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Date : 20081007

Dossier : IMM-506-08

Référence : 2008 CF 1128

Montréal (Québec), le 7 octobre 2008

En présence de monsieur le juge suppléant Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

KULJIT SINGH SABHARWAL

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un citoyen de l’Inde, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision dans laquelle a été rejetée sa demande de dispense pour considérations humanitaires (CH) des exigences de la loi suivant lesquelles il devait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Cette décision, datée du 17 janvier 2008, a été rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR).

 

[2]               La demande d’asile présentée par le demandeur a été rejetée le 22 juillet 2005 au motif qu’il manquait de crédibilité. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée le 7 novembre 2005. La demande visant l’obtention de la dispense CH a été déposée en décembre 2005.

 

[3]               Le demandeur a soutenu que présenter une demande de résidence permanente à partir de l’Inde l’exposerait au risque d’emprisonnement arbitraire et de torture en tant que personne faussement accusée d’être partisan des militants et en tant que demandeur d’asile débouté. Il a aussi fait valoir que présenter sa demande à partir de ce pays lui causerait des difficultés injustifiées et excessives puisqu’il était établi au Canada, comme le démontraient son emploi, ses compétences linguistiques et la présence de son épouse et de son père au pays. Enfin, le demandeur a prétendu qu’il serait incapable financièrement de subvenir aux besoins de sa famille s’il devait présenter sa demande à partir de l’Inde parce qu’il serait sans emploi.

 

Décision contestée

[4]               L’agent d’ERAR a souligné que les risques allégués par le demandeur étaient identiques à ceux qu’il avait fait valoir devant la SPR, et il a attribué un poids considérable à la conclusion tirée par la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible. Vu que le demandeur n’a pas fourni de preuve établissant le contraire, et compte tenu de la preuve documentaire indiquant que les demandeurs d’asile déboutés n’étaient en général pas exposés à un risque à leur retour en Inde, l’agent a conclu qu’aucune dispense ne pouvait être accordée sur le fondement du risque. Le demandeur ne contredit pas ces conclusions.

 

[5]               L’agent s’est ensuite penché sur la question des difficultés injustifiées ou excessives, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, et il a jugé que les observations écrites faisaient valoir à tort que le demandeur serait « un immigrant idéal ». La question n’était pas de savoir si le demandeur serait un « bon » immigrant, mais était plutôt de savoir si les difficultés qu’il éprouverait s’il avait à présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada seraient injustifiées. L’agent a rejeté l’argument selon lequel le demandeur perdrait son emploi et il a conclu qu’il avait acquis une expérience de travail qui lui servirait, qu’il avait fait des économies, et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la conclusion selon laquelle il ne pourrait exercer un emploi lucratif en Inde.

 

[6]               L’agent a souligné qu’on ne lui avait pas fourni suffisamment de renseignements pour lui permettre d’évaluer l’intérêt supérieur des deux enfants mineurs du demandeur, qui étaient tous deux toujours en Inde. L’agent a aussi souligné que l’épouse du demandeur se trouvait au Canada, mais qu’elle n’avait aucun statut. L’agent a attribué plus de poids aux liens familiaux que le demandeur avait en Inde qu’à ceux qu’il avait au Canada. Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur n’éprouverait aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive s’il devait présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

Questions en litige

[7]               Le demandeur prétend que l’agent n’a pas fourni des motifs suffisants et qu’il a fondé ses conclusions défavorables sur des conjectures.

 

Norme de contrôle

[8]               Les motifs doivent permettre à la personne visée par la décision et à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision. Il s’agit là d’un principe de justice naturelle dont le non‑respect entraînera l’annulation de la décision. Le fait de fonder une décision sur des conjectures constitue une erreur de fait, comme l’énonce l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, puisque la décision n’est pas fondée sur la preuve dont disposait le tribunal et est donc nécessairement déraisonnable.

 

Caractère suffisant des motifs

[9]               Le demandeur allègue que, puisque l’agent d’ERAR n’a pas indiqué qu’il avait d’une façon délibérée, ou d’une autre façon, prolongé son séjour au Canada, il est possible de conclure que son séjour était indépendant de sa volonté. Ce facteur devait donc, selon lui, être pris en compte dans le contexte de son établissement. De plus, le demandeur est d’avis que, dans ses motifs, l’agent d’ERAR ne fait rien de plus qu’exposer les faits et tirer une conclusion défavorable, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle : Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565.

