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Date : 20081002

Dossier : T‑18‑08

Référence : 2008 CF 1104

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

PARMALAT CANADA INC.

 

demanderesse

 

et

 

 

SYSCO CORPORATION

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Par cette demande de contrôle judiciaire, Parmalat Canada Inc. (Parmalat) voudrait faire annuler la décision rendue le 6 décembre 2007 par Jean Carrière, un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (la COMC, l’agent d’audience ou le tribunal), qui, dans l’exercice du pouvoir qui lui a été délégué par le registraire des marques de commerce (le registraire), a rejeté la demande de Parmalat datée du 25 juillet 2007, dans laquelle Parmalat sollicitait l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition à la requête de Sysco Corporation (Sysco), déposée le 3 mai 2002, qui voulait faire enregistrer la marque de commerce BLACK DIAMOND, en liaison avec une diversité de marchandises, dont des ustensiles de cuisine, par exemple de la coutellerie, à savoir des fourchettes, des couteaux et des cuillères de table en acier inoxydable, ainsi que des vêtements de cuisinier, notamment des toques, des tabliers, des pantalons et des vestons, outre les batteries de cuisine et poêles à frire distribuées aux fournisseurs de services alimentaires pour utilisation dans la restauration. Sysco fondait sa demande sur l’enregistrement et l’utilisation de la marque aux États‑Unis.

 

[2]               Selon l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce (le Règlement), Parmalat devait obtenir l’autorisation du registraire pour modifier sa déclaration d’opposition. La modification avait pour objet d’ajouter un nouveau motif d’opposition.

 

[3]               Cette demande de contrôle judiciaire donne lieu aux questions en litige suivantes :

 

1.    La décision du tribunal étant une décision interlocutoire, la Cour devrait‑elle statuer sur cette demande de contrôle judiciaire, compte tenu de la jurisprudence établie selon laquelle les décisions interlocutoires ne peuvent pas être réformées à la faveur d’un appel ou d’une procédure de contrôle judiciaire, sauf circonstances exceptionnelles?

 

2.    Si la décision est susceptible de contrôle judiciaire, quelle norme de contrôle faut‑il appliquer?

 

3.    Le tribunal a‑t‑il commis des erreurs susceptibles de contrôle?

 

Le contexte

[4]               Parmalat est le titulaire enregistré de plusieurs marques de commerce auparavant utilisées et annoncées au Canada, notamment BLACK DIAMOND, BLACK DIAMOND & DESIGN, BLACK DIAMOND SPECIALTY SERIES & DESIGN. La marque BLACK DIAMOND est enregistrée au Canada depuis 1933 en liaison avec des fromages et produits alimentaires prenant la forme de trempettes, de tartinades, de fondues ou de crème sûre. La marque BLACK DIAMOND SPECIALTY SERIES & DESIGN a été enregistrée en novembre 2001 en liaison avec des articles promotionnels liés au fromage, à savoir T‑shirts, sweat‑shirts et casquettes.

 

[5]               Parmalat a déposé sa déclaration d’opposition le 4 mai 2004. Cette opposition était fondée sur plusieurs motifs, dont une confusion avec la famille des marques de commerce BLACK DIAMOND de Parmalat enregistrées pour utilisation, comme indiqué ci‑dessus, en liaison avec des marchandises, dont les fromages et produits connexes et les articles promotionnels.

 

[6]               Après le dépôt de sa déclaration d’opposition, Parmalat a obtenu, en marge de pourparlers de règlement, et sur consentement, plusieurs prorogations de délai pour le dépôt de sa preuve concernant l’opposition.

 

[7]               Le 2 juin 2006, la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans l’affaire Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S 824 (l’arrêt Veuve Clicquot). Il y est question de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), qui traite de la dépréciation de l’achalandage.

 

[8]               Après la publication de l’arrêt Veuve Clicquot, les pourparlers entre les parties ont cessé; Parmalat devait déposer avant le 1er août 2007 sa preuve à l’appui de son opposition, ce qu’elle fit. Cependant, le 25 juillet 2007, Parmalat a aussi sollicité l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition pour y inclure un motif additionnel d’opposition fondé sur l’alinéa 30i), en même temps que sur le paragraphe 22(1) de la Loi, compte tenu d’observations faites dans l’arrêt Veuve Clicquot. L’avocat de Parmalat écrivait, dans sa lettre du 25 juillet 2007 adressée à la COMC, que, si la demande de modification n’avait pas été déposée plus tôt, c’était en raison de la possibilité d’un compromis.

