fondée sur son invalidité. M. Kwong est d’avis qu’il a été exclu d’un programme d’aide aux travailleurs indépendants parrainé par le gouvernement après que les organisateurs n’eurent pas pris les mesures d’accommodement nécessaires à l’égard de son invalidité. Toutefois, après enquête, la Commission a conclu que la preuve n’étayait pas la plainte de M. Kwong. De plus, elle a conclu que M. Kwong avait été exclu du programme, non pas pour des motifs de discrimination, mais parce qu’il n’avait pas satisfait à ses exigences et n’avait pas étayé ses demandes d’accommodement avec des renseignements médicaux adéquats.

 

[2]               M. Kwong a rassemblé une quantité considérable de documents à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, chose qui doit être soulignée, notamment parce qu’il a fait tout ce travail lui‑même. J’ai examiné l’ensemble de ces documents. Je ne vois toutefois aucune raison d’annuler la décision de la Commission et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La demande de M. Kwong soulève les questions suivantes :

  1. La Commission l’a‑t‑elle traité de façon injuste?
  2. La décision de la Commission était‑elle raisonnable compte tenu de la preuve?

 

I.        Le contexte factuel

 

[4]               M. Kwong est incapable de travailler pendant de longues heures en raison de migraines répétées et de douleurs lombaires. Les migraines sont souvent causées par l’éclairage fluorescent ou par certains types d’écran d’ordinateur. Elles ont pour effet de brouiller sa vue.

 

[5]               En 2003, M. Kwong a demandé un soutien du revenu en vertu du Programme de bénéfices aux travailleurs indépendants. Le programme, dispensé par une tierce partie appelée Toronto Business Development Centre (TBDC), comporte normalement 52 semaines de soutien du revenu pendant lesquelles les participants reçoivent de l’aide afin de leur permettre d’élaborer des plans visant à réussir à devenir travailleur autonome. Le programme peut être prolongé jusqu’à 78 semaines pour les personnes ayant une déficience. De plus, les heures de travail hebdomadaires peuvent être réduites de 35 à 20 heures.

 

[6]               M. Kwong a été admis dans le programme en octobre 2003 pour une période de 52 semaines, à raison de 35 heures par semaine, pour élaborer un plan visant à créer une entreprise de conseiller en informatique. Il a signé une entente de contribution confirmant ces engagements et il a laissé en blanc les parties de l’entente portant sur les déficiences. Toutefois, M. Kwong avait déjà fait mention de sa situation aux responsables et il avait demandé qu’on lui fournisse un écran d’ordinateur à cristaux liquides ainsi qu’une chaise ergonomique. On lui a fourni ce matériel après un certain temps. Des discussions ont eu lieu quant à la possibilité d’une prorogation du programme peu de temps après la signature de l’entente, mais aucune mesure n’a alors été prise, ni par M. Kwong ni par TBDC, afin de modifier le programme. L’entente prévoyait que le défendeur pouvait y mettre fin si M. Kwong ne respectait pas ses exigences, notamment la soumission en temps opportun d’un plan d’affaires acceptable.

 

[7]               Le plan d’affaires de M. Kwong devait être soumis en décembre 2003. TBDC l’a informé en janvier 2004 que son plan n’avait pas encore était soumis et lui a accordé jusqu'à la fin de janvier pour le soumettre. M. Kwong a alors de nouveau demandé que ses heures de travail soient réduites et que la durée du programme soit augmentée à 78 semaines. Au cours des mois qui ont suivi, une série d’échanges de courriels entre M. Kwong et les responsables du programme ont clairement établi que le défendeur était prêt à répondre à la demande de M. Kwong pourvu qu’elle soit soumise par écrit et étayée par une opinion médicale. Le défendeur a également précisé que la prorogation du délai dépendait de la soumission par M. Kwong de son plan d’affaires.

 

[8]               Les parties ont abouti à une impasse en juin 2004. M. Kwong avait soumis un certain nombre de documents à l’appui de sa demande mais rien qui indiquait qu’il avait besoin de plus de temps pour terminer son programme. Le défendeur a réitéré sa demande à M. Kwong de soumettre son plan d’affaires avant d’accueillir sa demande de prorogation de délai. M. Kwong a refusé. Le 16 juin 2004, le défendeur a mis fin à la participation de M. Kwong au programme. Néanmoins, le défendeur a encouragé M. Kwong à s’enrôler dans un autre programme avant que son admissibilité à des prestations ne prenne fin et lui a offert son aide à cet égard. M. Kwong n’était pas intéressé parce qu’il aurait dû refaire des parties du programme qu’il avait déjà faites. Il a continué à demander que le programme initial soit prorogé. Comme cette demande est demeurée sans réponse, il a déposé sa plainte de discrimination à la Commission.

