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Date : 20081002

Dossier : T-705-08

Référence :  2008 CF 1105

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2008

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

 

ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d’une ou plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt sur le revenu,le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-emploi

 

CONTRE :

CLAUDE HERNANDEZ

1160, rue St-Andrews

Mascouche, (Québec) J7L 4G9

 

Intimé

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]                 L’intimé, Claude Hernandez, demande aujourd’hui à la Cour d’annuler l’ordonnance émise ex parte le 6 mai 2008, qui autorise le ministre du Revenu national (le ministre) à prendre immédiatement toutes et chacune des mesures de recouvrement visées aux alinéas a) à g) du paragraphe 225.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), ou l’une d’entre elles, afin de percevoir et/ou garantir le paiement des cotisations établies par le ministre le 25 avril 2008 à l’encontre de l’intimé (l’ordonnance contestée).

 

 

[2]                 Le 6 mai 2008, une autre ordonnance de recouvrement compromis a également été rendue ex parte par la Cour dans le dossier T-706-08, afin de percevoir et/ou garantir le paiement des cotisations établies par le ministre le 25 avril 2008 à l’encontre de Sylvie Lépine, l’épouse de l’intimé. La légalité de cette autre ordonnance de recouvrement compromis fait l’objet d’un examen concurrent par la Cour.

 

[3]                 En principe, le ministre doit, selon le paragraphe 225.1(1) de la Loi, attendre 90 jours après la mise à la poste de l'avis de cotisation avant de recouvrer les sommes dues par un contribuable à Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (la couronne). Un juge peut toutefois autoriser le ministre à agir sans délai lorsqu’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

[4]                 Le paragraphe 225.2(2) de la Loi dispose :

 

(2) Malgré l'article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu'il estime raisonnables dans les circonstances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

(2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

 

 

 

[5]                 Lors de la présentation de la requête ex parte dans le présent dossier le 6 mai 2008, la Cour s’est fondée pour rendre l’ordonnance contestée sur les affidavits respectifs de Scynthia Plante et  de Daniel Goyette, tous deux assermentés le  1er mai 2008. Dans le dossier T-706-08, la Cour s’est également fondée sur d’autres affidavits de Scynthia Plante et de Daniel Goyette en date du 1er mai 2008 pour rendre l’autre ordonnance de recouvrement. La Cour est alors convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à l’intimé d’un délai pour payer les montants totaux résultants de l’émission des cotisations datées du 26 avril 2008 compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ces montants. Je retiens ce qui suit de l’ensemble de la preuve alors soumise par la couronne.

 

[6]                 Le ou vers le 3 avril 2006, le dossier de l’intimé a été attribué à Daniel Goyette, vérificateur au Programme Spécial d’Éxécution (PSE) à la Division de l’Exécution au bureau des services fiscaux de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) à Montréal, pour fins de vérification quant à son assujettissement à la Loi concernant les années d’imposition 2000 à 2004 initialement auxquelles s’est ajouté l’année 2005 inclusivement. Une vérification simultanée pour la même période d’imposition à l’égard de la conjointe de l’intimé, Sylvie Lépine ainsi qu’à l’égard du père de l’intimé, Antoine Hernandez a aussi été effectuée. Enfin, une vérification limitée de la compagnie Her-Comm Inc., dont l’intimé et son père Antoine Hernandez étaient les uniques actionnaires a aussi été effectuée. La vérification du dossier de l’intimé a été effectuée suivant la méthode dite de « l’avoir net », méthode qui a pour but de déterminer l’augmentation des avoirs et des dépenses personnelles du contribuable durant les années visées.

 

[7]                 Soulignons ici que l’intimé est actionnaire à 50% de la compagnie Her-Comm Inc., une compagnie spécialisée dans la vente et la location de cellulaires et de téléavertisseurs. Le 30 mars 2007, suivant une déclaration modificative déposée au registraire des entreprises, Sylvie Lépine a été désignée coactionnaire de la compagnie, remplaçant à ce titre le père de l’intimé, Antoine Hernandez. Quoique l’intimé déclare être un employé de la compagnie Her-Comm Inc., des revenus d’emploi ne figurent au titre de ses déclarations de revenus que pour les années d’imposition 2000 à 2002. Les revenus déclarés pour les années suivantes ne sont que des revenus d’intérêts.