 

[9]               Le motif additionnel d’opposition avancé par Parmalat se présente ainsi :

 

[traduction] « Eu égard à l’alinéa 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce, la requête n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi, parce que, à la date du dépôt de la requête, la requérante n’aurait pas pu être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce au Canada puisque tel emploi serait illégal, en ce sens que, à la date du dépôt de la requête, la requérante était au courant des marques de commerce similaires BLACK DIAMOND de l’opposante, compte tenu de l’utilisation et de la publicité considérables de ces marques de commerce au Canada par l’opposante et par ses prédécesseurs en droit, en liaison avec une grande diversité de produits alimentaires, et en ce sens que telle utilisation était, et est encore, susceptible d’avoir pour effet de diminuer, en violation du paragraphe 22(1) de la Loi, la valeur de l’achalandage attachée à la marque de commerce enregistrée BLACK DIAMOND appartenant à l’opposante et déposée sous le numéro UCA02073 ». [Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Je reproduis ici les dispositions applicables de la Loi :

 

·      Le paragraphe 38(2) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

 

 

a)    la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

[…]

·      L’une des exigences de l’article 30 est qu’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce doit contenir notamment :

 

i)     une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande.

 

·      L’article 22 de la Loi, qui traite de la dépréciation de l’achalandage, prévoit ce qui suit :

 

22. (1)    Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

 

(2)   Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d’ordonner le recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.

 

La décision du tribunal

[11]           Après avoir reproduit le texte de la modification demandée par Parmalat, l’agent d’audience écrivait que Parmalat se fondait sur l’arrêt Veuve Clicquot [traduction] « au soutien de son affirmation selon laquelle il n’est plus nécessaire de conclure à l’existence d’une confusion pour dire qu’il y aura dépréciation de l’achalandage, même si ses avocats n’ont pas connaissance d’une opposition qui a été résolue sur la base d’une violation du paragraphe 22(1) de la Loi. Parmalat se fondait non seulement sur l’arrêt Veuve Clicquot, mais également sur une décision récente du registraire qui faisait droit à une requête semblable portant sur la demande 1,016,055 d’enregistrement de la marque de commerce EMPERESS ».

 

[12]           L’agent d’audience résumait alors dans les termes suivants la question qui lui était soumise :

 

[traduction] « L’article 22 peut‑il être invoqué comme motif d’opposition? »

 

[13]           L’agent d’audience a d’emblée écarté la décision EMPERESS au motif que la modification demandée dans cette affaire‑là n’était pas contestée, puis il écrivait, à propos de ce précédent : [traduction] « le point de savoir si l’article 22 peut être invoqué comme motif d’opposition selon l’article 38 de la Loi n’a pas été soulevé, débattu par les parties ni décidé par le registraire ».

 

[14]           Le tribunal procédait ensuite à son analyse. Son raisonnement se présentait ainsi :

 

[traduction]

a)         Il écrit : « Le paragraphe 38(2) de la Loi énumère les motifs possibles d’opposition. Par le passé, il a été fait référence à l’alinéa 30i) au soutien d’un motif d’opposition fondé sur une disposition légale extérieure aux paramètres de la Loi sur les marques de commerce. Dans ces cas, l’opposante faisait valoir que la requérante n’aurait pas pu être convaincue qu’elle était fondée à l’enregistrement de la marque de commerce demandée puisque cela contreviendrait à une disposition spécifique d’une autre loi, par exemple : Loi réglementant les produits du tabac, Loi sur les associations coopératives du Canada, Loi sur les banques, Code criminel et Loi sur le droit d’auteur. Par conséquent, ce qu’affirme l’opposante, c’est que, a fortiori, le registraire devrait pouvoir dire si l’enregistrement de la marque de commerce de la requérante serait contraire à une disposition spécifique de la Loi sur les marques de commerce ».

 

b)        Il dit : « Dans tous les précédents invoqués [par Parmalat] où un motif d’opposition fut confirmé sur le fondement d’une disposition d’une loi fédérale autre que la Loi sur les marques de commerce, l’affaire a été jugée sur le fondement d’un commencement de preuve, à savoir les dispositions pertinentes de la loi invoquée, ou la description des marchandises visées par la demande » [plutôt qu’une conclusion selon laquelle il y a eu effectivement contravention], citant avec approbation les observations faites par son collègue Jill W. Bradbury dans l’affaire Interactive Design Pty Ltd. c. Grafton‑Fraser Inc. (1998), 87 C.P.R. (3d) 537, pour qui [traduction] « dans l’examen d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i), il était nécessaire de se demander si un opposant avait apporté un commencement de preuve de contravention, plutôt que de conclure qu’il y a eu effectivement contravention; ainsi un commencement de preuve d’une contrefaçon de droit d’auteur, un commencement de preuve d’une contravention à la Loi sur la Société canadienne des postes ou un commencement de preuve d’une violation de la Loi sur les aliments et drogues contribuait au succès d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i) ».

 

c)         Il cite la décision Canadian Bankers Association c. Richmond Savings (2000), 8 C.P.R. (4th) 267, [traduction] « où le registraire a conclu qu’il aurait pu considérer le motif d’opposition prévu par l’alinéa 9(1)d), qui relève de sa compétence ».

