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Date : 20081016

Dossier : IMM-1604-08

Référence : 2008 CF 1172

Toronto (Ontario), le 16 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

KEUN SUP JIN

défendeur 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il ne s’agissait pas d’un mariage d’amour, mais plutôt d’un marché : il voulait un fils, un héritier; elle voulait un statut au Canada. Malgré ces desiderata matérialistes, la Section d’appel de l’immigration (le Tribunal) a conclu que le mariage était authentique. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande d’annulation de la décision du Tribunal présentée par le ministre.

 

Le contexte

[2]               M. Jin est âgé de 73 ans. Il est né en Corée, mais il demeure au Canada. Il est citoyen des deux pays. Il a affirmé dans son témoignage que son premier mariage, avec Jeong Soon Han, lequel a duré près de 40 ans, avait été arrangé par leurs parents. Ils se sont mariés en 1961 et ont apparemment eu deux enfants, un fils et une fille. M. Jin et sa fille ne s’adressent plus la parole. Son fils, Bong Ho Jin, s’est suicidé en 1993, à l’âge de 30 ans. M. Jin, qui voulait un héritier, a proposé à sa femme d’adopter un garçon, ce qu’elle a refusé, précipitant ainsi leur séparation. Ils ont formellement divorcé en l’an 2000.

 

[3]               M. Jin a affirmé qu’il avait fait la connaissance de sa seconde épouse, Chun Ox Kim, dans une maison de pension à Toronto en avril 1998. Tous deux y demeuraient : M. Jin en raison de l’échec du mariage avec sa première épouse, et Mme Kim parce qu’elle voulait vivre de façon permanente en Amérique du Nord. Dès la première semaine suivant leur rencontre, M. Jin et Mme Kim parlaient déjà de mariage et du souhait de M. Jin d’avoir un fils. Ils se sont finalement mariés en mars 2001, lors d’un voyage de Mme Kim au Canada.

 

[4]               Mme Kim est de 25 ans la cadette de M. Jin, et elle a un passé intéressant. Elle est née en Chine, où elle a marié son premier époux. Elle a affirmé que ce mariage avait été arrangé par sa famille. Mme Kim et son mari ont divorcé en mai 1995, mais une fille était née du mariage. Le père a d’abord obtenu la garde de sa fille, mais cela a changé en l’an 2000, après que Mme Kim et M. Jin eurent fait connaissance. À partir de ce moment, Mme Kim a eu la garde de sa fille, qui étudie actuellement à l’université en Corée.

 

[5]               Mme Kim a marié son deuxième époux, Jaeyeol Cho, en novembre 1995. Elle a affirmé que ce mariage avait été arrangé par un partenaire d’affaires de son père. M. Cho est citoyen de la Corée. Le Tribunal a conclu qu’au moins une des raisons pour lesquelles elle avait marié M. Cho était pour pouvoir entrer en Corée. Le mariage a rapidement battu de l’aile, et il s’est soldé par leur premier divorce en mai 1999.

 

[6]               À la suite de sa séparation d’avec M. Cho, Mme Kim a, en 1998, payé un passeur pour pouvoir se rendre aux États‑Unis : elle avait espoir d’y faire un peu d’argent. Elle a apparemment été amenée jusqu’au Mexique, mais elle s’est rendu compte que l’entente était une arnaque et elle avait le sentiment qu’elle s’exposerait à un danger si elle tentait de traverser la frontière entre le Mexique et les États‑Unis. Elle a par la suite décidé de venir au Canada, où elle pouvait entrer sans visa. Elle a fait la connaissance de M. Jin à la maison de pension où elle s’est retrouvée, ils ont conclu leur marché et elle est retournée en Corée.

 

[7]               M. Kim a remarié M. Cho en novembre 2000 pour une unique raison : faciliter l’adoption d’un garçon, Seung Joon Jin, qui a par la suite été déclaré en Corée comme étant le fils de M. Jin et de Mme Kim. En janvier 2001, Mme Kim et M. Cho ont divorcé une seconde fois.