 

II.     La décision de la Commission

 

[9]               Un enquêteur de la Commission a examiné la preuve et il a conclu qu’on avait mis fin à la participation de M. Kwong au programme parce qu’il ne s’était pas conformé à ses exigences et non pas pour des motifs de discrimination. L’enquêteur a notamment souligné que les représentants semblaient disposés à accorder à M. Kwong la prorogation de délai et la diminution des heures de travail qu’il demandait, pourvu qu’il fasse sa demande par écrit et qu’il fournisse un certain nombre de documents médicaux à l’appui. Finalement, en mai 2004, M. Kwong a présenté une demande écrite à laquelle il a joint des évaluations faites par un ergothérapeute entre 1999 et 2000. Aucune de ces évaluations ne mentionnait que M. Kwong était incapable de travailler à temps plein. M. Kwong a également soumis un billet du médecin daté du 30 avril 2004 qui mentionnait tout simplement que les migraines de M. Kwong étaient accompagnées de « symptômes visuels ».

[10]           Dans les circonstances, l’enquêteur a conclu que la preuve n’étayait pas la plainte de M. Kwong selon laquelle on avait mis fin à sa participation au programme en raison de sa demande d’accommodement. La preuve a plutôt démontré qu’il avait été mis fin à la participation de M. Kwong parce qu’il n’avait fourni aucun plan d’affaires.

 

[11]           Après avoir examiné le rapport de l’enquêteur et les observations de M. Kwong sur celui‑ci (le défendeur n’en a fait aucune), la Commission a accepté la conclusion de l’enquêteur. Elle a rejeté la plainte de M. Kwong parce qu’il n’était pas justifié de tenir une autre enquête (Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, sous‑alinéa 44(3)b)(i); voir l’annexe).

 

III.   La Commission a‑t‑elle traité M. Kwong de façon injuste?

 

[12]           M. Kwong prétend que l’enquêteur n’a pas tenu compte d’une question importante – la question de savoir si la politique du défendeur en matière d’accommodement était convenable. M. Kwong prétend que la procédure de demande d’octroi de mesures d’accommodement quant à une déficience n’était pas claire et que, par conséquent, il ne savait pas quand ou comment il était censé présenter sa demande. Compte tenu que la Commission s’est fiée à la conclusion de l’enquêteur, elle n’a pas examiné sa plainte de façon équitable.

 

[13]           Le défendeur prétend que l’enquêteur a correctement examiné les faits et a conclu à juste titre que rien ne prouvait que M. Kwong avait été traité de façon différente en raison de sa déficience. Compte tenu de cette conclusion, l’enquêteur n’avait pas à examiner si la politique du défendeur en matière d’accommodement était convenable. De plus, le défendeur prétend que M. Kwong a été traité équitablement tout au long des procédures car il a eu amplement l’occasion de soumettre des éléments de preuve à l’enquêteur et de présenter des observations à la Commission.

 

[14]           À mon avis, l’enquêteur a examiné en détail les faits pertinents et il a expliqué sa conclusion selon laquelle la plainte de discrimination de M. Kwong n’était pas étayée par la preuve. Selon moi, l’affirmation de M. Kwong selon laquelle l’enquêteur n’a pas tenu compte d’une question importante ou que l’enquêteur ne l’a pas traité de façon équitable est sans fondement.

 

IV.  La décision de la Commission était‑elle raisonnable compte tenu de la preuve?

 

[15]           M. Kwong se dit très déçu de la manière selon laquelle il a été traité par le défendeur et prétend que la Commission n’a pas bien compris sa situation. Il souligne notamment que le défendeur s’attendait à ce qu’il soulève la question de la prorogation de délai dès le début du programme, or, lorsqu’il l’a fait (en octobre 2003), on lui a dit de soulever cette question plus tard. De plus, il mentionne que le défendeur souligne le fait qu’il avait signé une entente de participation à un programme de 52 semaines, à raison de 35 heures par semaine, mais que le défendeur n’avait mis en place aucun mécanisme grâce auquel il aurait pu demander une prorogation du programme avant de signer l’entente. M. Kwong se demande également pourquoi le défendeur a insisté pour qu’il soumette son plan d’affaires avant de lui accorder une prorogation. Il m’a expliqué qu’il devait insérer un plan d’accommodement quant à sa déficience dans son plan d’affaires parce qu’il savait que lorsqu’il serait travailleur indépendant, sa capacité à travailler de longues heures devant un terminal d’ordinateur serait limitée. Autrement dit, son plan d’affaires et son plan d’accommodement étaient étroitement liés. Il avait besoin que le défendeur lui permette de s’adapter aux exigences du programme en fonction de ses besoins et lui permette de répondre à ceux‑ci dans son plan d’affaires. En fait, en lui demandant de soumettre son plan d’affaires, M. Kwong prétend que le défendeur lui demandait de démontrer qu’il n’avait besoin d’aucun accommodement quant à sa déficience avant de lui accorder l’accommodement qu’il demandait. Comme il me l’a expliqué, il avait l’impression d’avoir été entraîné « dans une spirale » dont il ne pouvait plus sortir.