 

[15]           Puis l’agent d’audience s’exprimait ainsi à propos de l’arrêt Veuve Clicquot :

 

[traduction] Selon moi, l’arrêt Veuve Clicquot ne permet pas d’affirmer qu’un nouveau motif d’opposition peut aujourd’hui être invoqué en vertu du paragraphe 38(2) de la Loi, c’est‑à‑dire le fait que l’adoption de la marque de commerce demandée aurait pour effet de déprécier l’achalandage de la marque de commerce de l’opposant. Dans l’arrêt Veuve Clicquot, la Cour suprême du Canada a sans doute donné certaines directives sur ce qui doit être établi pour autoriser la conclusion qu’il y a dépréciation de l’achalandage attaché à une marque de commerce, mais là n’est pas la question à trancher dans l’affaire qui nous intéresse. [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Le tribunal a adopté le raisonnement tenu par l’ancien président de la Commission des oppositions des marques de commerce dans l’affaire General Foods Ltd. c. Scott Paper Co. (1981), 62 C.P.R. (2d) 284, où l’on peut lire ce qui suit :

[traduction]

10     S’agissant des motifs allégués d’opposition fondés sur la dépréciation de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce enregistrée de l’opposant, je ferais observer qu’aucun des alinéas du paragraphe 37(2) de la Loi sur les marques de commerce ne considère les articles 20 ou 22 de la Loi sur les marques de commerce comme des motifs d’opposition sur lesquels puisse se prononcer le registraire dans une procédure d’opposition. La dépréciation de la valeur de l’achalandage attaché à une marque de commerce enregistrée est plutôt une question sur laquelle seule la Cour puisse statuer, tout comme la question touchant la validité d’une marque de commerce enregistrée qui est invoquée par un opposant dans une procédure d’opposition. Sur ce point, je citerais les propos suivants tenus par Fox dans son ouvrage intitulé The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e édition (1972), à la page 342 :

 

L’intention de la Loi de 1953 est d’accorder à la Cour un très vaste pouvoir discrétionnaire de trancher les questions de contrefaçon. Toute conduite susceptible d’avoir pour effet de déprécier l’achalandage attaché à une marque de commerce est une affaire qui relève exclusivement du pouvoir de la Cour, et la Loi de 1953 n’énonce à juste titre aucune règle présidant à l’exercice de ce pouvoir. La réponse dépendra des circonstances de chaque cas, ainsi que de la manière dont le juge appelé à interpréter la disposition appréciera les questions commerciales contemporaines.

 

11     Au vu de ce qui précède, j’ai rejeté les motifs d’opposition avancés par l’opposante et se rapportant à la dépréciation de la valeur de l’achalandage attaché à sa marque de commerce enregistrée.

 

[17]           Puis le tribunal concluait ainsi dans la présente affaire :

 

[traduction] Le législateur n’entendait pas habiliter le registraire, dans le régime des procédures d’opposition, à examiner les questions de dépréciation de l’achalandage. Quoi qu’il en soit, c’est le statut de la marque demandée qui doit être examiné dans les procédures d’opposition, à l’intérieur du champ des motifs restreints d’opposition énumérés au paragraphe 38(2), et je suis d’avis que l’article 22 de la Loi n’est pas un motif valide d’opposition aux termes du paragraphe 38(2) de la Loi. L’article 22 de la Loi sur les marques de commerce figure sous la rubrique VALIDITÉ ET EFFET DE L’ENREGISTREMENT. L’opposante peut donc exercer devant la Cour fédérale, ainsi que le prévoit l’article 55 de la Loi, tous les droits qui lui sont conférés par l’enregistrement de sa marque de commerce. [Non souligné dans l’original.]

 

L’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin

[18]           C’est le juge Binnie qui a rédigé cet arrêt de la Cour suprême. Il importe de noter que l’affaire Veuve Clicquot n’était pas une procédure d’opposition engagée devant le registraire, mais une procédure de contrefaçon et de radiation introduite à l’origine devant la Cour fédérale. Je reproduis les paragraphes suivants des motifs du juge Binnie, sous la section qu’il a intitulée « La valeur de l’achalandage est‑elle susceptible de diminuer? » :

 

38        La conclusion selon laquelle l’emploi des marques de commerce « dans la même région » ne créerait pas de confusion ne met pas fin au litige. En l’espèce, à la différence de l’affaire Mattel, un autre moyen est invoqué. Le paragraphe 22(1) dispose :

 

     22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

 

Même si l’appelante l’a traité comme un parent pauvre devant les juridictions inférieures et ne l’a guère étayé, l’argument fondé sur la dépréciation a été avancé devant notre Cour, grâce notamment à l’intervention de l’INTA. Rien dans l’art. 22 n’oblige à démontrer que l’emploi des deux marques dans la même région est susceptible de créer de la confusion. L’appelante n’a qu’à prouver que les intimées ont employé des marques dont la ressemblance avec VEUVE CLICQUOT suffit pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques qui est susceptible de déprécier l’achalandage attaché à sa marque.

