Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081015

Dossier : IMM-1027-08

Référence : 2008 CF 1168

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

 

 

ENTRE :

FANG CHEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), datée du 11 février 2008, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

L’HISTORIQUE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine âgé de 27 ans qui prétend être persécuté par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en raison de son appartenance à une église chrétienne clandestine.

 

[3]               Le demandeur prétend qu’il est devenu membre de cette église le 28 septembre 2003 et qu’il a assisté à des réunions hebdomadaires chez d’autres membres, et ce, jusqu’à son arrivée au Canada avec un visa d’étudiant le 4 janvier 2004. Il s’est inscrit au programme d’anglais, langue seconde (ALS) au George Brown College à Toronto. Il a suivi des cours du 4 janvier au 13 août 2004 et il a réussi le cours de troisième niveau, mais pas le cours de quatrième niveau malgré qu’il s’y soit inscrit à trois reprises.

 

[4]               Il est retourné en Chine en août 2004 en raison de la santé chancelante de son grand‑père. Il a quitté la Chine après le décès de ce dernier en octobre 2004. À son retour au Canada, il a tenté de s’inscrire au collège susmentionné en octobre, mais il s’est fait dire qu’il n’y avait plus de place. Il a demandé l’asile le 8 novembre 2004.

 

[5]               En résumé, le demandeur a réussi un seul cours (il a obtenu une note de C-) en anglais durant son séjour au Canada. Il prétend que, le 24 octobre 2004, sa mère lui a dit que trois membres de l’église clandestine avaient été arrêtés en Chine et que des membres du BSP étaient à sa recherche.

 

[6]               Dans une décision rendue le 8 mai 2006, la demande d’asile du demandeur a été rejetée. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a cependant été accueillie le 8 mars 2007. Le juge Robert Barnes, de la présente Cour, a conclu que la demande devrait être tranchée de nouveau parce que les conclusions relatives à la crédibilité étaient erronées.

 

 

LA DÉCISION DU 11 FÉVRIER 2008

[7]               Les deux commissaires de la SPR sont arrivés à la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé de façon satisfaisante qu’il appartenait à une église clandestine parce qu’il avait été incapable de décrire de façon suffisamment précise le déroulement d’un office religieux habituel. Les points suivants étaient sources de préoccupation : le demandeur a déclaré que l’organisateur lisait le Notre Père plutôt que de le réciter; il n’a pas mentionné, sauf quand on le lui a demandé directement, qu’on lisait la Bible à l’église; il a déclaré que la Bible mentionnait que seuls les pasteurs ont le droit de donner la bénédiction; il a déclaré que le mariage n’était pas un sacrement (Dossier du tribunal, ligne 46, à la page 242).

 

[8]               La commissaire de la SPR, Diane Tinker, dans sa décision du 11 février 2008, a également conclu que le demandeur n’était pas un véritable étudiant parce que lorsqu’il était au Canada, il n’a réussi qu’un seul cours d’anglais. Elle a tiré une conclusion défavorable du fait que ce n’est qu’en novembre 2004 que le demandeur a présenté sa demande d’asile, c’est‑à‑dire après que son statut d’étudiant eut expiré.

 

LA QUESTION EN LITIGE

  1. La commissaire de la SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur et du caractère véritable de son statut d’étudiant?

La norme de contrôle applicable

[9]               La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, a prescrit qu’il existait deux normes de contrôle judiciaire : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable.

 

[10]           La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit, d’équité procédurale et de justice naturelle alors que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait ou mixtes de fait et de droit.

 

[11]           Lorsque la question en litige comporte des questions de fait ou de droit appliquées à des faits, une demande de contrôle judiciaire ne sera pas accueillie si la décision fait partie des appréciations des faits acceptables.

 

[12]           La présente affaire ne comporte qu’une détermination des faits; par conséquent, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Les conclusions du tribunal au vu des faits sont essentiellement des conclusions relatives à la crédibilité et, à ce titre, elles commandent un degré élevé de retenue judiciaire, d’autant plus que le demandeur a eu l’occasion d’expliquer sa demande dans une audience.

 

[13]           La prétendue erreur entraînée par le défaut d’examiner si le demandeur était vraiment membre d’une église chrétienne au Canada est assujettie à la norme de la décision raisonnable et ne devrait être modifiée que si les faits ont été mal compris ou mal interprétés à l’extérieur des issues possibles acceptables (Vilmond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 926, au paragraphe 14).

 

LES ERREURS ALLÉGUÉES

La description des offices religieux

[14]           Le demandeur prétend que la commissaire a déformé des éléments de preuve ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve concernant la description qu’il a faite des offices religieux, particulièrement les mots « lire » et « réciter » ainsi que l’explication du traducteur concernant ces mots. Il invoque la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, pour faire valoir que les attentes de la commissaire quant aux connaissances doctrinales du demandeur et quant à la description qu’il a faite étaient déraisonnablement élevées. Il prétend également qu’on a effectué un examen à la loupe des éléments de preuve.

 

[15]           Le défendeur rétorque que les conclusions tirées par la commissaire quant à la crédibilité découlaient du témoignage peu vraisemblable du demandeur, lequel permettait de douter de l’ensemble de son récit. L’explication du traducteur n’a pas amélioré ou rétabli la crédibilité du demandeur.

 

[16]           Le défendeur fait une distinction entre la décision Huang et la présente affaire parce que le demandeur dans cette affaire provenait d’une région rurale de Chine et n’avait que sept ans de scolarité. Dans la présente affaire, le demandeur a fait des études secondaires et il compte en tout 12 années d’études.