 

[8]                 Le 17 mai 2006, une rencontre entre Daniel Goyette et Normand Ducharme, le comptable de l’intimé a eu lieu en l’absence de l’intimé qui purgeait alors une peine de prison depuis le mois de novembre 2005. En cours de vérification, Jacques Gagnon a remplacé Normand Ducharme à titre de représentant autorisé de l’intimé. Dans le cadre de sa vérification, Daniel Goyette affirme avoir dû s’adresser à des tiers afin d’obtenir des informations et documents supplémentaires dans le but d’obtenir l’information la plus complète possible.

 

[9]                 Ainsi, les informations suivantes ne figuraient pas au questionnaire de l’entrevue initiale de l’Agence, complété par l’intimé le 28 juin 2006 :

  • Le ou vers le 6 septembre 2002, l’intimé a fait l’acquisition de deux terrains vacants situés dans le secteur de La Plainte à Terrebonne. Il ressort de l’acte d’achat de ces terrains daté du 6 septembre 2002, que chacun de ceux-ci a été acheté pour la somme de 12 500,00 $ et qu’ils sont libres d’hypothèque ; 
  • En date du 17 janvier 2003, l’intimé a fait l’acquisition d’un troisième terrain vacant dans le même secteur. Tel qu’il appert de l’acte d’achat de ce terrain daté du 17 janvier 2003, l’intimé a acheté ledit terrain pour la somme de 8 000,00 $ ; et,
  • deux chèques datés du 24 juillet 2002, au montant de 10 000,00 $, l’un à l’ordre de Pierre Giroux et l’autre à l’ordre de Giroux et Giroux Inc., et signés par l’intimé figurent au titre des transactions bancaires de l’intimé. Il appert des informations obtenues de Pierre Giroux que ces sommes ont été consignées à titre dépôt pour l’acquisition le 7 avril 2008, par le père de l’intimé, Antoine Hernandez, d’une terre agricole sur le chemin Laliberté à Mansonville dans la  municipalité du Canton de Potton.

 

[10]             Enfin, au soutien de son affirmation solennelle, Daniel Goyette cite la décision de la juge Toupin, juge à la Cour du Québec, datée du 28 novembre 2000, R.  c. Hernandez, [2000] J.Q. no 5638, J.E. 2001-296 (C.Q.) dans laquelle la juge Toupin souligne les nombreux antécédents judiciaires de l’intimé notamment pour des accusations de recel ou de vol.

 

[11]             D’autre part, selon l’affidavit de Scynthia Plante, personne ressource et agent de cas complexes à la section du recouvrement des recettes au bureau des services fiscaux de l’Agence :

·        L’intimé n’a pas produit ses déclarations de revenus pour les années 1996 à 1999;

·        L’intimé a produit en retard ses déclarations de revenus pour les années 2000 à 2002, 2004 et 2006;

·        L’intimé a reçu entre 2002 et 2005 des sommes d’argent totalisant environ            129 120,00 $ à titre d’indemnité de remplacement du revenu de la Société d’assurance automobile du Québec;

·        Les indemnités de remplacement du revenu de la Société d’assurance automobile du Québec sont non imposables et donc n’avaient pas à être déclarées à l’Agence;

·        En date du 26 février 2008, Her-Comm Inc. était propriétaire et locataire de plusieurs véhicules et remorques;

·        En date du 20 mars 2008, trois inscriptions d’insaisissabilité ont été faites au registre des droits personnels et réels mobiliers au nom de l’intimé. Il s’agit d’inscriptions d’insaisissabilité relativement à des sommes ou biens pouvant être remis à un bénéficiaire à même le revenu ou le capital d’une fiducie;

·        L’intimé est seul et unique actionnaire et administrateur d’une compagnie dénommée Le Groupe Centruss Inc., constituée le 16 décembre 2004. L’intimé aurait dû déclarer cette information au titre du questionnaire de l’entrevue initiale de l’Agence complété le 28 juin 2006 ou au surplus divulguer cette information au cours de la vérification effectuée par Daniel Goyette. L’Agence n’a jamais reçu de déclaration de revenus pour Le Groupe Centruss Inc. Ce n’est qu’à compter du mois de novembre 2007 que lesdites remises sont faites par chèque;