 

39        Le recours prévu à l’art. 22 a été créé par les modifications apportées à la Loi sur les marques de commerce en 1953, et s’inspire du Rapport de la Commission de révision de la loi sur les marques de commerce (janvier 1953), rédigé sous la présidence de M. Harold G. Fox. Monsieur Christopher Robinson, c.r., éminent praticien du droit de la propriété intellectuelle et membre de cette commission, explique ce qui suit :

 

[traduction] La valeur de la marque de commerce KODAK serait susceptible de diminuer beaucoup pour son propriétaire si d’autres personnes employaient cette marque en liaison avec une multitude de marchandises différentes et ce, même si le lien entre ces marchandises et l’équipement photographique était faible au point où personne ne penserait qu’elles proviennent du propriétaire de la marque de commerce.

 

(C. Robinson, « The Canadian Trade Marks Act of 1954 — A Review of Some of Its Features » (1959), 32 C.P.R. 45, p. 61)

 

40        M. Fox a lui‑même formulé quelques commentaires à propos du nouveau recours fondé sur la dépréciation dans l’édition, parue en 1956, de son ouvrage The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition (2e éd. 1956), vol. 1, signalant que le par. 22 visait

 

[traduction] la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce ou, autrement dit, la dilution du caractère distinctif ou unique de la marque de commerce. On s’éloigne sensiblement du type d’usurpation traditionnelle...

 

... Si une autre personne s’approprie une marque de commerce bien connue pour l’employer en liaison avec des marchandises [. . .] au fil du temps, et à force d’usage, la marque de commerce perd de sa valeur en même temps que son caractère distinctif s’atténue. [Je souligne; p. 507‑508.]

 

[…]

 

46     Étonnamment, l’art. 22 de notre Loi n’a guère retenu l’attention des tribunaux judiciaires depuis son adoption, il y a une cinquantaine d’années. Apparemment, lorsque l’emploi de plusieurs marques crée de la confusion, le recours privilégié est celui fondé sur l’art. 20. Par ailleurs, en l’absence de confusion, les demandeurs estiment peut‑être difficile d’établir que l’achalandage est susceptible de se déprécier. Quoi qu’il en soit, ces deux causes d’action prévues par la Loi sont très différentes sur le plan conceptuel. L’article 22 comporte quatre éléments. Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable. L’article 22 n’exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas. Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c.‑à‑d. un préjudice). J’examinerai successivement chacun de ces éléments.

 

[…]

 

69     Je suis conscient du fait que les parties ont consenti à une ordonnance fondée sur la règle 153 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106, les dispensant de présenter des éléments de preuve [traduction] « relativement au recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits découlant de toute usurpation alléguée dans la présente affaire » et ordonnant le renvoi de cette question si la responsabilité pour usurpation était établie. Cette ordonnance s’applique à l’action fondée sur l’art. 20 (« usurpation »), mais elle ne s’étend pas à celle intentée sous le régime de l’art. 22 (« dépréciation »). L’essence de la responsabilité découlant de l’art. 22 est précisément la probabilité d’entraîner « la diminution de la valeur de l’achalandage attaché » aux marques de commerce de l’appelante. La question de la mesure de toute dépréciation réelle pourrait, bien sûr, faire l’objet d’un renvoi, mais la probabilité de dépréciation est l’un des éléments de la cause d’action, et si une demanderesse (en l’occurrence l’appelante) ne réussit pas à en établir l’existence, l’action fondée sur l’art. 22 sera rejetée. La procédure de renvoi vise l’évaluation de la perte subie ou de la réparation à accorder en application de l’art. 20, et non l’examen des conditions préalables à une conclusion de responsabilité sous le régime de l’art. 22. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Dans l’annexe A des présents motifs, je reproduis plusieurs paragraphes des motifs du juge Binnie, où il examine la législation et la jurisprudence des États‑Unis et de l’Union européenne sur cet aspect.

 

[20]           Dans le reste de ses motifs, le juge Binnie examine l’application des quatre éléments requis pour établir un droit aux avantages de l’article 22 de la Loi. Il concluait que la preuve produite par l’appelante « n’a pas permis d’établir les éléments essentiels de son action pour dépréciation fondée sur l’article 22, qui a été rejetée à juste titre par les juridictions inférieures ».

 

Analyse

Premier point – l’obstacle relatif à une décision interlocutoire

[21]           Il est bien établi en droit que, en règle générale, les jugements interlocutoires ne peuvent, sauf circonstances spéciales, être réformés par procédure d’appel ou procédure de contrôle judiciaire. Le juge Létourneau écrivait ce qui suit dans l’arrêt Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333 (C.A.F.) :

 

[…] il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d’appel ou de révision judiciaire immédiate d’un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu’il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer. […]

[Renvoi omis.]

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Maints autres précédents vont dans le même sens. Il y a par exemple l’arrêt Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255 (C.A.), et la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, 2005 CF 1000, où ma collègue la juge Tremblay‑Lamer écrivait ce qui suit, au paragraphe 12 :

 

12     Des circonstances spéciales, par exemple lorsque la compétence même du tribunal est en cause ou lorsque la décision contestée « règle définitivement » un droit substantiel d’une partie, sont nécessaires pour justifier le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire. Autrement, la demande d’annulation ou de modification d’une décision interlocutoire sera jugée prématurée.