 

[10]           Le défendeur soutient pour sa part qu’il ressort clairement de la lecture des observations présentées par le demandeur et des notes au dossier de l’agent que ce dernier a adéquatement traité de ces observations. L’avocate du défendeur souligne notamment que, si le demandeur est resté au Canada, à la suite du rejet de sa demande d’asile en 2005, c’est uniquement parce qu’il en a décidé ainsi. Selon le défendeur, le demandeur n’a pas réfuté la présomption selon laquelle l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve. 

 

[11]           Je souligne que l’évaluation des considérations humanitaires est régie par les lignes directrices énoncées à l’article 11.2 du chapitre 5 du Guide du traitement des demandes au Canada (IP 05). L’article prévoit :

11.2   Évaluation du degré d’établissement au Canada

 

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut être un facteur à considérer dans certains cas, particulièrement si l’on évalue certains types de cas comme les suivants :

- parents/grands-parents non parrainés;

- séparation des parents et des enfants (hors de la catégorie du regroupement familial);

- membres de la famille de fait;

- incapacité prolongée à quitter le Canada aboutissant à l’établissement;

- violence familiale;

- anciens citoyens canadiens; et

- autres cas.

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]           La question pertinente en ce qui concerne la période d’établissement du demandeur au Canada est de savoir s’il pouvait quitter le pays durant cette période. Rien n’indique que le demandeur a affirmé à l’agent qu’il ne pouvait quitter le pays, et le fait que l’agent n’ait pas tenu compte de cette question comme facteur relatif à son établissement ne constituait pas une erreur. De même, l’argument du demandeur selon lequel la décision dans son ensemble était inadéquate parce qu’elle ne faisait qu’exposer les faits n’est pas fondé. L’agent a expliqué pourquoi il avait attribué peu de poids à certains arguments et éléments de preuve présentés par le demandeur et il a donc rempli son obligation de fournir des motifs suffisants.

 

[13]           Le demandeur allègue aussi que l’agent d’ERAR a émis des conjectures au sujet de l’intérêt supérieur de ses enfants et qu’il a donc rendu une décision erronée. Le demandeur souligne que l’agent a tout d’abord indiqué ne pas avoir relevé de motifs particuliers lui permettant d’évaluer l’intérêt supérieur de ses fils mineurs, mais qu’il a ensuite affirmé qu’il était dans leur intérêt supérieur [traduction] « d’être réunis avec au moins un de leurs parents dès que possible ». Pour ce motif, le demandeur est d’avis que l’évaluation de sa situation de famille était déraisonnable.

 

[14]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’agent n’a pas émis de conjectures, mais qu’il a plutôt examiné les liens familiaux du demandeur et conclu que les liens avec le Canada étaient insuffisants pour établir que le demandeur éprouverait des difficultés injustifiées ou excessives. L’avocate du défendeur soutient également que la Cour devrait s’inspirer de l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant n’avait pas à être examiné dans les cas où les mentions de cet intérêt étaient indirectes et succinctes.

 

[15]           La Cour ne partage pas l’avis du demandeur selon lequel il s’agissait de conjectures de la part de l’agent. Tout d’abord, ce que l’agent a constaté dans cette partie de sa décision c’est qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les liens familiaux que le demandeur avait au Canada étaient assez solides pour lui causer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, s’il devait présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du pays comme l’exige la loi. De plus, comme l’épouse du demandeur habitait au Canada sans statut juridique et que ses enfants étaient restés en Inde, l’agent en l’espèce a simplement appliqué une règle de bon sens lorsqu’il a affirmé qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants [traduction] « d’être réunis avec au moins un de leurs parents dès que possible ». Cette affirmation ne constitue pas une conjecture de la part de l’agent, et elle ne constitue certainement pas une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

 

 

[16]           L’agent en l’espèce a conclu que les moyens invoqués par le demandeur étaient insuffisants pour justifier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur n’a pas été en mesure d’établir que l’agent avait commis une erreur dans son raisonnement et dans sa conclusion qui justifiait l’intervention de la Cour.

 

[17]           Pour les motifs qui précèdent, et vu que l’agent a fourni des motifs suffisants et qu’il n’a pas fondé ses conclusions défavorables sur des conjectures, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et le présent dossier n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-506-08

 

INTITULÉ :                                       KULJIT SINGH SABHARWAL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 7 OCTOBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea C. Snizynsky

 

POUR LE DEMANDEUR

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrea C. Snizynsky

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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