·        Le ou vers le 15 juin 2007, Le Groupe Centruss Inc. a fait l’acquisition d’un immeuble commercial situé au 1725-1755, chemin Gascon à  Terrebonne. Il appert de l’acte de vente daté du 14 juin 2007 que ledit immeuble a été acheté pour la somme de 1 000 000,00 $ suite à une promesse d’achat acceptée en date du 26 décembre 2006;

·        Le 15 juin 2007, la Caisse populaire Desjardins a inscrit une hypothèque au montant de 650 000,00 $ sur l’immeuble commercial situé au 1725-1755, chemin Gascon à Terrebonne. L’acte de garantie hypothécaire en date du 14 juin 2007 révèle qu’en date du 14 juin 2007, Le Groupe Centruss Inc. a obtenu de la Caisse populaire de Terrebonne un prêt à terme au montant de 650 000,00 $. Ledit prêt porte intérêt à 15 % l’an. L’intimé et Sylvie Lépine se sont portés cautions du prêt. En date du 28 avril 2008, le solde du prêt était de 613 888,90 $ ; et

·        La place d’affaires de Her-Comm Inc., est située dans l’immeuble commercial acquis par Le Groupe Centruss Inc.

 

[12]             En date du 25 avril 2008, l’intimé est redevable envers l’Agence d’une somme de                92 556,30 $ plus les intérêts courants.

 

[13]             En rendant l’ordonnance contestée le 6 mai 2008, la Cour :

·        Autorise la couronne à appliquer les alinéas 225.1(1)a) à g) de la Loi contre l’intimé à l’égard des cotisations établies le 25 avril 2008;

·        Autorise la couronne à être dispensée de l’observation des dispositions 301, 304 et suivantes des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S,/98-106 (Règles), en ce qui a trait à l’avis de demande et sa signification;

·        Permet à la couronne d’être dispensée de l’observation des dispositions 359 et suivantes des Règles quant à l’avis de requête et sa signification;

·        Permet que le délai de soixante-douze (72) heures mentionné au paragraphe 225.2(5) de la Loi soit prolongé à dix (10) jours francs à compter du 6 mai 2008;

·        Ordonne que la couronne signifie, dans le même délai de 10 jours et de la manière prévue au paragraphe 225.2(5) de la Loi, l’avis au défendeur;

·        Permet que le greffe soit dispensé de la signification de l’ordonnance contestée à l’intimé, conformément à la règle 395.

 

[14]             Suite à l’émission de l’ordonnance contestée, l’Agence a effectué une saisie administrative à la Banque Nationale du Canada. Suite à cette saisie, l’Agence a inscrit des hypothèques légales : sur chacun des trois terrains vacants de l’intimé, lesquels sont situés à Terrebonne; sur une terre agricole située sur le chemin Laliberté à Mansonville dans la municipalité du Canton de Potton; ainsi que sur l’immeuble situé au 1725-1755, chemin Gascon à Terrebonne au nom du Groupe Centruss Inc. situé à Terrebonne. En date du 9 septembre 2008, suite à la saisie effectuée auprès de la Banque Nationale du Canada, l’Agence a perçu une somme de 18 029,00 $. De plus, le ou vers le 14 mai 2008, l’Agence a été informée de la vente par l’intimé de deux des trois terrains situés à Terrebonne soit ceux dont le numéro de cadastre est le 1889 332 et le 1889 331 au montant de 17 000,00 $ chacun. La vente de ces immeubles est intervenue le 12 mai 2008.

 

[15]             Le paragraphe 225.2(8) de la Loi permet à un contribuable de demander à la Cour, au moyen d'une requête, de réviser l'autorisation ex parte obtenue en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi. Les principes applicables en l’espèce sont bien établis. Voir notamment Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Services M.L. Marengère inc., [2000] 1 C.T.C. 229, [1999] A.C.F. no 1840 (QL) (Marengère) et Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291, [1989] A.C.F. no 912 (QL); Danielson v. Canada (Deputy Attorney General of Canada et al., [1986] F.C.J. No. 312 (QL)

 

[16]             Le juge Lemieux, dans Marengère au paragraphe 63 explique :

[…]

(1)        La disposition concernant le recouvrement de protection porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il ressort du libellé de la disposition qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

 

(2)        En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n'a pas été respecté, c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l'ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte.