 

[23]           La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé, dans l’arrêt Simpson Strong‑Tie Co. c. Peak Innovations Inc., 2008 CAF 235, que la décision de refuser la modification d’une déclaration d’opposition par ajout d’un nouveau motif était une décision interlocutoire.

 

[24]           À mon avis, il y a, dans le contexte des oppositions à l’enregistrement de marques de commerce selon la Loi, des circonstances spéciales qui justifient, dans la présente espèce, le contrôle judiciaire immédiat d’une décision de ne pas accorder l’autorisation d’ajouter un nouveau motif d’opposition. La raison que j’ai de penser ainsi, c’est que, à la fin d’une procédure d’opposition, dont appel peut être interjeté devant la Cour en vertu de l’article 56 de la Loi, au premier niveau d’appel, il n’existe aucun recours approprié autre que la ligne de conduite adoptée ici par Parmalat.

 

[25]           Selon la jurisprudence de la Cour fédérale relative aux oppositions en matière de marques de commerce selon la Loi, la Cour fédérale n’a pas compétence pour décider un point qui ne figure pas dans la déclaration d’opposition. Aux paragraphes 16 et 17 de la décision McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd., [1994] A.C.F. n° 638, le juge McKeown, s’appuyant sur la jurisprudence antérieure de la Cour, écrivait ce qui suit :

 

16     En guise de réponse, l’avocat de Coffee Hut Stores plaide que cette Cour a déjà jugé que la Commission d’opposition des marques de commerce n’a pas compétence pour trancher une question qui ne se trouve pas dans la déclaration d’opposition. Dans l’affaire Imperial Developments Ltd. c. Imperial Oil Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.), à la p. 21, l’agent d’audience avait rejeté la demande d’enregistrement pour chacun des motifs soulevés dans la déclaration d’opposition. Cependant, il est allé plus loin et a abordé des questions qui ne se trouvaient pas dans les actes de procédure, mais qui avaient été soulevées pendant le débat oral. Le juge Muldoon a estimé que l’agent d’audience avait outrepassé sa compétence et qu’une fois qu’il avait statué sur les motifs soulevés dans la déclaration d’opposition, il avait rempli sa fonction légale.

 

17     On a ensuite prétendu que cette Cour n’avait pas compétence pour statuer sur des questions qui n’avaient pas été soulevées devant le registraire. Dans l’affaire S.C Johnson & Son Inc. c. Esprit de Corp. (1986), 13 C.P.R. (3d) 235 (C.F. 1re inst.), à la p. 242, le juge Cullen a fait remarquer que, bien qu’il soit loisible aux parties d’introduire une nouvelle preuve, il ne leur est pas loisible d’aborder de nouvelles questions : bien que l’appel soit traité comme une nouvelle instruction, il s’agit quand même d’un appel, et la Cour est limitée aux questions soulevées devant le registraire. Je souscris à ces remarques. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           La décision du juge McKeown fut portée en appel devant la Cour d’appel fédérale : [1996] A.C.F. n° 774. Rejetant l’appel, la Cour d’appel fédérale écrivait que « dans l’ensemble, nous souscrivons aux motifs du juge de première instance ».

 

[27]           D’après ces précédents, Parmalat ne pouvait, dans un appel formé en vertu de l’article 56 contre une décision de la COMC, prétendre aux avantages de l’article 22 (voir aussi la décision Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2002 CFPI 919).

 

Deuxième point – la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer

[28]           Avant d’examiner les principes régissant la norme de contrôle, tels qu’ils ont été récemment reformulés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, il importe d’exposer les allégations des parties sur les erreurs qu’elles attribuent au tribunal et qui justifieraient l’intervention de la Cour, car ce facteur déterminera pour une large part la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

 

[29]           Les avocats de Parmalat font valoir que, lorsque le tribunal a décidé de ne pas autoriser Parmalat à modifier sa déclaration d’opposition, il l’a fait pour des raisons juridiques, et non dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire selon l’article 40 du Règlement. Ce faisant, le tribunal aurait commis plusieurs erreurs de droit, la plus importante étant qu’il se serait mépris sur la nature de la question qui lui était soumise. Pour le tribunal, la question était la suivante : [traduction] « l’article 22 peut‑il être invoqué comme motif d’opposition? », alors qu’il aurait dû se poser la bonne question, à savoir si le tribunal devrait accorder à Parmalat l’autorisation de modifier la déclaration d’opposition d’après les principes régissant l’octroi d’une telle autorisation, lesquels sont exposés dans un énoncé de pratique daté du 19 août 1996 et se rapportant à la procédure suivie devant la Commission des oppositions des marques de commerce, énoncé dont la teneur, s’agissant de cet aspect, fut reproduite dans l’énoncé de pratique daté du 1er octobre 2007. Le tribunal devait répondre à cette question dans le contexte de ce que Parmalat avait avancé – la non‑conformité à l’alinéa 30i) pour cause de violation de l’article 22 de la Loi – et non dans le contexte de ce que Parmalat n’avait pas avancé – le point de savoir si l’article 22 peut être invoqué comme motif d’opposition.