 

[8]               La première demande de parrainage présentée par M. Jin pour que son épouse puisse entrer au Canada à titre de résidente permanente, a été rejetée en janvier 2002. En novembre 2002, M. Jin a retiré l’appel interjeté à l’égard de ce rejet. Le Tribunal a conclu que le retrait de la demande était peut‑être dû au fait que la demande incluait la fille de Mme Kim, laquelle avait des problèmes de santé. La fille de Mme Kim n’était pas mentionnée dans la seconde demande de résidence permanente, dont découle la présente demande de contrôle.

 

[9]               La seconde demande de résidence permanente a également été rejetée par un agent. Cependant, l’appel interjeté au Tribunal a été accueilli par une décision rendue le 6 mars 2008. Le Tribunal a estimé que le mariage avait été conclu en vue de faire entrer Mme Kim au Canada; cependant, il a également estimé que cette union de sept ans était authentique et que, par conséquent, l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), ne s’appliquait pas; le texte de l’article 4 se lit comme suit :

 

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

 

Les questions en litige

[10]           Le ministre, demandeur en l’espèce, affirme que la Cour doit trancher deux questions dans la présente affaire :

a)      En concluant que le mariage était authentique, le Tribunal a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation de l’article 4 du Règlement?

b)      Le Tribunal a‑t‑il omis d’apprécier la crédibilité des témoins, ou a‑t‑il tiré des conclusions de fait abusives ou arbitraires?

 

Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation de l’article 4 du Règlement?

[11]           Le ministre allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation du Règlement. Le Tribunal a estimé que M. Jin et Mme Kim avaient conclu un mariage de type donnant, donnant : M. Jin voulait avoir un fils, un héritier, et Mme Kim voulait obtenir un statut au Canada. Le ministre soutient que le Tribunal a effectivement conclu que, étant donné que les époux avaient gardé et poursuivi leur objectif, à savoir que Mme Kim obtienne un statut au Canada, le mariage conclu entre eux était authentique. Le ministre allègue qu’une telle interprétation va à l’encontre de l’objet de l’article 4 du Règlement, qui est de protéger l’intégrité du régime d’immigration du Canada.

 

[12]           Si le Tribunal avait conclu que le mariage était authentique en raison d’un seul motif – que pendant sept ans, le couple avait gardé et poursuivi son objectif, à savoir que Mme Kim obtienne un statut au Canada – je partagerais l’avis du ministre. Cependant, la conclusion du Tribunal s’appuyait sur d’autres motifs.

 

[13]           Bien qu’il eût conclu que les deux époux avaient tiré avantage de la relation – M. Jin a eu un fils et Mme Kim a obtenu une sécurité financière –, le Tribunal était convaincu que Mme Kim « poursuivra sa relation avec [M. Jin] et qu’il est peu probable qu’elle mette fin au mariage si elle est admise au Canada, et même si elle ne l’est pas » [non souligné dans l’original]. Le Tribunal a tiré cette conclusion pour les motifs suivants : a) ils avaient été mariés pendant sept ans; b) ils avaient adopté un enfant; c) ils se voyaient régulièrement; d) M. Jin avait fourni une aide financière substantielle à Mme Kim; e) ils avaient d’abord tenté d’avoir un enfant ensemble, pour ensuite avoir recours à l’adoption – Mme Kim avait même dû se remarier avec son ancien époux pour cela – et ils se sont finalement mariés au Canada, à la suite de quoi ils ont déclaré en Corée être les parents de leur fils adoptif. Pour reprendre les mots du Tribunal, « si [M. Jim] et [Mme Kim] poursuivent leur relation et demeurent mariés, les faits confirment l’authenticité de leur mariage ». Le Tribunal, sur le fondement de la preuve, a conclu que l’union tiendrait.

 

[14]           Comme l’a souligné le juge Hughes au paragraphe 14 de la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1875, 2006 CF 1490, « le caractère authentique de la relation est révélé si cette relation est partagée et qu’elle indique une certaine permanence, une interdépendance, un partage des responsabilités et un engagement sérieux ». À mon avis, il s’agit du critère applicable, et le Tribunal a examiné le mariage au regard de ce critère. Le Tribunal n’a pas interprété ou appliqué le Règlement de façon erronée.