 

[16]           Devant moi, M. Kwong a également prétendu qu’il a bel et bien soumis un plan d’affaires en janvier 2004 mais que celui‑ci a été rejeté parce qu’il traitait de questions relatives à sa déficience. Il m’a soumis une partie du plan d’affaires mais rien qui étayait son allégation selon laquelle le plan d’affaires avait été rejeté parce qu’il faisait mention de sa déficience. Il ne semble pas non plus qu’aucune preuve en ce sens n’ait été fournie à l’enquêteur. Le plan d’affaires partiel comprend les notes de l’enquêteur, dont certaines mentionnent qu’il ne savait pas exactement pourquoi M. Kwong avait inclus des déclarations générales à propos de sa déficience et qu’il avait omis de mentionner des détails quant à la manière selon laquelle il démarrerait son entreprise. Je ne vois aucun fondement à la prétention de M. Kwong selon laquelle son plan d’affaires a été rejeté parce qu’il désirait y inclure une stratégie d’accommodement quant à sa déficience.

 

[17]           M. Kwong affirme que l’obligation de soumettre un plan d’affaires, en soi, lui créait une barrière. Ce n’est qu’en mars 2004 qu’il a reçu un écran à affichage à cristaux liquides. À un certain moment, la chaise ergonomique aurait été volée. Dans les circonstances, M. Kwong affirme qu’on aurait dû tout simplement lui accorder une prorogation suite à sa demande et, le cas échéant, lui permettre de soumettre son plan à une date ultérieure. En fait, il affirme qu’il aurait été raisonnable que le défendeur prépare pour lui un plan d’affaires. Toutefois, rien au dossier n’indique que les difficultés de M. Kwong à soumettre un plan d’affaires étaient liées aux retards dans la livraison de l’écran et de la chaise. Il n’a fait mention de cet élément qu’à la date à laquelle le plan d’affaires devait être soumis.

 

[18]           M. Kwong conteste l’affirmation du défendeur selon laquelle sa décision de résilier l’entente était due à son défaut de soumettre un plan d’affaires. Au contraire, il affirme que la décision de mettre fin à sa participation au programme a été prise en mars 2004 (et non pas en juin), avant même qu’on lui demande de fournir des preuves médicales quant à sa demande de prorogation. De plus, il affirme que la demande de soumission de documents médicaux violait son droit à la vie privée. Encore une fois, à mon avis, rien au dossier n’étaye la prétention de M. Kwong concernant le moment auquel la décision de mettre fin à l’entente a été prise. De plus, à mon avis, la demande de renseignements médicaux ne violait pas les droits à la vie privée de M. Kwong.

 

[19]           Il m’apparaît évident que, en l’espèce, il y a eu manque de communication – de part et d’autre. Le défendeur aurait pu clarifier le processus d’obtention d’une prorogation du programme à heures réduites. M. Kwong aurait pu clarifier sa situation personnelle et, selon lui, la relation entre sa demande d’accommodement sous la forme d’une prorogation et son plan d’affaires. Il aurait pu étayer sa demande avec les documents appropriés.

 

[20]           La question que je dois toutefois trancher est celle qui consiste à savoir s’il était déraisonnable que la Commission conclut qu’une enquête sur la plainte de M. Kwong n’était pas justifiée. Selon moi, compte tenu de la preuve dont je suis saisi, la conclusion de la Commission était raisonnable. La preuve recueillie par l’enquêteur indiquait que le défendeur était disposé à accepter le plan d’affaires de M. Kwong jusqu’au 14 juin 2004 ce qui, en soi, équivalait à une prorogation de 26 semaines. Le défendeur semblait disposer à proroger la participation de M. Kwong au programme à la condition qu’il soumette les documents médicaux pertinents à sa demande et que, en soumettant son plan d’affaires, il démontre qu’il était capable de réussir le programme. Le défendeur était également disposé à aider M. Kwong à s’inscrire à un autre programme avant que son admissibilité aux prestations ne prenne fin. Compte tenu de la preuve, la Commission pouvait raisonnablement conclure que la plainte de discrimination de M. Kwong n’était pas étayée par la preuve et ne justifiait pas la tenue d’une enquête.

 

V.     Conclusion

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Kwong est rejetée. À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle on a mis fin à sa participation au programme parce qu’il ne s’était pas conformé aux exigences du programme et qu’il n’avait pas soumis les renseignements médicaux étayant sa demande de prorogation n’était pas déraisonnable. Aucuns dépens ne sont adjugés.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


Annexe A

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R., 1985, ch. H-6

 

Rapport

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

[…]

 

Idem

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

[…]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

Canadian Human Rights Act, R.S.C. 1985, c. H-6,

 

Report

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Idem

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted,

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T- 1743-06

                                                           

 

INTITULÉ :                                       VICTOR KWONG c. LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Victor Kwong

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Sharon McGovern

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Victor Kwong

Toronto (Ontario)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

John Sims, c.r.

Sous‑procureur général

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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