 

[30]           Parmalat fait valoir que, en se méprenant sur la question qui lui était posée, le tribunal s’est fourvoyé parce qu’il s’est attardé sur des questions de compétence et parce qu’il a appliqué des précédents qui étaient sans rapport avec ce que Parmalat priait le tribunal de faire.

 

[31]           L’avocate de Sysco a fait valoir que le tribunal avait rendu sa décision dans l’exercice du large pouvoir discrétionnaire du registraire selon l’article 40 du Règlement, en refusant l’autorisation de modifier une déclaration d’opposition par ajout d’un nouveau motif d’opposition. Elle dit que la décision était conforme à l’intérêt de la justice entre les parties et que le tribunal ne s’est pas fondé sur des principes fautifs ou erronés ni n’a omis ou laissé de côté un aspect important.

 

[32]           L’avocate de Sysco reconnaît que, en novembre 2007, après que les observations des parties auraient pu être jugées terminées, Sysco a appelé l’attention du tribunal sur l’affaire General Foods, en soulevant la question de savoir si la COMC avait compétence pour examiner les allégations de dépréciation dont parle l’article 22 de la Loi et en citant le passage même de cette décision sur la foi duquel le tribunal avait jugé qu’il n’avait pas compétence pour étudier une telle allégation dans une procédure d’opposition. Les avocats de Parmalat ont répondu à cet argument quelques jours plus tard, en affirmant que, dans l’affaire General Foods, le motif d’opposition fondé sur l’article 22 n’était pas rattaché à l’alinéa 30i) de la Loi et avait, en tout état de cause, été supplanté et rendu théorique par l’abondante jurisprudence portant sur cet alinéa, et postérieure à 1981, à commencer par l’affaire Remy Martin, jurisprudence qui fut confirmée par la Cour dans le jugement Conseil canadien des ingénieurs c. John Brooks Company, 2004 CF 586.

 

[33]           Incidemment, l’examen des observations présentées au tribunal par les deux parties sur les raisons pour lesquelles l’autorisation devrait ou non être accordée conformément à l’article 40 du Règlement montre que ces observations reposaient sur les facteurs indiqués dans les deux énoncés de pratique susmentionnés, à savoir les facteurs suivants : a) le stade de la procédure; b) les délais; c) l’importance; d) le préjudice.

 

[34]           S’agissant à nouveau des principes exposés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir (selon cet arrêt, les trois anciennes normes de contrôle sont aujourd’hui au nombre de deux, la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable, l’ancienne norme de la décision manifestement déraisonnable étant maintenant comprise dans la norme de la décision raisonnable), il ressort clairement du paragraphe 53 de cet arrêt que, en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée, ce qui veut dire que c’est la norme de la décision raisonnable qui sera appliquée. Par ailleurs, au paragraphe 54, les juges Bastarache et LeBel écrivaient que « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive […] la déférence est habituellement de mise ». La retenue judiciaire s’imposera également lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé, l’arbitrage en droit du travail constituant en cela un bon exemple.

 

[35]           Les juges Bastarache et LeBel écrivaient au paragraphe 55 que, lorsque la jurisprudence a fixé la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse approfondie de ladite norme de contrôle. Je me réfère aux propos tenus par le juge Rothstein, alors juge de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt John Labatt Limitée et al c. Les Brasseries Molson, société en nom collectif, [2000] 3 C.F. 145. Faisant l’analyse relative à la norme de contrôle, il écrivait, au paragraphe 51, encore que dans le contexte d’un appel selon l’article 56, que les décisions du registraire appellent une certaine retenue et doivent par conséquent être revues selon la norme de la décision raisonnable, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans son domaine de spécialisation.

 

[36]           Lisant comme un tout la décision du tribunal, je suis d’avis qu’elle devrait être revue d’après la norme de la décision correcte. Le tribunal n’a pas, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, rendu sa décision selon l’article 40 du Règlement. Nulle part dans sa décision il ne fait allusion aux facteurs mentionnés dans les énoncés de pratique, notamment le facteur constitué par l’intérêt de la justice. Les motifs du tribunal montrent que, s’il a rejeté la demande faite par Parmalat en vue d’être autorisée à modifier sa déclaration d’opposition par ajouts des nouveaux motifs d’opposition, c’est parce que, à son avis, sur le plan juridique, la COMC n’avait pas le pouvoir d’examiner les questions de dépréciation de l’achalandage, et il a donc jugé [traduction] « que l’article 22 de la Loi n’est pas un motif valide d’opposition selon le paragraphe 38(2) de la Loi ». À mon avis, il ressort clairement des motifs du tribunal qu’il est arrivé à cette conclusion non parce qu’il croyait qu’il y avait deux résultats raisonnables possibles, mais parce que, selon lui, il était dépourvu de compétence, une conclusion qui est révisable selon la norme de la décision correcte.