 

(3)        La preuve doit démontrer que, selon toute probabilité, il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromette le recouvrement. Il ne s'agit pas de savoir si la preuve démontre au-delà de tout doute raisonnable que le délai accordé au contribuable compromettrait le recouvrement du montant en question.

 

(4)        Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.

 

(5)        Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète. […]

 

[17]             L’intimé soumet aujourd’hui qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai pour payer les montants mentionnés dans les cotisations des années d’impositions allant de 2000 à 2005 compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ces montants. Il allègue également que le ministre a contrevenu à son obligation de divulguer à cette Cour tous les faits pertinents lors de la présentation de la requête ex parte. Ainsi, les affidavits soumis par la couronne au soutien de la requête ex parte comportent des allégations insuffisantes, inexactes, hors contexte, ou contiennent des opinions gratuites. (À l’audience, le procureur de l’intimé a tenté de discréditer les allégations faites aux paragraphes 5, 14, 20, 24, 30 à 32, 39 et suivants, 45 à 50, 52 et 56 de l’affidavit de Daniel Goyette). De plus, l’intimé soutient que les mesures de recouvrement effectuées par l’Agence ont été effectuées de façon abusive (puisqu’il existait notamment des revenus et des actifs suffisants pour permettre le recouvrement du montant réclamé de 92 556,00 $ qui fait depuis l’objet d’un avis d’opposition).

 

[18]             L’intimé s’en prend également au fait qu’il soit fait référence aux accusations ou aux condamnations antérieures de l’intimé, alors que celui-ci a purgé sa peine d’emprisonnement en 2005 pour une infraction qui remontait à 1995. Ainsi, à l’audience devant cette Cour, le savant procureur de l’intimé a fait valoir notamment que l’intimé a toujours collaboré avec l’Agence. Bien entendu, le fait que l’intimé ait été emprisonné en 2005 a pu ralentir la vérification. D’autre part, l’intimé conteste la conclusion à laquelle Mme Plante et M. Goyette arrivent dans leurs affidavits respectifs à l’effet que l’intimé a tenté d’éluder le paiement de ses impôts et donc sur la nécessité d’une autorisation immédiate d’exécution fondée sur la mauvaise foi alléguée de l’intimé.

 

[19]             L’intimé reproche notamment à la couronne d’avoir allégué l’intention de l’intimé de dilapider ses biens par le biais de fiducies. En effet,  l’intimé est parfaitement en droit de créer, par des actes de fiducie, des patrimoines d’affectation autonomes et distincts. Quant aux revenus d’emploi postérieurs à 2002, l’intimé soumet qu’en raison d’un accident d’automobile, il a reçu des indemnités de remplacement du revenu non imposables et insaisissables de la Société d’assurance-automobile du Québec, ce qui explique qu’il a cessé de déclarer des revenus d’emploi à titre de salarié d’Her-Comm Inc. pour la période de 2002 à 2006. De plus, en ce qui a trait à la compagnie Le Groupe Centruss Inc., l’intimé soumet que cette compagnie était totalement inopérante et sans aucune activité jusqu’en juin 2007, alors que le questionnaire de l’entrevue initiale de l’Agence portait sur la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2004. Ainsi, selon l’intimé, dès le mois de juillet 2007, des remises mensuelles de TPS ont été effectuées et l’on été depuis lors à chaque mois.

 

[20]             Ainsi, l’intimé conclut que les représentants du ministre n’ont pas fait une présentation honnête et complète des faits, mais une teintée de subjectivité et ce, à la suite d’une enquête insuffisante qui, si elle avait été exhaustive, aurait permis de découvrir l’ensemble des faits pertinents. De plus, l’intimé invoque plutôt avoir enrichi son patrimoine durant la période couverte par la vérification de l’Agence.