 

Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en omettant d’apprécier la crédibilité des témoins?

[15]           Le ministre soutient que le Tribunal n’a pas correctement apprécié la crédibilité des témoignages de M. Jin et de Mme Kim ou qu’il n’a aucunement apprécié leur crédibilité. Sur le fondement de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nyari, [2002] A.C.F. no 1312, 2002 CFPI 979, le ministre allègue que cela constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[16]           À cet égard, le ministre a relevé un certain nombre d’incohérences, de différences et de contradictions dans les témoignages (les incohérences) de M. Jin et de Mme Kim, et il soutient qu’elles étaient importantes eu égard aux questions dont était saisi le Tribunal. Selon le ministre, l’omission du Tribunal de tenir compte des incohérences dans les témoignages et d’apprécier la crédibilité de M. Jin et de Mme Kim en conséquence, fait en sorte que les conclusions de fait découlant des témoignages sont abusives ou arbitraires.

 

[17]           La Cour souligne que le Tribunal a bien examiné la question soulevée par le ministre, bien que de façon plutôt sommaire. Le Tribunal a écrit ce qui suit :

Le tribunal a entendu des témoignages sur d’autres questions. Les récits comportaient un certain nombre d’incohérences, notamment le fait que la demandeure avait commencé par dire à l’agent des visas qu’elle avait donné naissance à l’enfant de l’appelant avant d’admettre que l’enfant était adopté. La preuve entourant l’adoption, par exemple la raison pour laquelle l’appelant ne pouvait épouser la demandeure et adopter lui-même l’enfant, n’était pas parfaitement limpide. En outre, nul n’a jamais expliqué clairement comment le garçon s’est retrouvé inscrit dans le livret de famille de l’appelant comme son fils biologique. Toutefois, ces facteurs n’infirment pas la conclusion du tribunal : le mariage de l’appelant et de la demandeure est durable et il durera probablement, que la demandeure vienne ou non au Canada.

 

[18]           Même s’il aurait été préférable que le Tribunal procédât à une analyse plus approfondie, je ne peux être d’accord avec le ministre, selon qui l’analyse succincte du Tribunal constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[19]           Le ministre conteste également la conclusion du Tribunal selon laquelle la relation se poursuivra, affirmant que cette conclusion a pour seul fondement la déclaration que Mme Kim a faite à un agent des visas : [traduction] « elle est avec lui depuis si longtemps, leur enfant grandit, son mari subvient à ses besoins et à ceux de l’enfant depuis plusieurs années, elle ne peut le quitter ».  Cependant, une lecture attentive de la décision du Tribunal révèle que le Tribunal ne s’est pas seulement fondé sur le témoignage de Mme Kim lorsqu’il a tiré la conclusion selon laquelle la relation se poursuivrait. Le Tribunal a écrit ce qui suit en ce qui concerne la relation :

Ce genre de mariage donnant, donnant est très répandu, avec des degrés divers d’amour ou d’affection. Le tribunal considère que c’est à cette dynamique que cette relation obéit et, même si la demandeure vise des fins d’immigration, le tribunal arrive difficilement à imaginer qu’elle mette fin au mariage si elle devait être admise au Canada ou même si elle ne le devait pas compte tenu des avantages qu’elle tire de la relation. Or, si l’appelant et la demandeure poursuivent leur relation et demeurent mariés, les faits confirment l’authenticité de leur mariage. [Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Les avantages que Mme Kim retire de la relation – un fils et une sécurité financière – ressortaient clairement de la preuve documentaire dont disposait le Tribunal en plus du témoignage de M. Jin et Mme Kim. Par conséquent, une évaluation de la crédibilité générale n’était pas essentielle à la question que devait trancher le Tribunal, soit la question de savoir si la relation se poursuivrait.

 

[21]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification. Sur le fondement des faits de l’espèce, aucune question ne doit être certifiée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         que la présente demande est rejetée;

2.         qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1604-08

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. KEUN SUP JIN                                                                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 OCTOBRE 2008

                                                                                               

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen H. Gold

POUR LE DEMANDEUR

 

Ronald Shacter

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Helen S. Kim

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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