 

Dispositif

[37]           Selon moi, l’intervention de la Cour est justifiée. Je suis très humblement d’avis que le vice fondamental de la décision du tribunal, un vice qui a déformé son analyse ultérieure, est le fait qu’il a formulé incorrectement la question qui lui était posée.

 

[38]           La question qui était posée au tribunal n’était pas de savoir si l’article 22 de la Loi pouvait à lui seul constituer les motifs d’opposition, mais plutôt de savoir si l’alinéa 38(2)a) de la Loi aurait pu faire intervenir l’article 22 de la Loi pour étayer une opposition parce que les exigences de l’alinéa 30i) n’étaient pas respectées vu que, dans les circonstances particulières de cette demande d’enregistrement de la marque de commerce BLACK DIAMOND, la défenderesse Sysco, qui sollicitait l’enregistrement, n’aurait pu être convaincue qu’elle était fondée à employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises décrites dans la demande, et cela, parce que cet emploi aurait vraisemblablement eu pour effet de déprécier la valeur de la marque de commerce enregistrée BLACK DIAMOND de Parmalat, contrairement à l’article 22 de la Loi.

 

[39]           Comme l’ont fait observer les avocats de Parmalat, Parmalat n’a jamais, dans la présente affaire, avancé l’idée que l’article 22 pouvait en soi autoriser un motif autonome d’opposition.

 

[40]           Cette erreur fâcheuse a conduit le tribunal à laisser de côté la jurisprudence citée par Parmalat portant sur le champ de l’alinéa 30i) et sur ses diverses applications au regard de la violation probable de la Loi et de la violation d’autres lois fédérales ou provinciales. L’erreur a aussi conduit le tribunal à extraire de l’arrêt Veuve Clicquot de la Cour suprême du Canada un aspect sur lequel Parmalat ne priait pas le tribunal de se prononcer, ainsi qu’à faire abstraction du rôle de la Cour suprême dans l’évolution du droit au regard de l’article 22 de la Loi, à savoir le fait que l’application de cet article ne dépend pas de l’existence d’une confusion (voir les paragraphes 38, 46 et 69 des motifs du juge Binnie).

 

[41]           Je relève que, dans la décision Bojangles’ International, LLC et al c. Bojangles Café Ltd. (2004), 40 C.P.R. (4th) 553, aux pages 561 et 562, la COMC a jugé que l’alinéa 7b) de la Loi était un motif valide d’opposition [traduction] « en vertu du principe général selon lequel le registraire ne saurait consentir à l’enregistrement d’une marque si le demandeur de cette marque l’utilise d’une manière qui contrevient aux lois fédérales ».

 

[42]           Les avocats de Parmalat ont fait valoir que, si j’arrivais à la conclusion que le tribunal s’est fourvoyé, je devrais [traduction] « examiner l’affaire de novo ». Il m’est impossible d’accepter cet argument. Un examen de novo est justifié dans un appel formé en vertu de l’article 56 de la Loi. Il ne l’est pas lorsqu’il s’agit de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, dont l’alinéa 18.1(3)b) confère à la Cour fédérale, saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, le pouvoir de « […] infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées » une telle décision. Il y a des cas où un renvoi assorti de directives pourrait être justifié, mais nous n’avons pas affaire à un tel cas ici (voir le jugement Pacific Pants Company Inc. et al c. Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 1050).


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, que la décision du tribunal en date du 6 décembre 2007 est annulée et que la demande de Parmalat en vue d’être autorisée à modifier sa déclaration d’opposition, dans la demande n° 1,139,676, par ajout d’un motif additionnel d’opposition énoncé au paragraphe 9 des présents motifs, est renvoyée à la Commission des oppositions des marques de commerce, pour être réexaminée par un autre membre de la Commission, qui devra tenir compte des présents motifs.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


ANNEXE A

 

 

41     Aux États‑Unis, la Chambre des représentants a présenté en 1995 un rapport portant sur un recours semblable (qualifié d’« anti‑dilution ») introduit par voie de modification à la Trademark Act de 1946 (la Lanham Trade‑Mark Act, 15 U.S.C.A. §§ 1051 et suiv.) :

 

[traduction] Cette disposition vise à protéger les marques célèbres dont l’emploi commercial non autorisé par d’autres personnes dilue le caractère distinctif...

 

La dilution n’est pas subordonnée à la [...] probabilité de confusion. [...] Elle s’applique plutôt lorsque l’emploi non autorisé d’une marque célèbre affaiblit la perception du public à l’égard du caractère unique, singulier ou particulier de la marque.