 

[21]             Dans ses représentations écrites, l’intimé se réfère à la décision Sa Majesté la Reine c. Robert Duncan, [1992] 1 F.C. 713, [1991] A.C.F. no 1113 (QL), où le juge en chef adjoint Jerome écrit au paragraphe 21:

[…]

Dans [Satellite Earth], le juge MacKay a examiné les facteurs qu'une cour doit prendre en considération lorsqu'elle révise une ordonnance de recouvrement de protection en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi. Après avoir examiné la jurisprudence portant sur la version antérieure de l'article 225.2, il a conclu (à la page 296) que dans une requête fondée sur le paragraphe 225.2(8), le ministre a le fardeau ultime de justifier la décision malgré le fait que l'article 225.2 modifié ne comprend plus l'ancien paragraphe (5) qui disposait expressément qu'"[à] l'audition d'une requête visée à l'alinéa (2)c), il incombe au ministre de justifier l'ordre ". C'est toutefois le contribuable qui a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que ce critère n'a pas été respecté. […]

 

Ainsi qu’aux propos du juge Gibson dans Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. 159890 CanadaInc.,[1997] A.C.F. no 1027 (QL) au paragraphe 11, [1997] 3 C.T.C. 284:

 […]

Je conclus que la communication complète et honnête exige effectivement que le ministre révèle ce qui pourrait être raisonnablement considéré comme étant les points faibles, que connaît le ministre, de la demande d'ordonnance de protection.

[12]     Je suis convaincu que le ministre ne devrait déposer une demande ex parte en vue d'obtenir une ordonnance de protection aux termes du paragraphe 225.2(2) que lorsqu'il est en mesure de démontrer au juge qu'une telle ordonnance est nécessaire pour protéger sa position et qu'aucune autre procédure qui serait plus équitable à l'égard du contribuable qu'une procédure ex parte ne peut raisonnablement être intentée. Il n'a été satisfait à aucune de ces conditions en l'espèce. Il ressort du dossier qu'aucune preuve n'a été présentée au juge Rouleau en vue d'établir que le paragraphe 129(2) de la Loi ne répondait pas aux besoins du ministre. En outre, aucune preuve n'a été présentée au juge Rouleau pour démontrer que la procédure plus ouverte prévue au paragraphe 164(1.2) ne pouvait pas raisonnablement et légalement être appliquée. Enfin, la preuve produite devant le juge Rouleau selon laquelle l'occasion d'imputer le "remboursement au titre de dividendes" sur la dette du contribuable serait, en fait, compromise en raison du délai, était peu convaincante.

[13]     Je conclus que, devant moi, le contribuable s'est acquitté de son fardeau de la preuve initial en établissant qu'il existait des motifs raisonnables de douter que le ministre s'est acquitté de son fardeau dans le cadre de la demande qu'il a présentée au juge Rouleau. Je conclus également que le ministre n'a pas réussi à s'acquitter de son fardeau ultime, qui consistait à justifier la décision du juge Rouleau, pour la simple raison qu'il n'a pas réussi à me convaincre qu'il a fait une divulgation complète et honnête, devant le juge Rouleau, de tous les renseignements pertinents dont il disposait relativement à la décision que celui-ci devait rendre. Le fait que le juge Rouleau aurait peut-être rendu la même décision à la suite d'une divulgation complète et honnête n'a aucune incidence. De la même façon, la possibilité qu'un autre juge rende une nouvelle ordonnance de protection suite à une demande relativement à laquelle une divulgation complète et honnête serait faite n'a aucune incidence non plus. Je ne ferai pas de spéculations en ce qui concerne cette possibilité, compte tenu de la preuve et des arguments qui m'ont été présentés.

 

[22]             Ayant analysé les preuves soumises par les parties et considéré les représentations des procureurs, je conclus que l’intimé ne rencontre pas le fardeau initial de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2 (2) de la Loi n’a pas été respecté. Les allégations faites dans les affidavits de la couronne sont vérifiables. Les faits qui s’y trouvent sont difficilement contestables.  Les craintes de l’Agence sont fondées et reposent sur des faits objectifs.  