 

L’ANALYSE

[17]           Selon moi, les présumées erreurs figurant dans les conclusions tirées par la commissaire quant à la crédibilité n’existent pas. De plus, constatant qu’on doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la commissaire, je crois que ses conclusions appartiennent aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits établis. Outre la question de la religion, le témoignage du demandeur est vague; il n’a pas répondu de manière adéquate aux questions pertinentes, comme par exemple pourquoi il avait obtenu un passeport en 1999 pour aucune raison précise et qu’il l’avait renouvelé en 2003 alors qu’il était encore valide pour un an.

 

[18]           Il est facile de faire une distinction entre la décision Huang et la présente affaire parce que M. Huang était peu instruit et que la SPR dans cette affaire a trop insisté sur un certain nombre d’erreurs ou de malentendus. Ce genre d’analyse à la loupe a été critiqué dans l’arrêt Attakora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.), [1989] A.C.F. no 444.

 

L’IDENTITÉ CHRÉTIENNE DU DEMANDEUR AU CANADA

[19]           Le demandeur prétend que, selon la décision Huang, susmentionnée, et la décision Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 266, la commissaire de la SPR était tenue de vérifier si M. Chen était membre d’une église chrétienne au Canada, peu importe ses conclusions concernant l’église clandestine en Chine.

 

[20]           Le défendeur répond que la commissaire n’a commis aucune erreur dans sa décision selon laquelle le demandeur pouvait avoir acquis des connaissances sur la religion chrétienne lorsqu’il assistait à des offices religieux pendant qu’il était au Canada. La commissaire a déclaré que, en Chine, il n’est pas illégal de pratiquer la religion chrétienne si l’église est enregistrée.

 

DISCUSSION

[21]           La plupart des questions et des sous‑questions soulevées en l’espèce ont fait l’objet d’une discussion exhaustive dans la décision Huang qui prétendait suivre la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480. Dans cette dernière affaire, il était question d’un membre du Falun Gong, une secte qui n’est pas considérée comme étant une religion en Chine mais qui est illégale et qui est reconnue comme faisant l’objet de persécution en Chine. 

[22]           La jurisprudence établit clairement une distinction entre les situations mettant en cause des églises chrétiennes enregistrées et des églises chrétiennes non enregistrées en Chine et les situations mettant en cause des adeptes du Falun Gong. Le juge Teitlebaum, dans deux décisions récentes, a été saisi des deux situations. La décision Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1043, comportait une situation semblable à celle en l’espèce, c’est‑à‑dire qu’il était question d’une personne originaire de la Chine qui prétendait appartenir à une église chrétienne clandestine. Le juge Teitlebaum a rejeté la demande de contrôle judiciaire car il a conclu que, d’après la preuve, la décision de la Commission selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger était bien fondée.

 

[23]           Dans une autre affaire dans laquelle il était question d’un citoyen chinois qui pratiquait le Falun Gong, le juge Teitlebaum, pour des raisons semblables, a également rejeté la demande (Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, et Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 775).

 

[24]           Dans la décision Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1056, le juge Campbell, saisi de faits semblables aux faits en l’espèce, a accueilli la demande car il était d’avis que le commissaire avait tiré des conclusions de fait inacceptables relativement à la connaissance du demandeur des principes de l’église pentecôtiste chrétienne.

 

[25]           Chaque cas est un cas d’espèce. Toutefois, en toute déférence pour l’opinion contraire, je souscris au raisonnement du juge Teitlebaum dans les affaires susmentionnées, notamment à cause de la justification discutée, mais également parce que les trois demandeurs étaient tous de nationalité chinoise et parce qu’il était question d’églises clandestines en Chine et de la façon dont elles étaient traitées.

 

[26]           Selon moi, les mêmes arguments et le même raisonnement s’appliquent à la décision de la SPR dont il est question en l’espèce. La décision de la commissaire portait principalement sur la question de l’appartenance religieuse du demandeur en Chine ou au Canada et elle a conclu qu’il n’a jamais appartenu à une église chrétienne clandestine en Chine.

 

[27]           La commissaire a fondé ses conclusions relatives à la crédibilité et à l’invraisemblance sur l’ensemble de la preuve, notamment sur le fait que le demandeur n’était pas un véritable étudiant au Canada et qu’il n’a demandé l’asile qu’après que son statut d’étudiant eut expiré.

 

[28]           La Section du statut de réfugié est le principal juge des faits et la commissaire a donné de nombreuses raisons pour lesquelles elle a estimé que le demandeur n’était pas crédible.

 

[29]           Dans un tel cas, la Cour ne devrait pas modifier de telles conclusions, même si je ne souscris pas à toutes les conclusions tirées par la commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N .R. 315 (C.A.F.) et Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1990), 3 C.F. 238 (C.A.F.), à la page 244).

 

CONCLUSION

[30]           Selon la remarque incidente formulée dans l’arrêt Dunsmuir, susmentionné, si la décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits établis, un tribunal ne doit pas la modifier. C’est le cas en l’espèce; la demande doit donc être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

  1. La demande est rejetée;
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1027-08

 

INTITULÉ :                                       FANG CHEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er octobre 2008     

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 15 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

POUR LE DEMANDEUR

 

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Korman

Otis & Korman

41, avenue Madison

Toronto (ON)  M5R 2S2

Téléc. : (416) 979-3778

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice

Tour Exchange

130, rue King Ouest, bureau 3400, B.P. 36

Toronto (ON)  M5X 1K6

Téléc. : (416) 954-8982

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.