 

(Federal Trademark Dilution Act of 1995, H.R. Rep. No. 104‑374 (1995), reproduit dans 1995 U.S.C.C.A.N. 1029, p. 1030)

 

42     Bien que le libellé de la Lanham Trade‑Mark Act diffère de celui de l’art. 22, le commentaire suivant, figurant dans le Restatement américain, fournit aussi des indications judicieuses :

 

[traduction] [R]econnaissant apparemment qu’une interprétation large de la législation compromettrait l’équilibre entre les droits privés et les droits publics dont s’inspirent les limites traditionnelles de la protection des marques de commerce, les tribunaux continuent de limiter le recours pour dilution aux cas où l’intérêt susceptible d’être protégé est manifeste et où la menace d’empiètement est importante.

 

(Restatement (Third) of Unfair Competition — 25 cmt. b (1995))

 

43     En 2003, la Cour suprême des États‑Unis a rejeté le recours anti‑dilution intenté par Victoria’s Secret, la chaîne de lingerie pour femmes, qui avait poursuivi VICTOR’S LITTLE SECRET, une boutique pour adultes vendant du « clinquant » : Moseley c. V Secret Catalogue, Inc., 537 U.S. 418 (2003). Selon la loi fédérale alors en vigueur, l’existence d’un préjudice réel, et non d’une simple probabilité (comme le veut notre loi) devait être établie. La cour a toutefois formulé l’observation suivante :

 

[traduction] ... à tout le moins, dans le cas où les marques ne sont pas identiques, le simple fait que le consommateur associe dans son esprit la marque du nouvel utilisateur avec une marque célèbre ne suffit pas pour fonder une cause d’action pour dilution. [...] Une association mentale n’emporte pas nécessairement l’« affaiblissement » (non plus, à vrai dire, que le « ternissement ») d’une marque. [p. 433‑434]

 

De même, j’estime que le fait d’associer mentalement les deux marques ne crée pas nécessairement une probabilité de dépréciation au sens de l’art. 22. (Aux États‑Unis, un projet de loi visant à abaisser le critère minimal au niveau de la probabilité a été adopté par le Congrès et attend la signature du président. Voir la Trademark Dilution Revision Act of 2006, H.R. 683, 109th Cong. (2006).)

 

44     Un tel recours anti‑dilution est prévu aux art. 4 et 5 de la Première directive du Conseil des Communautés européennes (89/104/CEE) du 21 décembre 1988, mise en œuvre dans l’Union européenne par le Règlement (CE) no 40/94 du 20 décembre 1993. Au Royaume‑Uni, ce recours qualifié de recours « anti‑detriment » (anti‑préjudice) est prévu aux art. 5 et 10 de la Trade Marks Act 1994 (R.‑U.), 1994, ch. 26. Les tribunaux du Royaume‑Uni n’accueillent pas de tels recours à la légère, comme en témoignent les décisions Mastercard International Inc. c. Hitachi Credit (UK) Plc, [2004] EWHC 1623 (Ch.) (confirmant le rejet de l’opposition de Mastercard à la marque de commerce Credit Master en liaison avec une carte de crédit); Pebble Beach Co. c. Lombard Brands Ltd., [2002] S.L.T. 1312, [2002] ScotCS 265 (refusant d’imposer une injonction provisoire à des fabricants de whisky qui utilisaient la marque de commerce « Pebble Beach » alors que les propriétaires du célèbre terrain de golf américain prétendaient que ces marques nuisaient à leur propre marque); DaimlerChrysler AG c. Alavi, [2001] R.P.C. 42, [2000] EWHC Ch 37 (où le tribunal a rejeté l’action intentée par Mercedes‑Benz contre la défenderesse relativement à ses marques de commerce MERC employées en liaison avec une entreprise de vêtements et de chaussures) et Baywatch Production Co. c. Home Video Channel, [1997] F.S.R. 22 (Ch.) (où le tribunal a conclu que la diffusion de l’émission « Babewatch », qui contenait des scènes de sexualité explicite, ne nuisait pas à la marque de commerce « Baywatch »).

 

45     Le recours fondé sur la dépréciation ou sur la dilution de la marque est parfois qualifié de « superarme », qui doit être encadrée pour favoriser une juste concurrence. Dans son important traité en six volumes sur le droit états‑unien des marques de commerce, le professeur J.T. McCarthy écrit, dans des termes qui s’appliquent directement à l’espèce, si l’on remplace le mot dilution par le mot dépréciation :

 

[traduction] Même la probabilité de la dilution devra être établie par des éléments de preuve, et non pas seulement par des théories sur ce qui pourrait peut‑être se produire ou sur ce qui pourrait arriver [...] le tribunal [...] doit séparer l’action anti‑dilution en ses éléments distincts et exiger rigoureusement que chacun d’eux soit prouvé.

 

(McCarthy on Trademarks and Unfair Competition, vol. 4 (4e éd. (feuilles mobiles), § 24:67.1, p. 24‑136)

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑18‑08

 

INTITULÉ :                                       PARMALAT CANADA INC. c.

                                                            SYSCO CORPORATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 AOÛT 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 2 OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

David Morrow

Daniel Anthony

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Justine Whitehead

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Smart & Biggar

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Stikeman Elliott LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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