 

[23]             La preuve doit démontrer, selon la balance des probabilités, qu’il est plus probable que le recouvrement soit compromis par le délai. Or, la couronne soumet que la balance des probabilités penche en sa faveur. Je suis d’accord avec la couronne. Au moment où l’ordonnance d’exécution immédiate a été obtenue, les faits démontraient que bien que l’intimé possédait certains actifs, la plupart d’eux n’avaient pas fait l’objet d’une divulgation dans le cadre de la vérification effectuée par Daniel Goyette et surtout, d’autres avaient été mis au nom de tierces personnes. Ainsi, les actifs au nom de l’intimé pouvaient facilement êtres dilapidés, transférés ou disparaître. À la lecture de son dossier de contestation, il ressort que l’intimé ne soulève aucun élément factuel déterminant que le ministre aurait omis de déclarer ou de prendre en considération. En l’espèce, je conclus que la couronne a satisfait à son obligation de divulgation suffisante.  D’autre part, je suis d’avis que les conditions pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis sont satisfaites dans le présent dossier.

 

[24]             À preuve, tel qu’il appert des affidavits de Daniel Goyette en date du 1er mai 2008 et du 9 septembre 2008, ce dernier a, à plusieurs occasions, dû s’adresser à des tiers afin d’obtenir de l’information et de la documentation qui ne lui était pas fournie pas l’intimé, Sylvie Lépine ou son comptable, monsieur Ducharme. Force est de constater que plusieurs actifs ont été découverts par Daniel Goyette et Scynthia Plante suite à leurs démarches auprès des tiers puisque lesdits actifs n’avaient pas été divulgués par l’intimé.

 

[25]             Ainsi, les actifs suivants n’avaient pas été divulgués par l’intimé ou son représentant :

·        Les 3 terrains vacants situés à Terrebonne et sur lesquels l’Agence a fait inscrire des hypothèques;

·        Le dépôt de 20 000,00 $ qu’avait fait Claude Hernandez pour l’achat de la terre agricole située dans la municipalité du Canton de Potton ainsi que du terrain vacant sur le chemin Maurice Côté.

 

[26]      En l’espèce, l’affidavit de Scynthia Plante en date du 9 septembre 2008 démontre clairement que les craintes que pouvaient avoir l’Agence quant au recouvrement de sa dette étaient fondées : 2 actes d’achat datés du 12 mai 2008 ont été publiés le 15 mai 2008 concernant la vente de 2 terrains vacants situés à Terrebonne dont l’intimé n’avait pas divulgué l’existence à Daniel Goyette. Or, lesdites ventes n’ont eu lieu que 3 jours après la signification à l’intimé de l’ordonnance permettant l’exécution immédiate obtenue le 6 mai 2008 par l’Agence.

 

[27]             Je précise ici que les reproches formulés par l’intimé, incluant ceux spécifiquement soulevés dans les prétentions écrites de l’intimé, portent essentiellement sur le caractère hypothétique, insuffisant ou hors contexte de certaines allégations faites par M. Goyette et Mme Plante dans leurs affidavits respectifs. Or, je ne crois pas que ces reproches, même en les cumulant, permettent à la Cour de conclure aujourd’hui que la couronne a manqué à son obligation de divulgation franche et complète. En effet, la communication complète et honnête de renseignements n’exige pas que soient révélés des renseignements qui ne sont tout simplement pas pertinents quant à l’application du critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de recouvrement compromis (Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Rouleau, [1995] A.C.F. no 1209 (QL)). Ainsi, je conclus qu’il est plus probable qu’autrement que l’octroi d’un délai à l’intimé compromettrait le recouvrement de la créance de Sa Majesté.

 

[28]             Par conséquent, rien ne me permet d’annuler l’ordonnance contestée. Au passage, je souligne que si de l’avis de l’intimé, les saisies pratiquées sont en elles-mêmes abusives (parce que les garanties déjà offertes par l’intimé sont suffisantes) ou que les inscriptions effectuées au registre des immeubles sont illégales (parce que certain bien appartiennent effectivement à des tiers), il appartient alors à l’intimé ou à tout tiers intéressé de demander mainlevée ou de faire opposition de la manière prévue à la Loi.

 

[29]      Pour les raisons mentionnées plus haut, la Cour rejette la présente requête de l’intimé avec

dépens. Des motifs concurrents de rejet de l’autre requête en annulation de la deuxième ordonnance de recouvrement compromis sont émis dans le dossier T-706-08 (2008 CF 1106).

 

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête de l’intimé en annulation de l’ordonnance de recouvrement compromis soit rejetée avec dépens.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

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